7 novembre 2025

Economie – France – Europe – Etats-Unis – Travail – emploi

La France : passager clandestin de l’Europe ?

Face aux difficultés économiques et financières qui s’accumulent, les Français ne se rendent pas compte qu’ils sont protégés par l’Union européenne ou plutôt par l’euro. Ils bénéficient de la force de la monnaie européenne et du rôle de mutualisation des risques qu’elle génère. Cette situation n’est pas sans limite car il ne faut pas oublier que la France vit à crédit sur la discipline des autres.

La froide réalité des chiffres

En 2025, le déficit public français dépassera  5,0 % du PIB et sera deux fois plus élevé que la moyenne européenne. La dette publique est désormais supérieur à 115 % du PIB, contre 89 % pour la zone euro. Elle continue à progresser quand celle des autres Etats membres est en recul. Les dépenses publiques de la France atteignent plus de 57 % du PIB, ce qui constitue un record au sein de l’OCDE. Pour autant, toutes les collectivités publiques  et les Français réclament une hausse des dépenses.

Pour stabiliser le poids de la dette publique, la France devrait consentir un effort de plus de 100 milliards d’euros, or même sur un objectif de 30 milliards d’euros aucun consensus ne se dégage au sein du Parlement. La France ne respecte pas les critères de Maastricht depuis de nombreuses années et rien ne garantit que d’ici 2029 elle puissent s’en rapprocher. En 2026, la France devrait rester le premier émetteur d’obligations souveraines, autour de 300 milliards d’euros. Pour autant, elle emprunte encore à des taux proches de ceux de ses voisins : 3,4 % sur dix ans, contre 2,6 % pour l’Allemagne (taux 2 novembre 2025). La hausse des taux de l’OAT à 10 ans est moins prononcée que celle du déficit ou de la dette.

La France a pu compter entre 2015 et 203 sur la mansuétude de la Banque centrale européenne qui a absorbé près de 700 milliards d’euros de dette dans le cadre de ses programmes d’achat d’actifs. Sans elle, les marchés auraient exigé une prime de plus élevée. Elle peut compter sur la relative tolérance des Etats membres qui constatent le dérapage des comptes publics français sans appeler de réelles sanctions de leurs vœux. Mais, cette tolérance n’est pas sans limite. L’euro suppose que les Etats membres respectent les règles. Il y a une co-responsabilité vis-à-vis de la devise dont la force repose avant tout sur la confiance.

Un enfer sans l’euro

Sans l’euro, si la France avait sa propre monnaie, sa propre banque centrale, il est certain qu’une anticipation de défaut de la France sur sa dette publique apparaîtrait, conduisant à une dépréciation du change et à une forte hausse des taux d’intérêt. Le gouvernement serait sans nul doute contrait de demander l’aide du FMI comme ce fut le cas pour le Royaume-Uni dans les années 1970. A minima, le pays devrait, comme François Mitterrand l’avait fait au début des années 1980 solliciter plusieurs pays pétroliers comme le Qatar pour obtenir des prêts libellés en dollars afin de pouvoir régler les importations.  Sans l’euro, la France serait, en effet, confrontée à un problème de réserve de changes compte tenu de son déficit commercial récurrent depuis 2003, 85 milliards d’euros en 2024. L’Allemagne dégage de son côté plus de 200 milliards d’euros d’excédents. La France ne produit pas assez. Le poids de l’industrie dans le PIB est tombée à 9,3 %, moitié moins qu’en Allemagne (19 %) et bien en dessous de l’Italie (15 %). La productivité horaire a reculé de 1,5 % depuis 2019, tandis qu’elle progressait de +2,5 % outre-Rhin.

Lors de ces vingt dernières années, la France s’est spécialisée dans les emplois domestiques. L’emploi public, plus de 5,7 millions de postes, est plus important en France que dans les autres pays européens.

Certains estiment que la contribution de la France est trop importante. Elle contribue à hauteur de 27,5 milliards d’euros au budget communautaire et en reçoit 20,4, mais elle bénéficie d’aides indirectes, près de 40 milliards d’euros issus du plan Next Generation EU, 9,8 milliards de la PAC, 5 milliards des fonds de transition numérique et énergétique. Par ailleurs, les aides versées aux pays d’Europe centrale permettent à ces derniers d’acheter des produits et services français ce qui concourent positivement à la croissance.

La  BCE ne pourrait pas accepter un défaut (une restructuration) sur la dette de la France car compte tenu du poids de cette dernière au sein de la zone euro et de celui de ses établissements financiers, la qualité de tous les actifs financiers libellés en euros sera en jeu. Le risque d’une crise financière majeure et avec comme conséquence la disparition de l’euro ne serait alors pas nul.

Si la dérive des comptes publics français se poursuit, la BCE pourrait être contrainte pour empêcher un défaut de la France d’acheter des titres publics avec en contrepartie une mise sous tutelle du pays. Cette garantie est pour le moment meilleur atout de la France. Les investisseurs sont conscients que la BCE ne pourra pas se soustraire à son rôle de banquier en dernier ressort. Cette situation explique en partie les taux relativement faibles auxquels est soumise la France.

La France est devenue à son corp défendant le passager clandestin de l’Europe. Tous les autres Etats ont réalisé depuis 2022 des efforts pour maîtriser leur déficit public et leur dette. Le Portugal et la Grèce sont en excédent budgétaire. Le déficit de l’Italie est revenu en-dessous des 3 points de PIB. Pour sortir de ce rôle, elle doit renouer avec une croissance plus importante ce qui nécessite un taux d’emploi plus élevé. Un effort important en faveur de la recherche et développement est nécessaire avec un objectif à 3 % du PIB en 2030 au lieu de 2,2 % aujourd’hui. Les dépenses de R&D en Allemagne, en Suède ou au Danemark dépassent 3 points de PIB. Elles sont en hausse dans ces trois pays depuis trois ans quand elles stagnent en France. L’élévation des compétences des élèves constitue également une priorité.

Cercle de l’Epargne – données OCDE

Pour le moment, grâce à l’Europe, la France a reporté la réalisation des efforts nécessaires à la réduction de ses déficits. En revanche, elle vit à crédit et de plus en plus dans le déni. L’écart de revenus entre les ménages et ceux des Etats d’Europe du Nord tend à s’accroître. Sans sursaut, la France sera bientôt dans le seconde division européenne. 

Etats-Unis – Europe : deux trajectoires ?

L’Europe patine depuis près d’un quart de siècle. La création de l’euro a été l’heure de gloire de la construction européenne tout comme son élargissements aux anciens Etats du bloc de Varsovie. Depuis, le vieux continent est épris d’une langueur monotone. Sur la même période, même si Donald Trump prétend l’inverse, les Etats-Unis ont enregistré un cycle de croissance reposant sur les nouvelles technologies. Hormis la période covid, le pays a connu plus de 15 années de croissance soutenue lui permettant de maintenir ses positions vis-à-vis de la Chine et de d’accroître son avance sur l’Europe.

Depuis 2019, le PIB réel américain s’est accru de 10,3 %, celui de la zone euro de 3,7 %. Le PIB par habitant a augmenté de 7,4 % aux Etats-Unis  contre +1,9 % en Europe. De 1999 à 2025, la productivité horaire s’est accrue de près de 70 % aux Etats-Unis contre 15 % pour la zone euro. Au-delà de l’évolution des gains de productivité, leur répartition est différente de part et d’autre de l’Atlantique. 42% de la hausse de la productivité du travail aux Etats-Unis a été transformé en salaire réel aux Etats-Unis contre 88 % dans la zone euro.

Ce partage différent des gains de produits de productivité se traduit par une plus forte profitabilité des entreprises américaines. Le rendement des fonds propres est de 17 % aux Etats-Unis contre 10 % en Europe. Le capital américain féconde la productivité, le capital européen fertilise la rente. Les profits des entreprises sont moins réinvestis dans la production en Europe, 50 % contre 70 % outre-Atlantique.

La rentabilité du capital américain est imputable à un niveau d’investissement élevé et à effort de Recherche-Développement important.

L’investissement privé américain a progressé de +22 % depuis 2019, contre +6 % dans la zone euro. Les investissements dans les technologies de l’information et de la communication représentent plus de 1 % du PIB aux Etats-Unis contre moins de 0,5 % du PIB en Europe. Les dépenses de R&D atteignent  3,5 % du PIB aux Etats-Unis contre 2,2 % en zone euro. Les investissements dans l’IA et les semi-conducteurs se sont élevées en 2024 à:420 milliards de dollars aux États-Unis contre 130 milliards dans l’Union européenne. Le nombre de brevets liés à la robotique a été de 42 000 outre-Atlantique.

Même si le partage des gains de productivité est moins favorable aux salariés américains par rapport à ceux de l’Europe, leur importance débouche in fine sur des augmentations de rémunération plus importantes. Le système américain repose avant tout sur la consommation qui représente plus de 68 % du PIB, contre moins de 55 % en zone euro La consommation progresse ainsi plus vite aux Etats-Unis. réel). Entre 1999 et 2024, elle y a augmenté en moyenne de 2,48 % par an contre +1,3 % par an au sein de la zone euro, sachant qu’elle y stagne depuis 2017.

La consommation américaine peut compter sur la progression du revenu disponible réel des ménages américains, +9 % depuis 2019, contre +2 % dans la zone euro. Les Européens dont le niveau de confiance dans l’avenir est faible ont une forte propension à l’épargne, plus de 15 % de leur revenu disponible brut conter moins de 8 % aux Etats-Unis.

La préférence donnée à la consommation aux Etats-Unis a pour conséquence un déficit élevé de la balance des paiements courants, 5 % du PIB en 2024, contre un excédent de 2 points de PIB pour la zone euro. Donald Trump entend réduire ce déficit grâce à ses droits de douane au risque de pénaliser la consommation et la croissance américaine.

Les inégalités le revers de la médaille américaine

Les inégalités de revenus et la pauvreté sont nettement plus fortes aux Etats-Unis que dans la zone euro. Pour cette dernière, les inégalités avant redistribution sont fortement corrigées par les prestations et le système fiscal. Les dépenses sociales y atteignent en moyenne près de 30 % du PIB, plus de 34 % en France, contre 24 % aux Etats-Unis. Les inégalités de revenus et de patrimoines se sont fortement accrues Outre-Atlantique quand elles sont relativement stables en Europe. Pour autant, ces dernières années, le salaire réel moyen américain a progressé aux Etats-Unis quand il a régressé en Europe.

France : à la recherche de la productivité perdue

La croissance du PIB repose sur plusieurs facteurs : la hausse de la population en âge de travailler, la hausse du taux d’emploi, la progression de la productivité et le volume de capital.

Depuis 2019, en France, la population active stagne et elle devrait reculer d’ici 2035 surtout en cas de freinage de l’immigration. Entre le 2e trimestre 2019 et le 2e trimestre 2025, la productivité a reculé de 2 %. Depuis 2010, elle n’a progressé que de 5 %.

Avec un investissement en recul, le facteur « capital » joue plutôt contre la croissance. Celle-ci n’a été portée, ces dernières années, que par l’amélioration du taux d’emploi. De 2019 à 2025, le taux d’emploi des 15/24 ans est passé en France de 31 à 35 % et celui des 55/64 ans de 55 à 61 %. Sur la même période, le taux d’emploi des 15.64 ans est passé de 67 à 69 %.

La hausse du taux des jeunes est imputable à la progression de l’apprentissage. Le nombre d’apprentis est passé de 300 000 à un million entre 2017 et 2024 avec en contrepartie un coût élevé pour les finances publiques 6 milliards d’euros. Le développement de l’apprentissage a donné lieu à des effets d’aubaine. Les entreprises ont eu recours à cette solution pour diminuer leur masse salariale. De plus en plus d’étudiants de l’enseignement supérieur ont recours à l’apprentissage ce qui leur permet de percevoir un salaire et de trouver plus facilement une entreprise. Plus de 500 000 étudiants de l’enseignement supérieur étaient, en 2024 apprentis contre moins de 200 000 en 2017.

La hausse du taux a été ces cinq dernières années de 5 % soit un peu près la croissance du PIB. L’arrêt de l’amélioration du taux d’emploi se ressentira directement sur l’évolution du PIB. La diminution des aides à l’apprentissage et la suspension de la réforme des retraites auront des effets sur l’un et sur l’autre.

Avec le vieillissement de la population, de plus en plus d’actifs ont plus de 55 ans. L’âge moyen de ces derniers est passé de 40,4 à 42,1 ans lors de ces quinze dernières années. Les besoins d’emploi sont de plus en plus dans les services et notamment dans ceux relevant de la santé et l’aide à domicile. Ces secteurs sont à la recherche de salariés jeunes qui font défaut compte tenu de la démographie et de la disparition du volant de l’immigration.

Pour obtenir de la croissance, à défaut de jouer sur le facteur du travail, la France devra compenser avec des gains de productivité ce qui suppose une mobilisation de l’épargne qui s’investit en priorité aux Etats-Unis compte tenu du différentiel de rendement. L’investissement productif privé plafonne en France à 11 % du PIB, contre 13 % en Allemagne et 15 % aux États-Unis.