20 novembre 2025

Economie – Etat- béquilles – incertitudes

Quand l’État ne peut plus jouer le rôle de béquilles

La France est confrontée à une crise de productivité. Entre le deuxième trimestre 2019 et le deuxième trimestre 2025, la productivité du travail par tête a reculé de 2,2 %. La légère amélioration enregistrée au troisième trimestre ne suffit pas à compenser cette baisse. Cette érosion est préjudiciable à la croissance comme aux finances publiques, d’autant que les ménages ont, jusqu’à présent, été relativement épargnés.

Le recul de la productivité a commencé en France dès 2017, pour s’amplifier après l’épidémie de Covid-19. Le pays fait partie, avec l’Espagne, des rares membres de l’OCDE à ne pas avoir retrouvé son niveau de productivité d’avant la crise sanitaire. En 2025, la productivité du travail par tête est supérieure de 1,5 % en Allemagne par rapport à son niveau de 2019 et de 3,2 % aux États-Unis.

Malgré cette stagnation, le pouvoir d’achat global des ménages s’est amélioré de 7,5 % depuis 2019. Si les salaires réels ont reculé de 2,5 % sur la période 2019-2025, cette baisse a été compensée par la progression des prestations sociales (+3,4 % en valeur réelle) et par l’augmentation de l’emploi (+5,9 %).

Les entreprises, malgré la baisse de productivité, sont parvenues à maintenir leur taux de marge : celui-ci est passé de 36,1 % de la valeur ajoutée en 2019 à 36,7 % en 2025. Ce maintien tient à la hausse des subventions publiques (aides durant le Covid, aides à l’énergie, allégements de charges et réductions d’impôts).

L’État a ainsi absorbé une large part des chocs successifs subis par l’économie.

Indicateur budgétaire20192025 (prévision)
Déficit public total (% PIB)–2,4 %–5,4 %
Déficit public primaire (% PIB)–0,9 %–3,2 %
Dette publique (% PIB)97 %115 %

La hausse de 18 points de dette publique en six ans correspond à la compensation budgétaire du recul de la productivité et aux effets du vieillissement de la population sur les dépenses publiques.

La progression de 2 points du déficit primaire (déficit avant paiement des intérêts de la dette) est directement liée à la baisse de la productivité, qui réduit les recettes publiques et accroît les dépenses.

En France, l’État joue le rôle de béquille permanente de l’économie : il soutient les ménages par des prestations en hausse et les entreprises par des aides toujours plus nombreuses. Cette compensation des pertes de productivité n’est toutefois pas tenable, d’autant que les taux d’intérêt à dix ans (3,5 %) sont désormais supérieurs au taux de croissance nominale de long terme (2,5 %). Le coût de la dette dépasse donc la croissance, entraînant une hausse mécanique du ratio dette/PIB.

Pour stabiliser la dette publique, le déficit primaire devrait passer de –3,2 % du PIB en 2025 à +1,2 %, soit un ajustement de 4,4 points en quelques années. En l’absence de redressement de la productivité, un tel effort impliquerait une forte réduction des prestations et des aides, ou une hausse des prélèvements pesant autant sur les ménages que sur les entreprises. Le pouvoir d’achat devrait alors se contracter dans les prochaines années, tout comme les bénéfices nets d’impôts des entreprises.

Chaque point de productivité perdu réduit le potentiel de croissance d’environ 0,5 point par an et compromet la soutenabilité du modèle social. Entre 2019 et 2025, le recul cumulé de 2,2 % équivaut à une perte de 1,2 % de PIB, soit environ 35 milliards d’euros de richesse annuelle. La bataille de la productivité passe par la formation, l’innovation et l’investissement, auxquels doit s’ajouter une baisse des dépenses publiques. Pour l’heure, une telle équation demeure impossible à résoudre.

L’ère des incertitudes

Politique commerciale de Donald Trump, tensions géopolitiques avec la Russie et la Chine, transition écologique, vieillissement démographique, mutation technologique autour de l’Intelligence artificielle (IA) : les agents économiques évoluent dans un environnement mouvant et imprévisible. Ce contexte est peu porteur pour l’investissement et la croissance. Pour le moment, il n’a pas d’incidence négative sur la valeur des actifs ; bien au contraire, ces derniers font l’objet d’une spéculation croissante.

Il y eut, selon le Livre de l’Exode (-1300 ans avant Jésus-Christ), les dix plaies d’Égypte ; il y a, en 2025, les dix plaies de l’économie.

1. Le retour du protectionnisme

Jamais, depuis la crise de 1929, l’économie mondiale n’avait été confrontée à une telle hausse des droits de douane de la part du premier pays importateur. Même si Donald Trump semble reculer face à l’hostilité que cette hausse suscite au sein de la population américaine, il a déclenché une onde de choc planétaire. Ses volte-face incessantes déstabilisent les acteurs économiques.

Le commerce international s’adapte au protectionnisme américain, mais au prix de nouveaux chocs. La Chine a ainsi accru ses exportations vers l’Europe, provoquant de nouvelles tensions. L’évolution de la politique commerciale américaine est désormais une source permanente d’inquiétude, d’autant qu’elle s’accompagne d’une politique industrielle agressive.

2. La hausse de l’endettement public occidental

La dette publique s’accroît dans de nombreux pays de l’OCDE. En 2025, elle représente plus de 120 % du PIB aux États-Unis, près de 250 % au Japon, 115 % en France et 105 % au Royaume-Uni.

Relativement faible jusqu’ici en Allemagne, elle devrait augmenter de plusieurs points en raison du plan de relance de 800 milliards d’euros décidé par le chancelier Friedrich Merz.

Cette hausse résulte de la progression des dépenses publiques liées au vieillissement démographique, à la mutation technologique, à la transition écologique et à des besoins accrus en matière de défense.

3. Le vieillissement démographique

L’économie mondiale doit gérer un phénomène sans précédent : le vieillissement démographique.

En France, de 1970 à 2070, la population de plus de 65 ans passera de 6 à 20 millions.

Au niveau mondial, elle passera de 250 millions à 2,5 milliards sur la même période. Ce vieillissement résulte de l’allongement de l’espérance de vie et de la baisse de la natalité. En 2024, le taux de fécondité n’était plus que de 1,6 enfant par femme en France ; il est de 1,4 en Allemagne, 1,2 en Espagne, 1,3 au Japon et 0,8 en Corée du Sud.

Le vieillissement concerne également la Chine, dont la population diminue. Le ratio des plus de 65 ans rapportés aux 15–64 ans dépassera 60 % vers 2045.

Il pèse sur le taux de croissance en réduisant la population active et accroît les dépenses sociales.

Les migrations se sont intensifiées ces dernières années. Face à la croissance rapide de la population africaine et au vieillissement des autres continents, les flux migratoires se multiplient, générant de nombreuses tensions.

4. Le désordre climatique

L’objectif de neutralité carbone d’ici 2050 et la limitation du réchauffement à 1,5 degré paraissent de plus en plus hypothétiques.

En 2025, les États-Unis sont de nouveau sortis des Accords de Paris. Donald Trump a levé les contraintes pesant sur l’exploitation des gisements pétroliers.

Dans de nombreux pays, l’hostilité envers les mesures de transition écologique progresse, obligeant les gouvernements à assouplir leurs ambitions. L’interdiction de la vente de véhicules neufs à moteur thermique prévue pour 2035 pourrait ainsi être abandonnée.

5. Le temps des tensions entre blocs

Les tensions entre grandes puissances, qu’elles soient militaires ou commerciales, s’intensifient.

Les États-Unis sont engagés dans un bras de fer avec la Chine, qui aspire toujours à exercer son influence sur Taïwan.

Les relations entre l’Europe et les États-Unis se sont nettement refroidies depuis le retour de Donald Trump, qui menace de réduire son soutien aux pays européens s’ils n’accroissent pas leurs dépenses de défense.

6. La crise du multilatéralisme

Les organisations internationales — OMC, OMS ou même ONU — sont contestées.

Les pays émergents réclament un partage plus équitable des pouvoirs, estimant que les décisions les désavantagent.

Les États-Unis sont ainsi sortis de l’OMS et de l’UNESCO.

7. Le retour de la guerre comme mode de régulation internationale

La guerre n’est plus un tabou, comme le montrent le conflit en Ukraine ou celui au Moyen-Orient, impliquant l’Iran, Israël et les États-Unis.

En Afrique, les conflits armés se multiplient.

8. La crise des démocraties

La démocratie est menacée de l’extérieur comme de l’intérieur.

Internet et les réseaux sociaux constituent un vecteur d’ingérence.

Elle recule à travers le monde. Par ailleurs, plusieurs dirigeants élus sont tentés par des pratiques autoritaires.

Les vieilles démocraties se fragmentent et les gouvernements peinent à faire adopter des réformes.

9. La crise de l’Europe

L’Europe est en panne sur le plan économique. Elle a accumulé un retard important en matière de productivité.

Elle dépend de la Chine pour les biens industriels et des États-Unis pour la haute technologie.

La construction européenne est entravée par la montée du populisme et le retour du nationalisme.

10. La mutation technologique

L’essor de l’IA suscite autant d’espoirs que de craintes.

Des millions d’emplois pourraient disparaître, et autant être créés.

Le coût de développement de l’IA commence à inquiéter les investisseurs, qui redoutent la formation d’une bulle spéculative.

Les conséquences d’un monde incertain

La montée des incertitudes conduit les investisseurs à augmenter leurs primes de risque, ce qui se traduit par des taux d’intérêt plus élevés.

La charge de la dette réduit de plus en plus les marges de manœuvre des États. La dette sociale liée au vieillissement s’accroît rapidement.

Depuis 2022, les taux d’intérêt réels à long terme (taux d’intérêt – inflation) augmentent. Aux États-Unis, le taux réel à 10 ans dépasse +2,5 %, tout comme en France.

Cette évolution renchérit l’investissement productif, le coût du capital et le financement de la dette publique : c’est une rupture majeure par rapport à la décennie 2010–2020, marquée par des taux nuls ou négatifs.

Dans un monde incertain, les investisseurs privilégient la prudence et l’attentisme. Ils se tournent vers les valeurs refuges comme l’or.

En investissant moins dans les projets productifs, ils contribuent au ralentissement de la croissance potentielle.

Les incertitudes compliquent la transition écologique et attisent frustrations et ressentiments au sein et entre les peuples.

Le taux d’investissement est en recul en Europe et s’est stabilisé aux États-Unis. Il n’est que de 11 % du PIB dans l’Union européenne, un niveau faible sur longue période.

Pour l’instant, les marchés boursiers semblent ignorer le danger. Le S&P 500 comme le CAC 40 atteignent des plus hauts historiques.

Les marchés sont euphoriques, les entreprises sont inquiètes : c’est l’un des paradoxes majeurs de notre époque.

Dans les faits, les marchés deviennent de plus en plus spéculatifs.

Le système de santé français à la recherche d’un médecin

Les créateurs de la Sécurité sociale n’avaient pas imaginé qu’elle puisse être structurellement déficitaire. Ils admettaient qu’elle s’endette pour faire face à des besoins temporaires de trésorerie ou à un choc conjoncturel, mais certainement pas de manière chronique, comme c’est désormais le cas en France.

Il faut remonter à 2001 pour retrouver la trace d’un excédent de la Sécurité sociale. Depuis, elle a accumulé 24 années consécutives de pertes.

Le déficit pourrait atteindre entre 22 et 25 milliards d’euros en 2025, un niveau d’autant plus préoccupant que la France n’est pas en récession.

Le déficit des régimes de retraite devrait s’élever à 5 milliards d’euros en 2025 et pourrait atteindre 30 milliards d’euros en 2045.

Quant au déficit de l’assurance maladie, il est évalué, pour 2025, à environ 17 milliards d’euros.

Cercle de l’Epargne – données Cour des Comptes

Plusieurs facteurs expliquent la nature structurelle du déficit de la Sécurité sociale en France.

La principale cause est évidemment d’ordre démographique. Le vieillissement de la population pèse lourdement sur les comptes sociaux. Cette situation n’est d’ailleurs pas spécifique à la France, qui est même moins concernée que l’Allemagne ou l’Italie. Longtemps, la France a bénéficié d’un taux de fécondité élevé, mais celui-ci tend depuis quatre ans à se rapprocher de la moyenne européenne (1,4 enfant par femme).

Les recettes de la Sécurité sociale reposent en grande partie sur les cotisations prélevées sur les actifs. Or, le ratio actifs/inactifs se dégrade à grande vitesse : il était de 4 pour 1 dans les années 1960, 3 pour 1 dans les années 1970, 2 pour 1 en 2004 et 1,7 pour 1 en 2024. Il devrait descendre à 1,5 d’ici le milieu du siècle.

La charge pesant sur les actifs est donc en constante augmentation. Par ailleurs, ces mêmes actifs doivent aussi financer des dépenses de santé en forte progression.

Cercle de l’Epargne – données DREES

Les dépenses d’une personne de 80 ans sont, en moyenne, 4,6 fois celles d’un adulte de moins de 60 ans.

Les dépenses de santé comme celles de retraite sont appelées à progresser plus rapidement que le PIB, d’autant plus si la croissance de ce dernier demeure faible. Or, depuis quinze ans, la croissance française est molle : elle peine à dépasser 1 %, quand il faudrait au minimum 2 % pour absorber les besoins liés au vieillissement.

Ce résultat médiocre s’explique en grande partie par la stagnation de la productivité depuis 2015. La faible croissance de la population active (15–64 ans) joue également en défaveur de l’activité. Celle-ci pourrait même décliner dès 2030 en cas de ralentissement de l’immigration.

Cette modeste progression de la population active s’accompagne d’un taux d’emploi nettement inférieur à celui de nombreux pays de l’OCDE : 68 % en France, contre 78 % en Allemagne, 80 % en Suède, 79 % aux Pays-Bas ou 74 % au Canada.

La France souffre d’un taux d’emploi particulièrement bas chez les jeunes de 18 à 24 ans et chez les seniors de plus de 55 ans. Elle est également pénalisée par la dégradation du niveau de formation initiale, comme le soulignent les enquêtes PISA de l’OCDE.

Elle se caractérise en outre par un coin fiscal élevé, ce qui pèse sur la création d’emplois et n’incite pas les actifs à accepter un travail.

Le coin fiscal représente la part du coût total du travail (c’est-à-dire ce que l’employeur paie pour un salarié) captée sous forme de prélèvements obligatoires — impôt sur le revenu, cotisations sociales salariales et patronales, taxes éventuelles sur les salaires — diminuée des prestations monétaires reçues par le salarié (dans les modèles de calcul), le tout exprimé en pourcentage du coût du travail.

Plus ce ratio est élevé, plus la charge fiscale et sociale pesant sur l’emploi est importante.

La France se classe parmi les pays où le coin fiscal est le plus élevé. Les réformes récentes ont surtout consisté à réduire les cotisations pesant sur le travail plutôt qu’à les augmenter. Quoi qu’il en soit, les marges de manœuvre en la matière sont désormais très limitées.

Cercle de l’Epargne – données OCDE

À défaut de renchérir le coût du travail, la tentation est grande d’augmenter les prélèvements sur le patrimoine. Les revenus du capital devraient ainsi être taxés à 31,4 % à compter du 1er janvier 2026, contre 30 % actuellement. La moyenne européenne se situe autour de 25 à 28 %.

Un point de Prélèvement forfaitaire unique rapporte au mieux 600 millions d’euros, ce qui n’a rien de comparable avec le déficit de la Sécurité sociale.

Au-delà de la taxation des revenus, certains souhaitent imposer plus lourdement la détention et la transmission du patrimoine, par le rétablissement de l’ISF ou un durcissement des droits de succession.

D’autres proposent d’agir sur la TVA pour financer la Sécurité sociale, ce qui revient à faire payer le consommateur à la place du producteur. Cette option a été adoptée par la Suède, le Danemark ou les Pays-Bas. Elle pénalise toutefois les ménages modestes, qui consacrent une grande partie de leur budget à la consommation.

Le recours à la CSG constitue une alternative plus équitable, mais de plus en plus difficile à faire accepter. Le taux actuel est de 9,2 % pour les revenus du travail.

Le plus efficace serait évidemment d’accroître le taux de croissance, mais cette voie est la plus complexe.

Pour améliorer son potentiel de croissance, la France devrait augmenter ses dépenses de recherche et développement : celles-ci représentaient 1,8 % du PIB en 2024, contre 2,8 % aux États-Unis et 2,3 % en Allemagne.

Les investissements dans les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont également insuffisants : 0,9 % du PIB en France, contre 1,2 % en Allemagne et 1,7 % aux États-Unis.

D’ailleurs, le poids du secteur des TIC dans l’économie française est limité : une valeur ajoutée équivalant à 4,5 % du PIB, contre 6 % en Allemagne et plus de 7 % aux États-Unis.

À défaut de jouer sur la croissance, les prestations sociales seront, tôt ou tard, revues à la baisse de manière progressive et souvent insidieuse. Les pensions de retraite pourraient être sous-indexées par rapport à l’inflation. La franchise médicale pourrait être relevée. Un système de type malthusien pourrait se diffuser, rendant l’accès au système de santé de plus en plus difficile.