20 mars 2024

Coin de l’économie – dette publique – zone euro – taux d’intérêt

Une crise de la dette publique aux Etats-Unis est-elle envisageable ?

Depuis l’épidémie de covid, les États-Unis pratiquent une politique budgétaire expansionniste portant le déficit public à plus de 7 points du PIB. Après le soutien aux ménages en 2020 et 2021, le gouvernement fédéral a mis en œuvre – avec notamment l’Inflation Réduction Act – une politique de réduction des émissions des gaz à effet de serre en encourageant les entreprises à investir sur le territoire américain. L’endettement public des États-Unis connait une croissance rapide et dépasse désormais les 120 % du PIB. La question de la soutenabilité de cette dette se posera-t-elle dans les prochaines années ?

Depuis quinze ans, les États-Unis ont enregistré des déficits publics toujours supérieurs à 2 % du PIB. De 2014 à 2019, durant le mandat présidentiel de Donald Trump qui avait engagé un plan massif de réduction des impôts, le déficit public était passé de 2 à 4 % du PIB. En 2020, en pleine épidémie de covid, ce déficit a atteint 14 % du PIB. Donald Trump comme Joe Biden ont lancé de vastes plans de soutien portant sur des milliers de milliards de dollars. Après être revenu à 6 % du PIB en 2022, le déficit a de nouveau augmenté en 2023 pour s’élever à 7 % du PIB. Cette nouvelle aggravation est imputable aux mesures en faveur des entreprises investissant dans le développement durable. Avec cette accumulation de déficits, la dette publique est passée de 102 à 135 % du PIB de 2010 à 2020 avant de revenir à 120 % en 2022. En 2023, elle s’est élevée à 122 % du PIB.

La dégradation des comptes publics de la première économie mondiale est-elle susceptible de se transformer en crise financière ? Un endettement public est dangereux si la demande de titres publics devient inférieure à l’offre de titres publics. Pour le moment, les investisseurs résidents et étrangers continuent à acheter des titres américains. Les achats nets des investisseurs domestiques ont atteint 12 % du PIB en 2023 quand ceux des non-résidents a représenté 2 % du PIB américain. Entre 2021 et 2023, la banque centrale américaine est devenue vendeuse nette de titres publics avec l’abandon de la politique monétaire accommodante mise en œuvre après la crise des subprimes en 2008/2009. Ce changement de statut n’a pas posé de réels problèmes aux marchés. De 2010 à 2022, l’encours des titres publics détenus par la FED était passé de 1 000 à 6 000 milliards de dollars. En 2023, ce montant est revenu à 4 800 milliards de dollars. Depuis le début de la crise sanitaire, les titres américains ont bénéficié du rôle de valeur refuge des États-Unis. La guerre en Ukraine a conforté ce rôle.

L’évolution des taux d’intérêt confirme l’absence de problème sur la dette publique américaine. Les taux d’intérêt réels à long terme des États-Unis restent, à la fin de 2023, inférieurs à la croissance réelle des États-Unis. L’évolution du CDS (Credit Default Swap) souverain des États-Unis qui reflète le risque de déficit sur la dette des États-Unis, ne marque pas une défiance à l’encontre des titres publics. Ils ont légèrement augmenté mais sans excès.

La poursuite d’une politique de déficits élevés durant plusieurs années serait susceptible de poser un problème de soutenabilité surtout si la croissance ralentissait. Ces dernières années, celle-ci est demeurée supérieure à la moyenne de l’OCDE. Aux États-Unis, compte tenu de la progression de la population active et du maintien de gains de productivité, la croissance potentielle est d’environ 2 % quand elle ne dépasse pas 1 % en zone euro. Cette situation facilite le financement de la dette publique américaine. Une crise de l’endettement public américain se traduirait par une baisse sensible du dollar. Les investisseurs seraient alors tentés de s’en détourner au profit d’autres devises ou valeurs, l’euro ou le bitcoin. La dédollarisation rêvée en Russie voire en Chine est pour le moment théorique et ne semble pas se dessiner dans les prochains mois.

Le retour des faibles taux est-il pour demain ?

Depuis la crise des subprimes, les épargnants ont été pénalisés par les faibles taux d’intérêt et depuis l’épidémie de covid par la résurgence de l’inflation. Avec la hausse des taux d’intérêt et la désinflation, ils espèrent le retour de rendements réels positifs. Cet espoir risque d’être déçu en raison des besoins importants de financement des administrations publiques. Ces dernières seront donc enclines à demander aux banques centrales des faibles taux d’intérêt pour s’endetter à moindres coûts.

Depuis 2020, le concept d’économie de guerre s’est imposé au sein des pays de l’OCDE même s’il est galvaudé. Les États, face aux défis de l’épidémie, de la guerre en Ukraine, du vieillissement démographique ou encore de la transition énergétique, ont décidé d’accroître sensiblement leurs dépenses. L’économie de guerre suppose le maintien de taux d’intérêt réels à long terme inférieurs à la croissance en volume, ce qui n’est plus le cas en 2023 au sein de la zone euro. Le PIB de cette dernière s’est accru de 0,5 point l’année dernière quand les taux d’intérêt réels à long terme évoluaient entre 0,5 et 0,7 point.

Quand le taux d’intérêt réel à long terme est inférieur à la croissance réelle de long terme, le déficit public ne provoque pas une augmentation du taux d’endettement public. La reprise de la croissance en 2021 et en 2022, couplée à l’inflation, a permis une réduction du poids de la dette publique au sein de la zone euro qui est ainsi passée de 97 à 90 % du PIB entre 2020 et 2023. Pour faciliter de faibles taux d’intérêt réels à long terme, les entreprises sont appelées à réduire leur endettement en privilégiant l’autofinancement. Entre 2021 et 2023, le taux d’investissement des entreprises non financières au sein de la zone euro a augmenté d’un point de PIB ; sur la même période, le poids de leur dette est passé de 103 à 95 % du PIB.

La diminution des taux directeurs par les banques centrales est susceptible d’amener les taux réels en-dessous de la croissance réelle et de l’inflation. Les épargnants renoueraient avec la situation qu’ils ont connue entre 2012 et 2021. Les intérêts reçus par les ménages de la zone euro sont ainsi passés de 2,1 % à 0,6 % du PIB de 2010 à 2021 avant de remonter à 2 % du PIB en 2023. Des taux réels négatifs s’apparentent à un prélèvement des épargnants au profit des agents et en premier lieu des administrations publiques et des entreprises qui s’endettent. Les faibles taux ont occasionné dans les années 2010 une forte augmentation du cours des actions et du prix des logements. De faibles taux risquent de provoquer la multiplication des investissements publics et privés à faible rentabilité. Compte tenu du coût de la transition énergétique, de nombreuses voix se font entendre afin que les banques centrales mettent en place des moyens de financement spécifiques avec des taux réduits. Une telle pratique risquerait de favoriser l’inflation si l’offre n’est pas à la hauteur de la demande.

La zone euro en pleine spirale dépressive

La zone euro est confrontée à un cercle vicieux dont elle peine à s’extraire. Elle est pénalisée par un recul de la productivité et un faible taux d’emploi ce qui déprime la croissance et rend complexe le financement des dépenses publiques ou la réalisation d’investissements publics ou privés. Ce déficit d’investissement alimente par ricochet la baisse de la productivité.

De 2010 à 2023, la productivité par tête a augmenté de 21 % aux États-Unis, contre 5 % pour la zone euro. Le décrochage est intervenu à partir de 2015 et depuis s’amplifie d’année en année. Depuis 2019, la productivité décline au sein de la zone euro. Si elle a également diminué aux États-Unis de 2020 à 2022, elle est de nouveau orientée à la hausse.

Le taux d’emploi (proportion des 15/64 ans en emploi par rapport à l’ensemble de la population concernée) est constamment supérieur aux États-Unis par rapport à la zone euro. En 2023, celui-ci s’élevait respectivement à 72 % et 70 %. En Europe, le taux d’emploi est faible à cause des pays d’Europe su Sud. S’il s’élève à 78 % en Allemagne, il atteint 68 % en France, 66 % en Espagne et 62 % en Italie.

La faiblesse du taux d’emploi et des gains de productivité conduisent à une croissance médiocre en zone euro. De 2010 à 2023, le PIB y a augmenté que de 17 points. La croissance potentielle n’y dépasse pas 1 % depuis une dizaine d’année. Cette croissance réduite conduit à une lente progression des recettes fiscales. En dix ans, les recettes n’ont progressé que de 20 %. En 2023, en France, l’État a souffert de mauvaises entrées fiscales portant le déficit public au-delà de 5 points de PIB. La faible croissance pèse également sur les résultats des entreprises européennes pour celles n’ayant pas la possibilité d’accéder au marché mondial (États-Unis, Asie).

La rareté des ressources publiques pèse sur les capacités d’investissement des administrations publiques qui, en outre, sont contraintes de compenser la faible croissance par une augmentation des dépenses sociales. Faute de croissance, les entreprises n’investissent pas assez en particulier dans le digital. Les investissements en technologie de l’information et de la communication représentaient 3,8 % du PIB aux États-Unis en 2023, contre 2,6 % en zone euro. Le déficit d’investissements publics et privés et des dépenses publiques nécessaires à la croissance alimente le recul de la productivité.

Pour sortir de ce cercle vicieux, les États européens auraient tout avantage à lancer des programmes de recherche & développement dans les domaines du digital et de l’énergie et d’accroître leur effort dans la formation. Une réduction des dépenses publiques de fonctionnement serait souhaitable afin de dégager des marges en faveur de l’investissement.

Taux d’intérêt à long terme : la hausse est-elle terminée ?

Depuis deux ans, les taux d’intérêts à long terme augmentent avec le durcissement de la politique monétaire et l’inflation. Cette remontée n’est pas sans conséquence sur le coût de la dette et sur les capacités d’investissement des agents économiques. Compte tenu des besoins de financement notamment public, cette hausse est-elle amenée à se poursuivre ?

Les taux d’intérêt à long terme étaient négatifs en 2021 en zone euro et étaient inférieurs à 2 % aux États-Unis. Leur remontée a débuté en 2022 avec l’abandon des politiques monétaires accommodantes et la reprise de l’inflation. Cette hausse s’est poursuivie ces derniers mois. Fe fin décembre 2023 à début mars, le taux d’intérêt à 10 ans sur les swaps est passé de 3,70 % à 4,10 % aux États-Unis, et de 2,40 % à 2,70 % dans la zone euro. L’évolution des taux dépend de la perspective de court terme pour l’inflation et la politique monétaire. La Banque Centrale Européenne comme la FED américaine ont indiqué, à plusieurs reprises, qu’elles seraient prudentes en ce qui concerne la baisse de leurs taux directeurs. Ces annonces ont contribué à une remontée forte des anticipations de taux d’intérêt à court terme avec l’horizon de juin ou de décembre 2024.

Le deuxième facteur influant sur le niveau des taux à long terme est la perspective de moyen terme pour l’inflation. Or, l’inflation sous-jacente sera difficile à ramener vers 2 %. Celle-ci est alimentée par la hausse des salaires favorisée par les pénuries de main-d’œuvre en lien avec le vieillissement démographique. Le recul de la productivité en particulier en zone euro complique la donne pour la baisse de l’inflation sur longue période. La productivité par tête a diminué, en zone euro, de 5 % de 2019 et 2023. Sur longue période, elle n’a augmenté que de 5 % de 2010 à 2022. En zone euro, le coût salarial progresse, en mars 2024 de plus de 5 % sur douze mois  et de 2,5 % aux États-Unis. La transition énergétique est également une source d’augmentation des prix. Dans un contexte plus inflationniste que dans le passé, les banques centrales seront contraintes de maintenir des taux directeurs plus élevés. En étudiant les contrats Eurodollar à échéance 3 mois à échéance 2025 ou 2026, les taux se situent autour de 3,5 % aux États-Unis et 2,4 % % en zone euro (source Datastream).

Les taux d’intérêt à long terme sont, par ailleurs, influencés par l’équilibre épargne investissement. Le taux d’intérêt réel à long terme s’accroît si l’équilibre se déplace dans le sens d’une insuffisance ex-ante de l’épargne par rapport à l’investissement. Les années 2010 ont été marquées par une abondance de l’épargne, ce qui a contribué au maintien de faibles taux d’intérêt. Avec l’augmentation des besoins de financement (santé, retraite, éducation, défense, dépendance, transition énergétique), les taux d’intérêt sont susceptibles d’augmenter. La diminution du niveau des pensions de retraite amènera les retraités à puiser dans leur épargne afin de maintenir autant que possible leur niveau de vie. Cette désépargne alimentera la hausse des taux.

Dans les prochaines années, plusieurs facteurs concourront à des taux d’intérêt supérieurs à ceux des années 2010. Les banques centrales afin de limiter les risques d’une reprise de l’inflation conserveront des taux directeurs plus élevés. La forte progression des besoins de financement conduit à la hausse des taux. La soutenabilité des dettes constitue néanmoins une menace amenant les banques centrales à surveiller avec attention l’évolution des taux.