11 juillet 2025

Economie – Grèce – droits de douane – marchés financiers – Allemagne

L’étonnante insensibilité des marchés financiers

Après les annonces de hausse des droits de douane, le 2 avril dernier, les marchés actions avaient connu un trou d’air. Mais depuis, les incartades du président américain ont de moins en moins d’effets. La succession d’annonces et de contre-annonces laisse de marbre les investisseurs.

Dans la foulée des annonces du Liberation Day, les indices boursiers avaient perdu plus de 10 %. Ils ont, depuis, non seulement effacé cette perte mais aussi battu à plusieurs reprises leurs records (à l’exception du CAC 40, affecté par la dissolution de juin 2024 et par le recul du secteur du luxe). En revanche, depuis le début du mois de mai, les marchés financiers ne réagissent pratiquement plus aux chocs provoqués par le président américain. La même évolution s’observe pour les taux d’intérêt. Les taux d’intérêt à long terme ont reculé en avril 2025, en raison des anticipations négatives sur la croissance liées à la forte hausse des droits de douane, mais ils ont depuis retrouvé leur niveau d’avant le 2 avril.

L’insensibilité croissante des marchés aux déclarations du président américain s’explique par sa capacité à revenir rapidement sur ses propos. Concernant les droits de douane, après avoir promis des hausses pouvant dépasser 140 %, Donald Trump a instauré un moratoire pour permettre la négociation d’accords commerciaux. Ce moratoire, censé s’achever le 9 juillet, a été repoussé au mois d’août. Il avait également annoncé une taxation exceptionnelle des revenus du capital perçus par les non-résidents sur leurs actifs situés aux États-Unis (section 899 du Big Beautiful Bill), mais cette mesure a été abandonnée à la suite de la décision des pays du G7 de supprimer la taxe minimale de 15 % sur les multinationales.

Même le déficit public, qui atteint 7 points de PIB, ne semble pas inquiéter les investisseurs, pas plus que les attaques verbales à l’encontre du président de la Réserve fédérale.

La guerre entre l’Iran et Israël, qui a conduit à l’utilisation de bombardiers B-2 américains, n’a pas non plus entraîné de tensions majeures sur les marchés. Les investisseurs ont rapidement estimé que l’Iran ne bloquerait pas le détroit d’Ormuz. Le cessez-le-feu rapide a contribué à éviter une correction à la baisse des marchés actions.

De plus en plus, les investisseurs considèrent que Donald Trump ne prendra pas de mesures radicales susceptibles de porter un grave préjudice à la croissance américaine et à la crédibilité financière de l’État fédéral. Il use et abuse de menaces, mais celles-ci visent avant tout à inciter les partenaires des États-Unis à négocier. L’équipe républicaine est consciente de la nécessité de maintenir les flux de capitaux étrangers pour financer à la fois le déficit public et le déficit courant. Les investisseurs sont également convaincus que l’Iran ne peut se passer de ses recettes pétrolières. La survie du régime dépend de ses exportations de brut, ce qui suppose de laisser le détroit d’Ormuz libre d’accès. Depuis 2021, la production de pétrole brut iranienne a doublé, étant principalement écoulée vers la Chine.

L’optimisme des marchés est en partie excessif. En effet, les droits de douane américains augmenteront bel et bien. Ils atteindront au minimum 10 % cette année, ce qui entraînera des répercussions sur le commerce international, les États-Unis demeurant la première puissance importatrice mondiale. En l’absence d’accord avec l’Europe, ces droits pourraient atteindre 20 % pour les produits européens. Un ralentissement de la croissance des deux côtés de l’Atlantique est à prévoir, susceptible d’entraîner une correction des marchés.

Par ailleurs, la rentabilité des investissements dans l’intelligence artificielle suscite de plus en plus d’interrogations. En Europe, les valeurs des entreprises de la défense ont sur-réagi aux promesses d’augmentation des dépenses militaires formulées par les gouvernements. Or, ces promesses ne seront pas tenues dans leur intégralité, ce qui pourrait entraîner une correction des cours.

Les marchés semblent vouloir croire à une forme d’immunité économique face à l’instabilité géopolitique et aux secousses politiques américaines. Mais cette résilience apparente pourrait bien n’être qu’une accalmie illusoire. Le retour de Donald Trump sur la scène internationale, les tensions commerciales durables, l’ombre d’un protectionnisme assumé, les incertitudes autour de la transition énergétique et la survalorisation de certains secteurs technologiques constituent autant de risques systémiques. À force d’ignorer les signaux faibles, les investisseurs pourraient être pris de court. L’été boursier s’annonce calme en surface, mais les plaques tectoniques du capitalisme mondial sont en mouvement. La correction, si elle survient, sera brutale — d’autant plus qu’elle frappera un marché gagné par l’excès de confiance.

10 ans après : la Grèce est-elle sortie de la tragédie de la dette publique

Il y a un peu plus de dix ans, la Grèce se trouvait au bord du gouffre. Déficits publics abyssaux, dette explosive, perte de confiance des marchés, chômage massif : le pays était menacé d’être exclu de la zone euro, notamment sous la pression de l’Allemagne. Après trois plans de sauvetage successifs, une austérité sans précédent et une profonde restructuration de son économie, la Grèce présente aujourd’hui un visage transformé, même si elle porte encore les cicatrices de la crise de sa dette souveraine, déclenchée après une période de forte croissance alimentée par son entrée dans l’euro.

En 2009, dans le prolongement de la crise financière mondiale née des subprimes, la Grèce entre brutalement en récession. Le pays affiche alors un déficit public de 15,1 % du PIB, une dette représentant déjà 130 % du PIB, et un déficit commercial équivalent à 15 % du PIB. Longtemps bénéficiaire de taux d’intérêt bas grâce à son appartenance à la zone euro, la Grèce a abusé de l’endettement public et privé pour soutenir une croissance artificielle, centrée sur la consommation et l’investissement public. L’entrée dans la monnaie unique avait masqué des déséquilibres structurels profonds : faible compétitivité, système fiscal peu efficient, secteur public pléthorique. La révélation de la falsification des comptes publics grecs, sur fond de hausse des prix de l’énergie et de ralentissement de la croissance mondiale, a déclenché une crise de confiance. Début 2012, les taux d’intérêt à deux ans sur la dette grecque culminent à près de 40 %.

Ne parvenant plus à se financer sur les marchés, Athènes se tourne vers l’aide internationale. Entre 2010 et 2018, trois plans de sauvetage sont mis en place, mobilisant plus de 300 milliards d’euros, avec le concours du Mécanisme européen de stabilité (MES), du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et du Fonds monétaire international (FMI). En échange, la Grèce doit mettre en œuvre un vaste programme de réformes : réduction des salaires de la fonction publique, diminution des retraites, hausse de la TVA, privatisations, cession d’actifs, et libéralisation du marché du travail. Ces mesures permettent une réduction spectaculaire du déficit primaire (hors intérêts de la dette), qui passe de -10,5 % du PIB en 2009 à un excédent de +3,9 % en 2016.

Mais le prix économique et social de ce redressement est considérable. Entre 2008 et 2016, le PIB réel chute de plus de 25 %. Le taux de chômage atteint un pic à 27,5 % en 2013. Le revenu disponible des ménages recule de 30 %. Plus de 500 000 jeunes qualifiés quittent le pays, provoquant un exode massif des compétences. Le système de santé s’effondre temporairement, la pauvreté explose, et la crise s’enracine durablement dans la société.

Le dernier plan d’aide s’achève en août 2018, et la Grèce est placée sous surveillance renforcée jusqu’en 2022. Depuis cette date, elle suit une trajectoire budgétaire globalement vertueuse. La croissance économique, bien qu’interrompue temporairement par la pandémie de 2020, s’est redressée plus rapidement que prévu : autour de +2 % par an, soit l’une des plus dynamiques de la zone euro. Le solde primaire est redevenu positif (+2,4 % du PIB attendus en 2025) et la dette publique, bien qu’encore élevée (environ 150 % du PIB), est en décrue. Le taux de chômage a chuté pour s’établir à 7,9 % en mai 2025, contre 27 % en 2013 et légèrement au-dessus du taux français (7,1 %).

La structure de l’économie grecque s’est profondément modifiée. Alors qu’avant 2008, la croissance reposait essentiellement sur la consommation intérieure et les dépenses publiques, l’économie s’est réorientée vers les exportations, le tourisme et les services marchands. Le tourisme, véritable pilier du redressement, représente près de 20 % du PIB. Le nombre de touristes internationaux est passé de 19 millions en 2009 à 33 millions en 2024. Plus d’un million d’emplois sont liés directement ou indirectement au secteur, soit un quart de la population active.

Les exportations de biens ont progressé de 60 % depuis 2010, avec une forte poussée des produits agroalimentaires. De nombreux actifs stratégiques ont été cédés à des groupes étrangers dans le cadre des privatisations : ports, aéroports, concessions autoroutières, opérateurs énergétiques. Parallèlement, les réformes de l’administration (digitalisation, cadastre, simplification du droit du travail) ont renforcé l’attractivité du pays. La Grèce a ainsi gagné plus de 30 places dans le classement Doing Business entre 2010 et 2020.

Malgré ces progrès, la situation reste fragile. Le revenu par habitant est encore inférieur de 20 % à son niveau d’avant-crise (2008). Le secteur informel reste très important, représentant près de 25 % du PIB. Le taux de pauvreté atteint encore 28 %, soit deux fois plus qu’en France. L’investissement productif reste insuffisant, et la dépendance au tourisme constitue une vulnérabilité face aux chocs extérieurs (pandémie, instabilité géopolitique, changement climatique).

La Grèce a démontré une capacité de redressement après une crise d’une ampleur historique. Elle incarne aujourd’hui un exemple de sortie de crise par les réformes structurelles, la rigueur budgétaire et la réorientation de son modèle économique. Mais ce rétablissement n’efface pas les fractures sociales ni les faiblesses structurelles : dépendance au tourisme, poids de l’économie informelle, faible productivité. L’enjeu désormais est de consolider cette résilience par une montée en gamme de l’économie, un investissement plus soutenu dans l’innovation et l’éducation, et une protection sociale modernisée.

Les droits de douane : un outil impérial au service des Etats-Unis ?

Donald Trump utilise l’arme des droits de douane moins pour rééquilibrer la balance commerciale américaine que pour ouvrir de nouveaux marchés aux entreprises et accroître ainsi leurs profits.

Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump menace de soumettre les partenaires des États-Unis à des droits de douane élevés, voire de taxer les revenus des non-résidents tirés de la détention d’actifs américains (actions, obligations, parts d’entreprises). Au-delà des annonces et des coups de menton, le président américain recule, du moins en partie. Il a ainsi renoncé à la taxation des revenus des non-résidents et a réduit le montant des droits de douane à l’encontre de la Chine.

La mise en œuvre des annonces du président pourrait provoquer une récession, avec à la clé une baisse du pouvoir d’achat des Américains – alors même qu’il a été élu en promettant une amélioration de ce dernier. Le maintien de droits de douane élevés serait une source d’inflation. Les marchés l’anticipent déjà, et l’indice de confiance des consommateurs américains est en forte baisse depuis le printemps.

La volonté de Donald Trump de déprécier le dollar serait également préjudiciable à l’économie américaine, qui a besoin de capitaux étrangers pour financer son déficit public et celui de sa balance courante, laquelle a atteint 5 % du PIB en 2024.

L’administration républicaine est pleinement consciente des risques liés aux annonces récentes. Elle entend les instrumentaliser pour obtenir l’ouverture de nouveaux marchés, notamment en Europe et en Asie. L’objectif affiché est d’améliorer la profitabilité des entreprises américaines. Donald Trump espère obtenir des concessions en Europe sur les normes sanitaires et environnementales. Il tente de diviser les États membres de l’Union européenne, sachant que l’Allemagne et les pays d’Europe du Nord souhaitent maintenir leurs exportations industrielles vers les États-Unis, tandis que la France s’oppose fermement à toute libéralisation du marché agricole ou culturel.

Trump vise également la suppression de mesures fiscales jugées discriminatoires à l’égard des entreprises américaines. Il a d’ores et déjà obtenu que celles-ci ne soient pas soumises à l’impôt minimal mondial des multinationales élaboré par l’OCDE. Il réclame aussi la suppression, dans plusieurs pays européens dont la France, de la taxation spécifique du numérique et souhaite que les géants américains échappent aux sanctions du droit de la concurrence.

La volonté des États-Unis de lever les obstacles aux exportations de biens et services américains relève d’une logique impériale. Les entreprises américaines dégagent en effet des profits avant impôts et intérêts parmi les plus élevés au monde. En 2024, leurs bénéfices ont représenté 15 % du PIB, soit trois points de plus que ceux des entreprises européennes.

Plus qu’un retour du protectionnisme, la stratégie de Donald Trump s’apparente à une forme de néo-mercantilisme offensif, au service des champions nationaux. Derrière les menaces douanières se profile une guerre d’influence commerciale où Washington impose ses règles pour préserver la domination économique américaine. À court terme, les reculs tactiques visent à désamorcer les tensions internes et à rassurer les marchés. Mais à plus long terme, c’est bien une redéfinition de l’ordre économique mondial que le président américain poursuit, dans un bras de fer assumé avec l’Europe et la Chine.

Politique de relance en Allemagne : quelles conséquences pour la France ?

Le chancelier Friedrich Merz a annoncé une forte augmentation des dépenses publiques afin de moderniser les infrastructures de l’Allemagne, ainsi qu’une hausse significative des dépenses militaires. Le déficit public devrait s’accroître, dépassant les 3 % du PIB. Après deux années de récession, la progression des dépenses publiques allemandes pourrait stimuler la croissance de la zone euro, mais elle risque également de peser sur les taux d’intérêt, en particulier en France. Le prix à payer pour cette dernière serait une augmentation du coût de sa dette publique.

Le plan de modernisation des infrastructures représenterait 1,5 point de PIB. De leur côté, les dépenses militaires passeraient de 2,1 % du PIB aujourd’hui à 3,5 % en 2030. Avec les différentes annonces du chancelier, le déficit public allemand devrait s’élever à 2,9 % du PIB en 2025 (contre 2,8 % en 2024) et atteindre au moins 4 % du PIB à l’horizon 2030.

L’Allemagne, première économie de la zone euro, avait ces dernières années privilégié les exportations au détriment de la demande intérieure, jouant ainsi un rôle modeste en matière de relance européenne. En augmentant ses dépenses publiques, elle pourrait redevenir un moteur de croissance pour ses partenaires, notamment la France. Les importations allemandes en provenance d’Europe pourraient progresser. Le financement des plans de relance allemands pourrait s’appuyer sur un recyclage de l’épargne intra-européenne, historiquement dirigée vers les États-Unis. L’excédent courant de la zone euro, supérieur à 2 points de PIB en 2024, repose en grande partie sur les performances commerciales de l’Allemagne et des Pays-Bas. Cet excédent alimente une épargne excédentaire, qui, faute de débouchés attractifs en Europe, s’oriente vers les marchés américains.

Si cette épargne venait à financer le surcroît de déficit public allemand, il n’y aurait alors ni tension notable sur les taux d’intérêt européens, ni effet d’éviction pour les autres pays de la zone euro, notamment la France. À l’inverse, les États-Unis pourraient souffrir de ce rééquilibrage : une moindre attraction de l’épargne européenne pourrait entraîner une hausse des taux d’intérêt américains.

Un autre scénario est cependant envisageable. Si l’augmentation du déficit allemand ne s’accompagne pas d’une réaffectation de l’épargne européenne, les taux d’intérêt en Europe pourraient augmenter. La France serait la première à en subir les conséquences. Les investisseurs pourraient continuer de privilégier les titres américains, plus rémunérateurs, accentuant ainsi les besoins de financement en Europe. Jusqu’à présent, la discipline budgétaire allemande facilitait indirectement le financement du déficit français. Or, les investisseurs privilégient traditionnellement la dette allemande à la dette française. Une hausse du spread entre les taux français et allemands est déjà perceptible depuis juin. La France risque ainsi de devoir supporter des taux d’intérêt plus élevés, compliquant davantage l’assainissement de ses finances publiques.

En rompant avec l’orthodoxie budgétaire, Berlin rebat les cartes du jeu économique européen. Si cette inflexion permet à l’Allemagne de redevenir un levier de croissance pour la zone euro, elle pourrait aussi rebattre l’ordre financier européen au détriment des pays les plus fragiles budgétairement. La France, déjà sous pression, devra convaincre les marchés de la soutenabilité de sa trajectoire financière, sans quoi elle risque de voir son coût d’emprunt s’envoler. Le retour du leadership allemand en matière de croissance pourrait ainsi coïncider avec un affaiblissement de la souveraineté budgétaire française.