Coin de l’économie : prix des services – offre ou demande
Hausse des prix services : une déformation des économies
L’inflation aux États-Unis, comme en Europe, a fortement diminué depuis la fin de l’année 2022. Cependant, cette évolution n’est pas homogène : les prix des services augmentent plus rapidement que ceux des produits manufacturés. Cette divergence pourrait accélérer la tertiarisation des économies et poser un problème d’évaluation de l’inflation par les banques centrales.
Sur un an, en juin, les prix des produits manufacturés (hors énergie et alimentation) ont reculé de 1,8 % aux États-Unis et augmenté de 0,7 % dans la zone euro, tandis que ceux des services ont respectivement augmenté de 5 % et de 4,1 %.
Cet écart d’inflation n’est pas dû à la hausse des loyers, car même en les excluant, la hausse des prix demeure forte. Le coût des matières premières et de l’énergie ne l’explique pas non plus. Premièrement, les services consomment moins de matières premières et d’énergie que l’industrie. Leur récente augmentation aurait dû se traduire par une hausse des prix des produits manufacturés, or, ce n’est pas le cas. Ces derniers subissent en outre une augmentation du coût du fret maritime, ce qui n’affecte pas les services. Depuis le milieu de l’année 2023, le prix du fret a progressé de 60 % en lien avec les tensions internationales au Proche et Moyen-Orient.
Les services, au vu des gains de productivité, devraient normalement connaître une hausse plus modérée de leurs prix. Ce secteur enregistre, en effet, tant aux États-Unis qu’au sein de la zone euro, des gains de productivité supérieurs à ceux de l’industrie. Les entreprises industrielles ont maintenu leurs effectifs malgré les problèmes d’approvisionnement en matières premières ou en biens intermédiaires après la crise du COVID-19 ou le déclenchement de la guerre en Ukraine. La hausse des prix de l’énergie a également pu conduire à une réduction de leur production. Par crainte de ne pas pouvoir retrouver suffisamment de personnel en cas de reprise d’activité, elles ont renoncé à licencier, acceptant ainsi une dégradation de leur productivité.
La hausse des prix des services résulte principalement d’une demande plus forte que celle adressée à l’industrie. En 2020 et 2021, au plus fort de la pandémie de COVID-19, la demande de produits industriels était élevée (produits pharmaceutiques, matériel informatique pour le télétravail, etc.), mais elle a depuis diminué. Les indices PMI, ainsi que les données sur la production industrielle ou les taux d’utilisation des capacités de l’industrie manufacturière, en témoignent. Les taux d’utilisation des capacités de production s’élevaient au premier trimestre 2024 à 78 % aux États-Unis et dans la zone euro, contre plus de 82 % en 2019, avant la pandémie. La production industrielle est restée stable dans les deux grandes zones économiques depuis deux ans.
La progression plus rapide de la demande de services par rapport à celle des produits manufacturés s’inscrit dans une tendance de long terme, liée au vieillissement de la population. La demande de services de santé ou domestiques augmente avec l’âge de la population. De plus, plus le pouvoir d’achat de cette dernière est élevé, plus la consommation de services s’accroît. L’industrie elle-même se tertiarise. Le recours à la location se développe, que ce soit pour les voitures, les logiciels ou même le matériel électroménager. Les ménages consomment de plus en plus de services sous forme d’abonnement leur donnant accès à des biens matériels ou immatériels. Par ailleurs, les ménages ont tendance à maintenir leurs dépenses de loisirs au détriment des achats de biens manufacturés. Pendant la vague inflationniste, ils ont réduit leurs achats de biens, y compris alimentaires, mais ont accru leurs dépenses de services, en particulier de loisirs.
Compte tenu du vieillissement de la population, qui devrait se poursuivre au cours des trente prochaines années, et de l’évolution de la structure de la consommation, la demande de services devrait rester forte. L’inflation dans ce secteur pourrait donc rester élevée. Cela pourrait conduire à une déformation de l’économie, avec une hypertrophie des services au détriment de l’industrie. Cette situation serait liée à une rentabilité plus forte de la production de services par rapport à celle des biens. L’économie serait alors menacée par le syndrome hollandais. La déformation de la demande pourrait également poser des problèmes aux banques centrales, qui devront surveiller l’inflation des services plus attentivement qu’auparavant.
Excès d’offre ou de demande ?
En France, le débat sur la relance de la demande est récurrent. Il intervient notamment lors des élections ou en cas de crise économique. Ce fut le cas en 1976 après le premier choc pétrolier, en 1981 après le second, lors de l’élection présidentielle, après la crise du Covid en 2021, ou encore en 2024 durant la campagne législative. Ce débat répond souvent aux attentes de l’opinion publique concernant le pouvoir d’achat, plutôt qu’à des considérations économiques sur l’état de l’offre et de la demande. Si un pays se trouve en situation d’insuffisance de la demande (biens, services, et travail), sa stimulation par des politiques économiques expansionnistes est nécessaire ; en revanche, si un pays est en situation d’excès de demande, il convient d’augmenter l’offre de biens et services par l’investissement et l’augmentation du taux d’emploi.
Quelle est la situation de la France et de la zone euro en 2024 en matière d’offre et de demande ? Pour évaluer le rapport entre offre et demande, la balance courante est un indicateur pertinent. Un excédent de la balance courante révèle un excès d’offre de biens et services, tandis qu’un déficit de la balance courante indique un excès de demande.
La zone euro a enregistré un excédent de 3 % du PIB pour sa balance des paiements courants, ce qui indiquerait un excès d’offre. Cette situation concerne essentiellement l’Allemagne et les Pays-Bas. À l’inverse, la France serait en situation d’excès de demande avec un déficit de sa balance des paiements courants équivalant à un point de PIB. La France connaît un déficit commercial récurrent depuis 2003. Celui-ci s’est fortement accru ces dernières années, atteignant 164 milliards d’euros en 2022, avant de revenir à 99 milliards d’euros l’année dernière. Que ce soit en zone euro ou en France, la production industrielle stagne depuis deux ans, en lien avec la hausse des prix de l’énergie, des matières premières et des biens intermédiaires, ainsi qu’en raison de la faiblesse de la demande provoquée par la diminution du pouvoir d’achat durant la vague inflationniste.
En Europe et en France, plusieurs facteurs limitent la production : les difficultés de recrutement, l’insuffisance des équipements disponibles, et le coût de l’énergie. Le vieillissement démographique entraîne une faible augmentation, voire une diminution, de la population active dans certains pays. De nombreux secteurs d’activité peinent à recruter (hébergement, restauration, santé, bâtiment, etc.). La hausse des salaires est une des conséquences des pénuries de main-d’œuvre. Elle a atteint 4,5 % au sein de la zone euro au cours du premier trimestre 2024. En France, elle a été légèrement plus faible (3 %). Cet écart s’explique par la persistance d’un taux de chômage plus élevé en France qu’en zone euro. Le sous-investissement des quinze dernières années pèse également sur la production.
L’évolution des prix ne permet pas, en revanche, de conclure de manière définitive sur l’excès d’offre ou de demande. Les prix des produits manufacturés sont orientés à la baisse, ce qui pourrait indiquer un déficit de demande, tandis que ceux des services sont à la hausse, semblant prouver une forte augmentation de la demande.
La mise en place de politiques visant à atteindre un optimum économique est donc complexe. Une relance de la demande en France par une hausse du pouvoir d’achat pourrait entraîner une augmentation du taux d’épargne, déjà élevé, et une dégradation du déficit commercial. En 2019, les pouvoirs publics, pour apaiser le mouvement des Gilets jaunes, ont mis en œuvre un plan de 17 milliards d’euros visant, entre autres, à améliorer le pouvoir d’achat des ménages modestes. Or, ce plan n’a pas eu d’effet sur la consommation ; en revanche, le taux d’épargne a progressé. En France, toute relance entraîne un accroissement du déficit commercial en raison de l’incapacité du système productif à suivre la progression de la demande. En raison de la désindustrialisation, l’offre ne peut pas répondre à une augmentation de la demande. La politique économique devrait donc se concentrer sur l’amélioration des capacités et du positionnement de l’outil de production. Cette politique a comme inconvénients de nécessiter du temps et de ne pas répondre aux attentes d’augmentation du pouvoir d’achat. En Allemagne comme aux Pays-Bas, compte tenu de l’importance des excédents commerciaux, une relance de la demande pourrait être envisagée. Mais, comme en France, elle pourrait être freinée par la propension des ménages à épargner plutôt qu’à consommer. Pour contourner ce problème, certains économistes suggèrent de cibler les aides sur les populations les plus modestes.