Coin des tendances : Europe – Russie
Europe : entre espoirs et craintes
Quand économie se contracte pendant deux trimestres consécutifs, elle est souvent considérée comme étant en récession. Pour l’instant, l’Europe n’est pas en récession. Les données publiées le 14 août dernier montrent, en effet, qu’au deuxième trimestre de l’année, l’économie de l’Union européenne a progressé de nouveau de 0,3 % par rapport au trimestre précédent. Bien que modeste, cette croissance est un véritable soulagement après plus d’une année de stagnation. Autre bonne nouvelle : l’emploi se maintient dans un contexte économique incertain, et les salaires augmentent plus rapidement que les prix. De son côté, le niveau de vie des Européens progresse, même si une grande partie d’entre eux en a une perception inverse. Aux Pays-Bas, les salaires négociés au niveau national ont augmenté de 7 % en juillet sur un an, soit deux fois le rythme de l’inflation. En Allemagne, le salaire réel est également en hausse. Malgré la progression des salaires, la Banque centrale européenne (BCE), confiante dans le processus de désinflation, a réduit ses taux d’intérêt en juin et devrait le faire à nouveau en septembre.
Si plusieurs indicateurs sont encourageants pour l’Europe, d’autres demeurent préoccupants. Tous les États ne sont pas à la même enseigne. Entre les deuxièmes trimestres de 2019 et 2024, si le PIB a augmenté de plus de 5 % en Espagne et de 4 % en Italie, la hausse n’a été que de 1 % en Allemagne. Pour la France, l’accroissement du PIB a été de 3 %. L’investissement reste faible, en particulier dans le secteur de la construction. Si le pouvoir d’achat des ménages est en augmentation, ils doivent, en revanche, consacrer une part de plus en plus importante de leur budget pour se loger. Les loyers continuent, en effet, d’augmenter rapidement en raison de la pénurie de logements et de l’essor des locations saisonnières. À Athènes, Berlin ou Madrid, ils ont progressé d’environ 10 % sur un an. À Paris, les locations traditionnelles ont régressé de plus de 50 % au cours des cinq dernières années. La baisse des taux d’intérêt pourrait encore faire grimper les prix de l’immobilier. De manière surprenante, et en lien avec le blocage du marché, les prix des logements n’ont pas suivi la baisse des transactions. Les propriétaires préfèrent attendre plutôt que de réduire leurs prétentions financières. Autre signal négatif : l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages n’a pas d’effet sur la consommation. Ces derniers préfèrent épargner plutôt que d’acheter des biens. Un éventuel ralentissement du marché de l’emploi ne ferait qu’accentuer cette tendance. Contrairement aux Américains, les Européens n’ont pas puisé dans leur épargne. En Allemagne, le gouvernement n’a pas l’intention de soutenir la demande, compte tenu des divisions au sein de la coalition sur le budget. La tendance est à la recherche d’économies, comme en témoigne la volonté de réduire les aides à l’Ukraine. L’Allemagne peine à redéfinir son modèle de croissance, jusque-là fondé sur les exportations. En juin, sur un an, celles-ci étaient en recul de plus de 4 %. Les entreprises industrielles allemandes sont confrontées à la hausse du coût de l’énergie et à la nécessité de décarboner leurs activités. N’ayant pas suffisamment investi ces dernières années, elles perdent des parts de marché, notamment dans le secteur automobile. Les constructeurs chinois sont capables de fournir rapidement des voitures électriques moins chères que celles produites en Allemagne. Le pays fait également face à un vieillissement rapide de sa population active. Hormis la Lituanie, aucun autre pays de l’OCDE ne devra gérer une baisse aussi marquée de sa population active.
La panne de la locomotive de la zone euro est d’autant plus préoccupante que la France et l’Italie sont engluées dans leurs problèmes de finances publiques. La France est engagée dans une procédure de déficit excessif, ce qui la prive de toute marge de manœuvre. L’absence de majorité à l’Assemblée nationale ne facilite pas, de surcroît, la mise en place de politiques économiques innovantes. L’Italie, tout comme l’Allemagne, est un pays vieillissant devant également faire face à une dette publique élevée, représentant 140 % du PIB, avec un déficit public qui a dépassé 7,2 % du PIB en 2023. L’Europe peut certes compter sur l’Espagne, qui affiche l’un des taux de croissance les plus élevés, mais son pouvoir d’entraînement reste relativement faible, son expansion étant principalement due à l’essor du tourisme.
L’Union européenne doit faire face à de nombreux défis. Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis pourrait nuire à la croissance européenne. Une augmentation des droits de douane limiterait l’accès au marché américain, qui reste crucial pour l’Europe. De plus, une éventuelle remise en question du soutien militaire américain pourrait contraindre l’Union à accroître ses dépenses de défense, nécessitant ainsi des arbitrages budgétaires délicats. L’Union devra également gérer ses relations avec la Chine, qui l’accuse de pratiques anticoncurrentielles en raison de l’imposition de droits de douane prohibitifs sur les voitures électriques. La Chine envisage, à ce sujet, de déposer un recours contre l’Union européenne devant l’Organisation mondiale du commerce.
La Russie, économiquement toujours debout !
Depuis le mois d’août, pour la première fois depuis le déclenchement de la guerre avec l’Ukraine en février 2022, la Russie doit faire face à une incursion des troupes ukrainiennes sur son sol. Même si elle est limitée, cette incursion marque une rupture dans le déroulement de ce conflit armé. Sur le front intérieur, la situation économique semble cependant plus favorable pour le pouvoir en place. Malgré les sanctions, l’économie russe enregistre une croissance supérieure à la moyenne de celle des pays de l’OCDE.
En 2024, le PIB russe devrait augmenter de plus de 3 % en termes réels, renouant ainsi avec le rythme des débuts des années 2010. L’expansion semble s’accélérer ces derniers mois, selon la banque Goldman Sachs. Le chômage est proche d’un niveau historiquement bas. L’inflation, bien qu’élevée (+9,1 % sur un an en juillet), reste au-dessus de l’objectif de 4 % fixé par la banque centrale. Avec des revenus monétaires en hausse de 14 % sur un an, le pouvoir d’achat des Russes augmente rapidement. La confiance des consommateurs, telle que mesurée par l’agence statistique russe, est bien supérieure à sa moyenne depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine il y a 24 ans. Les achats de voitures et de meubles sont en hausse, tout comme ceux de produits alimentaires de luxe. Les Russes ont importé 18 % de cognac de plus qu’en 2019, et les importations de vins mousseux ont augmenté de 80 %. La Sberbank, une grande institution financière russe, souligne qu’en juin, les dépenses de consommation ont augmenté de 20 % sur un an en termes nominaux. Ces résultats contrastent avec ceux des années 2010, durant lesquelles la production et les revenus augmentaient lentement, voire pas du tout. En 2018, les salaires réels n’étaient pas plus élevés qu’en 2012.
Depuis 2014, et surtout depuis 2022, la Russie a réussi à réorienter son économie. Les hydrocarbures, autrefois destinés à l’Europe, sont désormais exportés vers d’autres parties du monde. Certes, le prix du pétrole est plus bas qu’il y a quelques années, et au premier trimestre 2024, la valeur totale des exportations physiques de la Russie était inférieure de 4 % en dollars à celle de la même période en 2023, et d’un tiers par rapport à 2022. Pour autant, les ménages n’en subissent pas les conséquences. L’amélioration de leur situation est en partie liée à l’abandon de l’austérité budgétaire. En 2024, la Russie connaîtra un déficit budgétaire de 2 % du PIB, facilement financé grâce aux réserves financières accumulées au cours des années 2010. Les dépenses publiques totales ont augmenté en moyenne de 15 % en 2022 et 2023. Pour cette année, la hausse devrait être supérieure à 10%, avec une augmentation légèrement moindre prévue pour l’année prochaine. Selon la Banque de Finlande, les dépenses militaires augmenteront d’environ 60 % cette année, ce qui stimulera la production d’armes et de munitions. En juillet, Vladimir Poutine a doublé la prime fédérale accordée à ceux qui s’engagent pour combattre, la faisant passer de 195 000 roubles (2 200 dollars) à 400 000 roubles, prime que les autorités régionales sont censées compléter. Le gouvernement a également décidé d’indemniser les familles des personnes tuées au combat. Les allocations sociales, notamment celles liées aux pensions de retraite, ont été accrues en juin. Les pouvoirs publics continuent de réaliser des infrastructures, comme une autoroute reliant Kazan à Ekaterinbourg, deux villes distantes de 730 kilomètres.
La bonne santé de l’économie russe s’explique également par la mise en œuvre d’une politique monétaire stricte. Afin d’endiguer une inflation élevée, la banque centrale a augmenté les taux d’intérêt de 7,5 % à 18 %, ce qui a conduit à l’appréciation du rouble. Les taux élevés et la hausse du rouble attirent des capitaux en provenance des « pays amis » comme la Chine, l’Inde ou certains pays du Golfe. Ces taux élevés incitent par ailleurs les Russes à épargner, réduisant ainsi leurs dépenses de consommation, ce qui freine l’inflation. Durant de nombreux mois, les autorités russes ont protégé en partie la population des effets de la hausse des taux en instaurant des systèmes de bonifications, en particulier pour les prêts immobiliers. Un programme hypothécaire, récemment clôturé, a maintenu les taux débiteurs à 8 %, soit moins de la moitié du taux directeur actuel, mais il a été récemment arrêté en raison de son coût. Les banques ont été incitées à proposer des congés de prêt aux soldats mobilisés dans le cadre du conflit avec l’Ukraine. Un programme « d’hypothèques industrielles » a permis d’accorder des prêts aux entreprises à des taux bas, de 3 % par an. Les prêts aux entreprises augmentent de plus de 20 % par an. Depuis que la Russie a envahi l’Ukraine, les prêts à la consommation non garantis ont augmenté à peu près aussi vite que les salaires nominaux. Selon des données officielles, au premier trimestre de cette année, les ménages ont consacré 11 % de leur revenu disponible au remboursement de leurs dettes, soit à peu près le même niveau qu’il y a trois ans, avant le début de la guerre en Ukraine.
Les pouvoirs publics peuvent compter sur les fonds souverains pour maintenir leur politique de soutien à l’économie. Ces réserves permettent de tenir cinq ans. Cependant, la résilience de l’économie pourrait être mise à mal par les pénuries de main-d’œuvre accrues par les besoins en personnel de l’armée. En raison d’une demande en hausse, les tensions inflationnistes demeurent vives, empêchant une baisse rapide des taux directeurs.