13 juillet 2024

Coin de l’Economie – productivité – bilan France

États-Unis, Europe : une question de productivité

La question du pouvoir d’achat en France a été au cœur de la campagne électorale qui vient de s’achever. Le Nouveau Front Populaire a proposé une revalorisation des salaires et, en premier lieu, du SMIC dont le montant est fixé par l’État. En règle générale, en dehors du cas des salaires minimum, l’évolution des salaires dépend de celle de la productivité et des modalités du partage de la valeur ajoutée entre actionnaires et salariés. A la différence des États-Unis, l’Europe et, tout particulièrement, la France sont pénalisées par la disparition des gains de productivité depuis 2017.

De 2010 à 2023, la productivité par tête a progressé de 122 % aux États-Unis quand la hausse n’a été que de 5 % en zone euro où la productivité a décliné de 3 % depuis 2017, la baisse atteignant 5 % en France. Aux États-Unis, après avoir baissé de 2019 à 2022, la productivité est à nouveau en augmentation.

Cet écart entre les gains de productivité s’explique en partie par des dépenses d’investissement dans les nouvelles technologies et dans la Recherche-Développement, plus importantes aux États-Unis que dans la zone euro. Les dépenses d’investissement en technologies de l’information et de la communication, y compris logiciels, sont passées de 3,2 à 3,8 % du PIB aux États-Unis de 2002 à 2022,  contre respectivement 2,3 et 2,6 % en zone euro. En 2022, les dépenses totales de recherche et développement représentaient 3,6 % du PIB aux États-Unis, contre 2,3 % en zone euro. Si ces dépenses sont en hausse constante outre-Atlantique, elles stagnent voire déclinent sur le vieux continent depuis plusieurs années.

La divergence de la productivité entre les deux grands espaces économiques que sont les États-Unis et la zone euro ne sont pas sans conséquences. Depuis le début de l’année 2023, les coûts salariaux unitaires augmentent plus rapidement en zone euro qu’aux États-Unis (trois fois plus vite). L’inflation salariale persiste ainsi en Europe quand elle s’estompe aux États-Unis. La profitabilité des entreprises américaines tend à s’améliorer. Fin 2023, le ROE (Return on equity : le rapport entre le résultat net et les capitaux propres investis par les associés ou actionnaires de sociétés) était de 17 aux États-Unis, contre 10 en zone euro. Le ratio entre le prix du PIB et le coût salarial unitaire a progressé de 15 % aux États-Unis de 2010 à 2023, quand il est stable en zone euro. Cette rentabilité plus forte des entreprises américaines explique la progression plus rapide de leur valeur boursière. Contrairement à certaines allégations, les salaires réels augmentent plus vite aux États-Unis que dans les pays européens. Le salaires réel moyen américain a progressé de 14 % de 2013 à 2023, contre +7,8 % en Allemagne, +5,7 % au Royaume-Uni et +5,2 % en France. Les écarts de revenus qui s’étaient accrus durant les années 2000 et 2010 tendent à se réduire légèrement outre-Atlantique depuis l’arrivée de Joe Biden à la Présidence en 2020. Par ailleurs, selon des données de Statista et du US Census Bureau, près de 45 % des ménages aux États-Unis avaient un revenu annuel total en 2022 situé entre 50 000 et 149 999 dollars américains. Le pourcentage de ménages gagnant plus de 100 000 dollars par an a augmenté de manière significative au cours des dernières décennies, passant de 15,2 % en 1980 à environ 30,7 % en 2020.

La plus forte rentabilité du capital aux États-Unis conduit les investisseurs à privilégier ce pays au détriment de l’Europe. Les entrées de capitaux chez les premiers représentent, selon les années, 3 à 5 % du PIB quand pour l’Europe, le solde en moyenne période est négatif. Les taux d’intérêt plus élevés aux États-Unis favorisent également les placements dans ce pays. Le taux d’intérêt des obligations d’État à 10 ans est de 4,5 % en juin 2024 aux États-Unis, contre 3 % en zone euro. Les investissements aux États-Unis provoquent une appréciation du dollar vis-à-vis de la plupart des devises.

Les flux de capitaux en faveur des États-Unis favorisent les créations d’emploi et l’augmentation de la masse salariale. Tant que ces entrées massives de capitaux de non-résidents continuent, les États-Unis n’ont ni problème de financement de leur déficit extérieur ni problème de financement de leur déficit public qui sont pourtant, l’un et l’autre, importants. La balance courante des États-Unis était, en 2023, déficitaire de 3,5 % du PIB et le déficit public de plus de 7 % du PIB. En 2023, la zone euro dégageait un excédent de 2 % pour la balance des paiements courants, le déficit public étant de 3 % du PIB

Les gains de productivité aux États-Unis permettent des revalorisations salariales non inflationnistes. Ils sont à l’origine d’une profitabilité plus forte des entreprises américaines. Les investisseurs privilégient les États-Unis par rapport à la zone euro ce qui induit un surcroît d’investissement et de croissance. L’attractivité des États-Unis sur l’Europe contribue à la divergence des économies. L’Europe est condamnée à réduire autant que possible son déficit public quand les États-Unis peuvent accumuler déficit public et déficit de la balance des paiements courants.

Quel bilan économique pour le septennat d’Emmanuel Macron ?

Les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet marquent la fin d’un septennat de majorité absolue puis relative soutenant Emmanuel Macron. En sept ans, cette majorité a traversé de nombreuses crises, Gilets jaunes, covid, Ukraine, inflation. En 2017, elle a mis en œuvre une politique visant à favoriser l’offre. Face à ces multiples chocs, elle a opté pour une politique de plus interventionniste qui s’est traduite par une augmentation du déficit public et de l’endettement. Sur le plan économique, cette période a été marquée par la baisse de la taxation du capital, la libéralisation relative du marché du travail, la réforme de l’apprentissage, le report de l’âge légal de départ à la retraite, la mise en œuvre d’une politique industrielle interventionniste. Cette politique a été supervisée par un seul et même ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui a battu ainsi un record de longévité à Bercy.

Afin de favoriser l’investissement dans les entreprises et de rassurer les investisseurs, Emmanuel Macron a réduit la taxation du capital en instituant le prélèvement forfaitaire unique, en supprimant l’impôt sur la fortune sur les placements financiers et en poursuivant le processus de baisse de l’impôt sur les sociétés.

Cercle de l’Épargne – données Commission européenne

Après plusieurs années de recul, entre 2012 et 2017, le montant des investissements directs en provenance de l’étranger a augmenté, refaisant de la France un des pays les plus attractifs de l’Union européenne. En 2023, la France ainsi conservé, pour la cinquième année consécutive, son rang de premier pays d’Europe pour l’accueil des investissements directs étrangers. Avec 1 194 projets d’implantation ou d’extension annoncés en 2023 (-5 % par rapport à 2022), la France devance le Royaume-Uni (985 projets, +6 %) et l’Allemagne (733, -12 %).

Durant sept ans, l’ancienne majorité a pris de nombreuses mesures afin d’améliorer le taux d’emploi qui était particulièrement faible en France. La réforme de l’assurance chômage et le report de l’âge de départ à la retraite constituent les deux principaux axes de cette politique. Le taux d’emploi a atteint 68 % en France, son plus haut niveau jamais enregistré. Il a progressé de 3 points en sept ans mais reste inférieur de 10 points à celui de l’Allemagne.

Cercle de l’Épargne – données OCDE

Le taux d’emploi des 60 à 64 ans est passé de 28 à 40 % entre 2017 et 2023. Ce taux reste inférieur à la moyenne européenne. En 2018, la réforme de l’apprentissage a conduit à une forte augmentation du nombre d’apprentis, en lien également avec le montant des aides en faveur des contrats en alternance.

Cercle de l’Épargne – données INSEE

Depuis le covid, la politique économique de l’ex-majorité présidentielle était devenue de plus en plus interventionniste avec de nombreuses mesures de soutien aux entreprises : aides publiques à l’investissement dans les industries stratégiques (batteries électriques, médicaments, semi-conducteurs) ; aides publiques aux industries du futur (espace, ordinateurs quantiques, intelligence artificielle…). Ces politiques ont favorisé la hausse du taux d’investissement des entreprises qui est plus élevé, aujourd’hui, en France que dans les autres grands pays de la zone euro. De 2010 à 2023, le taux d’investissement des entreprises est passé de 11,8 à 15 % du PIB en France. L’année dernière, le taux d’investissement des entreprises représentait 11 % du PIB en Italie et 12 % en Allemagne. Après des années de recul, la valeur ajoutée dans l’industrie manufacturière s’est stabilisée au sein du PIB autour de 10 % du PIB en 2023. L’emploi industriel a connu le même sort (9 % de la population en emploi). Le secteur de l’industrie a renoué depuis deux ans avec les créations d’emploi.

Dans d’autres domaines, l’ancienne majorité n’a pas obtenu les résultats escomptés. Le système éducatif français demeure toujours à la peine comme en témoignent les derniers résultats de l’enquête PISA de l’OCDE. Le recul du niveau des compétences dans les matières scientifiques est préoccupant compte tenu de la volonté des pouvoirs publics de réindustrialiser le pays.

Cercle de l’Épargne – données OCDE

Si le taux d’investissement des entreprises françaises est en hausse depuis des années, celui en nouvelles technologies demeure nettement insuffisant. Il s’élève, en 2023, à 0,6 % du PIB, contre 1,6 % du PIB aux États-Unis. Depuis plusieurs années, les dépenses de recherche & développement stagnent en France, autour de 2 % du PIB, quand elles augmentent aux États-Unis. Elles sont passées dans ce pays de 2,8 à 3,6 % du PIB de 2010 à 2023. La faiblesse des dépenses dans l’innovation et la recherche contribue au recul de la productivité par tête depuis 2019, plus de 3 points en quatre ans.

La question du logement constitue un autre point d’alerte. L’insuffisance chronique de l’offre de logements conduit à des prix élevés de l’immobilier et à un prélèvement anormalement fort sur le revenu des ménages. En vingt ans, le prix des logements ancien a doublé. La politique du logement qui n’a pas été réellement modifiée, ces sept dernières années, concentre les aides sur le soutien à la demande et non sur l’offre. La fiscalité favorise étrangement les locations saisonnières, ce qui assèche le marché locatif traditionnel. Plus de 800 000 logements sont proposés sur les plateformes de locations saisonnières sur un total de 30 millions de logements.

La faiblesse de la croissance, en lien avec la disparition des gains de productivité, a pesé sur les marges de manœuvre des entreprises pour améliorer le pouvoir d’achat. Depuis une dizaine d’années, ce sont les pouvoirs publics qui sont bien souvent à l’origine des améliorations de revenus (primes Macron, réduction des charges sociales sur les salaires, baisse de l’impôt sur le revenu pour les ménages modestes, suppression de la taxe d’habitation, suppression de la redevance audiovisuelle, etc.). Malgré les différentes crises subies par la France depuis 2019, le niveau de vie des ménages ne s’est pas détérioré. Mais le ressenti est tout autre. La population ne porte, par ailleurs, aucunement au crédit de l’ancienne majorité les diverses mesures de soutien prises,  du « quoi qu’il en coûte » à celles visant à réduire la facture énergétique durant la vague inflationniste. La baisse du chômage qui a retrouvé, en 2023, un niveau inconnu depuis le début des années 1980 n’a pas été perçue de manière positive par l’opinion publique. Ce phénomène n’est pas spécifique à la France ; aux Etats-Unis, le Président Joe Biden éprouve les pires difficultés à communiquer sur son bilan qui, en termes économiques, est plutôt bon.