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La réindustrialisation de l’Europe est-elle possible ?
Depuis quelques mois, les annonces de fermetures d’usines se multiplient en Europe (Volkswagen, Michelin, Schaeffler…). La production manufacturière tend à reculer. L’industrie européenne est pénalisée par le prix élevé de l’énergie et de la main-d’œuvre ainsi que par l’insuffisance des investissements en recherche et développement. Les mesures prises par les différents gouvernements n’ont pas, pour le moment, réussi à provoquer un véritable mouvement de réindustrialisation. La politique de Donald Trump risque de compliquer davantage la donne, notamment en augmentant les droits de douane sur les importations aux États-Unis, sachant que ce pays est le premier partenaire commercial de la zone euro.
Entre 2022 et 2024, la production industrielle a reculé, au sein de la zone euro, de 10 %. La production d’automobiles a diminué en deux ans de 20 %. En 2024, des fermetures d’usines, notamment dans le secteur de l’automobile, ont été décidées.
Le recul de l’industrie en Europe, ces dernières années, s’explique en partie par l’attractivité des États-Unis, qui attirent un montant important de capitaux grâce à des politiques comme l’Inflation Reduction Act. Ces capitaux sont investis plus facilement aux États-Unis, en raison de la croissance économique soutenue de ce pays. Le taux de croissance y est, en effet, depuis 2021, deux fois plus élevé que dans la zone euro. Les États européens sont, par ailleurs, pénalisés par le coût élevé de l’énergie. Pour le gaz naturel, le rapport est du simple au double par rapport aux États-Unis.
Les entreprises européennes rencontrent également des difficultés en raison de leur mauvais positionnement stratégique. Elles sont fortement présentes sur des marchés en déclin (automobile, sidérurgie) et peu actives sur les marchés en forte progression (technologies de l’information et de la communication). Sur leurs marchés traditionnels, elles subissent la concurrence d’entreprises issues des pays émergents, notamment de Chine, où les coûts de production sont bien moindres. Par ailleurs, les dépenses en recherche et développement des entreprises européennes restent insuffisantes. Elles représentaient, en 2023, seulement 1,5 % du PIB, contre 3 % aux États-Unis.
L’instauration de droits de douane à 10 ou 20 % sur toutes les importations aux États-Unis pourrait avoir des répercussions lourdes pour les entreprises européennes. La zone euro dégage un excédent commercial important vis-à-vis des États-Unis, et une réduction des importations pourrait peser sur le taux de croissance.
Les politiques de réindustrialisation mises en œuvre au sein de l’Union européenne reposent sur des mesures favorisant l’installation d’usines dans des secteurs jugés stratégiques (batteries, microprocesseurs, etc.). Compte tenu des délais nécessaires à la construction et à la montée en puissance des infrastructures, les premiers résultats de cette politique ne se feront sentir que dans quelques années. Certains plaident pour une hausse des droits de douane afin de mieux protéger l’industrie européenne. Toutefois, une telle surenchère protectionniste pourrait être contre-productive. Des mesures de représailles seraient sans nul doute prises par des pays tiers. Or, il ne faut pas oublier que l’Europe tire une part importante de sa croissance des exportations. Une spirale protectionniste risquerait d’engendrer de l’inflation tout en ralentissant la diffusion du progrès technique.
La réindustrialisation de l’Europe passe avant tout par un accroissement des budgets de recherche et développement des entreprises et par un renforcement des liens entre la recherche fondamentale, qui est de grande qualité en Europe, et la recherche appliquée dans les entreprises. Le développement des énergies durables et des technologies associées (stockage de l’électricité, gestion des réseaux, pics de consommation…) devrait également être accéléré. Aujourd’hui, un quart de l’énergie produite au sein de l’Union européenne est d’origine renouvelable. Enfin, un effort accru en faveur de la formation des jeunes Européens est nécessaire. Les résultats de l’enquête PISA pour les matières scientifiques témoignent du mauvais classement de nombreux pays européens (Italie, Espagne, France et Allemagne).
Les Etats-Unis peuvent-ils se passer de l’immigration ?
Donald Trump souhaite limiter le recours à l’immigration afin d’accroître le pouvoir d’achat des Américains. Toutefois, cette politique pourrait avoir un effet inverse à celui escompté en provoquant une hausse des prix.
Le poids des immigrants (nés dans un autre pays que les États-Unis) représente, en 2024, 14,5 % de la population américaine, contre 11,5 % en 2010. Depuis 2022, cette proportion est en forte augmentation. Parmi les 47,8 millions d’immigrants présents aux États-Unis à la fin de 2023, 49 % ont obtenu la nationalité américaine, 24 % sont des résidents permanents autorisés, 4 % des résidents temporaires autorisés, et 23 % (11 millions) sont des immigrants non autorisés, dont 3 millions sont néanmoins protégés (principalement par une demande de droit d’asile). Ces immigrants peuvent légalement travailler. En 2022, 39 % des immigrants venaient d’Amérique latine et 29 % d’Asie. Les immigrés ont, ces dernières années, largement contribué à la forte croissance de l’économie américaine.
Aux États-Unis, les immigrés ont un niveau de formation équivalent à celui de l’ensemble de la population active. Toutefois, ils se situent aux deux extrêmes de la distribution des niveaux d’éducation : 25 % d’entre eux n’ont pas terminé leur cycle secondaire d’études, contre 8 % des Américains, mais un nombre significatif sont hautement qualifiés. La proportion d’immigrés détenteurs d’un bachelor (licence) est de 35 %, contre 36 % pour les personnes nées aux États-Unis. La part de graduates (détenteurs d’un master) est de 15,6 % chez les immigrés, contre 13,8 % chez les natifs.
La proportion d’immigrés dans les secteurs employant des salariés peu qualifiés (aides à domicile, agriculture, construction, logistique et transports, services aux personnes) est élevée, allant de 20 % à 28 %. Cependant, la proportion d’immigrés parmi les scientifiques, les ingénieurs et les mathématiciens est également significative (23 %). En réduisant le nombre d’immigrés, les États-Unis risquent de faire face à des tensions sur le marché du travail.
Depuis 2022, ce marché s’est détendu. La proportion d’entreprises rencontrant des difficultés de recrutement est passée de 52 % à 38 % au cours des deux dernières années. Le ratio du nombre d’emplois vacants au nombre de chômeurs (ratio de Beveridge) est passé de 2,2 à 1,1 entre 2022 et 2024. Cette détente a permis un ralentissement de la hausse des salaires, qui est passée de 5,2 % à 3,8 % en rythme annuel entre 2022 et 2024, dans un contexte de forte croissance économique (5,8 % en 2021, 1,9 % en 2022, 2,5 % en 2023 et 2,8 % au troisième trimestre 2024). La légère augmentation du taux de chômage constatée depuis 2023 n’est pas due à une réelle dégradation du marché de l’emploi, mais au retour sur ce dernier de personnes auparavant inactives.
Donald Trump, élu notamment sur le thème de la lutte contre l’inflation, pourrait provoquer une augmentation de cette dernière avec sa politique de limitation de l’immigration. L’expulsion des immigrés illégaux et la réduction du nombre d’immigrants légaux pourraient entraîner une hausse des salaires, et donc des prix, ce qui pèserait sur le pouvoir d’achat des Américains. Une politique anti-immigration pourrait également pénaliser la recherche et l’innovation, compte tenu du nombre important de chercheurs étrangers travaillant aux États-Unis.
Depuis son élection, le futur président semble atténuer certaines de ses promesses, en particulier concernant les immigrants légaux. Les représentants de divers secteurs d’activité, notamment ceux des services et du bâtiment, exercent une pression significative pour modifier ses positions.
La Banque centrale européenne a-t-elle raison d’être prudente ?
a décision de la Banque centrale européenne (BCE) du 12 décembre de réduire de 25 points de base ses taux directeurs a été jugée insuffisante par certains au vu de la situation économique. Cette décision n’est pas pour autant infondée, compte tenu de l’évolution récente des prix.
Depuis le début de l’été 2024, la BCE a engagé un cycle de baisse de ses taux directeurs, estimant que la vague inflationniste avait été maîtrisée. Les quatre baisses successives sont, par ailleurs, justifiées par l’ampleur du ralentissement de la croissance. Elle demeure néanmoins prudente dans ses réductions de taux, en raison du maintien d’une inflation sous-jacente élevée. En novembre dernier, l’inflation était de 2,3 % sur un an dans la zone euro. Depuis septembre, elle montre une tendance à la hausse. L’inflation sous-jacente (hors énergie et produits alimentaires non transformés) s’élevait à 2,7 % sur un an en novembre 2024. L’effet de la baisse des prix constatée ces derniers mois s’estompe, et l’inflation totale devrait revenir au niveau de l’inflation sous-jacente, dépassant ainsi le taux cible des 2 %.
Cette inflation est alimentée par la hausse des salaires, qui continuent de progresser à un rythme annuel de 4,5 %, tant dans l’ensemble de l’économie que dans l’industrie. En l’absence de gains de productivité, les coûts salariaux unitaires augmentent rapidement.
Cette absence de gains de productivité a pour conséquence que, malgré une croissance faible, l’emploi continue à croître. Avec la diminution de la population active, les tensions sur le marché du travail se multiplient. Au sein de la zone euro, 30 % des entreprises déclarent rencontrer des difficultés de recrutement, bien que la croissance soit proche de zéro. Dans le secteur des services, les prix augmentent au même rythme que le coût salarial unitaire, tandis que les prix des produits manufacturés progressent faiblement (+0,7 % sur un an en novembre 2024). Cette différence s’explique par la forte concurrence sur le marché des produits industriels, liée aux surcapacités de production en Chine. Par ailleurs, la demande en produits industriels reste atone en Europe, alors que celle pour les services continue d’augmenter.
Les marges bénéficiaires de l’industrie manufacturière en zone euro ont fortement reculé depuis le début de 2022. Elles ont diminué de 8 % entre 2022 et 2024.
La BCE se trouve prise entre l’enclume et le marteau. D’un côté, les prix augmentent en raison de la forte demande de services, des tensions sur les salaires et de la fin de l’effet de base lié à la chute des cours de l’énergie. De l’autre, la croissance est atone, avec une production industrielle en recul. Face à ces signaux contradictoires, la BCE est contrainte de louvoyer en baissant ses taux directeurs, mais avec prudence. Les investisseurs, pour leur part, anticipent des taux de court terme inférieurs à 2 % d’ici la fin de 2025.