14 novembre 2025

Economie – France – déficit – Allemagne

France : la spirale infernale

La France, au sein de l’OCDE, se caractérise par le poids élevé de ses dépenses de protection sociale. Elles représentent, selon Eurostat, 32,3 % du PIB, en 2023, en France contre 26,5 % en moyenne dans l’Union européenne (UE). Ce différentiel de près de 6 points de PIB résulte principalement du poids des dépenses publiques de retraite et de santé. Les premières s’élèvent, en 2023, en France à 13,9 % du PIB, contre une moyenne au sein de l’UE de 12,3 %. Les dépenses publiques de santé pèsent en France 9,6 % du PIB, contre 8 % au sein de l’UE. Les dépenses de protection sociale importantes n’empêchent pas la multiplication des tensions sociales. L’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 a donné lieu à une surenchère de demandes d’augmentation des dépenses. L’idée que la France serait soumise, depuis des années, à une rigueur budgétaire est largement partagée.

Le poids élevé de la protection sociale en France s’accompagne d’un niveau élevé des prélèvements obligatoires. Ces derniers représentent plus de 45 % du PIB contre une moyenne de 41 % au sein de l’Union européenne. Ces dernières années, à défaut de réaliser des économies et d’augmenter les prélèvements, les pouvoirs publics ont laissé filer le déficit. La moitié de l’accroissement de la dette publique entre 2017 et 2024, 500 sur 1000 milliards d’euros, est imputable au vieillissement de la population, à la santé et à la retraite. Le montant de la protection sociale se traduit par un coût du travail supérieur à la moyenne de l’Union européenne. Cette situation est d’autant plus préjudiciable que la France est avant tout positionné sur le créneau des production de gammes moyennes. L’Allemagne a un coût horaire supérieur à celui de la France mais avec un positionnement haut de gamme permettant des marges plus élevées. La France en raison de coûts de production importants enregistre depuis plus de 20 ans un déficit commercial qui atteint 81 milliards d’euros en 2024. La protection sociale nourrit une consommation qui se traduit par des importations. Elle ne favorise pas la production, la France ayant un taux d’emploi inférieur de 8 points à celle de l’Allemagne.

Coût horaire moyen 2024 (euros)
Allemagne48,3
France46,3
Italie31,7
Espagne27,2
Slovaquie18,1
Pologne15,5
Bulgarie9,0

  Données (OIT).

La situation de la France pourrait se compliquer encore plus compte tenu de l’évolution de la démographie. Le ratio cotisants/retraités dans les régimes de retraite français passe de 1,67 en 2025 à 1,4 en 2050 selon le Conseil d’orientation des retraites (COR). Le déficit des régimes de retraite atteindrait 35 milliards d’euros en 2045, selon la Cour des comptes (2024). Les dépenses de santé devraient progresser fortement dans les prochaines années. La Caisse nationale d’assurance maladie évalue les dépenses moyennes annuelles suivantes :

Tranche d’âgeDépenses de santé moyennes annuelles (€)
0–1 an2 135
2–16 ans870
17–59 ans1 802
60–74 ans4 195
75–79 ans6 448
80 ans et +8 355

  Données : CNAM, comptes 2023.

Le déficit de la Sécurité sociale atteint déjà 23 milliards d’euros en 2025 devrait s’aggraver sans réforme.

Pour financer les dépenses de protection sociale, la France aurait besoin d’une croissance moyenne d’au moins 2 % or, celle-ci peine à dépasser 1 %. La croissance faible depuis l’épidémie du Covid-19 s’explique par la stagnation de la productivité. De 2010 à 2025, la productivité par tête a reculé de 4 %. Cette érosion de la productivité limite la progression des recettes fiscales et donc la capacité de l’État à financer une protection sociale généreuse.

L’économie française est anémiée par un taux d’emploi faible et par un déficit d’investissement de la part des entreprises. Ces dernières accumulent des retards dans la digitalisation, dans l’intelligence artificielle et dans la transition écologique. Les besoins d’investissement sont élevés. Ils butent sur la faible rentabilité des activités économiques en France, sur le niveau de formation moyen des actifs et sur le poids de la bureaucratie.

Le déficit public réduit les capacités d’investissement des administrations publiques ce qui pourrait provoquer un décrochage en matière d’infrastructures qui ont été longtemps un point fort de la France. Les projets autoroutiers sont de plus en plus difficiles à réaliser ; le réseau ferré nécessite une modernisation. Si la France dispose d’un grand nombre d’aéroports, nombreux sont ceux en région ayant besoin d’une mise à niveau. Actuellement, la part de l’investissement public en France (hors entreprises publiques) s’établit à 3,4 % du PIB, contre 4,1 % dans la moyenne de l’OCDE.

Si les problèmes de la France sont connus, en revanche, la population s’oppose à toutes les réformes possibles, que ce soit le report de l’âge légal à la retraite, à l’augmentation du volume de travail ou à la remise en cause de certaines prestations. Le modèle social n’est pas soutenable sans un rebond de la croissance et une maitrise des dépenses. La tentation en cette fin d’année 2025 est d’accroître les recettes fiscales afin de gagner un peu de temps. Le risque est d’annihiler un peu plus la croissance et d’aggraver les difficultés de l’économie française.

L’Allemagne à la croisée des chemins

L’Allemagne, la première puissance économique de la zone euro a durant une vingtaine d’années un modèle en Europe avec des déficits publics faibles, des excédents commerciaux élevés et un taux de chômage faible. Depuis 2023, l’économie allemande s’est enrayée en raison de la hausse du coût de l’énergie, de la concurrence de la Chine sur le marché automobile. Après deux ans de récession, le nouveau chancelier Friedrich Merz a lancé un plan massif d’investissement dans les infrastructures – 2,8 % du PIB par an jusqu’à la fin de la décennie –, assorti d’un amortissement accéléré des investissement. Cette relance suffira-t-elle à compenser les faiblesses structurelles ?

Depuis 2018, la production manufacturière allemande a reculé de près de 15 %, et le PIB réel a enregistré deux années consécutives de contraction (-0,7 % en 2023, -0,5 % en 2024). En 2025, le PIB pourrait légèrement augmenté en cas de légère reprise au cours du 4e trimestre. La productivité par tête, après une progression quasi continue depuis 2010, s’érode depuis 2021. Elle est revenue à son niveau de 2018

La guerre en Ukraine, intervenue deux ans après le Covid frappé durement l’Allemagne en remettant en cause la compétitivité de son industrie. En deux ans, le prix du gaz naturel européen est passé de 50 à plus de 300 euros/MWh. L’industrie allemande a également perdu d’importants marchés en raison du développement de la Chine et de la transition écologique. L’industrie allemande, centrée sur l’automobile, la mécanique, la chimie et l’équipement électrique a raté la mutation vers l’électrique. Elle est, par ailleurs absente des secteurs de pointe comme celui des technologies de l’information et de la communication. L’augmentation des droits de douane américains pèse également sur les exportations. Les Etats-Unis constituent le premier marché pour l’Allemagne. Celle-ci paie sa dépendance au commerce extérieur qui absorbe 50 % de la production industrielle. La demande intérieure est atone en raison du vieillissement démographique. Le taux de fécondité reste bas (1,35 enfant par femme), tandis que la part des plus de 60 ans passera de 29 % de la population en 2025 à 36 % en 2040. Ce basculement démographique raréfie la main-d’œuvre, freine la consommation et renchérit les dépenses sociales.

Si à la différence du Royaume-Uni ou de la France, l’Allemagne avait réussi à échapper à la désindustrialisation jusqu’en 2022, depuis, elle connait une crise industrielle de grande ampleur. La valeur ajoutée manufacturière est passée de 23 % du PIB à 19,6 % du PIB de 2014 à 2024.

À ces fragilités s’ajoute une dégradation du système éducatif. L’Allemagne, autrefois citée en modèle par l’OCDE, recule spectaculairement dans les enquêtes PISA : son score global passe de 515 points en 2012 à 482 en 2022, un recul de 33 points en dix ans. Si le niveau de formation est proche de celui de la France (478 points), celui de l’Allemagne s’éloigne de celui de la Finlande (495) ou du Japon (533)

Le chancelier entend réaliser un électrochoc. Il a ainsi obtenu l’abandon du frein budgétaire afin de permettre à l’Allemagne de s’endetter afin de relancer son économie. Il a décidé la mise en œuvre d’un plan de 500 milliards d’euros d’investissement public sur douze ans dans les transports, l’énergie et la transition climatique. Il a également décidé la mise en œuvre d’un régime d’amortissement accéléré des investissements (30 % par an), d’une baisse de l’impôt sur les sociétés de 5 points à partir de 2028 et d’une prime renforcée à la recherche. Par ailleurs, les dépenses militaires seront portées à 3,5 % du PIB.

Le stimulus budgétaire reste modéré. Le déficit public devrait passer de 2,8 % du PIB en 2024 à 3,8 % en 2027, soit 0,33 point de PIB supplémentaire par an.

Même avec un multiplicateur budgétaire favorable, l’effet sur la croissance serait limité à +0,5 % du PIB cumulé entre 2025 et 2027 — insuffisant pour inverser la tendance récessive. Si l’Allemagne aurait respecté ses anciennes règles d’équilibres, elle aurait dû réduire ses dépenses de 2,5 points de PIB, ce qui conduit à la poursuite de la récession.

L’Allemagne comme le reste de l’Europe est confrontée à une diminution de sa croissance potentielle (croissance obtenue en faisant abstraction des aléas conjoncturels et qui est fonction de l’évolution de la population active et de la productivité). Celle-ci pour l’Allemagne se situe autour de 0,6 %.

L’Allemagne doit réaliser un effort de modernisation axé sur la recherche, l’innovation et la formation pour retrouver la croissance. Elle doit réduire le coût de l’énergie et se positionner sur les secteurs porteurs. Le recours à l’immigration constitue également une solution. Pour la première puissance européenne, ce n’est pas une crise, c’est un changement d’époque.

Quand le travail ne paie plus !

En France, beaucoup de fantasmes et de fausses informations circulent au sujet du travail. Pour beaucoup, « le travail ne paye plus ». Pourtant, le travail paye encore plus que l’inactivité. Le SMIC net s’élève à 1 426 euros par mois, contre 647 euros pour le RSA (1 164 euros pour un adulte seul avec deux enfants), et les allocations chômage représentent en moyenne 71 % du revenu d’activité. Mais, l’idée que les actifs financeraient une population d’assistés est répandue. Elle se fonde sur le niveau du salaire net qui est relativement faible en France en raison du poids des cotisations sociales et des impôts. L’écart entre le coût total du travail pour l’employeur et le salaire net du salarié (coin fiscal) atteint 47,9 %, contre 34,9 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. En France, un euro de travail coûte presque deux euros à l’entreprise.

La frustration des salariés provient de la baisse du salaire réel, ces dernières années. Depuis 2019, le salaire réel moyen, corrigé de l’inflation (IPCH), a perdu près de 3 points. Le ressenti de déclassement prégnant, au sein de la population, est en grande partie imputable à la hausse des dépenses pré-engagées (logement, assurances, abonnement). Le poids des dépenses de logement s’est accru de plus de 7 points dans le budget des ménages. Pour les 20 % des ménages les plus modestes, les dépenses dites contraintes — logement, énergie, transports, alimentation, assurances, télécommunications — absorbent 71 % du revenu disponible.

La baisse du pouvoir d’achat des ménages s’explique par le recul de la productivité et par le positionnement de l’économie française sur les services domestiques à faible valeur ajoutée qui dégagent peu ou pas de gains de productivité. Dans le même temps, une pénurie de logements a provoqué une hausse sans précédent de leur prix (acquisition ou location).

Comment la France peut-elle sortir de cette nasse ?

La première solution est de diminuer le niveau des dépenses publiques afin de réduire le niveau des prélèvements et ainsi le coût du travail. Aucun consensus n’existe sur ce sujet.

Depuis de nombreuses années, des économistes comme des spécialistes du droit du travail proposent de réaliser un grand bonneteau des prélèvements en remplaçant une partie des cotisations sociales par des impôts à large assiette, comme au Danemark, où les cotisations ne représentent que 2 % du PIB, contre 12 % en France.  La baisse des cotisations s’accompagnerait d’une augmentation des taux de TVA. Il ne faut jamais oublier que ce n’est pas en mettant un impôt sur une vache que celle-ci le paiera. In fine, ce sont toujours les contribuables finaux qui acquittent l’impôt. Les ménages modestes pourraient être pénalisés pas cette substitution, le poids de la consommation dans leur budget étant plus important.

L’autre voie est de  faire payer les épargnants ou plus globalement les détenteurs de capitaux. Celle-ci semble de plus en plus se dessiner comme a commencé à le faire l’Assemblée nationale lors de l’examen des projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale pour 2026. La hausse de la CSG sur les produits financiers et la réinstauration d’un impôt sur la fortune dite « improductive » marquent une rupture par rapport à la politique de ces sept dernières années. Ces mesures pourraient inciter les ménages les plus aisés à s’expatrier. Elles pourraient avoir un effet contraire à celui recherché. Les ménages pourraient renforcer leur taux d’épargne pour compenser la diminution de son rendement.

Une troisième solution, plus sensible est envisageables, faire contribuer davantage les retraités, soit par une hausse de la CSG, soit par un ralentissement de la progression des pensions. Les dépenses publiques de retraite représentent aujourd’hui 13,8 % % du PIB, soit deux points de plus que la moyenne européenne. Actuellement, aucune majorité, en raison de la proximité de l’élection présidentielle de 2027, n’existe pour mettre en œuvre de manière explicité ces mesures. Néanmoins, la hausse de la CSG sur les revenus du capital touche en premier lieu les retraités qui disposent d’un patrimoine plus important que la moyenne de la population. Le régime complémentaire AGIRC-ARRCO a décidé de ne pas revaloriser ses pensions pour 2026. Or, plus de 40 % des pensions des cadres dépendent de ce régime. Les retraités pourraient être appelés à prendre en charge plus fortement les dépenses liées à la dépendance qui devraient doubler d’ici 2050. Par ailleurs, ils pourraient mis à contribution pour financer la santé. La dépense de santé moyenne annuelle s’élève à 6 448 euros pour une personne de 75 à 84 ans, contre 1 807 euros  un actif

Une hause du SMIC est appelé de ses vœux par certaines organisations syndicales pour réduire les inégalités et accroître la consommation. Une hausse du SMIC écraserait un peu plus les salaires en France. Aujourd’hui, il représente 63 % du salaire médian. Plus de 15 % des salariés sont payés au SMIC. La hausse de ce dernier pourrait réduire l’emploi non qualifié, déjà fragilisé par l’automatisation et la tertiarisation.

Autre tentation récurrente, l’augmentation de la fiscalité des riches.  Une hausse de la fiscalité sur les patrimoines ou les revenus élevés pourrait rapporter de 500 millions d’euros avec le nouvel impôt sur la fortune improductive à une vingtaine de milliards d’euros avec la taxe Zucman. Cette taxation ne réglerai pas l’ensemble du problème financier de la France.

La France consacre plus de 50 % de son PIB à la rémunération du travail (salaires + charges), contre 46 % en Allemagne et 44 % aux Pays-Bas. En France, compte tenu des règles des exonérations de charges sociales, des effets de seuil existent et dissuadent l’employeur d’augmenter ses salariés. Il en résulte une proportion croissante de salariés rémunérés à proximité du SMIC.

La France ne manque ni d’énergie ni de talents, mais elle souffre d’un système fiscal et social figé, qui décourage l’effort et bride la mobilité. Celui-ci est la conséquence d’un niveau élevé de dépenses publiques. Le travail ne paye plus car il coûte trop cher. L’idée de faire payer le consommateur, les retraités, les riches est une illusion. L’objectif numéro 1 devrait la recherche d’une plus grande efficience dans la dépense publique.