18 juin 2025

Tendances – économie des célibataires – Ukraine – réindustrialisation

La solo-économie

Pendant la période Covid, le monde s’est refermé sur lui-même. Les dépenses de services — repas au restaurant, voyages internationaux, soins médicaux non urgents — se sont effondrées, tandis que la demande de biens s’est envolée, dopée par l’engouement pour les ordinateurs portables et les vélos d’appartement, au point de provoquer des pénuries. Ce changement de comportement a perduré quelques mois après la fin des confinements. Depuis deux ans, la consommation des ménages retrouve son rythme d’avant-pandémie, avec une stagnation, voire un recul, de la consommation de biens au profit de celle des services.

Aux États-Unis, depuis 2023, les dépenses de santé ont progressé de 10 % en volume, tandis que les dépenses liées aux transports publics ont augmenté de 21 %. À l’inverse, les achats d’outillage ou de matériel de jardinage, plébiscités durant les confinements, sont en déclin. En France, les dépenses alimentaires ont connu une baisse sans précédent entre 2022 et 2024. Les dépenses de bricolage sont également en recul. Les compagnies aériennes enregistrent une progression de leur chiffre d’affaires au sein des pays de l’OCDE, le marché français faisant exception. Le nombre de nuitées dans les hôtels de luxe est également en augmentation ; en revanche, les établissements bon marché sont à la peine. D’après les données du site de réservation OpenTable, la fréquentation des restaurants en Allemagne, début juin 2025, dépassait de plus de 10 % celle observée un an plus tôt.

Ce retour à la situation d’avant-Covid n’est pas total. Des inflexions sont constatées. Le tourisme d’affaires, concurrencé par le développement des réunions en ligne, n’a pas retrouvé son niveau de 2010. En matière de services, la tendance est à la consommation en solo. Les individus sortent, se déplacent, partent en vacances de plus en plus souvent seuls. Airbnb souligne que les requêtes pour des séjours en solitaire ont augmenté de 80 % au printemps 2025 par rapport à l’année précédente. Au Royaume-Uni, les statistiques officielles montrent que les voyageurs privilégient désormais les transports individuels — voiture personnelle ou taxi — au détriment des transports collectifs. Le partage des repas s’étiole aussi : plus d’un quart des Américains déclaraient avoir mangé seuls l’ensemble de leurs repas la veille.

Ces comportements reflètent une mutation sociétale plus profonde : l’économie se reconfigure autour de la figure de l’individu seul, de plus en plus nombreuse dans les pays développés. Selon Eurostat, en 2024, plus de 35 % des ménages européens étaient constitués d’une seule personne, un chiffre en constante hausse depuis deux décennies. À Paris, plus de 50 % des logements sont occupés par une personne seule, un phénomène qui touche aussi les métropoles comme Tokyo, Berlin ou Stockholm. Aux États-Unis, plus de 38 millions d’adultes vivent seuls, soit près de 29 % des ménages, contre seulement 13 % en 1960. C’est un changement anthropologique qui redessine l’économie urbaine, résidentielle, alimentaire et même culturelle.

Les marques s’adaptent : les formats individuels dominent les linéaires alimentaires, des plats préparés aux mini-packagings. Les supermarchés japonais et sud-coréens ont été précurseurs, avec des rayons dédiés aux single servings. Le secteur de la restauration mise sur les restaurants avec comptoirs individuels ou espaces privatifs, à l’image des chaînes comme Ichiran, au Japon. Dans les villes nord-américaines, la livraison de repas pour une seule personne explose : Uber Eats ou DoorDash notent une hausse de plus de 30 % des commandes individuelles depuis 2022.

Le secteur de l’immobilier est de plus en plus dominé par la demande des célibataires à la recherche de studios ou de deux-pièces au sein des grandes agglomérations. Les loisirs s’effectuent de plus en plus en solo, avec la musique, la vidéo ou les jeux en ligne.

Sur le plan économique, cette évolution modifie les arbitrages budgétaires. Les personnes seules dépensent en moyenne plus en logement par mètre carré, mais moins en nourriture, moins en biens durables, et davantage en loisirs individualisés. Elles sont aussi plus enclines à changer de lieu de vie et plus sensibles aux offres de flexibilité : abonnements mensuels, locations temporaires, accès à la demande. L’économie de l’abonnement (Netflix, Spotify, box repas, coworking, salles de sport) prospère sur cette base. À l’horizon 2030, certains cabinets d’analyse comme Euromonitor ou McKinsey anticipent que les « solos économiques » représenteront la catégorie de consommateurs à la croissance la plus rapide dans les pays de l’OCDE.

L’essor de l’individu solitaire comme acteur majeur de la consommation s’isncrit dans une évolution démographique et sociologique de grande ampleur. La vie de couple, la famille avec des enfants reculent au profit des célibataires. Mais même au sein des couples et des familles, la vie s’organise de plus en plus de matière solitaire au niveau des individus. La télévision a cédé la place aux tablettes ou aux smartphones, le sport – fitness – course à pieds – natation- se pratiquent seuls. Les « solos économiques » redistribuent les cartes du logement, des mobilités, de l’alimentation et des loisirs, en favorisant des offres modulaires et flexibles à l’heure où l’urbanisation et le numérique redéfinissent les usages.

Les leçons économiques de la guerre en Ukraine

De tout temps, les armées ont utilisé les technologies les plus évoluées pour faire la différence, ainsi que la ruse. Le 1er juin dernier, l’Ukraine a réussi un tour de force en bombardant des sites situés à des milliers de kilomètres du front. Ce coup d’éclat a actualisé le mythe du cheval de Troie : à l’initiative d’Ulysse, des guerriers grecs avaient pénétré dans Troie, assiégée en vain depuis dix ans, en se dissimulant dans un grand cheval de bois offert aux Troyens. En 2025, l’Ukraine a lancé 117 drones depuis des camions disséminés à travers toute la Russie, neutralisant ainsi une douzaine d’avions à long rayon d’action de l’armée russe.

La guerre entre l’Ukraine et la Russie revêt également une dimension plus traditionnelle, avec une ligne de front s’étendant sur plusieurs centaines de kilomètres, ponctuée de tranchées qui évoquent celles de la Première Guerre mondiale. La différence majeure réside dans l’utilisation massive de drones par les deux camps depuis février 2022. Selon un médecin militaire ukrainien, jusqu’à la moitié des pertes sur le front seraient désormais causées par ces engins télécommandés. Les drones présentent de nombreux avantages : ils sont relativement peu coûteux à produire, leurs pilotes ne sont pas exposés au combat, et leur efficacité destructrice est redoutable. Leur conception repose toutefois sur des composants critiques : microprocesseurs, batteries lithium-ion et métaux rares — autant d’éléments dominés, à l’échelle mondiale, par la Chine, qui équipe aujourd’hui les deux camps.

Dans la perspective d’un conflit de haute intensité — autour de Taïwan, par exemple — une question stratégique s’impose : les États-Unis et leurs alliés seraient-ils capables d’assurer une production autonome de drones sans recourir aux composants chinois ?

Face à cette dépendance, l’Ukraine tente de diversifier ses approvisionnements en sollicitant des industriels comme Renault. Les batteries lithium-ion, au cœur des véhicules électriques, sont aussi utilisées dans la majorité des drones de courte portée. Aujourd’hui, la Chine concentre 85 % de la capacité mondiale de production de batteries, mais l’Europe tente de rattraper son retard. Renault, en particulier, a développé une filière en la matière. Plus largement, l’Union européenne et les États-Unis mènent des politiques de relocalisation de la production de batteries et de semi-conducteurs. Ces efforts sont coûteux, mais commencent à porter leurs fruits.

Dans le contexte d’une économie de guerre, l’Ukraine a réussi à produire des drones de façon décentralisée, à bas coût, en mobilisant garages et appartements particuliers. Ces engins rudimentaires, souvent dotés de batteries de seulement 77 Wh — à comparer aux 20 000 à 100 000 Wh des voitures électriques — illustrent une économie de moyens assumée. Leur simplicité de fabrication contraste avec la complexité des Tesla et autres véhicules électriques occidentaux.

Le rapprochement sino-russe pousse les producteurs ukrainiens à chercher des alternatives. La Corée du Sud devient une source de cellules de batteries, que les Ukrainiens assemblent eux-mêmes. Certains vont plus loin, développant leur propre chimie pour produire des batteries, d’un coût moyen d’environ 90 dollars par drone. L’Ukraine démontre ainsi qu’une stratégie d’électrification peut être bon marché, à condition d’agilité et d’inventivité. Cette leçon devrait interpeller les Européens et les Américains : malgré des centaines de milliards investis, l’électrification de leur parc automobile reste inaboutie. Pire, la production conjointe de batteries et de moteurs électriques en Occident ne suffit même pas à couvrir les besoins de l’armée ukrainienne.

La dépendance à la Chine est flagrante pour les terres rares, indispensables à la fabrication des aimants des moteurs électriques. Or, la Chine assure aujourd’hui l’essentiel de leur extraction et de leur raffinage.

Au-delà de l’économie, les doctrines militaires occidentales peinent à intégrer les drones bon marché. Les armées européennes et américaines ont privilégié une approche technologique élitiste, commandant des systèmes d’armes toujours plus coûteux et complexes. Depuis les années 1970, le prix des avions de combat a été multiplié par 10 à 15 en dollars constants. Les avions de sixième génération, attendus vers 2035-2040, pourraient coûter entre 200 et 250 millions de dollars l’unité. L’heure de vol d’un Rafale s’élève aujourd’hui à 15 000-20 000 dollars, et celle de son successeur pourrait atteindre 50 000 à 70 000 dollars. Cette inflation technologique inspire cette litote amère : les armées de demain auront un seul avion de combat… qu’elles n’utiliseront pas.

En Ukraine, les drones FPV et « kamikazes », produits pour 300 à 1 000 dollars pièce, peuvent détruire des équipements valant des milliers de fois plus. Des modèles plus évolués, comme l’AQ‑400 Scythe, coûtent 30 000 dollars — une somme modeste comparée aux missiles ou avions traditionnels.

Le scepticisme occidental vis-à-vis de ces technologies réside aussi dans les résistances internes : les pilotes d’avion rechignent à céder leur place à des opérateurs de drones. Ce débat rappelle les réticences de la Seconde Guerre mondiale face à l’emploi massif des chars, alors perçus comme de simples auxiliaires de l’infanterie. Les dirigeants militaires occidentaux sont également inquiets sur les risques de piratage et de détournement de matériels peu sophistiqués.

Aux États-Unis, le Pentagone hésite à revoir sa stratégie malgré les enseignements du front ukrainien. L’armée de terre envisage certes d’équiper chacune de ses douze divisions de 1 000 drones. Le programme « Replicator », lancé par l’administration Biden, vise à produire des essaims de drones dotés d’intelligence artificielle. Mais dans le même temps, l’Ukraine aurait déjà fabriqué 1,5 million de drones en une seule année, et à une fraction du coût.

L’Ukraine, confrontée à un déficit démographique sévère par rapport à la Russie, et amputée de plusieurs centaines de milliers de soldats, est contrainte de développer une guerre sans soldats. La robotisation et la standardisation de l’armement s’imposent par nécessité vitale.

La guerre en Ukraine bouleverse les certitudes industrielles, économiques et militaires. L’avenir des conflits pourrait bien se jouer moins sur la supériorité technologique que sur la capacité à produire massivement, rapidement et à moindre coût. À travers ses drones artisanaux mais redoutablement efficaces, l’Ukraine démontre qu’il est possible de faire beaucoup avec peu. Cette leçon vaut autant pour les champs de bataille que pour les chaînes de production civile. Le conflit ravive une économie de guerre où souplesse, résilience et autonomie stratégique redeviennent les maîtres mots.

Les mirages de la réindustrialisation

Donald Trump estime que le salut des États-Unis passe par la réindustrialisation. Le président dénonce avec emphase « les dirigeants étrangers qui ont volé les emplois, pillé les usines américaines ». Son conseiller au commerce, Peter Navarro, promet que les droits de douane « rempliront toutes les usines à moitié vides ». Howard Lutnick, secrétaire au Commerce, affirme que des millions de petites mains construiront, sur le sol américain, des iPhones.

Depuis des années, aux États-Unis comme dans d’autres pays dits avancés, des responsables politiques et des économistes associent le déclin de l’emploi industriel à la stagnation des salaires, à l’effondrement des villes moyennes, voire à la crise des opioïdes. Depuis les années 2000, les États-Unis ont perdu 5 millions d’emplois manufacturiers. En un quart de siècle, la France a de son côté vu disparaître 900 000 emplois industriels. Le nombre d’emplois dans l’industrie a ainsi diminué d’un tiers aux États-Unis et de 25 % en France. Ces postes offraient aux jeunes sans diplôme universitaire une voie vers une existence stable, avec des perspectives de promotion. Des villes, voire des régions entières, en vivaient. Aux États-Unis, l’industrie était dominante à Detroit, à Pittsburgh — surnommée « Steel City » — ou à Akron. En France, Le Creusot, Saint-Étienne, Roubaix, Longwy ou Montluçon ont connu leurs heures de gloire grâce à l’industrie, notamment la sidérurgie.

Au-delà des pétitions de principe, la réindustrialisation est un mirage. L’industrie moderne, comme l’agriculture avant elle, produit davantage avec moins de main-d’œuvre. Le travail d’atelier accessible et rémunérateur, tel qu’il existait à l’âge d’or du fordisme américain, a presque disparu. La robotisation a profondément modifié le travail en usine : l’activité principale tourne désormais autour de la programmation et de la maintenance des machines. L’industrie du XXIᵉ siècle est constituée de techniciens et d’ingénieurs qualifiés. Depuis 2013, malgré une hausse de 5 % de la valeur ajoutée industrielle mondiale, le nombre d’emplois manufacturiers a reculé de 20 millions, soit une baisse de 6 %. Les métiers encore accessibles aux non-qualifiés en quête d’ascension sociale se trouvent désormais dans le bâtiment : électriciens, plombiers, serruriers, chauffagistes.

Les usines employant plusieurs milliers de salariés ont quasiment disparu. Si un quart des Américains travaillaient dans l’industrie en 1970, ils sont aujourd’hui moins d’un sur dix. Ces proportions s’appliquent également à la France. Plus de la moitié des emplois industriels relèvent désormais de fonctions support ou d’innovation : recherche, ressources humaines, communication, marketing. Moins de 4 % des salariés américains travaillent effectivement sur une chaîne de production. Entre 2013 et 2023, la Chine elle-même a supprimé plus de 20 millions d’emplois industriels. Selon une estimation récente, rapatrier une part suffisante de la production pour combler le déficit commercial américain ne créerait qu’environ 1 % d’emplois supplémentaires.

Le FMI qualifie ce processus de « conséquence naturelle du développement économique ». À mesure que les pays s’enrichissent, l’automatisation accroît la productivité, la consommation se déplace vers les services, et la production à forte intensité de main-d’œuvre s’externalise. Pourtant, cela ne signifie pas un effondrement de la production industrielle : en volume réel, l’industrie américaine produit aujourd’hui deux fois plus qu’au début des années 1980. Elle dépasse même, à elle seule, les productions de l’Allemagne, du Japon et de la Corée du Sud réunies. En France, malgré une désindustrialisation marquée, la production industrielle a progressé de 15 % en vingt-cinq ans.

La désindustrialisation résulte d’une logique d’avantages comparatifs. Les pays se spécialisent dans les secteurs où ils disposent d’un avantage relatif. La France s’est tournée vers les services — banque, assurance, tourisme, aéronautique, construction navale, défense — tandis que les États-Unis se sont imposés dans les technologies de l’information, l’armement et l’aviation.

La relocalisation de l’industrie serait, dans bien des cas, contre-productive. Elle mobiliserait des capitaux qui pourraient être plus utiles ailleurs, créerait peu d’emplois et entraînerait une hausse des prix des biens manufacturés, réduisant le pouvoir d’achat et, par ricochet, la consommation de services, donc l’emploi.

Croire que l’industrie est une condition indispensable à la croissance est une illusion. L’objectif du Premier ministre indien, Narendra Modi, de faire passer la part de l’industrie à 25 % du PIB est resté lettre morte. Pourtant, l’Inde affiche l’une des croissances économiques les plus élevées du monde, portée par les services. À l’inverse, la Chine, malgré sa domination dans de nombreux secteurs manufacturiers, voit sa croissance vaciller.

Depuis la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, la réindustrialisation est présentée comme un impératif de souveraineté économique. Les tensions géopolitiques ont mis en lumière des dépendances critiques. Le choc logistique mondial a révélé la nécessité de sécuriser certaines chaînes d’approvisionnement. Disposer de stocks de munitions ou lancer, en temps de paix, la production de biens à longs délais de fabrication peut sembler pertinent. Mais tout ne peut être produit localement. L’expérience ukrainienne montre qu’une économie de guerre bien organisée peut adapter ses capacités industrielles rapidement : des entreprises y sont parvenues à produire en masse des drones et des missiles.

Subventionner ne suffit pas à faire émerger une industrie. La domination industrielle de la Chine s’explique avant tout par la taille de son marché intérieur (1,3 milliard d’habitants), plus que par son interventionnisme. Sa part dans la production manufacturière mondiale s’élève à 29 %. Toutefois, son modèle montre des signes d’essoufflement : si les exportations ont crû de 70 % depuis 2006, leur poids dans son PIB a été divisé par deux. Pour contrebalancer cette puissance, il serait plus judicieux de bâtir un vaste marché commun englobant l’Union européenne, les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud que de multiplier les barrières douanières. Donald Trump aurait gagné à proposer cette alliance, plutôt que d’instaurer des droits de douane. Hélas, par facilité ou par populisme, les dirigeants optent pour une stratégie inefficace de relocalisation, qui affaiblit salaires, productivité et innovation.

L’idée selon laquelle l’industrie offre de meilleurs salaires que les autres secteurs est dépassée. Les rémunérations y sont inférieures à celles des services financiers ou des technologies de l’information. Selon une étude de The Economist, fondée sur les données du Department of Commerce et de l’Economic Policy Institute, les salaires dans les métiers peu qualifiés de l’industrie sont désormais inférieurs à la moyenne. Aux États-Unis, les salaires qui ont le plus progressé concernent les métiers techniques du bâtiment : électriciens, menuisiers, techniciens solaires, dont le salaire médian atteint 25 dollars de l’heure. En France, les artisans du bâtiment ont vu leurs revenus augmenter de 40 à 70 % en dix ans, contre seulement 20 % pour les ouvriers de l’industrie (en valeurs réelles).

L’industrie reste un mythe fondateur : elle a façonné villes et territoires dès la fin du XVIIIᵉ siècle. Clermont-Ferrand s’identifiait à Michelin, Detroit à l’automobile. Aujourd’hui, il n’existe pas de villes bâties autour de la climatisation ou de la fibre optique. La Silicon Valley, ou en France le plateau de Saclay, en sont néanmoins des héritiers. Mais les nouvelles activités sont plus diffuses, moins aptes à régénérer des territoires entiers. Pourtant, elles créent plus d’emplois qu’hier et offrent des rémunérations plus attractives. Surtout, elles sont perçues comme moins aliénantes : les cadences infernales du travail à la chaîne ont laissé de lourds souvenirs.

Selon les projections, l’emploi industriel ne devrait pas croître dans les années à venir. Ce sont les secteurs de la santé et de l’aide à la personne, portés par le vieillissement démographique, qui seront les premiers pourvoyeurs d’emplois, avec des hausses attendues respectivement de 15 % et 6 %.

L’industrie, autrefois pilier des économies avancées, conserve une place centrale dans l’imaginaire collectif, mais non dans la réalité économique du XXIᵉ siècle. Le mythe industriel masque une mutation irréversible. C’est désormais dans les services, la santé, l’économie verte et les nouvelles technologies que s’écrit le futur du travail et de la croissance. La vraie souveraineté ne passe plus par la relocalisation forcenée de chaînes de production, mais par la capacité d’adaptation, d’innovation et de coopération économique à grande échelle.