18 octobre 2024

Coin des tendances – Canada – finances publiques France – environnement et protectionnisme

Le Canada en situation décrochage

Les économies du Canada et des États-Unis sont étroitement liées. Chaque jour, les échanges commerciaux entre les deux pays représentent environ 2 milliards de dollars, et 400 000 personnes traversent leur frontière commune. Pendant longtemps, les deux économies ont évolué à un rythme similaire. Entre 2009 et 2019, le PIB américain a augmenté de 27 %, tandis que celui du Canada a progressé de 25 %. Pourtant, depuis la pandémie, une divergence apparaît. D’ici la fin de 2024, l’économie américaine devrait être 11 % plus riche qu’elle ne l’était cinq ans auparavant, alors que celle du Canada n’aura progressé que de 6 %. La différence est encore plus marquée si l’on tient compte de la croissance démographique. Le FMI prévoit que le revenu national par habitant du Canada, équivalent à environ 80 % de celui des États-Unis avant la pandémie, ne représentera que 70 % de celui de son voisin en 2025, soit le niveau le plus bas depuis plus de quarante ans. Si les dix provinces et les trois territoires du Canada formaient un État américain, ils seraient passés d’un niveau légèrement supérieur à celui du Montana, le neuvième État le plus pauvre des États-Unis, à un niveau légèrement inférieur à celui de l’Alabama, le quatrième État le plus pauvre. Le Canada suit désormais un rythme de croissance comparable à celui de l’Europe, plutôt qu’à celui des États-Unis.

Le Canada a subi une récession plus profonde que les États-Unis après l’apparition de la Covid, en partie à cause de confinements plus stricts et plus longs. Son PIB a chuté de 5 % en 2020, contre 2,2 % aux États-Unis. Le rebond a été légèrement plus faible au Canada qu’aux États-Unis. Entre 2019 et 2022, le PIB canadien a progressé de 4 %, contre 5 % pour celui des États-Unis. Depuis, l’écart s’est creusé. Le Canada ne tire que partiellement profit du dynamisme de son voisin, les Américains achetant moins de produits canadiens qu’auparavant. De plus, la demande intérieure canadienne est pénalisée par la hausse des taux d’intérêt. Au Canada, la majorité des prêts hypothécaires sont fixés à cinq ans, ce qui les rend plus sensibles aux variations de taux. Aux États-Unis, les échéances sont souvent à trente ans, ce qui amortit ces fluctuations. Une grande partie des Canadiens ont donc vu leurs mensualités hypothécaires augmenter. Cette situation est d’autant plus difficile que les ménages canadiens sont plus endettés que ceux des autres pays du G7, consacrant en moyenne 15 % de leurs revenus au remboursement de leurs dettes, soit un point de pourcentage de plus qu’en 2019.

La baisse de la croissance canadienne s’explique également par les mauvais résultats du secteur pétrolier. Représentant 16 % des exportations du pays, ce secteur a vu ses investissements diminuer depuis 2014. Aux États-Unis, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les investisseurs ont financé de nouveaux gisements, faisant grimper la production américaine de près de 25 % depuis 2022, contre une hausse de 11 % au Canada.

Le Canada fait également face à une diminution de la productivité qui freine sa croissance. Sur ce point, le pays ressemble davantage à l’Europe qu’aux États-Unis, qui ont bénéficié de l’essor des technologies de l’information et de la communication. Depuis la pandémie, le PIB par habitant du Canada a progressé plus lentement que celui de tous les autres pays du G7, à l’exception de l’Allemagne.

Le Canada pourrait compenser ce manque de productivité par une immigration forte. Entre 2014 et 2019, sa population a crû deux fois plus rapidement que celle des États-Unis. Le pays a prouvé ces dernières décennies une grande capacité d’intégration des populations étrangères. En 2024, le Canada a connu sa plus forte croissance démographique depuis 1957. Cependant, de nombreux arrivants sont classés comme « résidents temporaires », notamment des travailleurs peu qualifiés et des étudiants. Les nouveaux immigrés sont globalement moins qualifiés que les précédents et rencontrent davantage de difficultés à trouver un emploi. Ainsi, le taux de chômage au Canada est passé de 5,1 % en avril 2023 à 6,6 % en août 2024.

Pour relancer l’économie, la banque centrale du Canada a réduit ses taux d’intérêt à trois reprises en 2024, les faisant passer de 5 % en mai à 4,25 %. Des restrictions à l’immigration ont été introduites, incluant un plafond pour les étudiants internationaux, Cependant, ces mesures ne résoudront probablement pas le problème chronique de productivité du Canada. Malgré le ralentissement de la croissance, le gouvernement canadien a maintenu des dépenses publiques modérées, avec un déficit public ne représentant que 1,1 % du PIB en 2023, contre 7 % aux États-Unis.

L’environnement au service du protectionnisme

Dans le cadre des plans de développement, l’industrialisation est fréquemment mise en avant. Ainsi, après la guerre civile des années 1970/1990, le Mozambique a bénéficié d’aides internationales afin de reconstruire son industrie d’aluminium. L’entreprise en charge de la fonderie de Mozal est ainsi devenue le plus grand employeur industriel. Cette activité est aujourd’hui remise en cause par la volonté des pays de l’OCDE de décarboner leurs économies et de protéger leur production nationale. Plus de la moitié des exportations d’aluminium du Mozambique sont destinées à l’Union européenne (UE). Or, à partir de 2026, les importateurs d’aluminium devront payer une taxe dans le cadre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), un système conçu en vue d’imposer à certaines importations à forte intensité énergétique vers l’UE le paiement du même prix du carbone que l’industrie européenne. Actuellement, le CBAM est encore en phase de préparation ; les importateurs doivent soumettre des rapports sur le carbone incorporé dans leurs importations, mais ne sont pas encore obligés d’acheter des permis carbone. Les pays en développement devront à terme payer la différence entre le prix du carbone payé dans leur propre pays et le coût d’un permis dans le système d’échange de quotas d’émission de l’UE (ETS), actuellement fixé à 62 euros par tonne d’équivalent dioxyde de carbone. Les responsables des entreprises des pays en développement soulignent que ce système institue des barrières commerciales injustes faisant porter la charge de la décarbonation sur des pays qui ont peu contribué au réchauffement climatique. L’Afrique du Sud et l’Inde, entre autres, envisagent de déposer une plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce au sujet du CBAM au nom de la lutte contre le protectionnisme.

Le CBAM n’est qu’un des moyens par lesquels l’Union européenne entend impose sa politique environnementale à ses fournisseurs. Les exportateurs devront également respecter une directive sur la déforestation, en vertu de laquelle ils devront prouver que leurs produits n’ont pas été fabriqués sur des terres qui étaient forestières avant 2021. Ils devront aussi respecter une directive sur la durabilité des entreprises, qui les obligera à communiquer leurs émissions tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement.

Une étude de la Fondation africaine pour le climat et de l’Institut Firoz Lalji de la London School of Economics (LES) estime que le CBAM ne réduirait le PIB africain que de 0,91 %, car la plupart des biens concernés seront exportés dans d’autres parties du monde. Néanmoins certains pays seraient durement touchés. Environ 90 % des exportations de fer et d’acier du Zimbabwe, par exemple, sont destinées à l’UE. Une étude de la Banque mondiale suggère que l’Inde, la Russie et l’Ukraine sont susceptibles d’être les plus exposées, en raison de la combinaison de l’intensité carbone de leurs exportations et de leur dépendance au commerce avec l’UE. L’Ukraine pourrait, cependant, être exemptée des taxes en vertu des clauses de force majeure en raison de l’invasion russe.

Les taxes carbone aux frontières ne se limitent pas à l’UE. La Grande-Bretagne et l’Australie envisagent des mesures similaires. Plusieurs propositions de taxes de ce type sont en cours d’examen au Congrès américain. Un projet de loi sur les taxes sur la pollution étrangère obligerait les importateurs à payer une taxe fondée sur la différence entre l’intensité carbone moyenne d’un produit fabriqué dans le pays exportateur et aux États-Unis. Un autre projet, connu sous le nom de Clean Competition Act, combinerait un ajustement carbone aux frontières avec un prix intérieur.

Les pays les plus pauvres estiment que le CBAM et d’autres mesures comparables ne tiennent pas compte de l’obligation, prévue par l’accord de Paris sur le changement climatique, qui impose aux pays riches de faire plus d’efforts pour décarboner que les pays pauvres. Par ailleurs, les pays avancés ne respectent pas l’engagement qu’ils avaient pris d’aider les pays émergents et en développement afin que ces derniers décarbonent leur économie. Pour ces pays, la logique est que le carbone est un intrant de production dont le prix doit être différent selon les contextes. Une fonderie d’aluminium en Suède devrait payer un prix plus élevé qu’une fonderie mozambicaine, car les Suédois ont déjà épuisé une plus grande partie du budget carbone mondial.

Afin et de contourner le système européen et de récupérer une partie des recettes, certains pays lancent leurs propres systèmes d’échange de quotas d’émission, comme la Turquie, qui exporte de l’électricité vers l’UE. La Chine a récemment ajouté l’acier, l’aluminium et le ciment à son propre marché du carbone, à l’image du CBAM. L’Inde, quant à elle, envisage de taxer les exportations à forte teneur en carbone destinées à l’UE.

Le CBAM a décomplexé les États en matière de droits de douane. Donald Trump veut imposer un taux minimal de 10 voire de 20 % sur toutes les importations. Les politiques environnementales sont de plus en plus perçues comme les antichambres du protectionnisme. Le principe qui sous-tend le recours à telles politiques est la défense de la production nationale. « Les États-Unis doit redevenir une nation de producteurs, et pas seulement de consommateurs », déclare un élu démocrate, Jared Golden favorable au protectionnisme. Donald Trump va encore plus loin en affirmant que « sous ma direction, nous allons prendre les emplois des autres pays » ; signifiant l’engagement d’une véritable guerre économique avec le reste du monde. De tout temps, le recours au protectionnisme est une tentation à laquelle les gouvernements éprouvent les pires difficultés à se soustraire en raison de sa nature populiste. En fermant les frontières, en augmentant les droits de douane, les pouvoirs publics croient défendre leurs citoyens des producteurs étrangers accusés de tous les maux au titre d’une altérité mal vécue. Les mesures protectionnistes appliquées aux États-Unis afin de protéger la sidérurgie nationale des importations japonaises ont eu comme conséquence d’augmenter les prix de l’acier et d’handicaper l’industrie automobile américaine. Les destructions d’emplois dans ce dernier secteur ont été supérieur à ceux qui ont pu être sauvés dans la sidérurgie. L’augmentation des tarifs douaniers durant la présidence de Donald Trump n’a pas permis de mettre un terme au déclin de l’emploi industriel aux États-Unis. Si les tarifs douaniers ont pu décourager certaines importations, ils ont probablement également pesé sur la production américaine. Les mesures protectionnistes empêchent l’application de la théorie es avantages comparatifs. Elles aboutissent à une mauvaise allocation des ressources. Les secteurs les plus productifs ne peuvent pas se développer en raison des surcoûts générés par les droits de douane. Ces derniers pénalisent les consommateurs qui doivent payer plus chers les biens. Si Donald Trump opte pour un taux de 20 %, il ramènerait le niveau des tarifs douaniers à celui de l’époque de la Grande Dépression qui avait provoqué un blocage du commerce international et à l’exacerbation du nationalisme. Au-delà de la protection supposée de l’emploi, les tarifs douaniers sont censés procurer des recettes aux États qui les mettent en œuvre. Donald Trump se plait à souligner que les tarifs « rapporteront des milliards de dollars », qui pourront être utilisés à la fois pour réduire le déficit fédéral et réduire les impôts sur le revenu. Compte tenu du montant des importations américaines, environ 3 000 milliards de dollars de biens, une taxe de 20 % pourrait, de manière simpliste, rapporter 600 milliards de dollars par an. Le problème est qu’il s’agit d’une image statique. Quand les droits de douane augmentent, la consommation et les importations baissent, ce qui réduit les recettes publiques. En outre, les représailles des gouvernements étrangers aboutiront à une réduction des exportations ce qui nuira à la croissance et aux recettes fiscales. Une analyse réalisée par le Penn Wharton Budget Model, un centre de recherche indépendant, a révélé qu’une guerre commerciale totale entraînerait une baisse de 5 % du PIB américain. L’autre argument en faveur des droits de douane soulevé par leurs partisans est l’amélioration du rapport de force dans les négociations commerciales. Cette position a été notamment défendue par Robert Lighthizer, le représentant américain au commerce (USTR) sous Donald Trump et par Katherine Tai qui lui a succédé sous Joe Biden. Pour autant, les droits de douane n’ont pas modifié d’un iota la politique commerciale de la Chine dont la force commerciale s’est plutôt renforcée ces dernières années.

Les droits de douane sont également justifiés par la nécessité de défendre des secteurs dits stratégiques. Cet argument a été mis en avant aux États-Unis comme en Europe pour les véhicules électriques, les semi-conducteurs et les modules solaires chinois. L’administration de Joe Biden a ainsi déclaré que l’influence de la Chine dans ces secteurs créait des risques inacceptables pour la sécurité économique des États-Unis. Il n’est pas certain que le recours aux tarifs douaniers à des fins de sécurité nationale assure la sécurité des approvisionnements. Invoquer cette dernière est une excuse pratique pour mettre en œuvre des politiques protectionnistes. Les tarifs douaniers ne garantissent en rien l’indépendance économique. « Si quelque chose est vraiment dangereux, vous devriez probablement l’interdire plutôt que de le taxer », déclare Ed Gresser du Progressive Policy Institute.

Dans l’histoire économique de ces deux cents dernières années, l’augmentation des tarifs douaniers s’est toujours révélé négative sur le plan de la croissance et de l’emploi. Elle est source d’inflation. Elle pénalise, en règle générale, les ménages les plus modestes qui ne peuvent plus accéder à certains produits. Malgré tout, les droits de douane demeurent populaires. L’idée qu’ils protègent les entreprises et l’emploi est communément admise. La concurrence étrangère est souvent jugée déloyale et responsable de tous les maux économiques. Après une succession de crises, la tentation protectionniste transcende tous les continents avec comme risque de démanteler le travail réalisé après la Seconde Guerre mondiale avec les accords du GATT. Il serait dommageable que les leçons du passé soient oubliées.

La France, un bon ou à un mauvais risque ?

Les marchés obligataires européens connaissent une évolution inhabituelle. Il y a quinze jours, le rendement de la dette publique française à dix ans a dépassé celui de l’Espagne, suggérant que les investisseurs considèrent désormais la deuxième économie de la zone euro comme plus risquée que celle de son voisin du sud. C’est un revirement de situation. En janvier, les rendements espagnols étaient supérieurs de 0,4 point de pourcentage à ceux de leurs homologues français. Au plus fort de la crise de la zone euro, entre 2010 et 2012, l’écart atteignait près de cinq points de pourcentage. Aujourd’hui, les coûts d’emprunt français dépassent ceux du Portugal et se rapprochent davantage de ceux de la Grèce et de l’Italie que de l’Allemagne.

Les investisseurs accordaient autrefois à la France le bénéfice du doute, malgré l’accumulation des dettes. Les incertitudes politiques, liées à la décision du président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale et à la précarité du gouvernement minoritaire qui en a résulté, expliquent ce léger sentiment de défiance envers la France. Avec une dette équivalente à 112 % du PIB et un déficit public dépassant les 6 %, la France fait figure d’exception au sein de la zone euro, où la tendance est à l’assainissement des finances publiques.

L’inversion des rendements entre la France et l’Espagne reflète également l’évolution de la situation économique au sud des Pyrénées. En 2023, l’économie espagnole a progressé de 2,7 %, portée par un marché de l’emploi solide et une industrie touristique en plein essor, bien au-dessus de la croissance de 0,9 % en France. Pour 2024, l’Espagne devrait afficher une croissance proche de 3 %, contre environ 1 % pour la France. Fait intéressant, bien que l’Espagne n’ait pas de gouvernement majoritaire, les gestionnaires obligataires européens ont interprété cela comme une force budgétaire ces dernières années. Plutôt que de s’engager dans des négociations interminables avec les députés, le gouvernement minoritaire de centre-gauche de Pedro Sánchez a poursuivi les plans budgétaires déjà adoptés, ce qui a permis de maîtriser les dépenses.

Malgré ces perspectives budgétaires et économiques divergentes, la France conserve une meilleure note de crédit que son voisin du sud et possède encore des atouts. Les administrations publiques sont reconnues pour leur capacité à lever l’impôt, bien que les marges de manœuvre se réduisent. Le taux d’épargne élevé des ménages constitue un autre facteur positif, assurant une forte capacité à absorber la dette publique. Bien que le taux de fécondité diminue, la démographie française reste moins préoccupante que celle de ses voisins européens. Une population en croissance est un facteur clé pour évaluer le potentiel de croissance d’un pays. De plus, l’économie française reste puissante, reposant sur un tissu industriel diversifié et de grandes entreprises mondiales, ce qui la rend plus robuste que celles de l’Italie, de l’Espagne ou du Portugal. Les investisseurs étrangers continuent de privilégier la France en raison de la qualité de ses infrastructures, de son marché de consommation et du niveau des compétences, bien que ce dernier puisse encore s’améliorer. Enfin, la dette française est prisée en raison de son ampleur. Cela peut sembler contre-intuitif, mais les investisseurs bénéficient ainsi d’une vaste gamme d’obligations avec des maturités variées. L’État espagnol ou portugais émet bien moins que la France, qui détient le record en Europe avec 300 milliards d’euros d’émissions prévues en 2025. Cependant, les atouts de la France ne pourront pas éternellement masquer la dérive de ses finances publiques, un phénomène qui, en dépit des apparences, reste une tradition bien ancrée.

700 ans d’heurs et de malheurs budgétaires

Les premiers déficits publics apparaissent, du moins de manière officielle, sous les rois capétiens et les Valois, notamment lors des grandes guerres, comme la Guerre de Cent Ans (1337-1453). À l’époque, il y a une confusion entre la caisse du Roi et le budget de l’État, rendant la gestion des finances publiques opaque. Lorsque le roi faisait face à des difficultés budgétaires, il recourait soit à des impôts extraordinaires, soit à des emprunts, principalement auprès de banquiers italiens. La France a connu de nombreuses révoltes liées aux impôts, de la Fronde aux Gilets Jaunes, en passant, évidemment, par la Révolution.

Après la banqueroute des deux tiers en 1797, Napoléon Bonaparte commence à structurer les finances publiques sous le Consulat, une œuvre qui sera poursuivie par son neveu durant le Second Empire. Les guerres napoléoniennes, à partir de 1810, deviennent de plus en plus coûteuses, obligeant l’Empereur à multiplier les emprunts et à accroître les prélèvements dans les pays conquis. La Restauration (1814-1830) a permis un assainissement rapide des comptes publics, favorisé par une croissance économique vigoureuse. Sous Louis XVIII et Charles X, les gouvernements s’efforcent de réduire les dépenses publiques, en particulier les dépenses militaires, qui avaient explosé sous Napoléon. Les effectifs militaires passent de 800 000 hommes sous Napoléon à environ 240 000 hommes sous la Restauration. Une réforme du cadastre est initiée pour améliorer la taxation foncière, basée sur des évaluations plus justes des propriétés rurales et urbaines. Certains impôts indirects mis en place sous l’Empire, tels que les droits de douane et les octrois, sont conservés, mais les gouvernements tentent de ne pas les augmenter, craignant un retour des révoltes fiscales. La rationalisation des dépenses publiques et la bonne tenue de l’activité économique permettent à la France de verser environ 700 millions de francs en indemnités de guerre aux puissances alliées, en plus des frais d’occupation militaire prévus par le Traité de Paris de 1815. Sur le plan financier, la Restauration crée en 1816 la Caisse des dépôts et consignations, dont la mission est de sécuriser les fonds publics et parapublics. Grâce à ces mesures, la France parvient à équilibrer ses finances publiques dès 1817.

Sous Louis-Philippe (1830-1848), la France connaît une période d’équilibre budgétaire. Les gouvernements adoptent des politiques qualifiées de rigoureuses. Les dépenses, notamment militaires, sont strictement contrôlées après la réduction massive de l’armée sous la Restauration. La dette publique reste stable, le gouvernement évitant de recourir à des emprunts excessifs. La dette accumulée sous Napoléon est progressivement remboursée. Sous la Monarchie de Juillet, les impôts indirects, tels que les octrois (taxes sur les produits de première nécessité, y compris les boissons et denrées alimentaires), constituent une source majeure de revenus. Ces taxes pèsent lourdement sur les classes populaires, ce qui alimente les tensions sociales. L’impôt foncier est également une importante source de revenus. La prudence budgétaire et l’absence de réformes sociales sous Louis-Philippe aggravent les tensions sociales. L’industrialisation rapide génère de fortes inégalités et une augmentation de la pauvreté. Les ouvriers et les paysans souffrent de la hausse des prix et de la stagnation des salaires. La crise de 1846-1847, une crise agricole et économique majeure qui touche toute l’Europe, provoque une forte hausse des prix des denrées alimentaires, une montée du chômage et une dégradation des conditions de vie. L’absence de réponse du gouvernement conduit à la Révolution de 1848.

La Seconde République hérite d’une situation financière dégradée en raison de la crise après la récession de 1847/1848. Les dépenses publiques augmentent rapidement avec l’adoption de plusieurs mesures sociales. La baisse des recettes fiscales aggrave le déficit public. Parmi les mesures coûteuses figurent les Ateliers nationaux. En 1848, le déficit budgétaire s’élève à environ 200 millions de francs, un montant important pour l’époque. L’instabilité politique décourage les investissements et freine la reprise économique.

Durant le Second Empire (1852-1870), la situation budgétaire de la France s’améliore dans un contexte de forte croissance. Cependant, l’augmentation des dépenses d’infrastructures et militaires conduit à des déficits importants. Dès 1852, Napoléon III met en place une politique de modernisation économique axée sur le développement des infrastructures : chemins de fer, routes, canaux, ports et le réaménagement de Paris par le baron Haussmann. Ces grands travaux nécessitent des investissements publics importants. L’Empereur fait d’abord appel aux capitaux privés, mais doit également recourir aux emprunts publics. La croissance économique limite néanmoins l’ampleur des déficits et de la dette. Dans les années 1850, le déficit public avoisine 200 millions de francs. L’amélioration constatée à partir de 1857 s’interrompt dix ans plus tard en raison de l’augmentation des dépenses militaires (guerre du Mexique) et de l’ampleur des travaux à Paris, estimés à 2,5 milliards de francs. En 1867, une crise économique internationale affecte la France. La croissance ralentit, les investissements étrangers diminuent, et les banques connaissent des difficultés, notamment après la faillite de la Banque de l’Union Générale. Cette crise affecte les finances publiques, car les recettes fiscales chutent en raison du ralentissement économique. L’endettement de l’État devient alors un sujet de préoccupation majeur.

La guerre franco-prussienne de 1870 est coûteuse pour les finances publiques. Non seulement elle entraîne des dépenses militaires considérables, mais la défaite impose également à la France de payer des réparations massives à la Prusse, pour un montant de 5 milliards de francs or.

Au cours de la Troisième République (1870-1940), la gestion des finances publiques est marquée par plusieurs crises majeures : la défaite contre la Prusse, la Première Guerre mondiale et la grande crise de 1929. Les difficultés budgétaires deviennent récurrentes. Après le traité de Francfort (1871), en plus des réparations de guerre, la France perd l’Alsace-Lorraine, une région industrielle clé. Pour payer les réparations, des emprunts sont contractés. La France réussit néanmoins à rembourser plus rapidement que prévu, grâce à la mobilisation des investisseurs, ce qui permet le départ des troupes d’occupation. Entre 1885 et 1914, les finances publiques retrouvent un équilibre relatif, bien que la croissance économique soit plus faible en France qu’au Royaume-Uni ou en Allemagne. Cette période voit également l’essor des grandes banques françaises, comme le Crédit Lyonnais et la Société Générale, qui financent les investissements publics et privés. En 1914, juste avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, la Troisième République introduit l’impôt sur le revenu, une mesure longtemps débattue. Cet impôt, relativement modeste à ses débuts, marque un changement significatif dans la fiscalité française, passant d’une taxation principalement indirecte à une fiscalité plus progressive.

La Première Guerre mondiale, par son ampleur et sa durée, entraîne une explosion des déficits publics et des dépenses. En 1918, les dépenses publiques dépassent 50 % du PIB, contre seulement 10 % avant la guerre. L’État finance ces dépenses par des emprunts massifs et une inflation galopante. La dette passe de 32 à 240 milliards de francs entre 1914 et 1920. Pendant la guerre, l’État a recours à la création monétaire, favorisant une inflation qui érode le pouvoir d’achat des ménages. Après la guerre, l’État doit financer la reconstruction d’une grande partie du nord-est de la France. Les réparations allemandes, pourtant promises, se révèlent difficiles à recouvrer. Le pays fait face à des difficultés budgétaires et monétaires chroniques, contraignant les gouvernements à dévaluer la monnaie et à adopter des plans d’assainissement budgétaire. La crise de 1929 frappe la France à partir de 1931. Le déficit public augmente rapidement, passant de 1 % à 5 % du PIB entre 1929 et 1934. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, en 1939, le déficit atteint près de 6 % du PIB.

La Seconde Guerre mondiale entraîne une nouvelle dégradation des finances publiques. La défaite et l’occupation allemande provoquent l’effondrement de l’économie, des destructions massives d’infrastructures et d’usines, ainsi que le paiement d’indemnités et de frais d’occupation. En 1944, le débarquement des Alliés permet à la France de retrouver son indépendance, mais entraîne des destructions considérables (logements, infrastructures, usines). La production industrielle est réduite de plus de 40 % par rapport à 1938. En 1945, le déficit public dépasse 20 % du PIB et la dette atteint 150 % du PIB. Une partie de cette dette sera effacée par l’inflation des années 1945-1948.

Les premières années de la IVe République sont marquées par des dépenses publiques élevées, principalement consacrées à la reconstruction des infrastructures, de l’industrie et de l’agriculture détruites par la guerre. Le Plan Monnet (1947-1952) joue un rôle central dans cette reconstruction. La France bénéficie également de l’aide du Plan Marshall, recevant environ 2,5 milliards de dollars des États-Unis. Cette aide permet de financer une partie des dépenses, mais ne couvre pas l’ensemble des besoins, et l’État doit recourir à des emprunts pour compléter le financement. Les guerres liées à la décolonisation, notamment en Indochine et en Algérie, alourdissent les budgets, qui restent déficitaires. La dette publique demeure élevée, oscillant entre 80 % et 90 % du PIB. Sans une croissance économique forte, de l’ordre de 5 % par an, la situation des finances publiques aurait été encore plus difficile.

Le développement de la Sécurité sociale, initié en 1945, se poursuit sous la IVe République, avec l’extension des prestations sociales (retraites, allocations familiales, assurance maladie). Ces réformes améliorent le bien-être de la population, mais augmentent également les dépenses publiques. Entre 1944 et 1958, le poids des prélèvements obligatoires passe de 20 % à 28 % du PIB.

L’arrivée du général de Gaulle en 1958 et l’instauration de la Ve République se traduisent par un plan d’assainissement des finances publiques. De 1959 à 1967, la France enregistre des excédents budgétaires. Durant cette période, elle met fin aux demandes d’aides américaines. Grâce à la forte croissance économique, la dette publique est rapidement réduite, atteignant 15 % du PIB dans les années 1960. Cependant, le premier choc pétrolier de 1973 provoque une rupture dans la gestion des finances publiques. À partir de 1973, les finances publiques deviennent systématiquement déficitaires. Sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, le déficit public moyen avoisine 1 % du PIB. Il augmente sous les deux septennats de François Mitterrand, et la dette publique passe de 21 % à 57 % du PIB entre 1981 et 1995. La mise en œuvre de l’euro s’accompagne d’une relative maîtrise des finances publiques en France. Cependant, la dette publique continue d’augmenter pendant les deux mandats de Jacques Chirac. Elle atteint 65 % du PIB en 2007. La crise financière de 2008-2009 provoque une forte augmentation de cette dette, qui dépasse 91 % du PIB en 2012. Sous la présidence de François Hollande, elle continue d’augmenter de manière plus modérée, pour atteindre 98 % du PIB en 2017.

Les événements récents, tels que la crise des Gilets Jaunes, la pandémie de Covid-19, et la guerre en Ukraine, ont entraîné une dégradation significative des finances publiques. Le déficit public s’élève à 9 % du PIB en 2020, principalement en raison des mesures de soutien aux entreprises et aux ménages pendant la pandémie. En 2023, il atteint 5,5 % du PIB. Le gouvernement a annoncé que pour 2024, le déficit devrait dépasser 6 % du PIB, ce qui constitue un record en dehors des périodes de crise ou de guerre. Par ailleurs, la dette publique française atteint désormais 112 % du PIB en 2024. Le taux des prélèvements obligatoires dépasse 45 % du PIB, tandis que les dépenses publiques représentent environ 56 % du PIB.

L’évolution des finances publiques en France témoigne d’un équilibre toujours fragile entre croissance économique, contraintes budgétaires et pressions sociales. Depuis plus de 700 ans, la question de la maîtrise des comptes constitue une véritable antienne. En 2024, la France doit opérer un assainissement de ses comptes publics tout en étant confrontée à une série de défis : vieillissement démographique, transition écologique, menaces géopolitiques.