Le Coin de l’économie – démographie – dollar – immigration
La France à l’heure de la démographie impitoyable
Le vieillissement démographique dicte de plus en plus sa loi sur les comptes publics. Avec l’arrivée à l’âge de la retraite des larges générations du baby-boom, les dépenses sociales ne peuvent qu’augmenter. La question n’est pas de les restreindre mais de trouver les moyens pour les financer sans porter atteinte à la cohésion nationale. Ce problème concerne non seulement la France mais aussi tous les Etats membres de l’Union européenne.
« L’État-providence tel qu’il existe aujourd’hui n’est plus finançable », a déclaré cet été le chancelier allemand Friedrich Merz. Ce propos iconoclaste traduit l’impuissance des gouvernements à faire face à une augmentation des dépenses au moment où la croissance se dérobe sous leurs pieds.
Depuis 2000, le poids des prestations sociales dans le PIB a augmenté dans tous les grands pays européens. En France, il atteint plus de 33 % du PIB, contre 29 % en Allemagne, 28 % en Italie et 26 % en Espagne. Cette progression est imputable à l’augmentation du nombre de personnes de plus de 60 ans. En France, le nombre de retraités est passé de 5 à 17 millions de 1980 à 2024. La multiplication des pathologies chroniques entraîne une forte hausse des dépenses de santé. Avec l’arrivée des premières générations du baby-boom au-delà des 80 ans, celle-ci pourrait s’accélérer.
Cercle de l’Epargne – données INSEE
Le renouvellement des générations n’est plus assurée depuis de nombreuses années au sein de l’Union européenne. Le taux de fécondité s’élevait à 1,4 loin des 2,1 nécessaire. La France enregistre depuis plusieurs années une baisse de son taux de fécondité. Il est ainsi passé de 1,9 à 1,6 enfant par femme de 2017 à 2024. En Allemagne, le taux de fécondité était, en 2024 de 1,35. Ce taux est de 1,18 en Italie et de 1,12 en Espagne (2023). L’augmentation de la population repose de plus en plus sur l’immigration. Si celle-ci venait à être réduite, le nombre d’habitants dans un grand nombre de pays, diminuerait. Actuellement, la population est déjà en recul en Bulgarie, en Lituanie, en Lettonie, en Roumanie et en Grèce.
La proportion des plus de 65 ans est en hausse constante. Elle devrait se situer autour de 30 % au sein des pays de l’Union européenne d’ici le milieu du siècle. En 2050, l’Europe comptera 75 millions de plus de 80 ans contre 33 millions aujourd’hui. En France, la proportion des plus de 65 ans passera de 22 % en 2025 à 30 % en 2050. Partout, en Europe, le rapport cotisants sur retraité se dégrade. En France, dans les années 1960, il y avait quatre cotisants pour un retraité. En 2025, il n’y en a plus que 1,7. Ce ratio devrait être de 1,4 d’ici 2070. En un demi-siècle, le nombre de cotisants a été divisé par deux.
Mécaniquement, les dépenses de santé sont amenées à progresser. Elles s’élèvent à 14 % du PIB en France, contre 11 % en Allemagne. Elles pourraient sans ajustement atteindre 16,5 % du PIB en 2040. La Cour des comptes prévoit 15 milliards d’euros de déficit en 2035, puis 30 milliards en 2045 pour le système de retraites seul sans prendre en compte les régimes de la fonction publique.
Le vieillissement n’affecte pas que les retraites. Le déficit de la branche maladie est, en France, déjà de 16 milliards d’euros en 2025, et devrait s’aggraver de 3 milliards d’ici 2029, selon la Commission des comptes de la Sécurité sociale.
Une personne de 80 ans coûte près de cinq fois plus qu’un adulte d’âge actif en dépenses de santé. Avec une augmentation de la population des plus de 75 ans de 30 % d’ici 2040, l’effet sur les dépenses sera mécanique.
Cercle de l’Epargne – données de la Sécurité sociale
Pour compenser les effets du vieillissement démographique, les Etats peuvent jouer sur le taux d’emploi et sur la productivité. En matière de taux d’emploi, sur le papier, la France dispose de marges de manœuvre. En Effet, son taux d’emploi est faible chez les 15/24 ans, autour de 35 % en 2024, contre 52 % en Allemagne. Les difficultés d’insertion des jeunes, en particulier les jeunes garçons, demeurent. Le taux d’emploi est, en France, également faible, chez les 55/64 ans. Il est de 56 % en 2024 en France, contre 72 % outre-Rhin. Le taux d’emploi est au niveau global près de 10 points inférieur en France à celui de l’Allemagne (67 % contre 77 % en Allemagne. Cette différence de dix points d’emploi représente l’équivalent de 3 millions d’actifs supplémentaires potentiels. Si la France atteignait le taux d’emploi allemand, le déficit des retraites serait presque comblé.
Le comblement de ce déficit d’emplois suppose une amélioration du système éducatif, afin de réduire le chômage des jeunes peu qualifiés et une augmentation du nombre de seniors au travail.
Pour contraindre les dépenses sociales, certains économistes préconisent une privatisation partielle de celles-ci. Or, les exemples étrangers ne sont pas concluents sur ce sujet. Aux Etats-Unis, les dépenses de santé, en grande partie d’ordre privé (75 %), augmentent plus vite qu’ailleurs. Elles représentent 17 % du PIB, contre 11 % en France et 10 % en Allemagne (2023). Les Etats-Unis consacrent ainsi 4 points de PIB de plus à la santé pour un résultat sanitaire inférieur à celui de la France (espérance de vie à 77 ans, contre 82 ans).
Dans ces conditions, quels sont les moyens pour équilibrer les comptes sociaux ?
Les gouvernements seront tentés d’augmenter les prélèvements obligatoires. Le relèvement des cotisations sociales de 1 à 1,5 point du PIB rapporterait une trentaine de milliards d’euros. Cette solution facile à mettre en œuvre a des effets économiques en aggravant le coût du travail. Sur le plan social, elle aboutit à un transfert de charges sur les actifs. Elle peut potentiellement peser sur la demande et donc sur la croissance.
L’augmentation du taux d’emploi a été mise en avant ces dernières années. Elle permet une progression des recettes publiques (cotisations et impôts) et une diminution des charges (moindre progression du nombre de retraités). Le report de 2 à 3 ans supplémentaires l’âge de départ à la retraite augmenterait, en France, le taux d’emploi des plus de 60 ans de 10 points et rapporterait 20 milliards d’euros par an. Sur ce dernier point, l’absence de consensus rend conflictuel cette solution. La suspension de la réforme des retraites de 2023 semble tirer la conséquence de l’hostilité de la population.
Une autre voie pour atténuer les effets du vieillissement repose sur les gains de productivité ; or ceux-ci sont faibles voire ont disparu depuis près de 10 ans. L’insuffisance des investissements dans les hautes technologies, les problèmes de formation des actifs et la spécialisation des économies européennes dans les services domestiques expliquent cette évolution.
A défaut de pouvoir jouer sur ces leviers, les pouvoirs publics favoriseront l’érosion des dépenses de prestations sociales en ne les indexant plus à l’inflation comme cela était le cas dans le passé. Le niveau de vie relatif des retraités par rapport à la moyenne de la population diminue, en France, depuis 2017. Selon le Conseil d’Orientation des retraites, ce dernier devrait n’être plus que de 87 % d’ici 2070 contre 102 % en 2023.
La France a construit, depuis 1945, un État-providence à la fois généreux et universel. L’universel a un prix surtout quand la croissance se fait rare. Les dépenses publiques représentent plus de 58 % du PIB et près des deux tiers de cette somme vont à la protection sociale. Ce modèle a permis une forte réduction des inégalités et de la pauvreté en particulier chez les retraités. Entre 2025 et 2050, le ratio cotisants/retraités chutera encore de 15 %. Sans réforme, la dette sociale pourrait dépasser 50 % du PIB. L’Etat providence ne peut survivre qu’à la condition que la croissance se redresse et que des arbitrages soient réalisés.
La fin du règne du dollar est-il pour demain ?
Le dollar, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale règne en maître. Il est tout à la fois la monnaie de la première puissance économique et militaire mondiale, la première monnaie de réserve, la première monnaie pour les transactions commerciales ainsi qu’une valeur refuge. Ce pouvoir monétaire et financier repose sur la confiance. Aujourd’hui, aucune devise offre les mêmes avantages que le dollar mais demain, il pourrait en être autrement si des lézardes venaient à marbrer la confiance.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la domination du dollar repose sur trois piliers :
- la stabilité politique et institutionnelle des États-Unis ;
- la profondeur et la liquidité de leurs marchés financiers ;
- le statut du dollar comme monnaie de réserve mondiale.
Les Etats-Unis, en tant que première puissance économique financière et monétaire jouisse d’un statut de valeur refuge. Le dollar peut compter, du moins jusqu’à maintenant qu’une banque centrale indépendante et d’un système démocratique. Le marché financier américain est de loin le premier au monde. La capitalisation des entreprises américaines représentent 70 % de la capitalisation mondiale. L’importance de la dette publique américaine, près de 38 000 milliards de dollars conforte la place financière de New-York. Les investisseurs internationaux privilégient les titres américains en raison de la garantie dont ils sont assortis et de leur rendement attractifs. Les Etats-Unis attirent les capitaux du monde entier surtout en période de crise. Le dollar constitue la monnaie de réserve mondiale. En 2024, 59 % des réserves de change mondiales étaient, selon le FMI encore libellées en dollars, contre 19 % en euros, 6 % en yens et 3 % en yuans.
Pour le moment, le dollar a résisté à de nombreuses guerres du Vietnam à l’Irak, à la crise financière de 2008, à l’inflation des années 1970, au premier mandat de Donald Trump, etc. La devise américaine peut compter sur la résilience de l’économie américaine qui représente toujours le quart du PIB quand celle de l’Europe a vu son poids en un quart de siècle fondre de plus de 30 %. Le dollar est la monnaie utilisée dans plus de 50 % des transactions commerciales. Pour autant, de nombreux dirigeants d’Etats rêvent de faire chuter le dollar de son trône.
La dédollarisation est souvent évoquée que ce soit de la part de la Chine ou de la Russie. Or, aujourd’hui, aucune devise n’offre les mêmes avantages que le dollar. Nul entend placer ses capitaux en monnaie chinoise ou russe. Même sous sanctions en lien avec la Guerre en Ukraine, de nombreux oligarques russes en recourant à des sociétés écrans restent investis en dollars. Les Chinois comptent sur leur future monnaie digitale de banque centrale pour inverser le rapport de force. Pour convaincre les Etats et les investisseurs à se ranger derrière leur ambitieux projets, ils peuvent compter de manière indirecte sur les foucades de Donald Trump. Les menaces répétées à l’encontre des responsables de la Réserve fédérale afin qu’ils diminuent les taux directeurs fait craindre une perte d’indépendance et donc de crédibilité de cette dernière. La Fed a été contrainte de baisser ses taux directeurs au mois de septembre malgré une inflation sous-jacente élevée… L’ingérence du politique dans le système monétaire américaine serait perçue comme un risque majeur pour les investisseurs internationaux. Ces derniers ont été déjà échaudés par la pratique de plus en plus répétée des sanctions et de l’application de la règle d’extraterritorialité permettant de poursuivre des entreprises ou des personnes étrangères qui ne respectent pas le droit américain. L’évolution des finances publiques constitue également un sujet de préoccupation. Le déficit fédéral dépasse 7 % du PIB en 2025, et la dette publique atteint 129 % du PIB (contre 98 % en 2019). Il en est de même avec l’évolution du déficit commercial américain, qui a atteint un niveau record en 2024 avec plus de 1000 milliards de dollars. Ces déficits alimentent le monde entier en dollars et l’expose à un mouvement général de défiance. L’économie américaine vit ainsi au crédit du monde. Le dollar, en circulant partout, exporte la dette américaine comme jadis Rome le faisait avec ses sesterces. Comme pour Rome, la foi pourrait un jour s’affaiblir en raison de l’excès de dollars en circulation.
Depuis le début de 2024, les banques centrales émergentes — Chine, Inde, Brésil, Russie — réduisent leur exposition au dollar. La part des réserves détenues en dollars par les pays du BRICS est passée de 70 % en 2010 à 45 % en 2025, témoignage d’un changement d’état d’esprit. Ces banques centrales achètent, en contrepartie, de grande quantité d’or soutenant le cours de cette dernière. A ce titre, la banque centrale chinoise (PBoC) a augmenté ses réserves en or de 2 000 tonnes en cinq ans, tandis que les échanges intra-BRICS en yuans ont été multipliés par trois depuis 2020. La part du dollar dans les transactions internationales SWIFT est passée de 44 % à 38 % entre 2021 et 2025, tandis que celle du yuan est passé à 7 %. Le Sud entreprend de réduire son exposition au Sud.
La baisse du dollar provoque par ricochet l’appréciation de l’euro qui est la deuxième monnaie de réserve à l’échelle mondiale. Cette appréciation est logique car la zone euro dégage un excédent courant de plus de 2 % du PIB, tandis que les États-Unis affichent un déficit de 3,5 %. La faible valeur de l’euro, ces dernières années, était imputable à la guerre en Ukraine et la faible croissance de la zone euro. Avec le retour de Donald Trump au pouvoir, la parité euro/dollar, qui était tombée à 0,95 en 2022, a déjà rebondi à 1,18 à l’automne 2025. Certains analystes, comme Goldman Sachs, évoquent un retour à 1,25 en 2026.
L’augmentation de l’euro est pour certains une aubaine quand pour d’autres elle serait sur le plan économique un handicap. L’appréciation de l’euro réduit la facture des importations et en particulier de pétrole. Cela avantage des pays comme la France dont la balance commerciale est fortement déficitaire ; de même pour l’Allemagne dont la compétitivité a été mise à mal par la hausse du prix du gaz et du pétrole après le déclenchement de la guerre en Ukraine. En revanche, la hausse de l’euro peut pénaliser les exportations.
Le véritable moteur du dollar reste le rendement de ses actifs. En 2025, le taux réel américain à dix ans (taux nominal moins inflation) reste l positif, autour de +1,5 % et supérieur aux rendements des titres européens équivalent. Ce différentiel attire les capitaux, maintenant artificiellement la valeur du dollar. Il a, en revanche, un coût, un service de la dette publique de plus en plus important. Les intérêts versés par le Trésor américain atteignent 1 100 milliards de dollars par an, soit plus que le budget combiné du Pentagone et de la NASA. Pour cette raison, Donald Trump entend faire baisser les taux d’intérêt en faisant pression sur la Réserve fédérale voire en imaginant des dispositifs imposant des taux plus faibles aux non-résidents. Le risque est de remettre en cause le rôle du dollar comme valeur refuge et de réduire le flux de capitaux dont l’économie américaine a besoin.
L’histoire montre que les monnaies de réserve ne meurent pas de déficits, mais de ruptures politiques. La livre sterling a perdu son statut de monnaie mondiale après 1945, non à cause de sa dette, mais parce que l’Empire britannique avait perdu la maîtrise de ses flux commerciaux et énergétiques. La puissance économique et financière avait basculé du côté des Etats-Unis. Le dollar, à son tour, dépend de la stabilité de son empire économique. Les guerres tarifaires engagées par Donald Trump, la sortie des États-Unis de plusieurs institutions multilatérales, la méfiance des alliés européens, les volte-face de Donald Trump sont autant de fissures dans la confiance mondiale dans le dollar. La grande chance de ce dernier est qu’aucune alternative n’existe pour le moment. La meilleure preuve est que la « vieille relique », l’or joue le rôle de valeur refuge, l’once ayant dépassé , au mois d’octobre 2025, les 4000 dollars. L’or ne peut pas servir d’unité de compte dans une économie numérique.
Le yuan, désormais convertible pour les transactions commerciales dans 134 pays, souffre encore du contrôle des capitaux en Chine. Sa part dans les réserves mondiales ne dépasse pas les 5 %, ce qui est faible pour un pays qui est devenu la première puissance commerciale du monde. L’euro demeure une monnaie régionale qui peine à franchir les frontières de l’Union européenne. L’absence d’un marché unifié des capitaux et d’émission d’obligations européennes pénalise la monnaie unique. Les cryptoactifs, comme le Bitcoin, bénéficie d’un attrait mais restent trop volatils pour servir de référence monétaire.
La mort du dollar n’est pas pour demain mais la fin de son monopole s’avance. L’économie mondiale s’oriente vers une multipolarité monétaire, où plusieurs devises coexistent sans hégémonie. Selon les projections du FMI, en 2035, la part du dollar dans les réserves de change mondiales tomberait à 45 %, celle de l’euro atteindrait 25 % et celle du yuan 15 %. Les actifs numériques stables pourraient représenter 5 % des réserves. Cette transition ne signifierait pas un effondrement du dollar, mais une dilution de sa puissance — un retour au monde d’avant 1914, où la livre, le franc et le mark coexistaient avec des risques financiers accrus .
Face à cette recomposition, l’Europe a des atouts. Pour la première fois depuis vingt ans, l’euro inspire davantage de confiance que le dollar dans les marchés obligataires, la dette publique de la zone euro se négocie à un rendement moyen inférieur de 70 points de base à celui des Treasuries américains. Ce capital de confiance ne se développera que si l’Union renforce sa cohésion financière et budgétaire. Sans politique commune, l’euro ne deviendra jamais une vraie monnaie mondiale, il restera un grand marché sans souveraineté. Au moment où une réelle opportunité de reconquête d’un pouvoir financier, les responsables européens semblent vouloir tourner le dos à la construction européenne. Près du but, ils rechignent à avancer vers un fédéralisme budgétaire.
L’histoire est libre. L’euro peut devenir la monnaie du XXIe siècle mais cela suppose que les dirigeants européens y croient. Il peut s’appuyer sur une banque centrale reconnue et indépendante, sur des Etats démocratiques et sur le plus puissant marché commercial du monde, l’Union européenne..
Les Etats-Unis en danger avec la fin de l’immigration
Les Etats-Unis se sont construits sur l’immigration. De Jamestown à la Silicon Valley, l’histoire américaine s’écrit dans les pas de ceux venus d’ailleurs. L’immigration a façonné, économiquement, culturellement et politiquement les Etats-Unis.
Dès la fondation de Jamestown en 1607, les colons anglais, néerlandais, allemands et français se disputent les marges d’un continent encore mal connu. La population des treize colonies passe de 250 000 habitants en 1700 à 2,5 millions en 1775, dont un cinquième d’esclaves africains. Le premier acte migratoire américain est donc paradoxal, la recherche de la liberté des uns se combinant à la servitude des autres. L’immigration religieuse domine le XVIIIe siècle : les Puritains, Quakers et Huguenots fuient les persécutions européennes. L’Amérique s’imagine comme un refuge mais la construction de ce dernier s’accompagne du déplacement et de l’anéantissement des peuples autochtones. Au Sud, la traite permet le développement des propriétés des colons.
Entre 1820 et 1920, 33 millions d’immigrants franchissent l’Atlantique. Jamais un pays n’avait absorbé un tel flux. La population américaine passe de 9 millions à plus de 100 millions. L’immigration devient le moteur de l’industrialisation. Les Irlandais, fuyant la Grande Famine (1845–1849), débarquent par centaines de milliers. Ils bâtissent les voies ferrées et creusent les canaux. Les Allemands, artisans et fermiers, s’installent dans le Midwest. Les Scandinaves peuplent le Minnesota et le Dakota. En 1860, un Américain sur six est né à l’étranger. Les Italiens, Polonais, Russes, Juifs d’Europe orientale sont de plus en plus nombreux après 1850 à tenter leur chance outre-Atlantique. À Ellis Island, inaugurée en 1892, ils patientent sous les plafonds de fer forgé. Entre 1892 et 1954, 12 millions de personnes y passent. L’Amérique devient la melting pot society. L’intégration est souvent difficile, les bidonvilles prolifèrent, et le nativisme s’enflamme. En 1882, le Chinese Exclusion Act interdit aux Chinois d’entrer sur le territoire, première loi d’exclusion raciale.
Après la Première Guerre mondiale, avec la grande crise, l’immigration baisse brutalement : à peine 110 000 entrées par an dans les années 1930, contre plus d’un million à la Belle Époque. La peur du communisme, la xénophobie et les difficultés économiques nourrissent le protectionnisme et la fermeture des frontièresi. Les Immigration Acts de 1921 et 1924 instaurent des quotas nationaux fondés sur la composition ethnique de 1890. Les autorités instituent une préférence nette pour les Anglo-Saxons. Les Asiatiques sont presque totalement exclus. Durant la Grande Dépression, les autorités renvoient des dizaines de milliers de Mexicains. Les portes se ferment aussi aux réfugiés juifs fuyant l’Europe nazie. Quelques programmes, comme le Bracero Program rouvrent cependant les frontières aux travailleurs agricoles mexicains pour soutenir l’effort de défense durant la Seconde Guerre mondiale.
Après 1945, la prospérité et la guerre froide redéfinissent le rôle des frontières. Les États-Unis se veulent vitrine du monde libre. En 1953, le pays compte 10 millions d’étrangers nés à l’étranger, soit 6 % de la population – un plancher historique. Le tournant vient avec la loi Hart-Celler de 1965. Lles quotas ethniques sont abolis. Les nouveaux critères privilégient la réunion familiale et les qualifications professionnelles. L’effet est spectaculaire : en vingt ans, les flux asiatiques et latino-américains supplantent les flux européens. Les réfugiés de la guerre froide – Cubains après 1959, Vietnamiens après 1975 – trouvent asile. Les Mexicains, Philippins, Coréens et Indiens deviennent les nouveaux visages de l’immigration américaine. Depuis les années 1980, les États-Unis accueillent environ un million d’immigrants légaux par an, un rythme stable malgré les alternances politiques. En 2025, 46 millions d’Américains sont nés à l’étranger, soit 13,7 % de la population, un record depuis 1910. Le Mexique reste la première source d’immigrants (24 %), mais sa part décline. Les arrivées d’Inde et de Chine augmentent. Chaque année, plus de 300 000 visas sont délivrés à des travailleurs hautement qualifiés, notamment dans les technologies et la santé. Les Africains subsahariens, longtemps absents, représentent désormais 5 % des nouveaux venus. Environ 11 millions de personnes vivent sans titre de séjour, concentrées dans les États frontaliers et agricoles. Les politiques oscillent entre régularisations partielles (1986, 2012) et durcissements (2017–2020).
Donald Trump s’est en faire faire réélire sur le thème de la réduction de l’immigration, accusée de faire baisser les salaires des Américains et de coûter chère aux finances publiques. Or, les études économiques convergent : les immigrés contribuent plus qu’ils ne coûtent. Le Congressional Budget Office estime leur apport net aux finances publiques à +0,3 % du PIB par an. Leur présence retarde de plusieurs décennies le vieillissement. Sans l’immigration, la population américaine aurait stagné depuis 2005. Les immigrés et leurs descendants assurent aujourd’hui 80 % de la croissance démographique. Dans un pays où le taux de fécondité est tombé à 1,6 enfant par femme, ils constituent un amortisseur démographique crucial.
Dès son retour à la Maison Blanche, au mois de janvier 2025, Donald Trump a pris des mesures de raccompagnement aux frontières. Entre janvier et juin 2025, le nombre d’immigrés vivant aux États-Unis est passé de 53,3 millions à 51,9 millions (Pew Research Center). Le nombre d’immigrés actifs, c’est-à-dire participant au marché du travail, a chuté de 1,5 million de personnes entre mars et août 2025, selon le Bureau of Labor Statistics. Cette contraction est inédite depuis un demi-siècle. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la population étrangère n’avait jamais reculé sur une période aussi brève. Or, dans une économie qui crée en moyenne 150 000 emplois nets par mois, cette baisse du vivier de main-d’œuvre équivaut à un choc négatif d’offre de travail de près de 1 %.
Les États-Unis comptent 15,4 % d’immigrés dans leur population totale, mais leur poids économique est bien supérieur à ce chiffre. Les immigrés représentent :
- 23 % des emplois dans l’industrie manufacturière ;
- 27 % dans la construction ;
- 22 % dans la santé et l’action sociale ;
- 25 % dans l’informatique ;
- 23,1 % dans les professions scientifiques et technologiques (STEM).
Selon la National Foundation for American Policy, 55 % des start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars ont au moins un fondateur né à l’étranger. Sundar Pichai (Google), Elon Musk (Tesla), Satya Nadella (Microsoft). Selon l’American Immigration Council, 46 % des 500 plus grandes entreprises américaines ont été fondées par des immigrés ou leurs enfants. Dans le secteur des technologies, la proportion grimpe à 44 % des licornes (entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars. 23 % des brevets américains sont déposés par des immigrés. Chaque année, les titulaires de visas H-1B contribuent pour au moins 0,3 point de PIB à la croissance américaine, selon la Fed de Dallas. Le ralentissement de ces flux se traduira donc mécaniquement par un affaiblissement du potentiel de croissance et d’innovation
L’économie américaine repose sur une complémentarité entre l’immigration peu qualifiée et l’immigration hautement qualifiée : la première soutient les secteurs essentiels (bâtiment, restauration, services), la seconde alimente les industries de pointe. Les conseillers de Donald Trump estiment que les immigrés peuvent être remplacés par des travailleurs américains « laissés pour compte ». Or, le taux de chômage est faible aux Etats-Unis. Par ailleurs, les Américains rechignent à occuper les emplois sous-qualifiés. Pour des postes de pointe, ces derniers peuvent souffrir d’un manque de compétences. L’enquête PIAAC de l’OCDE souligne que les Américains natifs figurent parmi les moins performants des pays développés. Avec un score de 251, les États-Unis se situent au même niveau que l’Espagne ou la France, loin derrière le Canada (267) et la moyenne OCDE (272). Ce déficit de compétences rend impossible la substitution complète des immigrés dans les emplois qualifiés.
La population active américaine est confrontée à un grave problème de santé publique ce qui nuit à sa productivité. Selon les données du CDC, 28,7 % des adultes souffrent d’une forme d’invalidité, dont 13,9 % de troubles mentaux, et 30,3 % sont obèses. Ce taux d’obésité, le plus élevé du monde développé pénalise le système productif et accroît la pression sur les systèmes d’assurance santé et de retraite. Or les immigrés, souvent plus jeunes et en meilleure santé, compensent partiellement cette fragilité. En restreignant leur arrivée, les États-Unis aggravent leur propre déficit de vitalité économique.
À cette faiblesse du capital humain s’ajoute un vieillissement démographique rapide. Le taux de fécondité des femmes américaines est tombé à 1,6 enfant par femme en 2024, contre 2,1 au début des années 2000. Le seuil de renouvellement des générations étant de 2,1, la population américaine ne se renouvelle plus naturellement. Seule l’immigration permet encore de maintenir la population active. Sans elle, le nombre d’actifs déclinerait de 0,4 % par an, selon le Congressional Budget Office (CBO).
Depuis mars 2025, la population active totale a cessé de croître. Par voie de conséquence, les salaires nominaux continuent de progresser de +4 % par an, sans gains de productivité correspondants, nourrissant une inflation sous-jacente persistante. La politique anti-immigration de Donald Trump, censée « protéger » les emplois américains, alimente en réalité un cercle vicieux de pénurie de main-d’œuvre, de hausse des prix et de baisse du pouvoir d’achat. Chaque baisse d’un million d’immigrés retranche 0,1 point de PIB à la croissance potentielle à cinq ans. La perte cumulée due à la politique actuelle pourrait atteindre 0,4 à 0,5 point par an entre 2025 et 2030. Le déficit public s’en trouverait aggravé de 1 000 milliards de dollars sur dix ans, faute de cotisations et d’impôts supplémentaires.
La croissance économique américaine est conditionnée sur longue période aux flux migratoires. Dans les années 1920, après le Immigration Act de 1924, la population active a stagné, et la croissance potentielle est tombée sous 2 %. À l’inverse, entre 1980 et 2007, l’ouverture relative des frontières a accompagné un doublement du PIB réel et un accroissement de 40 % de la productivité par tête. En décidant la fermeture des frontières, l’administration républicaine risque de tourner le dos à la croissance. En outre, le coût annuel de la surveillance de la frontière sud dépasse 25 milliards de dollars, soit l’équivalent du budget fédéral de la recherche fondamentale. Les retards dans le traitement des visas coûtent aux universités américaines près de 2 milliards de dollars de recettes par an, faute d’étudiants étrangers. Les entreprises technologiques (Microsoft, Google, Tesla) alertent sur une perte de jusqu’à 15 % de leur capacité d’innovation en raison de la raréfaction des ingénieurs étrangers.


