Le Coin de l’économie – partage de la valeur ajoutée – Etats-Unis
Le difficile débat sur le partage des revenus de l’entreprise
Aux Etats-Unis, la productivité par tête augmente bien plus vite que dans la zone euro. De 2002 à 2023, elle a progressé chez les premiers de 40 % contre +10 % chez la seconde. Cette différence explique en grande partie l’écart de croissance de part et d’autre de l’Atlantique. Ces gains de productivité ne sont pas partagés de la même façon au sein des deux grandes zones économiques. En zone euro, le salaire réel a progressé presque à la même vitesse que les gains de productivité, +8 % de 2002 à 2023 quand aux Etats-Unis, ils ont augmenté deux fois moins vite, +18 %. Si le partage des gains de productivité a été plus inégale aux Etats-Unis, les salaires ont néanmoins progressé plus vite qu’en Europe. Il est à noter qu’en France, les salaires ont augmenté plus vite que la productivité par tête, +16 %, contre +11%. Les entreprises françaises sont contraintes de réduire leurs marges et leurs profits pour satisfaire leurs salariés. Cette situation peut expliquer les mauvais résultats économiques de la France ces vingt dernières années avec à la clef une incitation aux délocalisations
Le rendement des fonds propres mesuré par le ROE (rapport entre le résultat net et les capitaux propres investis par les associés ou actionnaires de sociétés) est bien plus élevé aux Etats-Unis qu’en zone euro, 16 % contre 10 %. Cette meilleure rentabilité aux Etats-Unis facilite l’investissement et attire les capitaux du monde entier.
Le partage des revenus en faveur de l’entreprise aux Etats-Unis est souvent mis en avant pour expliquer l’importance des inégalités dans ce pays. Les inégalités de revenu (mesurées par l’indice de Gini) y sont certes plus importantes qu’en zone euro. En 2022, l’indice Gini est aux Etats-Unis de 0,4, contre 0,3 en zone euro. Depuis 2010, il est à souligner qu’il est stable aux Etats-Unis traduisant l’absence de progression des inégalités de revenus. Le taux de pauvreté est dans ce pays supérieur de 6 points à celui de la zone euro, 24 % contre 18 % et de 10 points supérieurs à celui de la France (14 %). D’autres facteurs que le partage des revenus peuvent expliquer les inégalités aux Etats-Unis, la faiblesse des prestations sociales et des prélèvements obligatoires, recours à l’immigration légale et illégale dans des proportions plus importantes qu’en Europe.
Aux Etats-Unis, les inégalités sont mieux acceptées qu’en Europe et tout particulièrement qu’en France où fréquemment un partage plus favorable aux salariés est demandé.
Une déformation plus marquée du partage des revenus en faveur des salariés a pour conséquence un affaiblissement de l’investissement des entreprises ou bien hausse de leur endettement. De 2002 à 2023, le taux d’investissement des entreprises américaines est de 2 à 3 points de PIB supérieur à celui des entreprises de la zone euro. En 2023, la dette des entreprises de la zone euro a atteint 95 % du PIB contre 75 % du PIB aux Etats-Unis. Une déformation accrue du partage des revenus nuira à l’attractivité de l’Europe. Il en résultera une baisse des investissements directs étrangers au moment où les besoins en capitaux sont importants (transition écologique, intelligence artificielle). Une hausse des salaires implique une baisse des profits et peut accentuer le recul de la productivité, recul qui est à l’œuvre depuis 2017.
La demande de l’opinion d’un partage plus favorable aux salariés des revenus de l’entreprise pourrait être économiquement pénalisant en pesant sur l’investissement. La priorité serait aujourd’hui de mettre l’accent sur la restauration des gains de productivité avec un effort accru en faveur de la recherche & développement et la formation.
Etats-Unis, stop ou encore ?
Au début du mois d’août, de nombreux analystes ont révélé leurs craintes d’une récession aux Etats-Unis, craintes alimentées par le refus au mois de juillet de la Banque centrale américaine d’abaisser ses taux directeurs. Le jugement des analystes se fondant notamment sur l’évolution du taux de chômage apparaît excessif au vu des résultats de l’économie américaine ces derniers mois et de l’évolution de l’inflation et de plusieurs indicateurs avancés.
Le recul depuis le début de juillet 2024 des taux d’intérêt à long terme et celui des indices boursiers aux Etats-Unis montrent que de nombreux analystes et investisseurs croient que l’économie américaine sont à la porte d’une récession. Cette prise de conscience s’est traduite par le fort recul des indices « actions » au début du mois d’août. Or, le taux de croissance annualisé au premier trimestre a été de 1,4 % et de 2,8 % au deuxième. L’activité demeure donc dynamique et ne montre pas de réels signes d’essoufflement.
Les investisseurs soulignent que les taux d’intérêt de la Réserve Fédérale (fourchette 5,25/5,50 %) pèsent sur l’activité. Les enquêtes de la banque centrale ne souligne pas une faiblesse anormale de la demande de crédits. Les emprunteurs auraient intégré le niveau élevé des taux, aidé en cela par la bonne tenue de la rentabilité des investissements et la progression des revenus. Le taux de marge bénéficiaire des entreprises américaines demeure important. Le niveau des profits a tendance à augmenter tout comme l’investissement.
Les analystes mettent en avant la progression du taux de chômage qui a atteint 4,3 % en juillet quand il n’était que de 3,7 % en nombre 2023. Une telle augmentation est logiquement synonyme de récession mais les Etats-Unis continuent de créer des emplois. La hausse du chômage est la conséquence de la progression du taux d’activité, des personnes jusqu’à maintenant en dehors du marché du travail souhaite y entrer et s’inscrivent au chômage. Le fort courant d’immigration concourt également à la hausse du taux de chômage. Les entrées nettes d’immigrés ont atteint 3 millions en 2023. Une récession intervient quand les revenus des ménages tend à baisser. Or, aux Etats-Unis, le salaire réel par tête progresse de plus de 3 % en base annuelle.
La politique budgétaire des Etats-Unis demeure accommodante avec un déficit de plus de 6 points de PIB. Le gouvernement fédéral soutient les dépenses d’investissement des entreprises avec l’Inflation Reduction Act et le Chips Act.
Un facteur d’inquiétude peut être néanmoins signalé, la remontée des taux de défaut sur les cartes de crédit (3,2 % au 1er trimestre 2024 contre 2,6 % à la fin de 2019). Les Américains ont épuisé leur cagnotte Covid et sont donc plus sensibles aux taux d’intérêt des crédits à la consommation. Ils pourraient être plus prudents dans les prochains mois en matière de consommation. La croissance de cette dernière tend à diminuer tout comme le moral des ménages américains.
Au-delà du problème de la hausse des défauts sur les crédits à la consommation, l’économie américaine devrait continuer, en 2024, à croître à un rythme assez rapide. Le taux de croissance pourrait se situer entre 2,25 et 2,5 % à comparer avec celui de la zone euro 0,5 %.