19 décembre 2025

Economie – dette publique – croissance – IA

Quels seront les actionnaires qui seront les gagnants de l’IA ?

Depuis trois ans, les investissements dans l’Intelligence artificielle sont considérables. L’engouement des investisseurs pour cette nouvelle technologie s’apparente à celui qui avait prévalu à la fin du XXe siècle avec l’essor d’Internet. Au vu des centaines de milliards de dollars investis, des doutes sur les retombées de l’IA sur le plan économique et financier commencent à poindre. Qui seront les gagnants de cette révolution ? les fournisseurs d’IA ; les producteurs des biens technologiques nécessaires à cette technologie ou les utilisateurs ?

Pour le moment, les grands gagnants de l’AI sont les entreprises  qui fournissent des biens intermédiaires comme les microprocesseurs, comme NVIDIA dont le cours en trois ans a été multiplié par plus de 6. Les distributeurs d’énergie électrique profitent également de l’envolée de l’IA. Les datacenter nécessitent des apports énergétiques importants. Aux Etats-Unis, des centrales électriques fermées depuis des années ont été remis en fonction.

La situation des développeurs de modèles d’IA est ambiguë. Microsoft, OpenAI, Alphabet, Amazon, Apple, etc. investissent des sommes importantes. Le cours des actions des entreprises cotées a fortement progressé. Néanmoins, depuis quelques mois, des doutes se font jour sur la rentabilité potentielle de ces investissements ce qui a conduit à une petite correction boursière. Comme pour Internet, le secteur de l’IA pourrait être dominé par quelques entreprises avec un risque d’oligopole.

Les utilisateurs d’IA devraient bénéficier de gains de productivité et donc d’une valorisation du cours de leurs actions mais pour Internet, le ruissellement a été imparfait.

Des investissements nécessaires au développement de l’IA sont considérables

Selon le cabinet Gartner, 1479 milliards de dollars ont été investis en 2025 dans le développement de l’IA (455 milliards dans les services et les softwares, 268 milliards dans les serveurs, 209 milliards dans les semi-conducteurs…). Microsoft, Alphabet, Meta et Amazon auront investi près de 400 milliards de dollars dans l’IA (en data centers, en cartes graphiques…). Ces montants élevés influent sur le niveau de l’investissement aux Etats-Unis. Celui progresse en rythme annuel, en 2025, de 6 %.

Le problème est qu’il est très douteux que ces investissements massifs apportent un supplément de profits qui maintienne la rentabilité du capital des entreprises qui développent des modèles d’IA générative. Les capitaux placés dans l’IA sont essentiellement investis dans le développement des modèles de langage généralistes (LLM) que ceux de modèles spécialisés qui concernent une tâche précise

L’efficacité des modèles dépend de leur alimentation en données ce qui confère un avantage comparatif aux grandes entreprises américaines des technologies de l’information et de la communication. Peu d’entreprises se partageront donc le marché de l’IA. Les surplus associés à l’utilisation de l’IA sera monopolisé par les fournisseurs d’IA qui pourraient à terme pratiquer des prix élevés au détriment des utilisateurs d’IA.

La demande (de cartes graphiques, de microprocesseurs , d’électricité, d’eau…) associée à l’IA sera considérable et augmentera dans les prochaines années d’autant plus que la contrainte environnementale obligera les fournisseurs d’IA d’avoir accès à de l’énergie électrique décarbonée.

Sur le plan boursier, les entreprises qui fournissent les développeurs d’IA (Nvidia, fournisseurs d’électricité, d’eau…) devraient continuer à se valoriser. Les actions des  développeurs des modèles spécialisés d’IA pourraient connaitre des variations importantes en fonction des résultats attendus des entreprises au vu des investissements réalisés. En outre, seuls les leaders de l’IA devraient monopoliser les fortes valorisations. Pour les  actions des utilisateurs d’IA pourraient ne pas être globalement affectées. En revanche, au sein des différents secteurs, les entreprises en retard au niveau du déploiement de l’IA pourraient en faire les frais.

Dette publique : un possible effet d’éviction ?

Aux États-Unis et en Europe, tout particulièrement en France, les besoins de financement des administrations publiques sont élevés et sont orientés à la hausse. Avec la montée des taux d’endettement public, un effet d’éviction au détriment des entreprises est-il imaginable, l’épargne étant affectée au financement des États ? En zone euro et tout particulièrement en France, une éviction de l’investissement privé est constatée. Aux États-Unis, elle est moindre car ce pays a la capacité de s’endetter auprès du reste du monde.

En 2025, le taux d’endettement public aux États-Unis a atteint 120 % du PIB. Il est de 115 % en France et de 88 % en zone euro. Pour les États-Unis comme la France, la progression s’élève à près de 20 points en six ans.

De 2022 à 2025, le taux d’investissement annuel tourne autour de 14 % du PIB. Ce taux est orienté à la baisse tant en France qu’en zone euro. Il s’élève à 11 % pour la première en 2025 et à 11,8 % pour la zone euro.

Pour empêcher un éventuel effet d’éviction, une hausse du taux d’épargne de la Nation (le taux d’épargne de tous les agents économiques) serait nécessaire.

Aux États-Unis, le taux d’épargne de la Nation est en baisse entre 2029 et 2025, passant de 19 à 17,5 % du PIB. En zone euro, sur la même période, il est passé de 25 à 23,5 % et en France de 24 à 21,5 %.

À défaut de faire appel à l’épargne intérieure, les États peuvent compter sur une arrivée de capitaux étrangers avec comme conséquence une augmentation de leur endettement extérieur. Les États-Unis se financent ainsi en grande partie chez les non-résidents. La dette extérieure nette est passée de 20 à 80 % du PIB de 2010 à 2025. Celle de la France s’est également accrue, atteignant 20 % du PIB en 2025 contre 10 % en 2010. En revanche, la zone euro dégage des avoirs nets extérieurs nets de 10 % du PIB, alimentés par les excédents commerciaux notamment de l’Allemagne et des Pays-Bas, excédents qui sont essentiellement investis à l’étranger et notamment aux États-Unis.

Si l’épargne disponible est insuffisante pour financer à la fois les déficits publics et l’investissement, une hausse du taux d’intérêt réel à long terme est incontournable. Les taux d’intérêt réels à dix ans ont retrouvé en 2025 leur niveau d’avant la crise des subprimes en 2008. Avec la fin des politiques monétaires non conventionnelles, les taux retrouvent un profil plus habituel et plus conforme aux règles du marché.

Face aux risques d’éviction, les banques centrales, et en particulier la BCE, pourraient être amenées à relancer des programmes de rachats d’actifs comme elles l’ont fait dans les années 2010. À défaut, les taux d’intérêt pourraient poursuivre leur appréciation, d’autant plus que l’Allemagne devrait s’endetter dans les prochaines années plus que dans le passé. L’autre voie serait, en Europe, de réduire les achats d’actifs à l’étranger.

Croissance : quelles tendances pour demain ?

2025 n’a pas apporté la récession crainte par certains, surtout après les annonces de Donald Trump du 2 avril concernant les tarifs douaniers. Pour les prochaines années, les incertitudes demeurent élevées compte tenu du caractère imprévisible du président américain et de l’évolution incertaine du conflit en Ukraine. Mais, au-delà des vicissitudes du court terme, plusieurs facteurs pourraient peser durablement sur la croissance tant aux États-Unis, en Europe, au Japon ou en Chine.

Aux États-Unis, les attaques contre la science, le refus de l’immigration et la stagnation du taux d’emploi due à la mauvaise situation de santé des Américains vont conduire à une croissance faible. L’administration Trump a réduit les crédits fédéraux aux agences fédérales de recherche et aux universités ; elle décourage la poursuite des recherches sur le climat, sur les vaccins ; elle freine l’arrivée d’étudiants et de chercheurs étrangers. Les gains de productivité, qui étaient un des atouts de l’économie américaine, pourraient s’éroder dans les prochaines années. Ils s’élevaient à 2 % en moyenne par an.

En 2025, le nombre d’actifs nés à l’étranger a, aux États-Unis, diminué de plus de 2 millions. La population active, qui augmentait de plus de 0,2 % par an, pourrait stagner, voire diminuer, dans les prochaines années. Le taux de fécondité des États-Unis, qui figuraient parmi les plus élevés de l’OCDE, est en baisse constante depuis 2005. Il est passé de 2,1 à 1,6 au cours de ces vingt dernières années. Le taux d’emploi aux États-Unis ne progresse plus depuis 2020, en raison essentiellement de la mauvaise situation sanitaire du pays. Il plafonne à 72 %.

Aux États-Unis, la croissance à moyen terme devrait donc s’affaiblir avec le recul des gains de productivité et de la population en âge de travailler, ainsi qu’avec la stagnation du taux d’emploi. Elle pourrait être durablement inférieure à 2 % dans les prochaines années.

La zone euro est marquée par l’accélération du vieillissement démographique. La population active (15-64 ans) diminue. Seule la hausse du taux d’emploi permet de compenser cette diminution et la stagnation de la productivité. Le taux d’emploi est en effet passé de 65 à 71 % de 2010 à 2025, mais les gains en la matière sont de plus en plus faibles, en particulier en Allemagne et dans les États d’Europe du Nord. Le taux d’emploi est de 78 % en Allemagne, de 69 % en France, de 67 % en Italie et de 64 % en Espagne. En France, en Italie ou en Espagne, des marges existent, mais la progression du taux d’emploi bute sur le problème de formation des actifs. En France, le taux de chômage des jeunes reste élevé et la suspension de la réforme des retraites pèsera sur le taux d’emploi des seniors. Dans l’ensemble de la zone euro, une hausse du taux d’emploi de l’ordre de 0,4 point par an, conduisant à une hausse du PIB potentiel de 0,6 % par an, est prévisible dans les prochaines années. Dans la zone euro, la productivité stagne depuis 2017. Elle n’a progressé que de 8 % de 2010 à 2025, contre plus de 30 % aux États-Unis. L’Europe est en retard en matière de robotisation de son industrie et dans la digitalisation de son économie.

Cercle de l’Epargne – données World Robotics 2024

La croissance européenne est entravée tant par les retards technologiques accumulés ces dernières années que par l’évolution de la démographie. Sa croissance potentielle se situe désormais en dessous de 1 %.

Au Japon, la productivité est également déclinante depuis 2022. Elle n’a progressé que de 4 % entre 2010 et 2025. Le taux d’emploi y est élevé (80 %), ne permettant pas de réels gains dans les prochaines années. Par ailleurs, la population en âge de travailler diminue de plus de 0,5 % par an. Dans ce contexte, la croissance ne peut être que faible.

Pour la Chine, l’effet du vieillissement démographique se fait de plus en plus ressentir sur la croissance. La population en âge de travailler recule, depuis 2023, de 0,2 %. La baisse pourrait atteindre 0,8 % en 2030. Ce taux communiqué par les autorités serait minoré de 40 à 60 %. Malgré le maintien de gains de productivité assez élevés, quoiqu’en baisse, la croissance du PIB chinois ne peut que s’étioler. Les gains de productivité sont passés de 10 à 5 % de 2010 à 2025. Sa croissance devrait se situer autour de 4 % l’an dans les prochaines années.

À défaut de pouvoir modifier la donne démographique, les gouvernements mettent leurs espoirs dans l’intelligence artificielle pour sauver la croissance. Cette nouvelle technologie peut accélérer la polarisation des emplois. Elle crée des emplois à forte valeur ajoutée mais détruit des emplois à qualification moyenne, conduisant un nombre croissant d’actifs à occuper des postes dans les secteurs de services à faible valeur ajoutée (services domestiques, logistique).