Coin de l’économie – démocratie – Chine – déficits publics
Quand la démocratie ne fait plus rêver !
Longtemps, la démocratie a été perçue comme une condition nécessaire à la croissance économique et à un niveau de vie élevé. L’échec du modèle soviétique semblait confirmer cette règle dans les années 1990. L’économie de marché et la démocratie fonctionnaient alors de pair, donnant tout son lustre au livre de Francis Fukuyama, La Fin de l’Histoire et le Dernier Homme. Cependant, depuis lors, la réussite de la Chine, devenue la deuxième puissance économique mondiale, ainsi que le désenchantement démocratique, ont sensiblement modifié la donne. Les résultats économiques et sociaux apparaissent aujourd’hui moins liés au caractère démocratique des États.
La démocratie offre, en théorie, des conditions favorables à la croissance. Celle-ci suppose le respect de l’État de droit et un minimum de consensus social. Les systèmes politiques vertueux, où la corruption est limitée, sont jugés plus aptes à favoriser l’initiative et l’innovation. La protection de la propriété privée est également considérée comme une condition essentielle à la prospérité économique. Par ailleurs, les démocraties sont réputées mieux capables de réduire les inégalités sociales, un facteur clé pour des taux de croissance élevés sur le long terme.
Cependant, en analysant l’indice de démocratie établi par The Economist, on observe que, depuis le début du siècle, des pays non démocratiques tels que le Mexique, le Maroc, la Turquie, l’Égypte, la Chine, le Vietnam, le Kenya, le Turkménistan, le Kazakhstan, l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis ou le Gabon enregistrent des taux de croissance élevés. À l’inverse, de nombreux pays démocratiques, notamment en Europe, ainsi qu’en Afrique du Sud ou en Argentine, connaissent des taux de croissance faibles sur la même période.
Le niveau élevé de corruption n’empêche pas des pays comme la Chine, le Vietnam, le Kazakhstan, le Maroc, l’Égypte, la Turquie, le Kenya ou le Mexique d’afficher une croissance plus forte que celle des pays de l’OCDE, où la corruption est pourtant bien moindre.
En théorie, la démocratie devrait être synonyme de faible inégalités sociales. Pourtant, de nombreux pays caractérisés par de fortes inégalités bénéficient de taux de croissance élevés. C’est le cas, par exemple, de la Colombie, de l’Équateur, de l’Indonésie, du Kenya, du Maroc, du Mexique, du Pérou, des Philippines, du Gabon, du Brésil, du Chili, du Turkménistan, de la Turquie, de l’Afrique du Sud, du Vietnam ou de la République Démocratique du Congo. Les États-Unis et Israël, bien qu’étant des démocraties avec un indice de Gini supérieur à 35, affichent des taux de croissance supérieurs à ceux des pays européens, dont les indices de Gini sont plus faibles.
Les économistes Daron Acemoglu et James A. Robinson, dans leur livre Why Nations Fail (2015), classent les pays en deux catégories : ceux dont les institutions sont « extractives », où une minorité profite du travail de la majorité, et ceux dont les institutions sont « inclusives », qui associent un grand nombre d’individus au fonctionnement de la société et de l’économie.
Les pays aux institutions inclusives se caractérisent par un pluralisme politique, un système éducatif efficace, une législation antitrust stricte et une forte protection du droit de propriété. Ces caractéristiques favorisent la destruction créatrice, le progrès scientifique et l’innovation.
La Chine constitue un cas particulier. Si elle n’est pas inclusive sur le plan politique, elle l’est davantage sur le plan social. Le droit de propriété y est partiellement respecté, et les ingérences de l’État dans les décisions des entreprises sont importantes. Malgré l’absence de pluralisme politique, l’économie chinoise reste dynamique. L’effort de recherche-développement en Chine représente 1,9 % du PIB, contre 1,5 % en Europe. La Chine est responsable de 24 % de la recherche-développement mondiale, et 36 % de cette recherche concerne les technologies de l’information et de la communication, contre seulement 15 % dans l’Union Européenne. De plus, la Chine a réduit les inégalités de manière significative ces trente dernières années : en 2021, 17 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté (6,85 $/jour), contre 98,1 % en 1993. Cependant, les 1 % les plus riches perçoivent 14 % du revenu national, contre 10 % en France et 20 % aux États-Unis.
La possession de matières premières et d’énergie ne garantit pas une croissance forte, comme en témoignent des pays tels que l’Algérie, le Nigéria, le Gabon, le Congo, l’Angola ou le Venezuela. À l’inverse, des nations comme les États-Unis ou l’Arabie Saoudite, riches en pétrole, connaissent des taux de croissance élevés.
Les régimes autoritaires ne sont pas forcément incompatibles avec une croissance forte. En période de mutation rapide, ces régimes peuvent même sembler plus efficaces. Toutefois, la croissance chinoise s’essouffle, et celle de la Russie reste dépendante des ventes de pétrole et de l’effort de guerre. Durant la pandémie de Covid-19, bien que les États occidentaux aient éprouvé des difficultés initiales, ils se sont révélés plus performants sur le long terme. En Chine et en Russie, une forte défiance envers les pouvoirs publics a conduit à de faibles taux de vaccination.
Dans les démocraties, les régimes autoritaires séduisent une part croissante de la population. Selon une enquête IPSOS réalisée en 2024 pour le Conseil Économique Social et Environnemental, 15 % des Français déclarent qu’ils ne seraient pas prêts à défendre la démocratie si elle était menacée. De plus, 23 % ne sont pas convaincus qu’elle soit le meilleur système politique, et 51 % estiment qu’un pouvoir fort et centralisé est nécessaire pour garantir l’ordre et la sécurité.
Parmi les 25 % de Français les moins attachés à la démocratie, les jeunes et les personnes défavorisées sont surreprésentés : 32 % ont moins de 35 ans, contre 25 % dans la population générale.
Bien que l’économie de marché soit désormais incontournable à l’échelle mondiale, la démocratie est de plus en plus critiquée, notamment pour son inefficacité perçue à répondre aux attentes des populations. Cette situation alimente une tentation populiste et l’essor des régimes autoritaires dits illibéraux. Toutefois, les démocraties, malgré leurs cycles de déclin, de renaissance et d’expansion, restent les seuls régimes garantissant l’État de droit, la liberté d’expression et la protection des droits de propriété, indispensables à la stabilité économique et sociale.
Cumul de déficits : source de tous les dangers
Avec la création de l’euro, la question des réserves de change a disparu du débat public. Lorsque la France avait mené une politique de relance entre 1981 et 1983, entraînant une détérioration de la balance des paiements courants, le gouvernement avait été contraint de s’endetter auprès des pays du Golfe pour obtenir des dollars. Bien que cette contrainte ait été en grande partie levée avec l’euro, les pays affichant une balance courante déficitaire doivent la compenser en faisant appel à des capitaux à long terme. Ainsi, le cumul des déficits public et courant impose un recours constant à l’épargne mondiale.
Les États-Unis, la France, l’Italie et le Japon sont connus pour leurs déficits budgétaires chroniques élevés. En 2023, ces quatre pays affichaient des déficits supérieurs à 5 % du PIB, tandis que leur dette publique dépassait 100 % du PIB. Cependant, la situation des pays combinant déficit budgétaire et excédent de leur balance courante, comme le Japon et l’Italie, n’est pas inquiétante en soi. Le Japon bénéficie d’un excédent courant supérieur à 5 % du PIB, et celui de l’Italie atteint près de 2 points de PIB. À l’inverse, la balance courante est déficitaire de 4 % du PIB aux États-Unis et de 0,5 % en France.
L’Italie et le Japon parviennent à couvrir leur déficit public grâce à leur épargne domestique et n’ont pas besoin de s’endetter auprès du reste du monde pour le financer. Les pays cumulant déficit budgétaire et déficit de la balance courante, comme les États-Unis, peuvent éviter une crise de financement grâce à des entrées importantes de capitaux à long terme. Les États-Unis, grâce à la vitalité de leur économie, attirent des investissements directs et de portefeuille représentant plus de 5 % du PIB, soit deux fois le montant de leur déficit de la balance courante.
En revanche, un pays associant déficit budgétaire, déficit courant et faibles entrées de capitaux étrangers est vulnérable. Il doit financer ses déficits par des capitaux à court terme, dépendant ainsi du bon vouloir des investisseurs internationaux. C’est en partie le cas de la France. Les investissements directs étrangers y représentent 0,3 % du PIB et ne couvrent qu’une partie du déficit courant. L’autre solution consiste à mobiliser l’épargne des ménages. En France, l’État peut compter sur un taux d’épargne élevé, mais cette solution a ses limites : 50 % des émissions obligataires françaises sont souscrites par des non-résidents.
Pour combler ses déficits, la France est contrainte de maintenir une forte attractivité pour attirer les capitaux étrangers. À défaut, l’écart de taux avec l’Allemagne pourrait continuer de s’accroître, entraînant une augmentation du coût du service de la dette.
La Chine à la veille d’une grande crise ?
La Chine est confrontée depuis un an à un réel affaiblissement de sa croissance, sa demande interne demeurant atone en raison de la crise immobilière, du recul de la richesse des ménages et de la stagnation des investissements. La seule voie de croissance pour l’économie chinoise repose sur les exportations ; or celle-ci sont de plus en plus menacées par les droits de douane et les sanctions que les Etats-Unis et l’Europe entendent appliquer.
La crise immobilière est manifeste depuis le milieu des années 2010. Malgré les mesures prises par les pouvoirs publics, elle s’est incrustée voire elle s’amplifie. Les mises en chantier de logements et de bureaux ont, en 2023, baissé de 20 %. Les prix des logements neufs sont en recul en 2024 de 5 % et ceux des logements anciens de 10 %.
La demande intérieure est pénalisée par le manque de confiance des ménages qui subissent de plein fouet la crise immobilière. La stagnation des valeurs boursières accentuent la perte de confiance dans l’économie. L’indice boursier Shanghai A est atone depuis une dizaine d’années. L’investissement des entreprises de l’industrie manufacturière qui connaissait une progression de 25 % dans les années 2010 n’augmente au mieux que de 10 % ces dernières années. Les investissements d’origine étrangère tendent à se raréfier.
La Chine ne peut dans ces conditions compter que sur ses exportations pour maintenir un niveau de croissance élevée. Cette situation marque l’échec de développement de la demande intérieure prônée par les pouvoirs publics. En menant une politique agressive sur les prix, les exportations se sont redressées depuis la seconde moitié de 2022 avec un taux de croissance de 10 % en 2024. Cette politique braque de plus en plus les Occidentaux. Les Etats-Unis ont ainsi, avant même l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche de porter les droits de douane sur les produits chinois à 25% sur l’acier, l’aluminium, les batteries électriques et les grues portuaires, à 50% sur les produits médicaux, sur les semi-conducteurs et les cellules solaires et à 100% sur les véhicules électriques. L’Union européenne a majoré les droits de douane sur l’acier, les vélos électriques, les pneus, les ustensiles de cuisine, des produits chimiques et sur les voitures électriques chinoises. Donald Trump a annoncé qu’il imposerait des droits de douane sur toutes les importations des Etats-Unis, avec des droits de douane additionnels de 10% à 20% sur les importations depuis tous les pays, de 60% sur les importations depuis la Chine, de 200% sur les voitures importées par les Etats-Unis depuis le Mexique. Cette application généralisée des droits de douane vise à empêcher notamment les entreprises chinoises de faire transiter leurs produits par des pays tiers non taxés. Depuis deux ans, les importations en provenance du Mexique pour les Etats-Unis ont progressé de plus de 30 % et de plus de 10 % pour celles en provenance d’Inde. Une part non négligeable des importations de ces deux pays sont dans les faits d’origine chinoise. La généralisation du protectionnisme pourrait provoquer une crise économique globale avec une baisse majeure des prix. Cette crise pourrait avoir des incidences sur le reste du monde compte tenu du poids économique de la Chine. Le cours de l’énergie et des matières premières pourrait baisser. En revanche, l’augmentation du prix des produits importés en Europe et aux Etats-Unis aurait un effet inflationniste et s’accompagnerait d’une diminution du pouvoir d’achat des ménages. L’économie mondiale pourrait connaitre alors un réel ralentissement.