17 octobre 2025

Le Coin des tendances – hôtels – immigration

L’Amérique à migration zéro : une erreur économique

Depuis leur création, les États-Unis sont un pays d’immigration. Les immigrés, qu’ils soient d’origine européenne, africaine ou d’Amérique latine, s’y installent et n’en repartent pas. À la fin du mandat de Joe Biden, l’immigration nette dépassait encore 2,5 millions de personnes par an ; cette année, ce chiffre pourrait tomber à zéro, voire devenir négatif. Donald Trump a relevé les droits de douane à des niveaux dignes des années 1930 et engagé un bras de fer avec la Réserve fédérale, mais sa politique la plus déterminante pourrait bien être celle d’une « Amérique à migration zéro ». En empêchant l’entrée des chercheurs et des travailleurs étrangers, le président s’attaque à l’un des piliers du succès américain — et cela au moment même où la population active née aux États-Unis vieillit. Sur le plan économique, ce choix peut apparaître irrationnel.

L’administration de Donald Trump a décidé de fermer la frontière américano-mexicaine. Les « interceptions » à la frontière sud, qui mesurent l’immigration illégale, se sont effondrées en quelques mois. Dans le même temps, les services de l’immigration et des douanes (ICE) ont reçu l’ordre d’intensifier les rafles et les expulsions. Donald Trump prévoit par ailleurs de facturer 100 000 dollars pour un visa H1-B, principal sésame des travailleurs qualifiés. Les attaques contre les universités américaines dissuadent en outre les étudiants et chercheurs étrangers de venir s’y former.

L’ensemble de ces mesures constitue une véritable révolution dans la politique migratoire américaine — aux conséquences potentiellement douloureuses. Quatre des sept dirigeants des « Magnificent Seven » (les géants technologiques américains) sont nés à l’étranger, et trois d’entre eux sont entrés aux États-Unis par les voies que la Maison-Blanche cherche aujourd’hui à verrouiller. À l’autre extrémité du spectre, plus de la moitié des ouvriers agricoles et un quart des travailleurs du bâtiment sont des migrants, souvent sans papiers. Une population active progressant moins vite bridera la dynamique économique américaine. Les recettes fiscales augmenteront moins rapidement, rendant plus difficile le remboursement de la dette publique. Plus grave encore, l’« Amérique à migration zéro » pèsera sur le pouvoir d’achat des ménages en affaiblissant la productivité et en augmentant l’inflation. Si les flux se tarissent ou si les expulsions se multiplient, les entreprises peineront à recruter, d’autant que le chômage reste faible. Cela entraînera des perturbations, une baisse de la production et une hausse des coûts. À San Diego, les responsables d’entreprises signalent que des salariés, pourtant en situation régulière, cessent de se présenter au travail par peur d’être arrêtés.

Donald Trump a promis de protéger les industries les plus touchées, mais il est difficile d’imaginer comment y parvenir sans renoncer à sa politique migratoire. Les précédentes campagnes d’expulsions menées dans le passé avaient déjà eu des effets économiques négatifs. Selon les recherches de Troup Howard (Université de l’Utah) et de ses coauteurs, le programme Secure Communities (2008-2014), en raréfiant la main-d’œuvre dans le bâtiment, a entraîné une hausse de 20 % du prix des logements neufs.

La contraction de l’offre de travail entraînera donc des conséquences macroéconomiques. De 2022 à 2024, l’envolée de l’immigration avait permis de répondre à la demande créée par les plans de relance post-Covid. L’« atterrissage en douceur » de l’économie américaine — le reflux de l’inflation sans récession — aurait été bien plus difficile avec des frontières fermées. Evgeniya Duzhak, économiste à la Réserve fédérale de San Francisco, estime qu’environ un cinquième de la baisse du ratio offres d’emploi/chômeurs en 2023 — indicateur de la tension du marché du travail — s’explique par le volume des nouvelles arrivées. L’effondrement des flux migratoires brouille les statistiques, car les outils de mesure de l’économie américaine sont mal calibrés pour des variations soudaines de population active. Aujourd’hui, la baisse du nombre de créations d’emplois n’est pas imputable à un ralentissement de la croissance, mais à l’incapacité de trouver de nouveaux actifs. Les chiffres de créations d’emplois sont passés de plus de 100 000 par mois en début d’année à environ 30 000 aujourd’hui. Ces données pourraient être interprétées comme le signe avant-coureur d’une récession, mais elles ne traduisent en réalité que la chute de l’immigration. Abaisser trop vite les taux, en croyant à tort que la demande s’essouffle alors qu’il s’agit simplement d’un effet migratoire, serait une erreur ; s’en abstenir par crainte de se tromper le serait tout autant. Le manque de main-d’œuvre freine désormais la croissance américaine.

Stephen Miran, récemment nommé gouverneur de la Fed par Donald Trump, soutient que la baisse de l’immigration entraînera une moindre inflation. L’argument convainc peu. Il se fonde sur le marché immobilier. Certes, un ralentissement de la croissance démographique réduira la pression sur les prix du logement, mais le choc migratoire provoquera une hausse du coût des constructions.

Les migrants stimulent la productivité en élargissant la population active et en permettant à chacun — natif comme étranger — de se spécialiser dans les domaines où il est le plus efficace. Les emplois occupés par les travailleurs peu qualifiés — serveurs, agents d’entretien, ouvriers d’abattoirs, etc. — libèrent d’autres Américains pour des tâches plus qualifiées. Florence Jaumotte (FMI) et ses collègues montrent que, dans les pays riches, une hausse d’un point de la part des migrants dans la population adulte accroît à terme le PIB par habitant de 2 %. Les immigrés occupent des emplois que les Américains de souche refusent. Empêcher toute forme d’immigration freine donc la croissance de la productivité. Empêcher l’immigration qualifiée est, quant à elle, particulièrement destructrice. Les migrants hautement qualifiés ne représentent que 5 % de la main-d’œuvre américaine, mais perçoivent 10 % du revenu du travail. Selon Rebecca Diamond (Université de Harvard) et ses coauteurs, les immigrés sont à l’origine d’un tiers de l’innovation américaine.

Chaque année, environ 130 000 visas H1-B sont délivrés : deux tiers via une loterie ouverte aux entreprises privées et un tiers pour les universités et organismes de recherche. La redevance de 100 000 dollars ne s’appliquerait pas aux personnes déjà présentes sur le territoire, ce qui limiterait son effet, souligne Jeremy Neufeld, de l’Institute for Progress, un think tank. Cette mesure serait néanmoins préjudiciable à la filière universitaire. Les chercheurs post-doctorants, souvent modestement rémunérés malgré l’utilité économique de leurs travaux, en seraient exclus. Zornitsa Todorova (Barclays) estime qu’une telle mesure réduirait d’environ 30 % l’ensemble du dispositif H1-B.

L’administration républicaine pourrait également s’en prendre au programme Optional Practical Training (OPT), qui permet aux étudiants étrangers de travailler après leurs études avant d’obtenir un visa H1-B. Joseph Edlow, directeur du service de la citoyenneté et de l’immigration, a déclaré lors de son audition au Sénat, en mai, qu’il souhaitait supprimer ce statut pour les diplômés étrangers. Même si cette menace ne se concrétise pas, la combinaison d’incertitudes — taxe H1-B, durcissement général de la politique migratoire — dissuadera de nombreux talents de choisir les États-Unis.

Sans apports migratoires, la population en âge de travailler décline déjà. Les dépenses publiques croissent plus vite que les recettes, sous la pression du vieillissement démographique. Selon le Congressional Budget Office (CBO), la vague migratoire de l’ère Biden réduira le déficit de 90 milliards de dollars par an (0,2 % du PIB) au cours de la prochaine décennie. Contrairement à certains préjugés, les migrants paient plus d’impôts fédéraux qu’ils ne coûtent à l’État et, en stimulant la productivité, ils augmentent aussi les recettes publiques provenant des autres travailleurs.

Si, en Europe, une majorité de la population rejette l’immigration comme solution aux problèmes économiques du moment, aux États-Unis, la situation est différente. 79 % des Américains jugent aujourd’hui que l’immigration est bénéfique pour le pays dans son ensemble – un record historique.

L’« Amérique à migration zéro » marque un tournant stratégique qui pourrait affaiblir, à moyen terme, les ressorts de la croissance américaine. En fermant la porte aux talents étrangers et aux travailleurs peu qualifiés, le pays réduit sa capacité d’adaptation et compromet l’un des moteurs les plus constants de sa prospérité : la démographie économique. L’histoire américaine a montré que chaque vague migratoire a nourri l’innovation, élargi la base productive et soutenu le financement des dépenses publiques.

La politique actuelle inverse cette logique. À court terme, elle risque de créer des tensions inflationnistes, de freiner la construction et d’alimenter la pénurie de main-d’œuvre. À long terme, elle pourrait réduire la croissance potentielle de plus d’un point de PIB et fragiliser la soutenabilité budgétaire.

En voulant protéger l’économie nationale, Donald Trump prend le risque d’en affaiblir le cœur : sa capacité à attirer, absorber et transformer les énergies venues d’ailleurs. Si les États-Unis tournent durablement le dos à l’immigration, ils cesseront d’être cette économie-monde qui, depuis deux siècles, s’enrichit en intégrant les ambitions du reste de la planète.

L’hôtellerie : planche de salut du luxe ?

Devant le Brown’s Hotel, à Londres, un portier en livrée et haut-de-forme accompagne les clients jusqu’à leur taxi. À l’intérieur, la suite la plus prestigieuse se loue plus de 8 000 dollars la nuit. Au bar, les cocktails raffinés se facturent plus de 25 euros. À en juger par le hall bondé, de nombreuses personnes sont prêtes à dépenser sans compter.

Aujourd’hui, le secteur du luxe se trouve scindé en deux. Les incertitudes économiques incitent les consommateurs à restreindre leurs dépenses en biens de luxe : escarpins, sacs à main, parfums ou montres de prestige. Le cabinet Bain estime que les ventes de produits de luxe personnels devraient reculer de 2 à 5 % cette année. En revanche, les dépenses consacrées aux loisirs continuent de progresser. Hôtels cinq étoiles, vols en première classe, croisières et expériences « uniques dans une vie » affichent une forte croissance. Selon McKinsey, les dépenses mondiales en hôtellerie de luxe atteindront 390 milliards de dollars en 2028, contre 239 milliards en 2023. Les grands groupes du luxe ne s’y sont pas trompés en investissant massivement dans ce domaine. Chez Accor, qui possède à la fois la chaîne haut de gamme Sofitel et la chaîne économique Ibis, son PDG Sébastien Bazin vise à porter la part du flux de trésorerie issue du segment luxe de 35 % aujourd’hui à 50 % d’ici 2030.

Malgré le durcissement des règles migratoires aux États-Unis, les guerres commerciales et les tensions géopolitiques, les voyageurs haut de gamme soutiennent le marché du tourisme. D’après CoStar, société d’analyse immobilière, le revenu par chambre disponible dans les hôtels de luxe est resté supérieur chaque mois à celui de 2024, tandis qu’il reculait pour les catégories inférieures. Chez Chase Travel, filiale de JPMorgan Chase, les réservations de vols en première classe ont progressé de plus de 20 % entre juin et août. Air France a décidé de monter en gamme sa première classe afin de répondre à la demande internationale. IBA, cabinet spécialisé dans l’aviation, prévoit la livraison de 820 jets privés en 2025, soit une hausse de 7,3 %.

Face à cette réorientation des dépenses, Bulgari et Armani ont ouvert des hôtels. Le groupe LVMH développe sa chaîne « Cheval Blanc » et a acquis l’hôtel « Belmond » à Londres. Il possède également un yacht, l’Orient Express, de 230 mètres et 54 suites, construit en partenariat avec Accor, qui sera accessible à une clientèle huppée depuis la France l’an prochain. Dolce & Gabbana et Burberry, de leur côté, collaborent avec des groupes hôteliers pour ouvrir des boutiques éphémères et des beach clubs exclusifs.

Selon Richard Clarke, analyste chez Bernstein, la présence de plus en plus marquée du secteur du luxe dans l’univers des loisirs illustre un déplacement des dépenses, des biens matériels vers les expériences. Les vêtements et accessoires de créateurs sont désormais accessibles partout et arborés aussi bien par les classes aisées que par les très riches. En revanche, les voyages exceptionnels – qui peuvent coûter plusieurs milliers de livres par personne et par jour – conservent une dimension véritablement exclusive.

Le risque est que les acteurs du tourisme de luxe reproduisent les erreurs des maisons de mode. Au tournant des années 2000, celles-ci ont cherché à séduire les consommateurs « aspirationnels » – riches, certes, mais pas fortunés à l’extrême – ce qui les a rendues vulnérables au moindre retournement conjoncturel. Selon McKinsey, la part des dépenses d’hôtellerie de luxe provenant des ultra-riches (patrimoines supérieurs à 30 millions de dollars) tend à diminuer. Ces derniers ne veulent pas cohabiter avec les simples riches. Ils entendent conserver une part d’exclusivité et se rabattent sur des villas à plusieurs dizaines de millions d’euros ou sur les jets privés.

Signe que la clientèle « ordinaire » souhaite, elle aussi, se sentir privilégiée : EasyJet Holidays, filiale du transporteur à bas coût, a lancé ce mois-ci une offre « premium » comprenant hôtels haut de gamme, embarquement prioritaire et « extras raffinés » tels que des dîners étoilés. La banalisation du luxe se traduit par la multiplication des chambres haut de gamme : leur nombre passera de 1,8 million actuellement à près de 2,2 millions d’ici 2030, une expansion plus rapide que dans les autres segments. À Londres, Rosewood, Six Senses et Auberge – trois enseignes parmi les plus réputées – ouvriront chacune un nouvel établissement cette année. Selon Savills, la capitale britannique compte déjà 18 750 chambres de luxe et 1 618 autres sont en projet. À Paris, près de 500 nouvelles chambres de luxe ont ouvert en 2025.

Compte tenu de l’importance des investissements, les hôtels de luxe ont tendance à augmenter leurs tarifs. Les touristes commencent à juger ces prix de plus en plus prohibitifs. Selon CoStar, dans plusieurs mois récents, les taux d’occupation des cinq étoiles ont été légèrement inférieurs à ceux de 2024, mais la hausse des prix a permis de maintenir la progression des revenus.

L’hôtellerie de luxe est confrontée à une série de défis. Elle doit éviter la banalisation, faute de quoi elle risquerait une érosion de sa clientèle. Elle doit également maîtriser ses coûts, tout en surmontant les difficultés de recrutement de la main-d’œuvre qualifiée.

Le dynamisme du tourisme haut de gamme illustre la résilience du luxe face aux cycles économiques, mais aussi ses fragilités structurelles. Le secteur repose de plus en plus sur des investissements lourds, des coûts fixes élevés et une clientèle mondiale dont la concentration du pouvoir d’achat rend la demande sensible aux aléas géopolitiques, aux taux d’intérêt et à l’évolution des patrimoines financiers. La montée en puissance du tourisme expérientiel traduit un glissement de la valeur ajoutée du produit vers le service, donc une dépendance accrue à la qualité du capital humain et à la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée, déjà en tension dans l’hôtellerie.

L’expansion rapide du parc hôtelier de luxe, notamment à Londres, Paris ou Dubaï, fait peser un risque de surcapacité à moyen terme. Si la demande ralentit, le modèle d’exploitation — fondé sur des prix élevés et des taux d’occupation soutenus — pourrait être remis en cause. Les marges seraient alors sous pression, dans un contexte où les coûts de financement et les exigences environnementales renchérissent les projets.

Le luxe hôtelier reste aujourd’hui un marqueur de puissance et de rentabilité pour les grands groupes, mais sa soutenabilité dépendra de sa capacité à maintenir la rareté dans l’abondance et à segmenter plus finement sa clientèle. Dans les années à venir, le véritable enjeu ne sera pas tant d’ouvrir de nouveaux palaces que de préserver, dans un monde saturé d’offres haut de gamme, la promesse d’une différence économique — et symbolique.