6 décembre 2025

Coin de l’économie – épargne – Europe – réindustrialisation Europe – krach – bulle IA

Un krach : les quatre risques !

Depuis 2008, les marchés financiers n’ont pas connu de krach. Dix-sept ans sans crise est une période longue au vu de l’histoire. En cette fin d’année 2025, plusieurs facteurs peuvent donner l’impression que les conditions sont presque remplies pour qu’une correction majeure intervienne dans les prochains mois, mais nul ne sait quand ni quel sera l’élément qui déclenchera l’incendie.

Quatre risques de crise financière peuvent être distingués : moindre vigilance des autorités face aux dérèglements bancaires, développement du marché des stablecoins, valorisation exagérée des entreprises engagées sur l’intelligence artificielle, développement de la finance privée (shadow banking).

Premier risque : la déréglementation bancaire américaine

Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, les régulateurs bancaires américains ont remis en partie en cause les normes prudentielles héritées de la crise de 2008.

Les régulateurs américains ont ainsi signifié qu’ils ne mettraient pas en place les règles de fonds propres (appelées « Basel III Endgame ») qui auraient nécessité une hausse de l’ordre de 20 % des fonds propres réglementaires des banques. Ils ont ainsi mentionné qu’ils entendaient stabiliser le niveau de ces fonds propres. Les autorités de régulation américaines souhaitent ainsi réduire les fonds propres supplémentaires que doivent détenir les plus grandes banques (les G-SIBs, Global Systemically Important Banks) et le ratio de levier (Supplementary Leverage Ratio, SLR). Ce ratio de levier est le ratio des fonds propres « durs » (Tier 1) aux actifs détenus par la banque et non pondérés par le risque. Les autorités souhaitent par ailleurs diminuer l’exigence et la complexité des crash tests.

Le mouvement de réglementation des banques qui a commencé après la crise financière de 2008-2009 semble terminé. L’objectif de la déréglementation des banques est de permettre une reprise du crédit bancaire aux États-Unis qui est en baisse depuis 2022. Si les banques prêtaient plus, avec moins de fonds propres, elles deviendraient plus vulnérables lors d’un retournement.

Deuxième risque : le marché des stablecoins

Un stablecoin est un cryptoactif conçu pour maintenir une valeur stable, le plus souvent indexée sur une monnaie classique comme le dollar ou l’euro. Pour assurer cette stabilité, l’émetteur détient généralement des réserves (dépôts bancaires, bons du Trésor, actifs courts) ou utilise des mécanismes algorithmiques destinés à réguler l’offre.

L’objectif est d’offrir dans l’univers crypto un actif numérique qui ne varie presque pas, utilisable comme moyen de paiement, comme instrument de transfert ou comme refuge temporaire face à la volatilité des autres cryptomonnaies.

Il existe trois grandes catégories de stablecoins :

  • Stablecoins collatéralisés en monnaie traditionnelle (ex. USDT, USDC) ;
  • Stablecoins collatéralisés en crypto-actifs (ex. DAI) ;
  • Stablecoins algorithmiques, plus risqués, sans collatéral réel (plusieurs se sont effondrés).

Le marché des stablecoins a atteint 312 milliards de dollars en octobre 2025 (les stablecoins sont adossés au dollar pour 99 % de leurs encours). Il pourrait s’élever à 1 900 milliards de dollars en 2030 d’après les estimations de Citi.

L’avantage des stablecoins est la rapidité et le faible coût des transactions. Le risque est celui de ventes massives, de ventes paniques, déclenchées par une petite perte de valeur vis-à-vis du dollar. L’encours des stablecoins émis est garanti par la détention par l’émetteur de 1 dollar d’actifs de bonne qualité (essentiellement des Treasury Bills) pour chaque dollar de stablecoin émis. Le risque de crise sera accru si les émetteurs de stablecoins n’ont pas accès au refinancement auprès de la Réserve fédérale. Le GENIUS Act permet à des non-banques d’émettre des stablecoins et interdit qu’ils soient rémunérés, ce qui crée une fragilité de ce mécanisme.

La fragilité de ce marché provient de l’absence de supervision, la Fed ne jouant pas le rôle de banquier en dernier ressort, et de l’inexistence de revenus pour absorber les

risques et les chocs.

Troisième risque : la bulle technologique américaine

La valorisation des sociétés technologiques américaines a fortement progressé. En cinq ans, l’indice du Nasdaq a augmenté de 92 %. Le Price Earning Ratio (cours de l’action par le bénéfice net par action – PER) est de 37. Pour certaines entreprises, il atteint plus de 50. La valorisation des sociétés non cotées connaît également une forte progression. OpenAI est ainsi valorisé à 500 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 12 milliards de dollars et des pertes de 19 milliards de dollars (2025). Les investisseurs commencent à douter du niveau des bénéfices à venir par rapport aux investissements qui ont été évalués à 1 400 milliards de dollars entre 2025 et 2034.

La bulle de l’IA n’est pas de la même nature que celle de l’Internet à la fin des années 1990. Le marché de l’IA est dominé par de grandes entreprises (Microsoft, Google, Amazon, etc.) qui peuvent plus facilement supporter un choc boursier que des petites startups.

Quatrième risque : l’explosion du financement privé

L’encours du financement privé (private equity, private credit, dette d’infrastructures) atteint 3 000 milliards de dollars en 2025. En dix ans, aux États-Unis, ces modes de financement alternatifs ont progressé de 14,5 % par an.

Le risque est que le crédit privé concerne des entreprises plus endettées que celles financées par le crédit bancaire (le levier est de 4,6 pour le crédit bancaire, 5,7 pour le crédit privé, d’après les calculs de JP Morgan Credit Research) et des entreprises moins profitables que celles financées par le crédit bancaire (le ratio EBITDA/paiements d’intérêts est de 3,9 pour les entreprises financées par le crédit bancaire, de 2,1 pour celles financées par le crédit privé, toujours selon JP Morgan Credit Research). Les fonds de crédit privé sont plus exposés que les banques au retournement de la conjoncture.

Un retournement des marchés « actions » serait plus violent aux États-Unis qu’en Europe en raison de l’engouement pour l’IA et de la structure de financement des entreprises américaines. A la différence de l’Europe où les entreprises se financent par crédits bancaires. Cette dernière repose essentiellement sur les fonds propres,

Une crise financière pourrait survenir en cas de perte de confiance sur les stablecoins, de mise en difficulté d’un grand fonds de private equity aux États-Unis ou de doute sur la solidité du système financier américain. Les facteurs de krach sont nombreux mais sont par nature incertains, sachant qu’ils ne sont pas tous identifiés…

Comment l’Europe peut-elle conserver son épargne ?

L’Europe est riche de son épargne mais celle-ci s’y investit insuffisamment. Cette situation, fortement préjudiciable pour la croissance, est imputable à la faible rentabilité du capital sur le Vieux Continent ainsi qu’à l’absence d’entreprises majeures dans le secteur de l’information et de la communication.

La zone euro se caractérise par l’importance de son excédent courant qui oscille entre 2 et 4 points de PIB depuis plus de quinze ans, quand les États-Unis accumulent des déficits se situant entre 2 et 6 points de PIB. Les États-Unis sont importateurs nets de capitaux quand les Européens sont exportateurs. Ces derniers possèdent à l’étranger plus de 12 000 milliards d’euros d’investissements directs, 7 000 milliards d’euros d’investissements de portefeuille en actions et titres (actions, OPC) et plus de 7 000 milliards d’euros de portefeuille de titres de dettes. Le montant des titres du Trésor américains détenus par les Européens est passé de 600 à 2 000 milliards de dollars entre 2012 et 2024. Chaque année, plus de 350 milliards d’euros sont investis par la zone euro aux États-Unis. L’Europe finance la croissance américaine plus qu’elle ne finance la sienne.

Ces flux de capitaux vers les États-Unis interviennent au moment où l’Europe a des besoins d’investissement croissants. Pour réaliser la transition écologique et la révolution digitale, pour augmenter le niveau de formation et pour accroître l’effort de défense, le rapport Draghi a indiqué que les besoins étaient de l’ordre de 800 milliards d’euros par an, soit 4 % du PIB de l’Union européenne. L’investissement public stagne en zone euro autour de 3,5 % du PIB et celui des entreprises autour de 12 % du PIB. Le premier devrait augmenter de 3 points de PIB et le second de 2 points pour relever les différents défis.

Sans conservation de l’épargne en Europe, les besoins d’investissement seront soit financés à crédit, soit par effet d’éviction en annulant d’autres investissements ou en réduisant les dépenses de consommation.

Une allocation plus européenne de l’épargne suppose que la rentabilité des entreprises s’améliore sur le Vieux Continent. Le ROE (Return on Equity ; le résultat net / capitaux propres) est de 16 en 2024 aux États-Unis, contre 10 en zone euro. La faible rentabilité européenne est imputable à un positionnement de l’économie sur des secteurs à faible productivité et sur un niveau de gamme moyenne. Le poids du secteur technologique y est nettement plus faible qu’aux États-Unis. L’Europe se fait de plus en plus concurrencer par la Chine (automobile, biens d’équipement, etc.). Les rendements des obligations sont nettement supérieurs aux États-Unis : plus de 4 % pour les emprunts d’État à 10 ans, contre 2,8 % en zone euro.

La capacité d’investissement en Europe est réduite par la pression fiscale élevée sur les entreprises, ce qui diminue leur capacité d’investissement. Le niveau des prélèvements obligatoires atteint 40 % du PIB en zone euro en 2024, contre 26 % aux États-Unis. Cet écart est lié à l’importance de l’État providence en Europe.

Le partage des revenus est beaucoup plus favorable aux entreprises aux États-Unis que dans la zone euro. En Europe, la productivité du travail et le salaire réel augmentent à peu près au même rythme. Aux États-Unis, le partage des revenus se déforme beaucoup à l’avantage des entreprises et au détriment des salariés, mais les gains de productivité y sont beaucoup plus importants. Entre 2002 et 2024, ils ont augmenté de plus de 50 % contre 10 % en zone euro. La progression des salaires réels a été de 20 % aux États-Unis, contre 10 % en zone euro sur la même période.

Pour conserver son épargne, l’Europe doit améliorer la rentabilité du capital investi sur place sans remettre en cause son modèle social. Le défi n’est pas évident à relever. Il suppose un accroissement du volume de travail et une maîtrise des dépenses publiques.

La réindustrialisation made in America : une utopie

Donald Trump entend réindustrialiser les États-Unis afin d’améliorer le pouvoir d’achat des Américains et de réduire le déficit commercial. Pour cela, il a décidé d’accroître les droits de douane et de faire pression sur les autres pays pour qu’ils augmentent leurs investissements aux États-Unis et leurs commandes, en particulier de matériel militaire. Par ailleurs, le président américain a entrepris de faciliter le crédit aux entreprises et de développer le marché des stablecoins, investis en titres du Trésor des États-Unis, conduisant par ricochet à une baisse des taux d’intérêt à long terme.

Avec la France, les États-Unis sont un des pays où la désindustrialisation a été, ces vingt dernières années, la plus importante. L’emploi manufacturier est passé aux États-Unis de 14 % des emplois en 2002 à 9 % en 2025. La valeur ajoutée manufacturière s’y est rétractée de 13 % du PIB en 2002 à 10 % en 2025. Ce processus s’est accompagné de l’essor du secteur des technologies de l’information et de la communication mais les salariés ne sont pas les mêmes. Dans ce dernier secteur, fortement représenté dans les États démocrates de l’Est et de l’Ouest des États-Unis, les salariés sont diplômés et proviennent en partie de l’étranger. Les emplois industriels détruits étaient occupés par des salariés peu diplômés. Cette désindustrialisation structurelle profonde a façonné les fractures politiques des États-Unis de ces dernières années et a porté Donald Trump au pouvoir.

Donald Trump estime que l’étranger est responsable de la désindustrialisation à travers les importations. Afin de réduire ces dernières, il a multiplié par plus de trois les droits de douane. Cette hausse est la plus importante réalisée aux États-Unis depuis les années 1930. Les droits moyens sont passés de 3 à 17 % de janvier à octobre 2025.

Les États-Unis exigent également de leurs partenaires d’investir davantage sur le sol américain et d’acheter massivement du matériel militaire américain ou des produits énergétiques. Ils demandent aussi que les entreprises étrangères délocalisent vers les États-Unis certaines productions stratégiques (semi-conducteurs, IA, batteries, armement, médicaments).

L’investissement aux États-Unis est en forte hausse, semblant donner raison à Donald Trump. Néanmoins, l’augmentation a commencé avant son arrivée et est sans nul doute imputable à l’Inflation Reduction Act qui incitait déjà les entreprises à investir sur le territoire américain en contrepartie d’aides. La production industrielle est en hausse de 10 % de 2010 à 2024, mais celle-ci a été réalisée au début de la décennie.

La réindustrialisation nécessite des sources de financement. À cet effet, Donald Trump a assoupli les normes prudentielles pesant sur le secteur bancaire. Pour abaisser les taux d’intérêt, Donald Trump fait pression sur la Réserve fédérale afin qu’elle diminue ses taux directeurs. Il entend développer le marché des stablecoins en les adossant aux bons du Trésor. Plus le nombre de stablecoins augmente, plus la demande de bons du Trésor s’accroît. Ce recours aux stablecoins permet de financer l’imposant déficit public, 7 % du PIB, et d’éviter un effet d’éviction au détriment de l’investissement privé.

Même si Donald Trump met en œuvre une politique protectionniste et souverainiste, il espère toujours que les investisseurs étrangers financeront les investissements sur les territoires américains. La bonne tenue de la Bourse de New York l’y aide. La demande mondiale en titres américains reste élevée.

La réindustrialisation souhaitée par Donald Trump n’est pas sans limite. Dans une économie où l’éclatement de la chaîne de valeur est de mise, les industriels se sont adaptés aux majorations tarifaires. Ils ont réorganisé leurs échanges afin de minimiser les surcoûts liés aux droits de douane. Pour le moment, ces derniers occasionnent une perte de pouvoir d’achat pour les ménages américains, obligeant Donald Trump à promettre de leur reverser une partie des gains fiscaux obtenus. Enfin, la réindustrialisation promise devrait avoir peu d’effet sur l’emploi des Américains moyens. Les nouvelles usines seront automatisées et feront appel à un personnel hautement qualifié pour le contrôle et l’entretien des équipements. Le retour des ouvriers est une illusion…