31 janvier 2025

Economie – France incertitudes – taux d’intérêt

La France au temps des incertitudes

Lors de sa dernière utilisation, en 1986, la droite et le centre, le RPR et l’UDF, avaient réussi à déjouer les espoirs de François Mitterrand en obtenant, à quelques unités près, la majorité absolue. À l’époque, le jeu politique tournait autour de deux grandes coalitions, la droite et la gauche. L’introduction de la proportionnelle avait néanmoins permis au Front National, emmené par Jean-Marie Le Pen, d’avoir un groupe parlementaire de 35 députés. A priori, jusqu’à la prochaine élection présidentielle, censée intervenir en 2027, la probabilité est forte que les gouvernements ne disposent pas d’une majorité stable. L’élection présidentielle permettra-t-elle de rétablir le fait majoritaire, comme cela a été le cas en 1981, 1988, 2002, 2007, 2012 et 2017 ? Nul ne peut le garantir, d’autant plus si la proportionnelle est introduite. Malgré tout, la coalition qui soutiendra le Président au second tour constituera sans nul doute la force d’ancrage d’une éventuelle majorité. D’ici là, quelles seront les conséquences économiques de cette situation d’instabilité potentielle ?

L’économie française vit au rythme des incertitudes politiques depuis le mois de juin dernier. La fragmentation de l’Assemblée nationale en trois blocs empêche la constitution d’une majorité stable dans le temps. L’adoption de la première motion de censure depuis 1962 témoigne de la difficulté, pour tout gouvernement, à faire adopter un projet de loi, et tout particulièrement un budget. La mise en œuvre de réformes structurelles est, dans ce contexte politique, improbable. Avec une majorité relative entre 2022 et 2024, une seule réforme d’importance a été adoptée, mais grâce au recours à l’article 49-3 de la Constitution. Théoriquement, le Président de la République pourra à nouveau dissoudre l’Assemblée nationale au mois de juillet prochain. Compte tenu des vacances d’été, dans les faits, les élections législatives ne pourraient avoir lieu qu’en septembre. Rien ne semble indiquer que les lignes politiques aient réellement bougé depuis le mois de juillet dernier. Certes, la perspective de l’instauration de la proportionnelle pourrait changer la donne. Tout dépendra de la nature de cette proportionnelle (intégrale, départementale, régionale, limitée aux départements les plus peuplés, etc.) ainsi que des éventuels regroupements de partis politiques. Le recours à la proportionnelle devrait, dans tous les cas, confirmer l’absence de majorité absolue.

Après avoir augmenté de 2015 à 2022 (hors période Covid), l’investissement des entreprises françaises a reculé depuis le deuxième trimestre 2023. Il était passé de 10,5 % à 12 % du PIB entre 2015 et 2022 pour revenir à 11,5 % en 2024. Les dirigeants d’entreprises optent pour la prudence compte tenu des menaces d’augmentation des prélèvements obligatoires. L’atonie de la demande intérieure les dissuade également d’investir. Le sous-investissement pèse sur l’évolution de la productivité, qui a baissé de plus de 5 % entre 2019 et 2024. Elle s’est stabilisée l’année dernière, mais sans connaître un réel rattrapage.

La succession de chocs depuis 2020 conduit les ménages à épargner davantage. Le taux d’épargne est passé de 15 % à 18 % du revenu disponible brut entre 2019 et 2024. La crise politique s’est accompagnée d’une baisse du moral des ménages. Les craintes en matière de hausse des prélèvements et de chômage sont élevées et constituent un moteur pour l’épargne de précaution. La multiplication des annonces de licenciements et de faillites d’entreprises, même si celles-ci sont en grande partie imputables à un effet de rattrapage après la période Covid, marquée par leur faible nombre, a été durement ressentie par la population. La consommation est étale depuis plusieurs années. Elle baisse même pour les biens manufacturés.

Faute d’investissement et de consommation, la croissance ne peut être que faible dans les prochaines années. Elle ne devrait guère dépasser 1 %. Cette situation rend plus complexe la réduction du déficit public et la maîtrise de la dette publique. Le premier évolue autour de 5,5 % à 6 % du PIB, et la seconde dépasse désormais 113 % du PIB.

Faible croissance et niveau élevé de déficit public devraient conduire les investisseurs à réclamer une prime de risque plus importante pour les emprunts publics. L’écart de taux avec l’Allemagne, qui est passé de 0,5 à plus de 0,8 d’avril 2024 à janvier 2025, pourrait continuer de s’accroître, tandis que celui avec l’Italie se réduirait nettement. Ce dernier est passé de 1,1 en janvier 2020 à 0,3 en janvier 2025. L’Espagne emprunte désormais à 0,15 point en-dessous du taux de la France. Un an auparavant, cette dernière bénéficiait de taux d’intérêt inférieurs de 0,4 point à ceux de son partenaire ibérique.

La France, pays dont les dépenses publiques dépassent 56 % du PIB et les prélèvements obligatoires 45 % du PIB, est sensible aux aléas politiques. Pays jacobin, centralisé, administré, tout doute dans la mise en œuvre des politiques publiques a des incidences sur l’activité. Le poids du secteur public (fonctions publiques, entreprises publiques) est important, avec plus de 5,5 millions de salariés. L’absence de budget est durement vécue en raison de ses conséquences en matière d’investissements. La faiblesse de la sphère publique pourrait amener le secteur privé à gagner en autonomie, mais cela nécessitera du temps. En Italie, en Belgique et en Espagne, , l’influence du politique sur l’activité est moindre qu’en France.

Des taux d’intérêt à long terme plus hauts ?

Le taux d’intérêt à 10 ans est remonté aux États-Unis de 3,64 % à la mi-septembre 2024 à environ 4,60 % à la mi-janvier 2025 ; en Allemagne, il est passé de 2,03 % au début du mois de décembre 2024 à environ 2,50 % en janvier 2025 ; en France, il a progressé de 2,9 % à 3,4 %.

Plusieurs facteurs contribuent à la hausse des taux d’intérêt à long terme, malgré la diminution des taux directeurs des banques centrales. La forte croissance des États-Unis alimente cette tendance. La croissance américaine avoisine les 3 %. Les créations d’emplois restent soutenues, avec environ 200 000 nouveaux postes par an. L’inflation demeure élevée : 2,9 % en décembre en rythme annuel, tandis que l’inflation sous-jacente s’élève à 3,2 %. La politique économique de Donald Trump est susceptible d’accentuer ces tensions inflationnistes. La réduction de l’immigration et la hausse des droits de douane exercent une pression à la hausse sur les salaires et les prix des biens de consommation. Par conséquent, les anticipations de taux d’intérêt à court terme restent élevées et ont nettement progressé depuis l’été 2024. L’anticipation d’inflation à long terme (mesurée par les swaps d’inflation à 10 ans) a également augmenté.

L’augmentation des taux d’intérêt à long terme se propage à la zone euro. Les taux ont repris 0,5 point depuis le milieu de l’été. Cette hausse est nécessaire pour éviter une fuite des capitaux vers les États-Unis. Elle est également alimentée par des facteurs internes à la zone euro. L’inflation, comme aux États-Unis, fait de la résistance. En décembre 2024, l’inflation totale s’élevait à 2,4 % sur un an (contre 1,7 % en septembre), tandis que l’inflation hors énergie et aliments non transformés atteignait 2,7 %. Cette remontée de l’inflation, liée à un effet de base sur les prix de l’énergie, génère des incertitudes sur l’ampleur des baisses de taux directeurs que la Banque centrale européenne (BCE) pourrait opérer en 2025. Les investisseurs se montrent de plus en plus prudents à ce sujet. Les taux des contrats Euribor à trois mois pour les échéances de décembre 2025 et 2026 sont orientés à la hausse.

La hausse des taux d’intérêt à long terme est également provoquée par l’arrêt des rachats d’actifs par la BCE. La taille de son bilan se contracte : il est passé de 6 000 à 4 800 milliards d’euros entre décembre 2022 et décembre 2024. Pour mémoire, il s’élevait à 3 000 milliards d’euros fin 2019. La contraction s’est accélérée à partir de janvier 2025 avec l’arrêt des réinvestissements des obligations arrivant à échéance dans le cadre du PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme). Cet arrêt réduira la base monétaire de la zone euro de 175 milliards d’euros supplémentaires en 2025. Les États doivent désormais compter exclusivement sur le marché pour leurs besoins de financement. Or, ces besoins sont en hausse, particulièrement pour la France, qui devra lever 300 milliards d’euros en 2025.

Le risque politique en Allemagne, en France, en Espagne, aux Pays-Bas et en Autriche contribue également à la hausse des taux. Par ailleurs, les incertitudes géopolitiques liées au retour de Donald Trump à la Maison-Blanche accentuent cette pression.

Compte tenu des besoins de financement des administrations publiques de part et d’autre de l’Atlantique et de l’augmentation du risque politique, l’orientation des taux d’intérêt longs reste haussière. Cette situation pénalise les États fortement endettés et peut freiner la reprise de l’activité, en particulier dans la zone euro.