6 juin 2025

Coin de l’économie – Etats-Unis – Europe

Quand sonnera le temps de la pause aux Etats-Unis ?

Donald Trump a, en quelques semaines depuis son investiture, instauré une politique commerciale protectionniste, réduit l’immigration, et abaissé drastiquement les budgets des agences de recherche publiques et des universités. Compte tenu des effets potentiellement négatifs de ces mesures sur l’économie américaine, leur remise en cause à court ou moyen terme semble probable. Sur la question des droits de douane, le président a déjà dû revoir sa position face aux réactions de certains secteurs économiques aux États-Unis.

En instaurant des droits de douane de 10 % sur toutes les importations, Donald Trump a mis un terme à 80 ans de libre-échange. Après avoir annoncé des droits de 145 % sur les produits chinois, il a finalement décidé de les ramener à 30 %. Il a également menacé d’instaurer des droits de douane de 50 % sur les importations en provenance d’Europe dès le 1er juin, avant de repousser cette mesure au 9 juillet. Avant son retour au pouvoir, les droits de douane sur l’ensemble des importations américaines étaient inférieurs à 5 %.

Le président américain entend également limiter drastiquement l’immigration, en multipliant les expulsions d’immigrés clandestins, au nombre estimé de 11 millions dans le pays. Il plaide aussi pour une dépréciation du dollar, afin de renforcer l’effet des droits de douane et d’améliorer la compétitivité des produits américains à l’exportation.

Il a engagé une réduction massive du financement fédéral de la recherche publique et universitaire. Les National Institutes of Health (NIH) ont vu leur budget diminuer de 40 %. L’Environmental Protection Agency (EPA) a perdu deux tiers de ses effectifs. La National Science Foundation (NSF) a vu l’annulation de 430 projets de recherche. L’USAID, qui menait des programmes en matière de climat, de santé et de lutte contre les maladies dans les pays émergents, a été fermée. Les aides fédérales aux grandes universités américaines ont été réduites de 6 milliards de dollars.

Cette politique semble difficilement tenable dans la durée. La hausse des droits de douane, la dépréciation du dollar et la réduction de l’immigration sont de nature à relancer l’inflation. Les anticipations d’inflation à 12 mois atteignent 6 % selon les enquêtes auprès des consommateurs. Compte tenu des tensions sur le marché du travail, le recours à l’immigration reste pourtant nécessaire. Les États-Unis sont incapables de substituer rapidement une production locale à nombre de leurs importations, notamment en provenance de Chine. Les consommateurs subiront une baisse de leur pouvoir d’achat, ce qui va à l’encontre des promesses électorales de Donald Trump.

Par ailleurs, les mesures annoncées risquent d’affaiblir l’attractivité des États-Unis auprès des investisseurs étrangers. L’augmentation des incertitudes et la baisse du dollar les incitent à se détourner du pays. Or, les États-Unis ont des besoins importants de financement extérieur pour couvrir leurs déficits jumeaux : la balance courante affiche un déficit de 4 % du PIB et le déficit budgétaire atteint 7 %. En l’absence de capitaux extérieurs suffisants, les taux d’intérêt pourraient grimper, pénalisant ainsi ménages et entreprises.

La politique de Donald Trump a déjà provoqué une baisse marquée des cours boursiers. Or, le niveau de vie des Américains dépend en partie de la valorisation de leurs actifs financiers.

La croissance américaine commence à ralentir. La consommation n’augmente plus que de 2 % en rythme annuel, contre plus de 3 % en 2024.

Face au risque de récession, Donald Trump pourrait assouplir sa position sur les droits de douane et l’immigration. Il a déjà exempté les importations d’électronique et de pièces automobiles des nouveaux droits, faute de production nationale de substitution. Au-delà des slogans, il pourrait, à l’instar de Giorgia Meloni en Italie, se montrer pragmatique sur la question de l’immigration de travail.

Pour satisfaire son électorat conservateur, il pourrait en revanche maintenir sa politique hostile à la science et à la recherche publique. Cette posture aura peu d’effets à court terme, mais pèsera sur la croissance à moyen et long terme. La productivité pourrait ralentir. Or, celle-ci a fortement contribué à la croissance américaine : entre 2010 et 2024, la productivité par tête a progressé de 10 % aux États-Unis, contre une quasi-stagnation en Europe. En affaiblissant la recherche fondamentale, Donald Trump prend le risque de freiner l’émergence des innovations de rupture qui ont fait la force économique des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale.

À moyen terme, la politique économique de Donald Trump pourrait se heurter à ses propres contradictions. Le protectionnisme, la restriction de l’immigration et la défiance envers la recherche affaiblissent les piliers structurels de la compétitivité américaine. Dans un contexte de vieillissement démographique, de rivalité technologique avec la Chine et de dépendance aux capitaux étrangers, les États-Unis ne pourront durablement s’isoler sans en payer le prix : croissance ralentie, inflation persistante, affaiblissement de l’innovation. L’électorat pourrait alors se détourner d’une stratégie qui, sous couvert de souveraineté retrouvée, menace la prospérité même qu’elle prétend défendre.

Quand l’Europe bat Wall Street

Depuis le début de l’année, à l’exception du CAC 40, les indices actions européens surperforment leurs homologues américains. Cette dynamique peut sembler contre-intuitive au vu des écarts de croissance économique et de la répartition des gains de productivité de part et d’autre de l’Atlantique.

Malgré la faiblesse de la croissance européenne et la progression modérée des résultats des entreprises, les indices boursiers européens progressent nettement plus que les indices américains.

La croissance prévue en 2025 pour la zone euro (entre 0,7 % et 0,8 %) reste inférieure à celle attendue aux États-Unis (autour de 1,5 %). Les bénéfices par action prévus par les analystes sont en hausse de 9,3 % aux États-Unis contre seulement 3,1 % dans la zone euro. Par ailleurs, 78 % des entreprises américaines ont publié des profits supérieurs aux attentes au premier trimestre 2025, contre 61 % des entreprises européennes.

Les gains de productivité sont également plus élevés aux États-Unis, où le partage de la valeur ajoutée continue de bénéficier principalement aux actionnaires.

Ces éléments devraient logiquement engendrer une surperformance des actions américaines. Pourtant, c’est l’inverse qui se produit. Depuis le début de l’année 2025, l’indice Euro Stoxx 50 a progressé de plus de 10 % (à fin mai), tandis que le S&P 500 recule de 1,3 % et le Nasdaq de 2,9 %. Même le CAC 40, à la traîne, a gagné plus de 4 % sur les cinq premiers mois de l’année.

Quelles explications à cette inversion de tendance ?

Le facteur Trump.

Les marchés américains sont pénalisés par les incertitudes provoquées par la politique de Donald Trump. Les revirements en matière de droits de douane, perçus comme imprévisibles, alimentent la volatilité et incitent les investisseurs à réduire leur exposition aux actions américaines. Les craintes inflationnistes nourries par ces politiques commerciales, combinées à une restriction de l’immigration, pèsent également sur les marchés.

Le retour de la raison sur le maché de l’intelligence artificielle

Une autre explication tient aux doutes croissants sur les valorisations des entreprises technologiques américaines, surreprésentées dans les indices. L’enthousiasme suscité par l’intelligence artificielle a conduit à des niveaux de valorisation élevés. Depuis 2019, le Nasdaq a été multiplié par plus de deux, et le PER (price-earnings ratio) des entreprises qui le composent est passé de 22 à 38 entre 2015 et 2024. Même s’il reste inférieur aux niveaux atteints lors de la bulle Internet (plus de 100), ce ratio commence à susciter des interrogations sur la soutenabilité des cours.

L’effet défense en Europe.

La progression des valeurs liées à l’armement en Europe constitue une troisième explication. La hausse des budgets de défense, décidée par de nombreux États européens, soutient les perspectives de croissance de ce secteur. L’indice Euro Stoxx Espace & Défense a bondi de 50 % depuis le début de l’année, porté par l’augmentation prévisible des commandes publiques.

L’Europe redevient tendance

Les investisseurs semblent également retrouver un certain optimisme à l’égard de l’Europe. Les politiques menées apparaissent plus dynamiques, avec notamment le plan de relance allemand, l’assouplissement des règles budgétaires décidé par la Commission européenne, et la montée en puissance des investissements militaires. Ces signaux ont été perçus comme une volonté de soutenir la croissance à l’échelle continentale.

L’Europe et ses faiblesses

Malgré cette embellie, plusieurs handicaps structurels continuent de freiner le potentiel européen. Les dépenses de recherche-développement et d’investissement restent inférieures à celles des États-Unis : 3,5 % du PIB en R&D outre-Atlantique contre 2,4 % dans la zone euro en 2024. Les investissements dans les technologies de l’information représentent 3,8 % du PIB aux États-Unis, contre 2,2 % en Europe.

Le vieillissement démographique pèse également sur la consommation et sur le potentiel de croissance. La dépendance au commerce extérieur rend l’Europe vulnérable à un ralentissement du commerce mondial. Enfin, l’absence de coordination industrielle, la diversité des régimes fiscaux et la fragmentation des marchés financiers limitent la compétitivité du Vieux Continent.

La progression actuelle des indices européens pourrait n’être qu’un épisode temporaire. Si les incertitudes politiques américaines s’atténuent — notamment en cas d’inflexion de la politique de Donald Trump — les actions américaines pourraient regagner du terrain. À l’inverse, les marchés européens ne pourront poursuivre leur ascension qu’à la condition d’un regain de confiance, tant chez les consommateurs que chez les entreprises. Une meilleure coordination des politiques industrielles et budgétaires serait, à cet égard, un levier essentiel pour transformer l’essai.

La hausse des actions européennes en 2025 tient moins à un retournement fondamental qu’à un contexte politique et géopolitique exceptionnel. L’instabilité liée au retour de Donald Trump à la Maison Blanche, les doutes sur la valorisation des géants technologiques américains et l’essor des valeurs de défense européennes expliquent en grande partie ce mouvement.

Pour que cette surperformance européenne devienne durable, encore faut-il qu’elle s’accompagne d’un regain de confiance des ménages, d’une relance coordonnée de l’investissement productif, et d’un saut d’intégration économique au sein de l’Union. Faute de quoi, le vieux continent pourrait rapidement redevenir l’oublié des investisseurs