Economie – politique de l’offre – crise obligataire
France : faut-il en finir avec la politique de l’offre ?
Depuis 2017, sans remettre en cause le système de protection sociale, les gouvernements successifs ont mis en œuvre une politique globalement favorable à l’offre, sachant que les entreprises françaises souffraient d’un excès de prélèvements. Cette politique a été critiquée lors de la dernière campagne législative, accusée d’avoir profité à une petite partie des contribuables et de ne pas s’être traduite par une revalorisation des salaires. Quels sont les résultats de cette politique d’offre menée en France, notamment sur le taux d’emploi, la réindustrialisation et le solde commercial ?
Depuis 2017, les gouvernements ont pris plusieurs dispositions visant à réduire les prélèvements pesant sur les entreprises et sur les capitaux susceptibles de financer ces dernières. Parmi ces mesures, on peut citer :
- La réduction des impôts de production (division par deux de la Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises – CVAE) ;
- La baisse du taux d’impôt sur les sociétés (de 28 % à 25 %) ;
- La suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) sur les valeurs mobilières ;
- La création d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital ;
- L’exonération de cotisations sociales des entreprises, de manière dégressive, de 1 à 3,5 SMIC ;
- La réduction de la durée et du montant de l’indemnité chômage ;
- La réforme de la formation professionnelle ;
- La réforme du marché du travail (privilégiant les accords d’entreprise) ;
Le coût estimé de cette politique menée depuis 2017 est évalué à 60 milliards d’euros par an.
Les effets de la politique d’offre
Le taux d’emploi des 15-64 ans a fortement progressé en France ces sept dernières années, atteignant des niveaux records. Il est passé de 65 % en 2017 à 69 % en 2023. Néanmoins, la France n’a pas rattrapé son retard par rapport à ses principaux partenaires, où le taux d’emploi a progressé plus rapidement. En effet, dans la zone euro, le taux d’emploi est passé de 67 % à 71 % sur la même période, tandis qu’en Allemagne, il atteint 78 %.
Le taux de chômage a baissé en France au cours des sept dernières années, passant de plus de 9 % à 7,5 % de la population active. La diminution a été plus forte dans la zone euro, où il est passé de 8,5 % à 6,5 %. La France reste, par ailleurs, parmi les pays de l’Union européenne avec les taux de chômage les plus élevés.
En termes de croissance, la France a légèrement moins bien performé que les autres pays de la zone euro ces dernières années. Le PIB a augmenté de 10 % dans la zone euro, contre 8 % en France de 2016 à 2023. La France fait également moins bien que ses partenaires en matière de productivité par tête. Celle-ci est restée stable dans la zone euro de 2019 à 2023, tandis qu’elle a baissé de trois points en France.
La production manufacturière a reculé en France depuis 2017, alors qu’elle est restée stable dans l’ensemble de la zone euro. Si l’emploi industriel est en augmentation depuis 2016 (hors période COVID), il progresse légèrement plus vite dans la zone euro qu’en France. Entre 2017 et 2023, la balance commerciale de la France s’est dégradée alors qu’elle s’améliore dans la zone euro.
Le taux d’investissement des entreprises non financières est en nette progression depuis 2017, passant de 10 % à 12 % du PIB, alors que dans la zone euro, il stagne autour de 12 %. En ce qui concerne l’investissement dans les nouvelles technologies, le taux, en France, est supérieur à celui de la zone euro (respectivement 0,7 % et 0,4 % du PIB en 2023).
Les limites des politiques de l’offre
Les politiques de l’offre n’ont pas corrigé tous les problèmes structurels de l’économie française. Par nature, ces politiques mettent du temps à produire leurs effets. Entre la décision de créer une usine et son ouverture, il peut s’écouler de 3 à 7 ans. Les mesures prises par les récents gouvernements n’ont pas éliminé tous les obstacles auxquels les entreprises sont confrontées. Elles font face à des pénuries de main-d’œuvre, en particulier un manque de techniciens et d’ingénieurs. Le niveau de formation des actifs reste faible en France par rapport à la moyenne des pays d’Europe de l’Ouest. Les contraintes administratives demeurent importantes. Les impôts de production restent plus élevés en France que dans les autres États de l’OCDE. Ils représentent encore 3,4 % du PIB, contre 0,7 % en Allemagne.
Marché obligataire européen, quels sont les risques ?
« Pour le moment, Madame la Marquise, tout va bien » en zone euro. Les incertitudes politiques n’ont que modérément accru l’écart de taux d’intérêt pour les emprunts d’État à 10 ans entre la France et l’Allemagne. Il atteint 0,7 point en cette fin de mois de septembre, contre 0,5 à 0,6 point avant la dissolution du 9 juin dernier. Le taux français tend désormais à se rapprocher de celui de l’Espagne.
Pour l’instant, le marché obligataire dans la zone euro résiste plutôt bien. Les investisseurs ne croient pas que certains pays de la zone euro, dont la France, mettront en œuvre des politiques budgétaires durablement expansionnistes ou des politiques économiques incompatibles avec les recommandations européennes. La position des investisseurs pourrait néanmoins évoluer en cas d’incapacité du gouvernement de Michel Barnier à faire adopter un budget « crédible ». L’effort à réaliser pour la France en matière de réduction des déficits, afin de respecter ses engagements européens, apparaît élevé et difficilement atteignable d’ici la fin de la décennie. Le déficit primaire (avant paiement des intérêts de la dette) devrait être réduit de 3,6 points, ce qui impliquerait, compte tenu des effets négatifs sur la croissance d’une politique de maîtrise des comptes publics, une augmentation de la pression fiscale ou une baisse des dépenses publiques de près de 6 points de PIB. Compte tenu de la composition de l’Assemblée nationale, un programme massif de hausse des prélèvements ou de baisse des dépenses semble peu susceptible d’être adopté. À défaut d’atteindre l’objectif des 3 % du PIB de déficit public, les investisseurs examineront l’orientation de la politique budgétaire et sa transparence.
En cas de doutes sur les intentions des pouvoirs publics français en matière budgétaire ou en cas de crise politique due à l’incapacité d’adopter le projet de loi de finances, les investisseurs pourraient sanctionner la France. Il en serait de même en cas de corrections budgétaires importantes en cours d’exercice, qui souligneraient le manque de fiabilité des projections gouvernementales. L’écart de taux d’intérêt entre la France et l’Allemagne pourrait alors augmenter, entraînant également à la hausse celui avec l’Italie.
Face à une telle situation, la Banque centrale européenne (BCE) pourrait recourir au « Transmission Protection Instrument » (TPI), qui lui permet d’acheter une quantité illimitée de la dette publique d’un pays dont le spread de taux d’intérêt s’écarterait trop. L’utilisation du TPI est conditionnée à l’acceptation, par le pays concerné, de mesures de redressement budgétaire afin d’assurer la soutenabilité de sa dette publique. Compte tenu de sa nationalité, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, sera particulièrement surveillée par les représentants des autres États membres. En Allemagne, certaines voix commencent déjà à se faire entendre, affirmant que le pays n’a pas vocation à soutenir les États dépensiers. Une crise obligataire française serait, par nature, une crise européenne en raison de son caractère systémique, ce qui laisse présager un bras de fer complexe entre les différents gouvernements des États membres.