31 janvier 2025

Coin des tendances – Arctique – Intelligence artificielle

L’Arctique : le nouvel Eldorado

Le réchauffement de la planète pourrait être une source de revenus en révolutionnant le transport maritime. L’Arctique se réchauffe quatre fois plus vite que le reste du monde, et la banquise se réduit d’une superficie équivalente à celle de l’Autriche chaque année. Depuis les années 1980, le volume de glace a diminué de 70 %. Le premier jour sans glace en Arctique pourrait survenir avant 2030. Ce recul de la glace permettra de revoir la carte des routes maritimes entre les continents. La fonte des glaciers facilitera l’extraction de minéraux, au moment même où les besoins sont en constante augmentation. Le réchauffement des eaux pourrait également favoriser la reproduction des poissons dans les mers du Nord. Une eau riche en nutriments stimulerait la croissance des populations, tandis que le recul des glaces ouvrirait de nouveaux territoires et prolongerait les saisons de pêche. Le maquereau n’est arrivé au large du Groenland qu’en 2011. En 2024, ce poisson gras représentait 23 % des recettes d’exportation totales de l’île.

Les grandes puissances économiques se préparent à cette révolution. La Chine a établi un record mondial en dévoilant un navire cargo de 58 000 tonnes, adapté aux pôles. Donald Trump envisage d’acheter le Groenland, tant pour y installer de nouvelles bases militaires que pour s’approprier les ressources naturelles de cette île. Si le Grand Nord est convoité, il reste encore difficile d’accès et, en l’état actuel, les coûts d’exploitation des minerais sont prohibitifs. En décembre dernier, la Norvège a suspendu ses projets d’exploitation minière en eaux profondes, tout comme la Russie.

Le gain le plus important généré par la fonte des glaces est l’ouverture de nouvelles voies de navigation. La première, baptisée Route maritime du Nord (RMN), longe la côte russe pour relier la mer de Barents au détroit de Béring. Une deuxième, le Passage du Nord-Ouest (PNO), passe par le littoral arctique nord-américain, la mer de Beaufort et la baie de Baffin. Enfin, la troisième est la Route maritime transpolaire (RTP), qui traverse le pôle Nord. Ces trois voies pourraient raccourcir les trajets entre l’Asie, l’Amérique du Nord et l’Europe, les trois principales zones économiques mondiales. Elles permettraient d’économiser du carburant et des salaires, tout en évitant les goulets d’étranglement au niveau des canaux de Panama et de Suez. En passant par le Nord, les navires ne s’acquitteraient plus de droits de passage onéreux et éviteraient des zones de conflit.

L’ouverture des nouvelles routes maritimes n’est pas encore programmée, mais déjà, les États s’opposent sur d’éventuels droits de passage. Le Canada estime que la route traversant l’archipel arctique se trouve dans ses eaux territoriales, tandis que les États-Unis et l’Union européenne affirment qu’elle relève des eaux internationales. Cette route présente l’inconvénient d’être peu profonde et, de ce fait, dangereuse. La route transpolaire, qui traverse l’océan Arctique central, bénéficie d’eaux profondes et évite les eaux territoriales. Elle offre la traversée la plus courte entre l’Atlantique Nord et le Pacifique. Ses promoteurs prévoient que des milliers de navires feront chaque année la navette entre l’Amérique du Nord et l’Asie, avec une escale à Dutch Harbour en Alaska. Même lorsque la glace aura disparu, la route restera jonchée d’icebergs, ce qui la rendra navigable uniquement par des brise-glaces. L’hypothèse de milliers de navires empruntant cette voie ne se concrétisera sans doute pas avant 2050. En été, cette route est déjà accessible aux navires équipés contre les glaces. Certaines sections sont même navigables toute l’année avec l’aide d’une escorte de brise-glace. Le trafic augmente néanmoins chaque année depuis 2005. En 2024, un record de 92 navires a emprunté la route transpolaire, contre 19 en 2016.

La Russie est potentiellement le pays le plus intéressé par l’ouverture de la route transpolaire, qui lui permettrait de transporter plus rapidement ses ressources naturelles vers l’Asie ou l’Europe. Après l’invasion de l’Ukraine, cette route vise non plus à approvisionner l’Europe en gaz, pétrole ou minéraux, mais à alimenter l’Asie. Elle pourrait également capter une partie du trafic reliant l’Asie à l’Europe. Elle ne devrait cependant pas être empruntée par les porte-conteneurs, qui effectuent généralement des escales dans le Golfe ou en Asie du Sud-Est. Les conditions climatiques difficiles en mer du Nord risquent également de perturber la logistique du juste-à-temps, essentielle au commerce moderne de marchandises. Toutefois, cette route réduit la distance entre Rotterdam et Shanghai de 5 000 km, soit 25 %, ce qui pourrait faire passer le temps de trajet de 30 à 14 jours. Son ouverture à l’année pourrait accroître de 6 % le commerce global entre l’Asie et l’Union européenne, selon l’économiste de l’Organisation mondiale du commerce Eddy Bekkers.

L’Arctique représente également une source potentielle d’énergie et de minéraux. La région contiendrait 13 % des réserves mondiales de pétrole non découvert et 30 % du gaz naturel inexploité. L’exploitation de ces ressources est cependant complexe et coûteuse. Le développement des gisements aux États-Unis et dans d’autres pays rend peu probable l’exploitation des réserves de l’Arctique. L’espoir repose plutôt sur les minéraux « verts », rendus plus accessibles par le réchauffement climatique. Parmi eux figurent le cobalt, le graphite, le lithium et le nickel, indispensables à la fabrication des batteries des voitures électriques. L’Arctique renfermerait d’importantes réserves de zinc, utilisé dans les panneaux solaires et les éoliennes, ainsi que de cuivre, nécessaire à diverses applications électriques. De nombreuses terres rares y seraient également présentes, tout comme le titane, le tungstène et le vanadium, nécessaires à la fabrication de superalliages. Le Groenland semble particulièrement bien doté en ressources : l’île possède des réserves de 43 des 50 minéraux jugés « critiques » par le gouvernement américain. Ses réserves connues de terres rares s’élèvent à 42 millions de tonnes, soit environ 120 fois la production mondiale de 2023. La majorité des minéraux de l’Arctique n’ont toutefois pas encore été cartographiés en détail. L’Agence internationale de l’énergie estime que le marché mondial de ces minéraux doublera de valeur d’ici 2040, si les pays respectent leurs engagements climatiques. Les pays occidentaux cherchent également à diversifier leurs approvisionnements pour réduire leur dépendance à la Chine, qui domine actuellement l’offre mondiale. L’exploitation en Arctique pourrait néanmoins prendre au moins une décennie, compte tenu des défis techniques à surmonter.

Les entreprises minières utilisent l’intelligence artificielle pour analyser les données historiques et scientifiques afin d’identifier les gisements et accélérer les opérations. Des plateformes capables de supporter la glace, des véhicules miniers autonomes, des drones de levage lourd et d’autres technologies sont en cours de développement pour s’adapter aux conditions extrêmes de l’Arctique. Alors que Donald Trump lorgne sur le Groenland, une seule mine y est actuellement exploitée. Ouverte en 2013, la mine Lumina avait initialement obtenu une licence pour produire une forme raffinée d’anorthosite, une roche claire utilisée dans la fibre de verre et la peinture. Cependant, le matériau était trop délicat à expédier, obligeant l’entreprise à construire un port en eau profonde et à obtenir l’accord des autorités locales pour exporter la roche sous une forme plus brute. La production devrait atteindre 210 000 tonnes en 2025, contre 35 000 en 2019. La mine repose sur un gisement estimé à 4 milliards de tonnes.

Au cours de l’histoire récente, l’Arctique a été un lieu stratégique pour l’implantation de garnisons, d’appareils d’espionnage et d’armes nucléaires. De nombreux obstacles pourraient empêcher sa transformation en eldorado moderne. L’absence de coopération entre États risque de freiner les avancées, mais les enjeux économiques et géopolitiques sont tels que ces territoires seront fortement convoités dans les prochaines années.

Après la guerre, la porte des étoiles

Le 23 mars 1983, Ronald Reagan avait annoncé un programme technologique baptisé «Initiative de défense stratégique (IDS)» ou «guerre des Étoiles» dont l’objectif était de protéger les États-Unis des armes nucléaires adverses par un «bouclier spatial» détectant et détruisant les missiles balistiques ennemis dès leur lancement. Le 21 janvier 2025, Donald Trump, converti aux nouvelles technologies par Elon Musk, a lancé un plan investissement de plus de 500 milliards de dollars dans les infrastructures américaines d’intelligence artificielle (IA), baptisé « Stargate ». Ce dernier constitue l’une des priorités de son second mandat, avec pour objectif de renforcer le rôle des États-Unis dans les technologies de pointe. La présentation, par la startup chinoise DeepSeek, d’un robot conversationnel capable de concurrencer ChatGPT d’OpenAI à moindre coût a prouvé qu’aucune position n’est définitivement acquise. La nouvelle administration américaine est convaincue que la bataille de l’IA ne fait que commencer.

La nomination de Jacob Helberg comme sous-secrétaire à la croissance économique, ancien conseiller de Palantir, une entreprise américaine de logiciels, symbolise l’orientation antichinoise de Donald Trump. Pour le nouveau sous-secrétaire, il est impératif que les États-Unis remportent la course aux armements de l’intelligence artificielle face à la Chine. Sur ce sujet, Donald Trump est pris entre deux feux. Il peut soit poursuivre l’approche de l’administration Biden, qui a multiplié les restrictions à l’exportation de matériels sensibles pour préserver l’avance américaine en matière d’IA, soit favoriser la liberté des entreprises technologiques américaines afin qu’elles puissent, grâce à leurs recettes d’exportation, continuer à innover.

Dans la Silicon Valley, les partisans d’une limitation des échanges avec la Chine estiment que les entreprises de ce pays ne respectent pas les droits de propriété intellectuelle américains, ce qui leur permet de progresser rapidement dans le développement de modèles linguistiques de grande taille (LLM). Ils soutiennent que les entreprises technologiques chinoises ont contourné les contrôles à l’exportation des semi-conducteurs américains, soit en achetant des unités de traitement graphique (GPU) sur le marché noir, soit en louant des capacités sur les serveurs cloud d’autres pays. De plus, la Chine serait en avance sur les États-Unis dans l’intégration de l’IA à la technologie militaire, ce qui justifie, selon eux, un renforcement des restrictions pour des raisons de sécurité nationale.

Donald Trump devra prochainement se prononcer sur le « cadre pour la diffusion de l’intelligence artificielle » mis en place par l’administration Biden, publié pour consultation, quelques jours avant le départ de ce dernier. Ce cadre impose des conditions strictes en matière de licences pour l’exportation de GPU avancés ainsi que pour l’accès aux données sous-tendant les LLM de pointe. Son application compliquerait la construction de grands centres de données dans certains pays, y compris pour certains alliés des États-Unis au Moyen-Orient et en Asie. Ses défenseurs, y compris certains Républicains au Congrès, espèrent qu’il limitera l’accès de la Chine à la technologie américaine et enverra un signal clair aux autres nations : celles qui souhaitent bénéficier de l’infrastructure américaine en IA devront éviter toute coopération avec Pékin.

Nvidia, entreprise leader dans la fabrication de semi-conducteurs, qui vend des GPU en Chine, considère ce cadre comme « mal avisé », estimant qu’il est excessivement restrictif et nuira à l’innovation américaine. Certains experts ajoutent que priver les pays tiers d’un accès à l’IA américaine pourrait les inciter à se rapprocher de la Chine.

Les entreprises technologiques réclament avant tout une déréglementation pour améliorer leur rentabilité et investir davantage dans l’innovation. Dans cette optique, Donald Trump a annulé le décret exécutif de Joe Biden de 2023 qui obligeait les créateurs de LLM avancés à partager des informations avec le gouvernement américain. Les observateurs du secteur technologique à Washington s’attendent à ce que la nouvelle administration adopte une approche « sectorielle ». Plutôt que d’instaurer une réglementation générale sur l’IA, les agences fédérales superviseraient son usage dans leurs domaines respectifs.

Les dépenses militaires pourraient également favoriser l’innovation dans l’IA. Actuellement, les États-Unis n’allouent qu’une infime partie de leur budget de défense de 850 milliards de dollars au développement de l’IA. Les dirigeants de la Silicon Valley espèrent que l’administration Trump fera appel aux startups pour concevoir des armes et des systèmes d’IA dédiés à la défense.

Par ailleurs, Mohammed ben Salman (« MBS »), le prince héritier d’Arabie saoudite, a promis à Donald Trump d’injecter au moins 600 milliards de dollars sur quatre ans dans l’économie américaine, sous forme d’investissements ou d’achats réalisés par le fonds souverain saoudien. Ce montant représente plus de la moitié du PIB saoudien et près des deux tiers des réserves du fonds, alimenté par les recettes pétrolières du pays. Ce fonds entretient des liens de longue date avec Donald Trump ; il avait notamment investi près de deux milliards de dollars dans la société de Jared Kushner, son gendre.

L’intelligence artificielle devient de jour en jour un enjeu majeur d’une bataille géopolitique avec la Chine. Le projet « Stargate » s’inscrit dans la volonté de Donald Trump de maintenir la domination américaine dans ce secteur stratégique. Cependant, l’administration devra arbitrer entre sécurité nationale et liberté économique, entre restriction des échanges avec la Chine et nécessité pour les entreprises technologiques américaines d’accéder aux marchés mondiaux. Une question demeure : ces investissements permettront-ils aux États-Unis de conserver leur avance ou favoriseront-ils la fragmentation du développement technologique mondial, avec une accélération de la concurrence chinoise ? Pour conserver la place de n°1 de la haute technologie, Donald Trump entend mobiliser ses alliés ou les contraindre à le suivre dans sa lutte contre la Chine.