Le Coin des tendances – Paris capitale de l’intelligence artificielle – mondialisation des services
Paris, la capitale méconnue de l’intelligence artificielle
Depuis de nombreuses années, les Français estiment que leur pays connaît un réel déclin et que leur capitale est moins attractive. Ces jugements ne sont pas partagées par les étrangers. Ces derniers sont de plus en plus nombreux à venir en France que ce soit pour des voyages touristiques ou pour des voyages d’affaires. Les projets étrangers d’investissement sont en hausse. À l’occasion de la réunion « Choose France » au Château de Versailles, organisée au mois de mai dernier, les chefs d’entreprise étrangers présents ont promis de réaliser pour plus de 15 milliards d’euros d’investissement en France. En France, comme dans les autres pays, les résultats économiques ont peu d’influence électorale. Les électeurs perçoivent peu les améliorations économiques surtout quand elles font suite à des crises. L’épidémie de covid et la vague inflationniste ont marqué la population qui est peu sensible au regain d’attractivité du pays pour les investisseurs internationaux même si cela se traduit par des créations d’emplois.
Dans les années 1990 et 2000, la France était perçue comme un pays bureaucratique dont le poids des prélèvements pénalise les investissements. Paris était également jugée peu attractive en raison de ses embouteillages et du manque de dynamisme des autorités pour créer des évènements d’ampleur internationale. Sur le plan de la finance, la capitale avait été supplantée par Londres et Frankfort.
Paris, capitale du luxe
Au cours de la dernière décennie, Paris a regagné une grande partie du terrain perdu. Elle s’est imposée comme la capitale mondiale du luxe avec la présence de grands groupes de ce secteur (LVMH, Hermès, Kering, Chanel). Ces derniers y ont investi plusieurs milliards d’euros en restaurant ou en créant de nouvelles magasins. LVMH est désormais présent dans l’hôtellerie et la restauration. La Fashion week qui se tient plusieurs fois par an est devenue un rendez-vous incontournable générateur d’un chiffre d’affaires important.
Paris, place financière européenne
La France a également renforcé son rôle dans le domaine financier. Plus de 5 000 milliards d’euros d’actifs sont gérés par des établissements français, contre 3 800 milliards d’euros en 2015. Amundi, société française est devenue le plus grand gestionnaire de fonds d’Europe avec plus de 2 000 milliards d’euros d’actifs gérés, soit plus du double du chiffre enregistré dix ans plus tôt. Les grandes banques américaines ont décidé d’accroître leur présence à Paris, surtout après le Brexit. En 2021, JPMorgan Chase, la plus grande banque américaine, a choisi Paris pour installer sa principale salle des marchés européenne. Cette banque emploie au sein de la capitale plus de 1 000 personnes. Bank of America a multiplié par dix ses effectifs parisiens qui dépassent 700 personnes. Les effectifs de Citigroup sont passés de 170 à 400 personnes. Cette banque prévoit de créer, dans les prochains mois, plus de 200 emplois. Morgan Stanley a également doublé ses effectifs à Paris ces trois dernières années.
Paris à l’heure de l’intelligence artificielle
Emmanuel Macron a rêvé de faire de la France une startup nation. Si le pays ne concurrence pas les États-Unis ou Israël, il est néanmoins le premier en Europe continental pour les investissements en capital-risque dédiés à la haute technologie. Au premier trimestre de cette année, selon KPMG, plus de 1,5 milliard de dollars ont été investis dans des startups installés à Paris. 500 millions de dollars ont été investis dans des entreprises travaillant sur l’intelligence artificielle. Leurs homologues de Londres, historiquement le premier pôle technologique d’Europe, n’ont attiré que 100 millions de dollars au cours de la même période. Seules les États-Unis et la Chine abritent un plus grand nombre de modèles d’apprentissage automatique selon un rapport de l’Université de Stanford. Sur les 100 startups à suivre ayant un capitalisation supérieure à un milliard de dollars en Europe, 21 sont françaises. Le Royaume-Uni en compte 22 et l’Allemagne 14. Un rapport d’Accel, une société de capital-risque (VC), souligne que les anciens employés de 28 « licornes » en France ont créé 186 nouvelles startups, prouvant le dynamisme du secteur de la haute technologie. L’entreprise française « Mistral AI », à l’origine de modèles d’IA génératifs de pointe, est reconnue au niveau international. Au mois de juin 2024, cette startup a levé 600 millions d’euros lors d’un tour de table lui permettant d’être désormais valorisée à près de 6 milliards d’euros. En mai, la société française « H » spécialiste de de l’IA, anciennement connue sous le nom de « Holistic AO », a annoncé un tour de table de 220 millions de dollars quelques mois seulement après sa fondation par un chercheur français de l’Université de Stanford et quatre anciens employés de DeepMind, le laboratoire d’IA de Google. Le succès du digital en France est en partie la conséquence de l’engagement des pouvoirs publics. Dès 2017, les gouvernements ont compris le potentiel de l’IA et le rôle que Paris pourrait jouer dans le développement de cette technologie. Dès 2018, une stratégie nationale en matière d’IA a été élaborée par le mathématicien Cédric Villani. Cédric O, l’un des cofondateurs de Mistral, qui a été ministre du Numérique de M. Macron, affirme que la décision cruciale était de séduire les grandes entreprises technologiques américaines. « À l’époque, les gens disaient : vous êtes fous de dérouler le tapis rouge aux Américains ; ils vont voler votre talent. En fait, c’est le contraire qui s’est produit. De nombreux fondateurs parisiens de l’IA, dont le trio Mistral, ont quitté les centres de recherche américains pour créer leurs entreprise ».
Paris, une forte attractivité
Paris a bénéficié sans nul doute du Brexit. Les financiers ont préféré la capitale française à Frankfort, moins bien desservie. Charles de Gaulle est le deuxième aéroport européen après Londres. Le réseau ferroviaire français permet de se rendre en moins de trois heures à Londres ou à Bruxelles. La capitale parisienne demeure réputée pour sa qualité de vie. Le traitement fiscal préférentiel accordé par Emmanuel Macron aux étrangers pendant les premières années de leur résidence a contribué à renforcer l’attractivité de la ville-capitale. Paris peut également compter sur plusieurs établissements d’enseignement supérieurs de qualité. Deux des six cofondateurs de Mistral sont issus de l’École Polytechnique ; un troisième est diplômé de l’École Normale Supérieure. Ce vivier de talents a attiré les grandes entreprises américaines comme Google, Microsoft ou Meta, qui ont ouvert de grands laboratoires d’IA à Paris ou décidé d’y installer leur siège européen. La France dispose d’un réseau électrique nucléaire français de grande puissance pouvant, par ailleurs, alimenter les centres de données d’IA énergivores.
Après le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, plusieurs grandes villes se sont positionnées pour accueillir des antennes d’établissements financiers ayant fait le choix de quitter Londres. Amsterdam, Dublin et Francfort étaient sur les rangs. Le succès de Paris s’explique par la forte mobilisation de tous les pouvoirs publics. Le projet du Grand Paris avec la réalisation de plusieurs lignes de métro automatiques a également été perçu positivement par les investisseurs étrangers. Ces nouvelles lignes relieront les aéroports et plusieurs centres de recherche ainsi que le quartier d’affaires de la Défense. Depuis 2017, la stabilité fiscale a été également apprécié. Jusqu’à peu, la France était connue pour ses changements incessants en matière fiscale. En sept ans, les règles fiscales ont peu évolué. Par ailleurs, plusieurs impôts ont été réduits.
Le poids occupé par la France dans l’intelligence artificielle et notamment celui de Paris, n’est pas connu ni apprécié à juste mesure par l’opinion, la population française étant actuellement préoccupée par les questions de pouvoir d’achat et de sécurité. Il n’en demeure pas moins que la nouvelle majorité, quelle qu’elle soit, aura tout avantage à poursuivre le travail engagé depuis sept ans. Les emplois de demain dépendent la capacité de la France à se maintenir sur le secteur des hautes technologies.
Les services en voie de mondialisation ?
Si les échanges de biens sont victimes de la montée du protectionnisme, ceux liés aux services y échappent pour le moment. À New York, des restaurants font appel pour la commande des plats ou la caisse à des assistants à distance, en liaison vidéo, travaillant aux Philippines. Le service est fourni par Happy Cashier, qui met en relation des entreprises américaines avec des travailleurs philippins. Les travailleurs étrangers répondent également aux appels téléphoniques et assurent la surveillance de locaux grâce aux caméras de sécurité, et ce, pour un salaire bien plus faible que celui demandé aux États-Unis.
Les caissiers à distance sont une partie visible de l’essor des exportations de services en provenance des pays en développement. L’amélioration de la connectivité internationale rend de plus en plus facile l’externalisation et le commerce des services. Les exportations de services ont, de ce fait, progressé de 60 % au cours de la dernière décennie, pour atteindre 7 900 milliards de dollars (7,5 % du PIB mondial) en 2023. Certes, ce marché international des services reste nettement inférieur à celui des marchandises (24 000 milliards de dollars en 2023) mais la croissance de ce dernier est faible, son poids au sein du PIB ayant même stagné en 2023.
Jusqu’à maintenant, pour devenir une puissance économique, un pays se devait d’avoir un important secteur industriel. Or, depuis quelques années, la donne a changé. Les pays occidentaux recourent de plus en plus au protectionnisme afin de stimuler leur industrie. La Chine qui a fondé son modèle de croissance sur l’industrie est confrontée à une érosion de sa croissance du fait, en partie, de l’accroissement des tensions commerciales avec les États-Unis et l’Union européenne.
Les pays de l’OCDE restent les principaux exportateurs de services. Si la Chine a dépassé les États-Unis en tant qu’exportateur de biens en 2009, ces derniers exportent 2,5 fois plus de services que son rival. Le Royaume-Uni qui n’est plus que la 14e puissance mondiale en matière d’exportations de biens, reste le deuxième exportateur mondial de services. La France qui enregistre un solde industriel négatif de près de 100 milliards d’euros par an, dégage des excédents au niveau des services.
La domination des grandes puissances occidentales en matière d’échanges internationaux de services est néanmoins de plus en plus remise en cause. Un nombre croissant de pays émergents ayant des coûts salariaux faibles se spécialisent dans les exportations de services. Ces pays vendent à l’étranger des services audiovisuels, informatiques et de télécommunications. En Bulgarie, en Estonie, en Lettonie, en Moldavie, en Roumanie et en Ukraine, ces ventes représentent plus de 3 % du PIB. L’Inde tend à s’imposer comme un des principaux exportateurs de services. Ses exportations de services atteignent près de 3 % du PIB. Les cinq plus grandes sociétés informatiques du pays ont une capitalisation boursière commune de près de 350 milliards de dollars. Les centres de recherche pour les entreprises multinationales y emploient plus de 3 millions de personnes. Au total, les exportations de services de l’Inde représentent près de 5 % des exportations mondiales en 2023, contre 3 % il y a dix ans. Les pays émergents gagnent des parts de marché dans la catégorie des services aux entreprises qui couvre des domaines comme la comptabilité ou les ressources humaines. Les Philippines sont de plus en plus présentes dans cette catégorie. Leurs exportations de service représentant plus de 5 % de leur PIB. Comme l’Inde, ces dernières offrent une main-d’œuvre bon marché maîtrisant bien les langues anglaise et espagnole. Dans de nombreux pays, les travailleurs acceptent également des emplois occasionnels en ligne. Ces chiffres sont difficiles à mesurer, mais les deux tiers des freelances présents sur les plateformes anglophones comme « Upwork » et « Fiverr » sont basés dans des économies émergentes.
La santé devient également une source de création de richesses pour de nombreux pays émergents. Le tourisme médical se développe rapidement. Des pays proposent, à des tarifs intéressants, des services médicaux (dentisterie, arthroplasties de la hanche, greffes de cheveux, etc.). Ces activités représentent entre 0,2 et 0,5 % du PIB de pays comme le Costa Rica, la Croatie ou la Moldavie. L’Arménie, la Turquie, et la Jordanie se positionnent de plus en plus sur ce secteur d’activités.
La tertiarisation des échanges devrait se poursuivre. Apple est un des symboles de cette évolution de l’économie. Cette société qui conçoit et distribue des iPhones et dont la capitalisation boursière dépasse 3 000 milliards de dollars tire essentiellement ses revenus des droits des marques et des services en lien avec son magasin en ligne d’applications. Foxconn, qui fabrique 70 % des iPhones de l’entreprise, ne vaut que 91 milliards de dollars. Microsoft dont la capitalisation dépasse 3 400 milliards de dollars est également une société de services vendant des contrats de location d’usage de logiciels.
Les échanges internationaux de services ne sont pas sans limite. Les gains de productivité liés au tertiaire sont plus faibles que l’industrie. Sur longue période, il est toujours plus intéressant de vendre des biens industriels. Dans le futur, l’augmentation des salaires dans les pays émergents rendra moins attractif l’achat à l’étranger de prestations de services. Les entreprises seront tentées d’utiliser l’intelligence artificielle et de dématérialiser complétement les services. Dans les domaines juridiques et comptables, des processus d’automatisation sont déjà utilisés. Les services les plus sophistiqués devraient rester, pendant quelques années encore, l’apanage des pays occidentaux. Les services en lien avec les technologies de l’information sont adossés à des centres de recherche qui sont principalement implantés en Occident et tout particulièrement aux États-Unis. La Banque mondiale note que, depuis 1990, les emplois dans les services sont passés de 40 à 50 % de l’emploi mondial, les travailleurs ayant quitté l’agriculture. Mais seulement 5 à 10 % des emplois de services dans les marchés émergents se trouvent dans des secteurs technologiques et exportateurs, contre 15 à 20 % dans les pays riches. L’industrie informatique indienne pourrait générer 250 milliards de dollars d’exportations annuelles, ce qui représente près de 8 % du PIB national, soit l’équivalent des exportations de produits manufacturés. Pourtant, elle emploie moins de 10 millions de personnes sur une population en âge de travailler d’environ 1 milliard. En outre un rapport du cabinet de conseil « Capital Economics » affirme que l’IA pourrait conduire à une lente disparition des exportations de services de l’Inde, réduisant ainsi la croissance de 0,3 à 0,4 point de pourcentage par an au cours de la prochaine décennie.