Economie – Dollar – consommar en France
Le dollar : fort malgré lui !
Depuis l’élection de Donald Trump, en novembre dernier, l’euro s’est rapproché de la parité avec le dollar. La monnaie américaine s’apprécie en raison de la résilience de la croissance, de son rôle de valeur refuge dans un contexte international incertain et des taux d’intérêt plus élevés outre-Atlantique. La politique économique de la nouvelle administration américaine pourrait contribuer à une poursuite de l’appréciation du dollar, au grand désespoir de Donald Trump, qui espère au contraire une dépréciation.
La politique économique préconisée par Donald Trump — baisse des impôts, majoration des droits de douane, freinage de l’immigration — est susceptible de générer un surcroît d’inflation. Cette inflation entraîne une hausse des taux d’intérêt, déjà visible depuis décembre. L’écart croissant entre les taux d’intérêt à court terme aux États-Unis et dans la zone euro est manifeste, favorisant l’appréciation du dollar par rapport à l’euro.
Fin décembre 2025, le taux du contrat eurodollar à 3 mois avec une échéance à fin décembre 2025 était de 4,1 %, contre 2 % pour son équivalent européen (contrat Euribor). L’écart entre les taux à 2 ans des emprunts d’État entre les pays de la zone euro et les États-Unis a augmenté de 0,5 point entre décembre et janvier. L’écart des taux longs atteint 1 point : le taux d’intérêt à 10 ans des emprunts d’État est de plus de 4 % aux États-Unis, contre 2,9 % dans la zone euro.
Les capitaux à long terme sont attirés par les États-Unis. En 2024, les entrées de capitaux ont dépassé 5 % du PIB américain, alors qu’elles sont nulles pour l’Europe. Cette attractivité américaine est également liée au rendement élevé du capital des entreprises : le retour sur fonds propres (RoE) était de 16 % aux États-Unis en 2024, contre 11 % dans la zone euro.
Pour contenir les tensions inflationnistes, la Fed pourrait limiter ses baisses de taux directeurs, tandis que, dans le même temps, la BCE serait tentée de diminuer les siens pour relancer l’économie européenne. L’écart de taux entre les deux rives de l’Atlantique devrait donc s’accroître.
Contexte politique et économique en Europe
L’Europe est pénalisée par les difficultés politiques auxquelles font face plusieurs États. En France, en Allemagne, en Espagne, aux Pays-Bas et en Autriche, les gouvernements sont soit inexistants, soit dépourvus de majorités stables. Le risque politique dans plusieurs grands pays européens décourage les investisseurs et contribue à la dépréciation de l’euro face au dollar.
De plus, la faible croissance persistante de la zone euro joue contre la monnaie commune. Les derniers indicateurs conjoncturels anticipent une récession, et les économies européennes restent fragilisées par la hausse des coûts de l’énergie. La politique commerciale agressive de la Chine affecte certains secteurs clés, comme l’automobile, tandis que l’augmentation des droits de douane par les États-Unis pèse sur les exportations européennes, qui constituaient jusqu’alors l’un des rares moteurs de croissance.
Perspectives pour l’euro et implications économiques
La poursuite de la dépréciation de l’euro face au dollar semble probable, compte tenu des écarts entre les politiques monétaires, de l’attractivité supérieure des États-Unis pour les capitaux, de l’instabilité politique en Europe et de la faible croissance de la zone euro.
Cette dépréciation améliorera la compétitivité des entreprises européennes, notamment pour celles qui fixent leurs prix en dollars tout en supportant des coûts de production en euros. Cependant, cet avantage compétitif pourrait être annulé si les États-Unis imposent des droits de douane supplémentaires sur les produits importés d’Europe. Par ailleurs, une dépréciation de l’euro entraînerait une augmentation des prix de l’énergie (et d’autres matières premières) dans la zone euro, les prix du pétrole et du gaz naturel étant libellés en dollars. Enfin, l’analyse statistique révèle que l’élasticité-prix des exportations et des importations en volume dans la zone euro est faible (0,4 pour les exportations, pratiquement 0 pour les importations). Ainsi, une dépréciation de l’euro risque d’être défavorable pour la zone euro en termes de revenu global.
La dynamique actuelle entre l’euro et le dollar illustre les divergences de deux grandes économies que sont les Etats-Unis et la zone euro. L’appréciation du dollar, portée par des fondamentaux économiques solides, un écart de taux d’intérêt croissant et une attractivité renforcée pour les capitaux, reflète la capacité des États-Unis à capter les flux financiers mondiaux. À l’inverse, la zone euro peine à surmonter ses fragilités économiques et politiques, accentuant la pression sur sa monnaie. Donald Trump entend agir afin d’abaisser la valeur du dollar afin de faciliter la résorption de l’imposant déficit commercial américain. Sa politique inflationniste pourrait amener la FED à maintenir des taux élevés ce qui rendra plus difficile la dépréciation du dollar. Par ailleurs, si Donald Trump mène une politique d’affaiblissement de l’Union européenne, cela ne favorise pas l’appréciation de l’euro.
« Consommer français » : les limites d’un concept
Le souverainisme économique est un thème à la mode. Ce concept repose sur l’idée que produire et consommer français est bénéfique à la fois pour le pays et pour la planète. Sous couvert d’indépendance économique, il constitue également une des expressions du protectionnisme. Si, évidemment, la richesse d’un pays est liée à ses capacités de production de biens et de services, dans une économie complexe, la notion d’indépendance reste toute relative. La primauté du « fabriqué en France » peut être illusoire, car les chaînes de valeur sont, par nature, fragmentées. Par ailleurs, la généralisation de ce type de pratiques pourrait avoir des effets négatifs sur la croissance, qui dépend en partie du commerce extérieur, et sur la diffusion du progrès technique. La croissance économique repose en grande partie sur la spécialisation au sein des pays et entre eux. La théorie des avantages comparatifs reste, à ce titre, un des piliers de l’économie contemporaine.
Une étude du Crédoc publiée en janvier 2025 analyse l’évolution des comportements des ménages sur la question sensible de l’origine des produits consommés. Une majorité de Français se déclarent favorables à une préférence nationale en matière de consommation, mais cette intention ne se traduit pas toujours dans les actes d’achat. D’autres critères, comme le prix, la qualité ou le marketing, jouent également un rôle dans les décisions des consommateurs.
En 2005, 43 % des consommateurs étaient disposés à payer plus cher pour un produit « Made in France ». En 2020, cette proportion a grimpé à 65 %. Longtemps, la préférence pour les produits français a été surtout l’apanage des seniors. Ainsi, en 2005, 54 % des plus de 60 ans étaient prêts à payer un surcoût pour consommer des produits français, contre seulement 34 % des moins de 25 ans et 36 % des 25-39 ans. Depuis, cet écart entre les tranches d’âge s’est réduit. En 2020, 67 % des moins de 25 ans et 68 % des 25-39 ans se disent prêts à payer davantage pour consommer français, contre 69 % des 70 ans et plus.

Cercle de l’Epargne – données Crédoc
En intention, les Français seraient de plus en plus nombreux à accepter des hausses de prix pour acheter des produits fabriqués en France. Malgré cela, le passage à l’acte n’est pas au rendez-vous. Les Français continuent de consommer de plus en plus de produits importés. Dans certains cas, aucun produit de substitution n’existe, mais même lorsque des alternatives nationales sont disponibles, les produits importés leur sont souvent préférés.
Dans les années 1990, les tentatives de fabrication de téléphones portables en France ont échoué faute de clients. En ce qui concerne les voitures, pour les modèles haut de gamme, les Français se tournent largement vers des marques étrangères, invoquant la qualité comme principal critère de choix. Pourtant, des études ont montré à plusieurs reprises que la qualité des produits importés est souvent surévaluée, notamment dans le domaine automobile.

Cercle de l’Epargne – données Crédoc
Un autre argument souvent avancé en faveur de la consommation « française » est la protection de l’environnement. En 2005, la moitié des personnes préoccupées par les questions environnementales (50 %) se déclaraient prêtes à payer plus cher pour un produit fabriqué en France, contre 42 % de celles qui n’accordaient pas d’importance à cet enjeu. Quinze ans plus tard, cette proportion a fortement augmenté : 76 % des consommateurs soucieux de la dégradation de l’environnement se disent prêts à accepter un surcoût, contre seulement 39 % parmi ceux qui ne partagent pas cette préoccupation.
En 2020, 87 % des Français affirmaient être incités à consommer un produit en raison de sa fabrication française, tandis que 77 % se disaient influencés par ses garanties écologiques. Cependant, en 2024, ces chiffres sont en recul : 73 % des Français déclarent être motivés par des garanties de fabrication nationale et seulement 54 % par des garanties écologiques.

Cercle de l’Epargne – données Crédoc
La production locale ne rime pas toujours avec respect des normes environnementales. Les associations environnementales mettent en avant les circuits courts. Or, cette priorité fonctionne dans les deux sens : cela implique également que la France réduise ses exportations, ce qui pourrait limiter ses revenus. Par ailleurs, pour les pays émergents ou en développement, les recettes issues des exportations sont essentielles pour améliorer le niveau de vie de leur population et financer leur transition écologique. Il est plus avantageux que les navires ayant déchargé des produits européens en Amérique latine reviennent chargés, plutôt que vides.
L’attrait pour les produits nationaux reste plus marqué parmi les catégories aisées et les plus diplômées. En 2020, plus de la moitié des personnes à bas revenus se disaient favorables à l’idée de payer plus cher pour des produits fabriqués en France (56 %). Parmi les plus aisés, cette proportion atteignait 78 %, l’écart entre ces deux catégories restant stable à 22 points. En 2005, 48 % des diplômés du supérieur étaient prêts à payer davantage pour des produits « Made in France », contre 40 % des non-diplômés (soit un écart de 8 points). En 2020, 75 % des diplômés du supérieur y sont disposés, contre seulement 46 % des non-diplômés, élargissant ainsi l’écart.
En 2023, 67 % des Français déclarent que l’inflation a réduit leur capacité à acheter des produits fabriqués en France, et 64 % affirment avoir renoncé à le faire. Ces choix sont également fragilisés par la complexité de l’offre existante. La diversité des labels crée de la confusion chez les consommateurs, qui jugent parfois ces certifications peu fiables.

Cercle de l’Epargne – données Crédoc
La consommation des produits « Made in France » est au cœur de débats qui révèlent les tensions entre aspirations nationales, enjeux environnementaux et contraintes économiques. Si, en théorie, une majorité de Français se disent favorables à la consommation de produits fabriqués localement, la réalité est plus nuancée. Les actes d’achat ne suivent pas toujours les intentions déclarées, freinés par des critères tels que le prix, la diversité limitée de l’offre, ou encore une inflation qui pèse sur le pouvoir d’achat. Par ailleurs, les labels censés guider les choix des consommateurs souffrent d’une multiplication qui engendre confusion et scepticisme.
Le patriotisme économique trouve néanmoins un écho plus marqué auprès des catégories aisées et diplômées. La production locale, bien qu’attractive dans une optique environnementale, ne garantit pas toujours un respect accru des normes écologiques et peut s’accompagner d’effets pervers, comme une réduction des exportations essentielles à l’économie française et mondiale. So la préférence nationale peut soutenir certaines filières locales, elle ne saurait remplacer une réflexion plus globale sur les mécanismes économiques. Le commerce international reste un levier de développement et d’innovation incontournable, notamment pour les pays émergents, tandis qu’en France, il offre un accès à une diversité de produits que la seule production nationale ne peut satisfaire. Les exportations sont à la base d’un quart des emplois, au minimum et sont une source de revenus indispensables pour les entreprises et le pays. À l’avenir, le défi sera d’équilibrer les attentes légitimes en faveur de la production locale avec les impératifs d’efficacité économique, d’équité sociale et de respect de l’environnement. Pour cela, une meilleure lisibilité des certifications, une sensibilisation accrue des consommateurs et des politiques économiques adaptées seront nécessaires pour éviter que le souverainisme économique ne devienne une illusion contre-productive.