4 octobre 2024

Le Coin des tendances – efficacité Etat – gaz

Les États : l’inquiétante perte d’efficacité

De campagne électorale en campagne électorale, les candidats promettent de restaurer les services publics, mais ces promesses restent souvent lettre morte. En entrant à la Maison Blanche en 2021, le président Joe Biden avait promis de revitaliser les infrastructures américaines. Pourtant, durant son mandat, les dépenses consacrées aux routes et aux chemins de fer ont diminué. Un plan visant à étendre l’accès au haut débit dans les zones rurales est resté inachevé. Le National Health Service britannique absorbe toujours plus de fonds, mais fournit des soins de plus en plus médiocres. Il en va de même pour le système de santé français. Les trains allemands, autrefois source de fierté nationale, sont maintenant connus pour leurs retards, avec moins des deux tiers des trains longue distance arrivant à l’heure. Dans certaines régions du Canada, des enfants peuvent attendre plusieurs années pour une place en crèche. Au Royaume-Uni, les détenus sont libérés plus tôt que prévu en raison de l’absence de places en prison, une situation similaire à celle de la France.

Les États seraient-ils devenus de moins en moins efficients ? Ils dépensent de plus en plus pour des résultats de moins en moins satisfaisants, que ce soit en termes de croissance ou de lutte contre les inégalités sociales. Alors qu’en 1960, les dépenses publiques des États de l’OCDE représentaient 30 % du PIB, elles dépassent 40 % en 2024. Dans certains pays, comme la France, ce ratio excède même 50 %. Depuis le milieu des années 1990, les dépenses publiques britanniques ont augmenté de six points de pourcentage du PIB, tandis que celles de la Corée du Sud ont progressé de dix points.

Les prestations sociales avant les services publics et les investissements

Aux États-Unis, en 1950, les dépenses publiques consacrées aux services publics, comme les salaires des enseignants ou la construction d’hôpitaux, représentaient 25 % du PIB, alors que les dépenses sociales n’en représentaient que 8 %. Les dépenses de retraite étaient alors inférieures à 3 % du PIB. En 2024, les prestations sociales représentent plus de 15 % du PIB, un niveau relativement faible par rapport aux autres pays de l’OCDE. Depuis les années 1980, l’augmentation des dépenses sociales s’est accélérée, en partie à cause du vieillissement démographique et du ralentissement de la croissance. Au sein de l’OCDE, les dépenses sociales sont passées de 14 % à 21 % du PIB entre 1980 et 2022. À cela s’ajoutent les engagements futurs, tels que les retraites et les pensions d’invalidité, qui constituent un « passif social ». Selon l’économiste James Hamilton de l’Université de Californie à San Diego, ce passif social aux États-Unis représenterait six fois le PIB.

Le vieillissement de la population pèse sur les finances publiques. En 2022, 33 millions de personnes avaient plus de 85 ans dans l’OCDE, soit 2,4 % de la population totale. En 1970, elles n’étaient que 5 millions, représentant 0,5 % de la population.

Entre 1980 et 2022, les dépenses sociales dans les pays de l’OCDE sont passées de 14 % à 21 % du PIB. En France, elles dépassent 33 %. Durant les quarante dernières années, les États ont accru les impôts moins rapidement que les dépenses, provoquant ainsi une envolée de la dette publique. La dette publique aux États-Unis, en Italie, en Grèce ou en France, dépasse désormais 100 % du PIB. La progression rapide des dépenses sociales a contraint les États à réaliser des économies sur les services publics, le fonctionnement des administrations et les investissements. Cette augmentation des dépenses sociales est imputable non seulement au vieillissement démographique, mais aussi à la montée des inégalités. Incapables de corriger ces inégalités en amont, les États interviennent sous forme de prestations sociales. Le financement de ces prestations accapare une part croissante de la richesse des pays, entraînant une hausse du coût du travail, ce qui pèse sur les salaires et favorise les délocalisations. En cherchant à être les béquilles du capitalisme, les États ont peut-être fait fausse route.

Depuis les années 1980, les États sont passés d’une logique assurantielle à une logique d’assistance en matière de prestations sociales. Les aides sont de plus en plus conditionnées à des niveaux de ressources. Aux États-Unis, cette tendance est également observée. En 1980, le quintile des Américains les moins bien payés recevait des transferts sous condition de ressources équivalant à un tiers de leur revenu brut. Depuis les années 1970, la part des Américains bénéficiant de bons alimentaires a doublé, atteignant une personne sur huit. Les États sont devenus plus généreux en période de crise. Pendant la pandémie de Covid-19, ils ont accordé des aides aux actifs et aux entreprises affectés, ainsi qu’à de nombreuses personnes qui continuaient à travailler. Pendant la crise énergétique de 2022, de nombreux gouvernements ont pris des mesures pour atténuer les effets de l’augmentation des prix de l’énergie. Même l’Allemagne, traditionnellement réputée pour sa rigueur budgétaire, a alloué 4,4 % du PIB pour protéger les ménages et les entreprises des conséquences de la guerre en Ukraine. Ces dernières années, les gouvernements semblent avoir perdu toute mesure. Aux États-Unis, la loi Inflation Reduction Act, visant à financer des investissements écologiques, pourrait coûter plus de 1 000 milliards de dollars. En Italie, un projet visant à encourager les propriétaires à rendre leur logement plus écologique est devenu incontrôlable, le gouvernement ayant déjà déboursé plus de 200 milliards d’euros (soit 10 % du PIB).

L’impossible solution fiscale

Depuis la crise financière de 2008, les gouvernements ont agi comme si des dépenses supplémentaires pouvaient être réalisées sans augmenter les impôts ni opérer des arbitrages budgétaires. Entre les années 1960 et 1990, les recettes fiscales en pourcentage du PIB des pays riches ont régulièrement augmenté. Depuis les années 2010, elles stagnent. Dans les années 1970 et 1980, les réformes fiscales étaient partagées équitablement entre celles qui augmentaient et celles qui réduisaient les recettes. Les réformes récentes, en revanche, se sont concentrées sur la réduction des impôts. En 2022, 85 % des réformes de l’assiette de l’impôt sur le revenu des particuliers dans les pays de l’OCDE ont conduit à une baisse de l’impôt collecté. En France, les gouvernements ont supprimé ces dernières années la taxe d’habitation, la redevance audiovisuelle, la première tranche de l’impôt sur le revenu et une partie de l’ISF, sans compenser ces pertes fiscales par de nouvelles sources de revenus ou par des économies budgétaires. Le résultat est le maintien de déficits publics élevés malgré la reprise économique depuis 2021. En 2024, le déficit public moyen de l’OCDE est de 4,4 % du PIB, dépassant 7 % aux États-Unis et atteignant 6 % en France. Dans le passé, de tels taux n’étaient observés qu’en période de guerre ou de récession.

Des services publics dégradés

Face à l’explosion des dépenses sociales, les gouvernements ont tendance à réduire les crédits alloués aux services publics. À l’exception de la France, la part de l’emploi dans le secteur public, en pourcentage du total, a diminué depuis la fin des années 1990. En raison de la complexification du droit et de la diminution des moyens alloués à l’administration, son efficacité a diminué. Aux États-Unis, le délai pour obtenir un permis de construire pour un projet résidentiel a doublé en trente ans. Au Royaume-Uni, les tribunaux du travail sont confrontés à d’importants retards en raison d’une pénurie de juges, avec des audiences sur les licenciements abusifs ou les discriminations raciales prévues jusqu’en 2026. En Australie, le délai de traitement des demandes de passeport est passé de trois à six semaines entre 2022 et 2024.

Des investissements en baisse et de plus en plus difficiles à réaliser

La réalisation d’investissements publics, comme les lignes ferroviaires à grande vitesse ou les métros, prend désormais des décennies, alors que dans les années 1970, quelques années suffisaient. La France a réussi à construire 18 centrales nucléaires entre la fin des années 1960 et la fin des années 1980, tandis qu’il a fallu 17 ans pour achever la seule centrale EPR de Flamanville. Aux États-Unis, l’Empire State Building a été construit en un an dans les années 1930. Aujourd’hui, un tel projet prendrait trois ou quatre fois plus de temps. Dans les années 1950 et 1960, les gouvernements, notamment en Allemagne et au Japon, ont construit des millions de logements sociaux et des milliers de kilomètres de routes et de voies ferrées.

Pour limiter la dérive de leurs finances, les États ont réduit leurs investissements dans la recherche et le développement. En 2023, les États de l’OCDE financent 10 % des dépenses de recherche, contre plus de 17 % en 1981. Presque toutes les avancées récentes en matière d’intelligence artificielle proviennent du secteur privé, alors que jusqu’aux années 1980, les grandes innovations technologiques, telles qu’Internet ou les trains à grande vitesse, étaient souvent issues de fonds publics.

La réforme, un mot honni

Depuis les années 2010, les gouvernements réforment peu, et quand ils le font, la croissance économique n’est rarement leur priorité. En 2024, les gouvernements sont tiraillés entre la nécessité de stabiliser les impôts et celle de trouver de nouvelles ressources pour financer les dépenses publiques en augmentation. Le nouveau gouvernement britannique, dans son budget 2024-2025, devrait augmenter les impôts sur l’épargne et l’investissement, au risque de freiner la croissance. Le Canada a augmenté les impôts sur les plus-values. En France, le gouvernement envisage d’augmenter les impôts sur les entreprises et les ménages les plus aisés. Aux États-Unis, où le déficit annuel atteint 7,3 % du PIB, les candidats à la présidence refusent d’envisager des hausses d’impôts. À la place, ils promettent de nouvelles baisses d’impôts qui risquent d’aggraver encore le déficit public. Les deux candidats ont proposé l’exonération des pourboires de l’impôt sur le revenu. Donald Trump a promis l’exonération des heures supplémentaires et une forte augmentation des droits de douane, qui sont dans les faits un impôt sur la consommation des produits importés.

Les gouvernements recourent à des expédients pour tenter de limiter la dérive des déficits publics, mais ils sont peu nombreux à chercher à améliorer l’efficacité des dépenses ou à moderniser le système fiscal. Des impôts à large assiette et à faible taux permettraient d’augmenter les recettes publiques tout en étant plus neutres économiquement. Le relèvement des taux de TVA constitue également une solution pour accroître les recettes, générant généralement peu de contestation. Les pays d’Europe du Nord ont des taux de TVA allant de 24 % à 25 %. Récemment, l’Estonie a augmenté sa TVA pour financer son industrie de la défense. Aux États-Unis, les Républicains s’opposent à toute augmentation de la TVA, arguant que cet impôt est régressif. Les ménages modestes consacrent en effet une part plus importante de leurs revenus à la consommation de biens et de services que les ménages plus aisés. Cependant, ces ménages sont aussi ceux qui bénéficieraient le plus de services publics efficaces. Un autre argument contre l’augmentation de la TVA est son impact inflationniste. Cependant, depuis le printemps 2024, l’inflation est en nette diminution, et la faible croissance devrait inciter les entreprises à ne pas répercuter entièrement cette hausse sur les prix.

Les États ont une ardente obligation à dégager des gains de productivité pour faire face à l’augmentation des dépenses de retraite et de santé, ainsi que pour réduire leurs déficits publics. Ils devront probablement recourir à la fiscalité, mais en privilégiant des impôts à fort rendement et aussi neutres que possible d’un point de vue économique.

La bataille du gaz n’est pas finie !

Pour le troisième hiver depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Europe n’est nullement menacée par une pénurie de gaz. Au début du mois d’octobre, les réserves étaient pleines à 94 %, au-delà de l’objectif de 90 % fixé par les États membres de l’Union européenne. Les achats massifs de gaz naturel liquéfié (GNL) représentent désormais 60 % des importations de gaz de l’Union, alors qu’en 2021, 40 % du gaz provenaient des gazoducs russes.

Malgré l’absence de pénurie, le prix du gaz reste élevé. Le prix du GNL en Asie, référence mondiale, se situe au-dessus de 13 dollars par million d’unités thermiques britanniques (mBtu), bien au-dessus de son niveau d’avant la crise de 2022. Plusieurs facteurs contribuent à cette hausse. Un hiver froid est redouté, au vu des tendances de température dans l’hémisphère Nord depuis la fin du mois d’août. Un hiver « normal » serait très froid par rapport aux normes récentes. Une saison glaciale obligerait l’Europe à recourir à ses centrales électriques au gaz, augmentant ainsi la consommation de ce dernier. En outre, des températures froides sont souvent synonymes d’absence de vent, ce qui limiterait la production d’électricité par les éoliennes. En Asie du Nord-Est, l’hiver pourrait également être plus rigoureux en raison de la fin du phénomène El Niño. Une saison extrême, comme celle de 2021, où Pékin avait enregistré des températures de -20°C en janvier, son mois le plus froid depuis 50 ans, reste possible.

Une vague de froid importante en Europe et en Asie pourrait créer une demande supplémentaire de gaz de 21 milliards de mètres cubes (mmc) et 15 mmc respectivement, soit une augmentation de 4 à 8 % des importations de ces régions l’année dernière. La demande de GNL pourrait croître de 26 millions de tonnes supplémentaires, soit l’équivalent de 7 % des volumes échangés à l’échelle mondiale en 2023.

La deuxième source d’inquiétude réside dans la possibilité que les importations européennes de gaz par gazoduc diminuent encore. Un accord de cinq ans, qui expire en décembre, permet à la Russie de continuer à acheminer du gaz via l’Ukraine vers l’Europe centrale. Bien que ces flux aient été réduits de plus de moitié depuis 2021, ils représentaient encore 15 mmc l’année dernière. L’Ukraine a déjà annoncé qu’elle ne renouvellerait pas cet accord. L’Union européenne et l’Ukraine travaillent sur des solutions alternatives. L’une des options les plus réalistes serait un échange avec l’Azerbaïdjan, dans lequel le gaz russe transitant par l’Ukraine serait rebaptisé « azerbaïdjanais », tandis qu’une partie du gaz azerbaïdjanais deviendrait russe. Cependant, ce scénario ne résoudrait pas entièrement le problème, car l’Europe recevrait autant de gaz via l’Ukraine qu’auparavant, mais moins de l’Azerbaïdjan. De plus, la Russie devrait accepter de vendre son gaz à bas prix à l’Azerbaïdjan, où l’énergie est bon marché. Si la Russie décidait d’arrêter complètement ses livraisons, la France, par exemple, verrait un cinquième de sa consommation de gaz affecté, car il est d’origine russe.

Les conditions météorologiques et la géopolitique continuent de favoriser la demande en GNL, mais des goulots d’étranglement apparaissent. La Russie ne peut guère augmenter sa production. Le terminal Arctic LNG 2, qui devait initialement exporter jusqu’à 13 millions de tonnes par an (mtpa) de GNL d’ici l’année prochaine – soit l’équivalent de 18 mmc de gaz une fois liquéfié – est retardé en raison des sanctions américaines visant toutes les entreprises participant à sa construction, ainsi que tout navire susceptible d’y accoster. Un projet visant à faire de l’Égypte un fournisseur fiable de GNL pour l’Europe n’a pas abouti, en raison de la baisse de la production de gaz dans ce pays. Les États-Unis, qui avaient comblé en partie le manque causé par l’absence du gaz russe en 2022 et 2023, sont désormais moins disposés à approvisionner l’Europe. Joe Biden a décrété un moratoire sur les projets de terminaux de liquéfaction, et la faillite du principal entrepreneur du projet Golden Pass au Texas, l’un des deux grands terminaux censés entrer en service l’an prochain, pourrait retarder leur mise en service de six mois ou plus.

L’Europe pourrait être mise sous pression dès le mois de décembre si l’hiver est rigoureux et que les exportations russes cessent. Les réserves de gaz permettraient de tenir jusqu’en février, mais les prix du gaz monteraient en flèche. Contrairement à 2022, l’Union européenne pourra toutefois compter sur les centrales nucléaires françaises et les barrages hydroélectriques, qui ont bénéficié des pluies automnales abondantes.

Compte tenu du contexte climatique et géopolitique, Anne-Sophie Corbeau, de l’université de Columbia, estime que le prix du gaz pourrait facilement atteindre 16 dollars par mBtu au début de l’année prochaine. Les pays asiatiques, et notamment la Chine, seraient relativement protégés, car ils achètent une grande partie de leur GNL dans le cadre de contrats à long terme indexés sur le prix du pétrole. En revanche, la quasi-totalité des achats européens se fait sur le marché spot ou est indexée sur les prix spot. Cela rend l’Europe plus vulnérable que l’Asie, d’autant plus qu’elle ne dispose plus, ou presque plus, de centrales au charbon.