30 août 2024

Coin des tendances – objets d’occasion – industrie agro-alimentaire

L’industrie agroalimentaire et la malbouffe

Le secteur de l’alimentation connaît un processus de concentration marqué par des acquisitions dont les montants se chiffrent en milliards de dollars. Le 14 août dernier, la multinationale Mars a annoncé le rachat de Kellanova, fabricant notamment de Pringles, pour 36 milliards de dollars. En novembre dernier, Smucker’s, un fournisseur de confitures et de beurres de cacahuètes, a repris Hostess Brands, qui commercialise des gâteaux apéritifs et des produits sucrés, pour 6 milliards de dollars.

L’agroalimentaire constitue un secteur dynamique avec une forte valorisation. Les dix plus grandes entreprises occidentales de produits alimentaires emballés et de boissons ont une capitalisation boursière combinée d’environ 1 000 milliards de dollars. Leur marge d’exploitation moyenne l’an dernier était de 17 %. Malgré la vague inflationniste, les ventes progressent de 5 % par an. La demande croissante dans les pays en développement soutient cette croissance. Près de la moitié des revenus de Coca-Cola provient déjà de marchés extérieurs à l’Occident. La banque HSBC estime que la demande alimentaire mondiale augmentera de plus de 40 % d’ici 2040. L’industrie agroalimentaire doit néanmoins faire face à plusieurs menaces, dont une des plus importantes est celle liée aux effets sur la santé des produits qu’elle commercialise. Un nombre croissant de recherches suggère que les produits alimentaires transformés favorisent non seulement l’obésité mais aussi diverses maladies.

L’essor de l’industrie agroalimentaire actuelle remonte aux innovations du XIXe siècle. La pasteurisation et la mise en conserve ont contribué à rendre la nourriture abondante, sûre et facile à utiliser. L’industrialisation des processus a permis de multiplier le nombre de produits disponibles à des coûts de plus en plus faibles. Un paquet de chips est fabriqué sur une chaîne où les pommes de terre sont coupées en tranches, cuites, assaisonnées, arrosées de conservateurs et de colorants, puis scellées dans un sac avec de l’azote pour éviter qu’elles ne s’abîment. Le processus prend environ 30 minutes. Pour écouler des volumes de plus en plus élevés de produits, les entreprises ont recours à un marketing axé sur le plaisir. La phrase de Molière, reprenant Socrate, « il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger »» n’est plus de mise dans les pays occidentaux. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, l’apport calorique quotidien moyen des habitants des pays riches a augmenté d’un cinquième depuis les années 1960, pour atteindre 3 500 calories, bien au-delà de leurs besoins (2 600 à 2 800). D’ici la fin de cette décennie, près de la moitié de la population mondiale pourrait être obèse ou en surpoids.

Face aux problèmes de l’obésité, un nombre croissant de consommateurs, en particulier aux États-Unis, ont recours à des médicaments pour perdre du poids, comme le Wegovy du laboratoire danois Novo Nordisk et le Zepbound du laboratoire américain Eli Lilly. Pour le moment, le prix élevé de ces médicaments et la nécessité de pratiquer des injections hebdomadaires limitent leur accès. Mais leur utilisation devrait augmenter au fur et à mesure de la montée de la concurrence. Les versions sous forme de comprimés devraient, par ailleurs, prochainement simplifier leur usage. L’effet de ces médicaments sur la consommation alimentaire pourrait être significatif. Une analyse réalisée par le cabinet d’études Grocery Doppio révèle que les utilisateurs réduisent leurs dépenses en épicerie de 11 % en moyenne, et que les dépenses en snacks et confiseries baissent de plus de 50 %. Selon la banque Morgan Stanley, 7 à 9 % des Américains pourraient prendre des médicaments pour perdre du poids d’ici 2035, ce qui entraînerait une baisse de la demande globale de 3 % pour les céréales, de 4 % pour les chips, de 4,5 % pour le chocolat et de 5 % pour les glaces.

Les grandes entreprises alimentaires devront s’adapter, comme elles l’ont fait à partir des années 1980 en proposant des produits avec des édulcorants afin de diminuer la consommation de sucre responsable notamment du diabète. Le Coca-Cola light a été commercialisé dès 1982. De plus en plus d’entreprises proposent des produits à teneur réduite en sucre, en matières grasses ou en sel. Selon le cabinet d’études de marché Mintel, le nombre de nouveaux snacks à faibles calories lancés chaque année a augmenté de 2 % entre 2015 et 2020, contre une baisse de 1 % pour les snacks traditionnels.

Certaines entreprises agroalimentaires considèrent que les médicaments amaigrissants offrent des opportunités de croissance. Nestlé a ainsi annoncé en mars dernier qu’elle lancerait une nouvelle marque d’aliments surgelés, Vital Pursuit, destinée aux utilisateurs de ces médicaments, qui doivent veiller à obtenir des quantités adéquates de protéines et d’autres nutriments malgré une consommation réduite de nourriture. Mark Schneider, le directeur général de Nestlé, affirme que son entreprise se prépare déjà à un « avenir moins calorique et plus nutritif ». Il s’est fixé comme objectif de vendre 50 % de plus de produits répondant à ces deux caractéristiques avant 2030. Deux entreprises américaines d’aliments emballés, Conagra (chips) et General Mills (Géant Vert, Häagen-Dazs), proposent également des produits destinés aux utilisateurs de vaccins amaigrissants.

Les entreprises de l’agroalimentaire peuvent compter sur la force de leurs marques et de leurs relations avec les grandes surfaces pour imposer leurs nouveaux produits. Elles doivent surtout éviter les sanctions et les taxes que les pouvoirs publics entendent multiplier pour lutter contre les conséquences de la mauvaise alimentation. En 2009, Carlos Monteiro, un scientifique brésilien, a classé les aliments en quatre catégories en fonction de leur degré de transformation. La première concerne les produits non transformés tels que les fruits et les légumes. La dernière, appelée aliments ultra-transformés (UPF), couvre des produits tels que les céréales pour le petit-déjeuner, les chips, ainsi que les barres protéinées ou les fausses viandes. Ces produits contiennent des quantités importantes d’ingrédients qui étaient absents de l’alimentation humaine jusqu’aux années 1960. Depuis les années 1990, la part des UPF dans les régimes alimentaires du monde entier est en hausse. Selon une étude (D Martini – Nutrients 2021), les UPF représentaient en 2019 plus de la moitié de l’apport calorique aux États-Unis et en Grande-Bretagne. En France, ce ratio est de 30 %. Le lien entre la consommation d’UPF, la prise de poids et l’apparition de diverses maladies semble être avéré. Est-ce la combinaison et la transformation des aliments qui sont à l’origine des problèmes de santé, ou bien l’excès de graisses, de sucre et de sel dans ces aliments ? La question n’est pas tranchée, mais quoi qu’il en soit, les aliments transformés sont de plus en plus sur la sellette. De nombreux pays légifèrent pour limiter la consommation de tels produits. En France, au Royaume-Uni, en Colombie, des taxes ont été instituées sur les produits transformés ou les sodas. Les recommandations alimentaires en Belgique, au Brésil, au Canada et en France encouragent d’éviter autant que possible ces produits. De plus en plus de spécialistes, comme M. Monteiro, demandent que les UPF soient étiquetés comme dangereux pour la santé, à l’instar de ce qui est fait pour le tabac. Face à la pression des législateurs, les responsables des entreprises de l’agroalimentaire se préparent à lancer de nouvelles gammes de produits en limitant, par exemple, le recours aux additifs. La conséquence serait une augmentation du prix des produits, qui auraient en outre des durées de conservation plus courtes. Ce changement pourrait remettre en cause la rentabilité du secteur, même si pour le moment, les mutations économiques et sociétales lui ont été plutôt profitables.

Les Français et les biens d’occasion

Internet permet, grâce à de multiples plateformes telles que Leboncoin et Vinted, de vendre et d’acheter des biens d’occasion. En 2018, près de la moitié des Français (48 %) ont acheté des produits d’occasion, alors qu’ils n’étaient que 25 % en 2009 (étude Crédoc). Ce développement s’explique par les problèmes croissants de pouvoir d’achat que rencontrent les ménages, ainsi que par l’évolution des comportements en lien avec la transition écologique. Face à l’essor des plateformes spécialisées dans les produits d’occasion, de grandes marques telles qu’Ikea, Kiabi, Decathlon, Oxybul, La Redoute, Cdiscount, ou encore Boss, tentent d’investir ce secteur.

Le marché de l’occasion est-il le symbole d’une nouvelle manière de consommer ou s’ajoute-t-il au marché du neuf, augmentant ainsi le niveau global de la consommation ?

Dans les faits, l’achat d’objets d’occasion répond à plusieurs préoccupations :

  • Instrumentales : les consommateurs recherchent des biens qui ne sont plus disponibles sur le marché du neuf ;
  • Économiques : les consommateurs cherchent à dépenser moins pour acquérir un objet. Le marché de la seconde main permet de réduire le prix de certains biens, libérant ainsi du pouvoir d’achat pour acquérir plus de biens ou de services pour un même montant. L’objectif principal pour 75 % des acheteurs de biens d’occasion est le prix, plutôt que la sobriété ou la défense de la planète (Institut Français de la Mode – 2019) ;
  • Symboliques : les consommateurs recherchent des objets anciens, perçus comme plus authentiques, et peuvent apprécier le design vintage ;
  • Ludiques : les consommateurs prennent plaisir à chiner des objets anciens lors de brocantes, par exemple ;
  • Critiques : certains consommateurs achètent d’occasion par refus de la société de consommation ;
  • Émotionnelles : les consommateurs achètent des biens anciens en souvenir de ceux qu’ils possédaient autrefois ;
  • Écologiques : les consommateurs achètent d’occasion dans le but de préserver l’environnement ;
  • Sociales : en achetant d’occasion, les consommateurs participent à un système d’échanges qui peut aider les vendeurs ;
  • Compulsives : les biens d’occasion peuvent susciter des achats impulsifs. Ayant l’impression de faire une bonne affaire, les consommateurs peuvent plus facilement acheter un objet d’occasion qu’un neuf, même si cet achat ne répond pas à un besoin réel.

Les freins à l’essor des achats d’occasion

Bien que l’achat d’occasion se développe, il n’est pas sans limites. Les ménages aisés y sont plus favorables que ceux ayant de faibles revenus, ces derniers le percevant avant tout comme une conséquence de leur insuffisance de revenus.

Les freins à l’achat de biens d’occasion sont les suivants :

  • Risque de performance : Le premier frein identifié est la crainte de la panne ou du dysfonctionnement. Ce risque est perçu comme un obstacle majeur pour de nombreux ménages, en raison de l’incertitude quant à l’état et à la durabilité des produits d’occasion. Pour certains consommateurs, ce risque peut toutefois être un atout, car il les pousse à développer des compétences en réparation ;
  • Risque financier : Le risque financier, ou la peur de « se faire avoir », est particulièrement prononcé dans les transactions où le produit ne peut pas être inspecté physiquement avant l’achat, comme dans le cas des achats en ligne. L’absence de garantie constitue un handicap. À l’inverse, la possibilité de renvoyer un bien d’occasion à son propriétaire, lorsqu’il est acheté sur une plateforme, est perçue comme un avantage réel. Pour les produits de luxe, la crainte de la contrefaçon limite également les achats d’occasion ;
  • Risque de perte de temps : Le temps nécessaire pour rechercher et acquérir un produit d’occasion constitue un autre frein. Le processus d’achat implique non seulement de trouver le bon produit, mais aussi de se coordonner avec le vendeur. Dans certains cas, l’acheteur doit se rendre chez le vendeur, ce qui n’est pas toujours aisé. Cette dépense de temps peut finalement conduire à une réévaluation du besoin initial du consommateur, qui pourrait décider de renoncer à l’achat ;
  • Peur de la contamination : La peur de la « contamination » s’est accrue depuis l’épidémie de Covid. La crainte d’acheter un bien potentiellement contagieux est particulièrement forte pour les vêtements. Au-delà des questions sanitaires, l’acheteur peut ne pas apprécier que l’objet ait appartenu à quelqu’un d’autre. La présence de traces dont il n’est pas à l’origine peut dissuader l’achat ;
  • Dégradation sociale : L’achat d’un bien d’occasion peut être perçu comme socialement dévalorisant, pouvant exprimer une contrainte financière. Les produits sont parfois achetés sans parfaitement convenir. À défaut de pouvoir acheter du neuf, les consommateurs se tournent vers l’occasion. Une étude de l’Agence du Don en Nature, réalisée en 2019, soulignait l’attrait pour les objets neufs et le rejet des objets d’occasion chez les personnes en situation de pauvreté. Ces dernières rencontrent des difficultés à trouver des vêtements d’occasion à leur taille. Les acheteurs d’occasion ont un  taux de prévalence de l’obésité plus élevé que les vendeurs, les premiers ayant en règle générale des revenus plus faibles que les seconds. Pour les personnes en situation de pauvreté, l’achat de neuf apporte un sentiment de « valorisation » personnelle. Acheter des objets d’occasion reste encore stigmatisant pour ces consommateurs, tandis que c’est un plaisir, voire un acte politique, pour ceux qui ont les moyens, ne voyant pas l’intérêt de payer plus pour le même produit. Cependant, les consommateurs en situation de pauvreté préfèrent acheter des produits de seconde main « d’une bonne marque » plutôt que des produits neufs d’une marque d’entrée de gamme, jugés peu fiables et socialement peu valorisants.

Quels sont les objets d’occasion les plus achetés sur le marché de la seconde main ?

Selon le Crédoc, les ménages sont disposés à acheter un large éventail de biens d’occasion, à l’exception des produits intimes ayant un lien direct avec le corps (sous-vêtements, produits cosmétiques, matelas, draps, etc.). Les consommateurs peuvent également être réticents à acheter des objets techniques, technologiques ou du gros électroménager, par manque de garanties. Cependant, l’achat en seconde main de matériel informatique et électronique, d’outillage, d’électroménager et d’équipements sportifs se développe. L’achat d’équipements pour nouveau-nés, d’instruments de musique, de jouets, de livres, de meubles ou encore d’accessoires de décoration est plus fréquent. Les familles sont depuis longtemps habituées à acheter ou échanger les équipements et vêtements des bébés, en raison de leur utilisation réduite dans le temps.

Ces dernières années, les ventes d’occasion de vêtements ont fortement progressé, notamment chez les jeunes consommateurs. Sur l’application Vinted, chaque seconde, 2,2 articles en moyenne (vêtements, accessoires…) changent de main. Onze millions de Français sont membres de cette plateforme, et 2,8 millions la consultent quotidiennement. Le poids de la mode, notamment de la fast fashion, dans le quotidien des jeunes explique ce recours croissant aux achats et ventes de vêtements d’occasion. Certains consommateurs se tournent vers le marché de l’occasion pour acquérir des biens introuvables sur le marché du neuf. Les grandes marques créent des séries limitées, suscitant une forte demande sur les deux marchés. Par exemple, des sneakers peuvent valoir plusieurs milliers d’euros sur les applications de vente de produits d’occasion. Les consommateurs paient pour l’immédiateté, l’article d’occasion étant disponible immédiatement.

Les grandes marques et le reconditionnement

Conscientes de la sensibilité des consommateurs aux biens d’occasion, mais aussi de leur exigence en matière de sécurité, les grandes marques proposent de plus en plus des biens reconditionnés. Apple, Renault, Boss et d’autres se sont engagés dans cette voie. Le consommateur a ainsi la garantie d’accéder à un produit contrôlé, bénéficiant d’une garantie. Il peut même espérer une expérience client similaire à celle d’un produit neuf (emballage, conseils, etc.). Les grandes entreprises sont également présentes sur le marché des produits recyclés. Michelin, par exemple, vend des pneus neufs fabriqués à partir de matériaux recyclés. Ce recyclage s’inscrit dans la lutte contre le gaspillage et l’optimisation des déchets, répondant ainsi à un objectif écologique. Toutefois, ces produits reconditionnés ou recyclés ne sont pas toujours perçus de manière positive par les consommateurs. Ainsi, ces derniers préfèrent souvent les pneus neufs, en particulier pour le train avant (Atasu et al., 2010). 41 % des consommateurs privilégient l’achat de produits neufs au détriment des reconditionnés, en raison de préoccupations liées à la qualité. Souvent, le manque d’information est invoqué pour expliquer cette réticence envers les produits recyclés ou reconditionnés. De plus, il existe une corrélation entre le niveau de diplôme et la tendance à se détourner de ces produits, ce qui s’explique par des considérations de revenus.

L’achat d’occasion est influencé par une multitude de facteurs qui dépassent les simples considérations économiques. Les risques perçus, qu’ils soient d’ordre technique, financier, temporel, symbolique ou social, jouent un rôle crucial dans la décision d’achat. Face à ces risques, le produit neuf conserve des avantages significatifs, notamment en matière de sécurité, de statut social et de conformité aux normes sociétales. Cependant, l’évolution des pratiques d’achat d’occasion, notamment dans des catégories spécifiques comme les vêtements et les objets de luxe, montre une tendance croissante à surmonter ces freins, sous l’influence de motivations écologiques, économiques et identitaires.