Coin de l’économie – stagflation – croissance – zone euro
Vers la stagflation ?
Les marchés financiers anticipent la poursuite d’une forte baisse de l’inflation et des taux d’intérêt dans la zone euro.
Ce scénario, que la Banque centrale européenne souhaite voir se réaliser, pourrait néanmoins être remis en cause par l’absence de gains de productivité, le vieillissement démographique et la transition écologique.
Une baisse réelle de l’inflation
D’octobre 2022 à septembre 2023, l’inflation est passée de 10,6 % à 1,8 %. La vague inflationniste générée par la crise du Covid et la guerre en Ukraine a été maîtrisée, notamment grâce au relèvement rapide des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) à partir de juillet 2022. Le taux de la facilité de dépôt est ainsi passé de -0,5 % en juin 2022 à 4 % en septembre 2023. Avec la baisse de l’inflation, la BCE a abaissé ses taux à deux reprises. Le taux de dépôt est ainsi revenu à 3,5 % en septembre 2024.
Les investisseurs anticipent, dans la zone euro, la poursuite de la baisse de l’inflation et des taux d’intérêt. Ces anticipations se matérialisent par les swaps d’inflation à 5 ans dans 5 ans. En octobre 2024, leur taux est de 2,1 %. Les prévisions des taux à court et long terme montrent clairement que les investisseurs estiment que l’inflation avoisinera les 2 % dans les prochaines années.
Plusieurs facteurs inflationnistes
Le vieillissement démographique est un facteur important d’inflation. Avec la diminution du nombre d’actifs, les pénuries de main-d’œuvre se multiplient, entraînant une augmentation des salaires. La population âgée de 15 à 64 ans est en baisse dans la zone euro depuis 2012. D’ici 2030, cette diminution variera entre 0,2 % et 0,8 % par an. Moins d’actifs et plus de retraités signifient également une hausse de la demande de services à la personne, un secteur par nature inflationniste, car les coûts de production sont majoritairement composés de salaires.
La diminution de la population active pourrait être compensée par des gains de productivité. Cependant, ces derniers sont en baisse depuis 2019. Cette tendance s’explique notamment par la faiblesse des dépenses en recherche et développement, qui représentaient en 2023 2,4 % du PIB en zone euro, contre 3,5 % aux États-Unis. De plus, les investissements en technologies de l’information et de la communication atteignent 3 % du PIB en zone euro, contre 4,8 % aux États-Unis.
L’attrition de la population active pourrait être atténuée par un recours accru à l’immigration. Toutefois, dans la majorité des pays de la zone euro, les populations s’y opposent.
La transition écologique est également une source potentielle d’inflation, les énergies renouvelables étant plus coûteuses que les énergies conventionnelles. La réalisation d’infrastructures (éoliennes, panneaux solaires), la modernisation des réseaux, la substitution des équipements (voitures électriques) et le maintien des capacités de production électrique classiques et des réserves (batteries) pour pallier l’intermittence des énergies renouvelables expliquent ce surcoût.
Une inflation sous-jacente qui résiste
En ce début d’automne, l’inflation est revenue, en Europe, autour de 2 %, mais l’inflation sous-jacente, hors énergie et produits alimentaires transformés, demeure à 3 %, en raison de la hausse des services, liée à celle des salaires. Les prix des services augmentent de près de 4 % par an. Cette persistance de l’inflation s’explique par l’absence de gains de productivité et les tensions sur le marché du travail. Face à l’augmentation de leurs coûts, les entreprises sont contraintes de relever leurs prix ou d’accepter une érosion de leurs marges, ce qui nuit à la croissance.
Une croissance potentielle faible
La croissance potentielle de la zone euro (croissance moyenne sur une longue période, hors aléas conjoncturels) est faible, autour de 1 %, en raison du déclin démographique et des faibles gains de productivité. La BCE pourrait donc être confrontée à une situation de stagflation, caractérisée par la coexistence de l’inflation et de la stagnation économique. Cette situation est délicate pour une banque centrale, car elle doit à la fois stimuler et freiner l’économie. Pour soutenir l’activité, elle doit baisser ses taux, mais pour la refroidir, elle doit les augmenter. Ainsi, la BCE pourrait être contrainte de baisser ses taux moins fortement que prévu. L’objectif de 1,8 % pour 2025 pourrait donc être légèrement revu à la hausse.
Aux fondements de la panne de croissance de la zone euro
La zone euro est confrontée à une léthargie économique qui sape les fondements de ses sociétés et obère les moyens financiers de nombreux États, notamment la France et l’Italie. En 2023, la croissance du PIB de la zone euro n’a été que de 0,5 %, et selon les prévisions, elle atteindra 0,8 % en 2024, tandis qu’aux États-Unis, la croissance a été de 2,5 % en 2023 et devrait rester à ce niveau en 2024. Cette situation n’est pas nouvelle, mais la divergence entre ces deux grandes régions économiques tend à s’accroître.
La faiblesse de la croissance dans la zone euro s’explique d’abord par des causes structurelles : vieillissement démographique, absence de gains de productivité, perte de compétitivité industrielle entraînant une diminution des parts de marché à l’exportation et de la production manufacturière. Elle est également due à des causes conjoncturelles : hausse du taux d’épargne des ménages, faiblesse de l’investissement des entreprises, recul de l’investissement immobilier, et des politiques budgétaires restrictives.
Faiblesse de la croissance dans la zone euro
Depuis 2002, le PIB de la zone euro n’a augmenté que de 28 %, tandis que celui des États-Unis a progressé de 62 %. Si, depuis 2003, les États-Unis obtiennent de meilleurs résultats que l’Europe, l’écart s’est particulièrement creusé entre 2009 et 2023.
Le déficit de croissance de la zone euro s’explique principalement par trois facteurs structurels : le vieillissement démographique, l’absence de gains de productivité et la perte de compétitivité industrielle.
Le déclin démographique de la zone euro
La population en âge de travailler augmente aux États-Unis, alors qu’elle diminue en Europe. En moyenne, sans tenir compte de l’immigration illégale, la population âgée de 15 à 64 ans a augmenté de 0,5 % par an aux États-Unis entre 2009 et 2023, tandis qu’elle a diminué de 0,2 % en zone euro.
Un écart de productivité préoccupant
Entre 2002 et 2024, la productivité par tête a progressé de 42 % aux États-Unis, contre seulement 10 % en zone euro. Cet écart s’explique principalement par la faiblesse des dépenses en recherche et développement en Europe. En 2023, elles représentaient 2,2 % du PIB dans la zone euro, contre 3,5 % aux États-Unis. L’investissement dans les nouvelles technologies est également faible en zone euro, avec 2,8 % du PIB contre 5,8 % aux États-Unis.
Une perte de compétitivité
De 2005 à 2024, les exportations de biens et services ont progressé de 100 % en zone euro, contre 145 % aux États-Unis. Depuis 2021, la production manufacturière de la zone euro a chuté de 10 %. Cette perte de parts de marché s’explique par les mêmes facteurs que le déficit de productivité : l’insuffisance des dépenses en recherche et développement et des investissements dans les nouvelles technologies.
Facteurs comportementaux
La zone euro est également handicapée par certains choix microéconomiques. Les ménages européens privilégient l’épargne au détriment de la consommation. Ces cinq dernières années, ils ont accru leur épargne de précaution face à la succession des crises. Aux États-Unis, bien que les ménages aient également constitué une cagnotte pendant les confinements, celle-ci a été entièrement dépensée. En Europe, les ménages ont un faible niveau de confiance dans l’avenir et s’inquiètent de leur niveau de vie à la retraite. En revanche, les Américains restent plus optimistes et maintiennent leur comportement de consommation. Le taux d’épargne des ménages en zone euro est de 15 % du revenu disponible brut, contre 8 % aux États-Unis. La nature de l’épargne diffère également : les Européens privilégient l’épargne liquide investie dans des produits de taux, tandis que les Américains investissent davantage dans les actions et les cryptoactifs. Aux États-Unis, l’épargne finance directement l’économie, tandis qu’en Europe, les banques jouent un rôle d’intermédiation pour transformer les liquidités. Cette hausse du taux d’épargne des ménages en Europe pourrait être liée à leur pessimisme concernant la situation économique ou à une anticipation de la réduction future des déficits publics.
La faible croissance européenne s’explique aussi par une insuffisance de l’investissement, ce qui pèse sur les capacités de production et les gains de productivité. En 2023, le taux d’investissement des sociétés non financières s’élevait à 12 % du PIB en zone euro, contre près de 15 % aux États-Unis. Les entreprises américaines investissent davantage dans les hautes technologies que leurs homologues européennes.
Politiques budgétaires restrictives
Les politiques budgétaires de la zone euro sont globalement restrictives sur le long terme. Cette observation ne s’applique pas à la France, dont le déficit public devrait dépasser 6 % du PIB en 2024. En revanche, en moyenne, le déficit public de la zone euro se situe entre 0,5 % et 3 % du PIB (hors période Covid), bien en deçà de celui des États-Unis. Cette situation est en grande partie due à l’Allemagne, qui cherche à respecter des règles budgétaires nationales strictes, visant l’équilibre budgétaire.