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Les pays en développement à la recherche d’un second souffle
Au cours de ce premier quart du XXIe siècle, le nombre de personnes vivant avec moins de 2,15 dollars par jour, seuil de l’extrême pauvreté, a diminué d’un milliard. Cependant, cette réduction a été réalisée majoritairement (à 66 %) durant les 15 premières années des années 2000. En 2022, seulement un tiers des personnes sont sorties de l’extrême pauvreté par rapport à 2013. Les progrès dans la lutte contre les maladies infectieuses ralentissent. Si, sur la dernière décennie, la proportion de personnes contractant le paludisme dans les pays où la maladie sévit avait continué de baisser au même rythme qu’entre 2000 et 2012, elle serait deux fois plus faible que le niveau constaté en 2022. La mortalité infantile dans les pays en développement qui avait chuté de 79 à 42 décès pour 1 000 naissances entre 2000 et 2016, n’a diminué que de 5, entre 2017 et 2022, passant à 37. La part des enfants en âge d’aller à l’école primaire dans les pays à faible revenu est restée stable à 81 % en 2015, après avoir augmenté de 56 % de 2000 à 2014.
L’Asie a réalisé d’importants progrès en matière de lutte contre l’extrême pauvreté et semble l’avoir éradiquée. En revanche, la situation ne s’améliore que faiblement en Afrique, en raison de la forte croissance démographique. Depuis l’épidémie de Covid, les moyens budgétaires alloués à la lutte contre la pauvreté au niveau international tendent à diminuer. En 2024, 700 millions de personnes vivent encore dans l’extrême pauvreté, et 2,8 milliards de personnes se trouvent dans des régions dont la croissance est insuffisante pour rattraper le retard par rapport aux pays occidentaux.
Dans les années 1990, au temps de la mondialisation des échanges, les pays d’Asie du Sud-Est et d’Europe de l’Est se sont engagés dans un cycle d’expansion, avec une croissance supérieure à celle des pays de l’OCDE. Au cours de la décennie suivante, le rattrapage de la croissance s’est généralisé. Les 58 pays les plus pauvres du monde, qui abritent 1,4 milliard d’habitants, ont enregistré une croissance de 3,7 % par an entre 2004 et 2014, contre une croissance annuelle moyenne de seulement 1,4 % au sein de l’OCDE.
Le Covid a marqué une rupture dans le processus de rattrapage de la croissance. La montée du protectionnisme affecte en premier lieu les pays les plus pauvres. Fin 2023, le PIB par habitant en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud n’était pas plus proche de celui des États-Unis qu’en 2015. Le revenu moyen, ajusté de l’inflation, d’un Africain subsaharien est à peine supérieur à son niveau de 1970. L’année dernière, l’épargne intérieure sur le continent est tombée à 5 % du PIB, contre 18 % en 2015. Le nombre de nouveaux cas de sida et de VIH continue de diminuer, mais plus lentement qu’auparavant, en raison de l’émergence de nouveaux foyers de la maladie dans des pays proches de l’éradication. Le nombre de cas de tuberculose est quant à lui à nouveau en hausse.
La raréfaction de l’aide aux pays les plus pauvres
L’aide humanitaire se fait de plus en plus rare. Au début des années 2000, le duo formé par Bono, le chanteur du groupe de rock irlandais U2, et le président George W. Bush affirmait que l’Occident avait la responsabilité morale d’aider les pays pauvres à sortir de la pauvreté. En 2005, les 72 pays les plus pauvres du monde recevaient des fonds équivalant à 40 % de leurs dépenses publiques, sous forme de prêts bon marché, d’allègements de dette et de subventions. En 2024, l’aide ne représente plus que 12 % de leurs dépenses publiques. En 2023, les flux d’aide mondiale en faveur des pays pauvres auraient augmenté de 2 % sur le papier, mais 18 % de cette aide a été utilisée par les pays riches pour gérer les réfugiés sur leur propre sol. Toujours en 2023, les 72 pays les plus pauvres n’ont attiré que 17 % de l’aide bilatérale, contre 40 % il y a dix ans. La Chine, qui s’était imposée comme l’un des principaux donateurs dans les années 2010, a depuis réduit son soutien. En 2012, les banques d’État chinoises avaient distribué 30 milliards de dollars de prêts pour des infrastructures. En 2021, ce montant n’était plus que de 4 milliards de dollars.
Un manque d’imagination au pouvoir
Face à la décélération de la croissance, les gouvernements des pays en développement ou émergents recourent aux anciennes méthodes de planification. C’est notamment le cas du Brésil au Cambodge, en passant par le Kenya. Les responsables politiques de ces pays s’inspirent des stratégies mises en place en Occident pour réindustrialiser ou pour limiter les importations chinoises. Les États pauvres utilisent de plus en plus les droits de douane, comme le font les États-Unis, pour protéger leur industrie naissante. Les responsables de la Banque mondiale constatent que les gouvernements se concentrent aujourd’hui davantage sur la relance de l’emploi que sur la productivité, ce qui risque de conduire à des investissements non rentables. Bien qu’elles aient abandonné leur doctrine libérale, les grandes institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale sont de plus en plus critiquées pour leur propension à exporter les valeurs occidentales. La tentative d’imposer une « croissance inclusive » a poussé plusieurs pays à se tourner vers la Russie, accusant l’Occident d’ingérence.
Les organisations non gouvernementales, soutenues par des économistes du développement, concentrent leur énergie sur des microprojets. Le prix Nobel d’économie française, Cécile Duflo, s’intéresse par exemple aux conséquences de l’introduction des ordinateurs dans les écoles indiennes. Les chercheurs insistent sur le fait que leur travail n’est pertinent que pour les pays sur lesquels il se concentre. « Il ne reste plus beaucoup de grandes idées en matière de développement », déclare Charles Kenny, du Centre for Global Development, un groupe de réflexion. Pour Cécile Duflo « tout est une question de plomberie. », estimant que les petites interventions ont plus de chances de réussir que les grands projets nés de théories économiques globales.
D’ici 2040, les régions pauvres et à faible croissance abriteront 4 milliards de personnes. La question est de savoir si les micro-interventions, comme celles de Cécile Duflo, peuvent changer la donne.
Les monnaies digitales de banque centrale à la conquête du monde
En septembre 2024, la banque centrale chinoise a révélé que sa monnaie numérique, l’e-CNY, avait été utilisée pour des transactions d’une valeur de 7 000 milliards de yuans, soit l’équivalent de près de 1 000 milliards de dollars. La Chine n’est pas la seule à expérimenter les monnaies digitales de banque centrale. Plus de 130 pays étudient ce type de monnaie, selon le groupe de réflexion Atlantic Council. Les partisans des monnaies numériques officielles estiment que celles-ci peuvent révolutionner le système financier, avec, à la clé, une réduction des fraudes et des coûts. L’avenir de l’argent attire donc l’attention, mais qu’en est-il de son passé ?
Les économistes Adam Brzezinski de la London School of Economics, Nuno Palma de l’Université de Manchester, et François Velde de la branche de Chicago de la Réserve fédérale ont publié un article retraçant les mutations de la monnaie travers le temps. L’histoire de l’argent qu’il décrive est jalonnée de révolutions, parfois de « délicieuses surprises », avec en fil rouge : la volonté des États de conserver leur souveraineté monétaire.
L’histoire monétaire et la souveraineté des États
La politique monétaire est intrinsèquement liée aux États. De tout temps, les gouvernements sont intervenus pour modifier la valeur des pièces, en diluant parfois la teneur en argent ou en or. Jusqu’au XIXe siècle, la valeur des pièces était rarement inscrite sur leur face, ce qui signifiait qu’elles n’avaient pas de « valeur nominale » au sens littéral. Les pièces servaient avant tout comme moyen d’échange et non comme actif de réserve ; leur valeur pouvait évoluer selon les besoins des gouvernements.
L’unité de compte était souvent une vieille pièce retirée de la circulation, qualifiée de « monnaie fantôme » par l’historien Carlo Cipolla. Cette distinction permit au Royaume de France de mener une grande expérience de politique monétaire dans les années 1720. Afin de lutter contre l’inflation, le conseil du roi décida, sans avertissement, que les pièces de monnaie vaudraient moins qu’avant. De 1723 à 1724, leur valeur fut réduite de 45 %, provoquant une récession et la disparition de 30 % des métiers à tisser. L’inflation ne diminua réellement que quatre ans après cette manipulation monétaire.
L’instabilité des métaux précieux et l’innovation de John Law
Le recours à des étalons en or ou en argent créait des aléas pour l’économie des États. Les catastrophes maritimes dans l’Atlantique, par exemple, pesaient lourdement sur l’économie espagnole. Entre 1531 et 1810, l’Espagne perdit, lors de 42 incidents, une partie ou la totalité des métaux précieux transportés, représentant en moyenne 4 % de la masse monétaire espagnole. Chaque perte entraînait une raréfaction du crédit et une baisse de la production.
Au XVIIIe siècle, certains économistes suggéraient déjà que la monnaie devait rompre son lien avec les métaux. John Law, un banquier écossais, persuada le régent Philippe d’Orléans de se lancer dans une réforme monétaire risquée. La France, à l’époque, subissait une crise financière aiguë, en grande partie due aux guerres coûteuses menées par Louis XIV.
Law proposa de remplacer la monnaie métallique par du papier-monnaie émis par une banque, afin de stimuler l’économie par la création monétaire. En 1716, il créa la Banque Générale, qui émit des billets convertibles en or. Mais le système de Law se déséquilibra en 1720, lorsque la spéculation sur les actions de la Compagnie des Indes provoqua l’éclatement d’une bulle financière. Le système s’effondra, laissant la France dans une grave crise de confiance qui retarda l’introduction des systèmes financiers fondés sur le crédit de plusieurs des décennies.
L’avenir des monnaies numériques de banque centrale
À l’avenir, l’argent pourrait encore changer de forme. Les monnaies numériques de banque centrale (CBDC) pourraient permettre aux citoyens de détenir des comptes directement auprès des banques centrales. Ce concept n’est pas si nouveau : au début du XXe siècle, la Banque d’Espagne détenait plus de la moitié des comptes courants du pays.
Les monnaies numériques pourraient améliorer l’efficacité des paiements, en offrant une alternative plus rapide, moins coûteuse et plus sécurisée aux systèmes traditionnels (cartes bancaires, virements, espèces). Elles pourraient aussi faciliter les paiements transfrontaliers et représenter une alternative aux cryptomonnaies privées comme le Bitcoin, permettant aux États de conserver le contrôle de la politique monétaire.
Cependant, les CBDC pourraient perturber le modèle des banques commerciales en réduisant leur rôle de collecte et de gestion des dépôts, limitant ainsi leur capacité à octroyer des crédits. Pour l’instant, en Europe, les expériences d’utilisation de ces monnaies sont limitées aux banques et aux entreprises.
Les défis technologiques et de sécurité
L’un des principaux défis pour les banques centrales est de garantir la sécurité des paiements face aux cyberattaques. Bien que les solutions fondées sur la blockchain offrent une résilience accrue, elles nécessitent des investissements massifs dans la sécurité informatique. Une défaillance dans ce domaine pourrait éroder la confiance dans la monnaie.
De plus, l’interopérabilité entre les monnaies numériques de différents pays sera cruciale pour faciliter les paiements transfrontaliers, faute de quoi les cryptomonnaies privées pourraient être préférées. Une collaboration internationale sera nécessaire pour standardiser ces systèmes.
Transparence et protection de la vie privée
L’un des enjeux majeurs des CBDC réside dans l’équilibre entre transparence et protection de la vie privée. Si toutes les transactions sont traçables par la banque centrale, cela pourrait poser des problèmes de surveillance de masse. Certaines recherches se concentrent sur des modèles permettant des transactions anonymes jusqu’à un certain montant, tout en assurant la traçabilité au-delà de ce seuil pour les transactions plus importantes.
Implications géopolitiques
Le développement des CBDC a également des implications géopolitiques. La Chine, avec son yuan numérique, cherche à remodeler le système financier international et à remettre en question l’hégémonie du dollar américain. Les États-Unis et l’Europe explorent également des moyens de maintenir leur leadership monétaire face à ces évolutions.
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Le développement des monnaies numériques de banque centrale marque une nouvelle étape dans l’histoire monétaire, héritière des nombreuses révolutions passées. Les monnaies numériques de banque centrale promettent de moderniser le système financier, en rendant les paiements plus rapides, moins coûteux et plus sécurisés, tout en permettant aux États de conserver la maîtrise de leur souveraineté monétaire face à l’essor des cryptomonnaies privées. Toutefois, ce virage technologique soulève des défis majeurs, notamment en matière de sécurité, de transparence et d’équilibre entre vie privée et surveillance. De plus, l’adoption des monnaies digitales pourrait redéfinir le rôle des banques commerciales et modifier les dynamiques économiques mondiales.