22 juin 2024

Le Coin de l’Economie – salaires – Etats-Unis – déficits

Les États-Unis, un déficit d’offre préoccupant

La désindustrialisation est souvent associée aux États européens et à la France tout particulièrement. Or, les États-Unis y sont également confrontés. La totalité de leur important déficit commercial ne peut pas être attribuée au seul dynamisme de la demande en produits manufacturés. L’insuffisance de la capacité d’offre est indéniable.

Le déficit commercial des États-Unis en biens manufacturiers représentait 1 200 milliards de dollars en 2023, contre 600 milliards de dollars en 2002. Son poids au sein du PIB est passé de 3 à plus de 4 points de PIB lors des vingt-deux dernières années. La demande pour les produits industriels a progressé de 2 % par entre 2002 et 2023. En parallèle, l’offre a enregistré un réel déclin provoqué par le recul de l’investissement net des entreprises qui est passé de 5 à 4,5 % du PIB sur longue période entre 2002 et 2023. La progression du stock de capital hors logement est passée de 6 à 2 % de 2004 à 2023. Cette faiblesse de l’offre se matérialise également par celle de la croissance des exportations de biens. À partir de 2012, les exportations américaines de biens augmentent moins vite que celles de l’ensemble de l’économie mondiale. De 2002 à 2023, le commerce mondial de biens s’est accru de 150 % quand les exportations américaines de biens n’ont connu qu’une croissance de 120 %.

Les États-Unis connaissent une réelle désindustrialisation pour la fabrication des biens de consommation. De 2002 à 2023, la production pour ce type de produits a diminué de 5 %. Il y a également un recul de la production pour les biens intermédiaires. En revanche, pour les produits agro-alimentaires, le matériel de transport, la production n’a pas reculé ces vingt dernières années. Au niveau des balances commerciales sectorielles, celle de l’agroalimentaire est resté à l’équilibre entre 2002 et 2023. En revanche, le déficit de celle des biens de consommation est passé de 200 à 500 milliards de dollars entre 2002 et 2023. Pour les matériels de transports, la balance commerciale est passée d’un déficit de 100 à 300 milliards de dollars de 2002 à 2023. La balance commerciale des biens d’équipement hors matériel de transports a enregistré un déficit de 300 milliards de dollars en 2023, quand elle était à l’équilibre en 2002. Cette insuffisance de l’offre de biens industriels aux États-Unis a profité à toutes les régions du monde, sauf au Japon. Le déficit de la balance commerciale a, entre 2002 et 2023, doublé avec la Chine, tout comme avec l’Union européenne et est resté stable avec le Japon.

Le déficit de la balance commerciale pour les produits manufacturés n’est pas compensé par un excédent suffisant des services. La balance des services a dégagé un excédent de 380 milliards de dollars en 2023 ne permettant pas d’effacer le déficit commercial de 1 200 milliards de dollars. Malgré sa puissance, le secteur des technologies de l’information et de communication ne permet pas de compenser le déficit des produits industriels. La balance commerciale des TIC n’est positive que  d’une vingtaine de milliards de dollars. Le poids économique de ce secteur a progressé rapidement, ces dernières années, mais cet accroissement ne compense pas la désindustrialisation de l’ensemble de l’économie américaine. La valeur ajoutée du secteur des nouvelles technologies représentait, en 2023, aux États-Unis, 9 % du PIB, contre 3 % en 2002.

Salaires, une nouvelle ère ?

Depuis la fin de la crise sanitaire, en 2021, les entreprises sont confrontées, plus que dans le passé, tant aux États-Unis qu’en zone euro, à des difficultés de recrutement. Les taux de chômage sont relativement bas et les taux de démission élevés même s’ils sont en recul avec le ralentissement de la croissance. Cette situation est susceptible de provoquer un changement de rapport de force dans la fixation des salaires. Ces dernières décennies, avec le chômage de masse, les salariés étaient contraints d’accepter des rémunérations relativement basses. Il est possible que dans les prochaines années, ils soient en mesure d’imposer plus fortement leurs souhaits.

Aux États-Unis, 40 % des entreprises rencontrent des difficultés pour recruter en 2024, contre 20 % en 2014, même si cette proportion a légèrement baissé depuis 2021 (plus de 50 % alors). En zone euro, le nombre d’entreprises rencontrant de telles difficultés a été multiplié par deux entre 2019 et 2024.

Le nombre d’emplois vacants par rapport au nombre de chômeurs demeure élevé malgré le ralentissement de la croissance. Fin 2023, ce ratio était de 1,5 aux États-Unis et de 0,45 en zone euro contre, respectivement, 1 et 0,2 en 2014. Certes, il a baissé depuis 2022 (respectivement 2 et 0,5) mais reste largement au-dessus de sa moyenne de longue période. Le durcissement de la politique monétaire ne s’est pas accompagné d’une augmentation du chômage qui s’est stabilisé depuis un an autour de 4 % aux États-Unis et de 6 % en zone euro. En 2014, ce taux était de 12 % en zone euro et de 6 % aux États-Unis.

Après la crise sanitaire, le nombre de démissions a connu une progression sans précédent. Aux États-Unis, ce nombre rapporté à l’ensemble des emplois est ainsi passé de 2 à 3 de 2019 à 2022 avant de redescendre à 2,3 en 2023. En zone euro, le mouvement a été important mais limité dans le temps. Le taux de démissions par rapport à l’emploi total est ainsi passé de 2,4 à 3,6 de 2019 à 2021 avant de revenir à 2,4 en 2023.

Pour le moment, ces tensions manifestes sur le marché du travail ne s’accompagnent pas d’une hausse du pouvoir de négociation des salariés. Depuis 2020, le salaire réel continue à augmenter moins vite que la productivité aux États-Unis comme dans la zone euro.

De 2002 à 2020, le salaire réel a progressé de 10 % aux États-Unis quand la productivité par tête s’est accrue de 40 %. En zone euro, les valeurs respectives sont 5 et 20 %. De 2020 à 2023, la productivité n’a que légèrement augmenté aux États-Unis et a stagné en zone euro. Sur la période, les salaires réels sont restés également stables.

La réduction des gains de productivité pèse sur les augmentations salariales. Les entreprises ont compensé en partie les hausses de prix mais n’ont pas réellement augmenté les salaires réels. Dans un contexte de faible demande et de fortes incertitudes, elles tentent de maintenir leurs taux de marge. Avec le vieillissement démographique, dans les prochaines années, le rapport de force pour la fixation des salaires pourrait néanmoins s’inverser, notamment au sein des secteurs tendus comme l’informatique, l’hébergement, la restauration ou la santé.