23 novembre 2024

Economie – inflation – immigration – dépenses sociales

Le cercle vicieux des dépenses sociales en France

En France, depuis une quarantaine d’années, les transferts d’origine publique s’efforcent de corriger les inégalités sociales. Cette situation contribue au maintien de faibles salaires, d’un faible taux d’emploi et d’un nivellement par le bas de l’économie, générant ainsi un cercle vicieux. La hausse des dépenses sociales entraîne celle des prélèvements obligatoires, limitant d’autant l’augmentation des rémunérations. Au sein de l’OCDE, de nombreux pays, dont la Suède, ont privilégié un autre modèle reposant sur l’élévation des salaires et des compétences.

Avant redistribution, la France se distingue par une forte inégalité des revenus. L’indice de Gini, qui mesure cette inégalité, était de 0,53 en 2022, contre 0,44 en Suède. Il tend à augmenter en France depuis vingt ans, tandis qu’il reste stable en Suède. Après redistribution, l’écart entre les deux pays se réduit : l’indice de Gini est de 0,30 en France contre 0,29 en Suède.

En Suède, la réduction des inégalités a été obtenue grâce à l’augmentation du taux d’emploi, passé de 74 % à 78 % entre 2002 et 2023. En France, ce taux s’améliore mais reste nettement inférieur à la moyenne européenne, atteignant 68 % en 2022 contre 63 % en 2002. Le niveau élevé du taux d’emploi en Suède permet de réduire les inégalités de revenu. En France, la sous-activité pousse les pouvoirs publics à compenser l’absence de revenus par des transferts sociaux. Les dépenses sociales représentent un tiers du PIB en France, contre 27 % en moyenne au sein de la zone euro. Depuis les années 1990, la Suède a entrepris un important effort de réduction des dépenses publiques en conditionnant, par exemple, les indemnités de chômage au suivi de formations pour les demandeurs d’emploi. Le pays a également réformé les retraites en adoptant un régime par points fondé sur des comptes notionnels. Le montant des pensions y dépend de l’évolution de l’espérance de vie et du PIB. Par ailleurs, une réforme de l’État a introduit un système d’agences employant des salariés de droit privé, assorti d’une évaluation permanente des résultats. Les dépenses publiques sont ainsi passées de 65 % du PIB en 1994 à 50 % en 2024, tandis qu’en France, elles sont passées de 49 % à 57 %. La Suède a également misé sur des dépenses accrues en Recherche et Développement (R&D) pour maintenir des gains de productivité substantiels. En 2023, les dépenses totales en R&D représentaient 3,5 % du PIB en Suède contre 2,3 % en France. En trente ans, elles ont augmenté de 0,9 point de PIB en Suède, alors qu’elles ont diminué de 0,2 point en France. Entre 1990 et 2023, la productivité par tête a progressé de 70 % en Suède contre seulement 23 % en France. Depuis 2017, la productivité recule en France, tandis qu’elle continue de progresser en Suède.

Le modèle suédois apparaît ainsi plus performant que celui de la France. En privilégiant les revenus directs sur les prestations sociales, la Suède a réussi à maîtriser ses dépenses publiques. Par conséquent, le poids des prélèvements obligatoires a diminué, passant de 49 % à 42 % du PIB entre 1994 et 2024, alors qu’en France, il est passé de 42,5 % à 45,8 % sur la même période.Le modèle suédois permet au pays de bénéficier d’une croissance potentielle plus élevée et d’une adhésion plus forte de la population à son système économique.

Le rôle de l’immigration dans la désinflation aux États-Unis

La baisse de l’inflation aux États-Unis depuis 2022 provient en grande partie de la modération des salaires. Ce phénomène est lié à la forte immigration des dernières années. La réduction des flux migratoires, voire le renvoi de millions d’immigrés, comme le préconise Donald Trump, pourrait entraîner des conséquences sur l’inflation aux États-Unis et sur la politique de la Banque centrale.

L’inflation, qui avait dépassé 8 % en 2022, est revenue autour de 2,5 % en 2024. La progression des salaires nominaux a diminué sur la même période, passant de près de 7 % à 5,5 %, tandis que les gains de productivité restent élevés. La moindre progression des salaires s’explique par une détente des tensions sur le marché du travail : la proportion d’entreprises rencontrant des difficultés de recrutement est passée de 60 % à 40 % entre 2022 et 2024. Sur la même période, le ratio emplois vacants/chômeurs a chuté de 2,2 à 1,1.

Cette détente sur le marché du travail aux États-Unis ne s’explique pas par une faiblesse de la croissance, mais par une hausse de l’immigration. La proportion de personnes nées à l’étranger est passée de 10 % en 2010 à 14,5 % en 2024. Au cours des trois dernières années, 12 millions d’étrangers en situation irrégulière sont entrés aux États-Unis. À la fin de l’année  2023, le nombre de demandes d’asile a atteint 10 000 par jour. Sur l’ensemble de l’année 2023, trois millions de demandes d’asile ont été déposées. En juin 2024, Joe Biden a décidé de fermer la frontière pour limiter les arrivées irrégulières.

Passée de 3,6 % à 4,2 % entre la mi-2023 et la mi-2024, la hausse du chômage est imputable en grande partie à l’immigration, et non à un ralentissement économique. Un arrêt de l’immigration pourrait entraîner une hausse des rémunérations et, par ricochet, une hausse de l’inflation. Les pénuries de main-d’œuvre risqueraient de s’aggraver dans de nombreux secteurs. Les États-Unis tirent une grande partie de leur dynamisme économique de l’arrivée d’une main-d’œuvre abondante, diplômée et non diplômée.

Inflation ou désinflation, à vous de choisir !  

La désinflation constatée au sein de l’OCDE ces derniers mois semble indiquer un retour à la normale de l’économie, du moins sur ce front. Toutefois, certains économistes prévoient une tendance haussière des prix dans les années à venir, tandis que d’autres estiment que les forces déflationnistes demeurent puissantes.

La baisse des prix depuis 2023 s’explique en grande partie par la diminution des cours de l’énergie et des matières premières. Dans les prochaines années, ces cours pourraient repartir à la hausse. Avec le développement des énergies renouvelables, les besoins en cuivre, en nickel et en terres rares devraient augmenter, d’autant plus que ces matières premières sont majoritairement contrôlées par un petit nombre de pays, dont la Chine et la Russie. Dans les pays de l’OCDE, la réglementation limite la recherche et l’exploitation minières. Par ailleurs, la demande énergétique devrait croître avec le développement économique de l’Afrique. De nombreux gisements pétroliers et gaziers en Russie et aux États-Unis seront épuisés dans les prochaines années, et les nouveaux gisements peinent à compenser la fermeture des anciens.

Le coût des énergies renouvelables reste actuellement supérieur à celui des énergies fossiles. Ces premières nécessitent d’importants investissements, et des capacités de production électrique classique ou des batteries sont indispensables pour pallier le caractère aléatoire de l’énergie éolienne et solaire. Cette situation alourdit les coûts de production d’énergie.

Avec le vieillissement démographique, les pénuries de main-d’œuvre devraient s’accentuer. À l’exception des États-Unis, la population en âge de travailler diminuera de 0,5 à 1,6 % par an entre 2024 et 2040 dans les pays de l’OCDE et en Chine. Cette rareté généralisée de la main-d’œuvre provoquera une hausse des salaires, alimentant ainsi l’inflation. Le vieillissement démographique implique moins d’actifs et plus de retraités, ces derniers consommant davantage de services, notamment dans le domaine de la santé, secteur naturellement inflationniste en raison de ses faibles gains de productivité.

À l’inverse, certains économistes redoutent un retour de la déflation. Les pays émergents et la Chine risquent de se retrouver avec des capacités de production excédentaires, entraînant une baisse des prix des produits industriels tels que l’aluminium, les batteries, les cellules solaires ou les éoliennes. En Chine, le taux d’utilisation des capacités de production est passé de 79 % en 2021 à 75 % en 2024. Face à une demande intérieure atone, liée à la crise immobilière, les entreprises chinoises baissent leurs prix à l’exportation, suscitant l’hostilité des pays occidentaux qui multiplient les droits de douane. Les fournisseurs chinois réagissent en réduisant encore davantage leurs tarifs, entraînant une baisse des indices des produits industriels aux États-Unis, au Japon et en Europe. La montée en puissance des énergies renouvelables pourrait également contribuer à une baisse des prix. En 2024, le cours de l’électricité sur le marché européen Spot est en moyenne inférieur à son niveau d’avant la crise sanitaire. Entre 2015 et 2023, la production d’énergie renouvelable en Europe a considérablement progressé. En 2022, les énergies renouvelables représentaient 23  % de la consommation finale brute d’énergie dans l’Union européenne, contre 20,3  % en France. Cette croissance s’explique principalement par le développement de l’éolien et du solaire. L’Union européenne vise une part de 42,5 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie d’ici 2030, selon la directive sur les énergies renouvelables adoptée en novembre 2023. La baisse de la demande pétrolière pourrait entraîner une diminution de son prix dans les années à venir, alors que l’énergie et les matières premières ont été les principaux facteurs d’inflation entre 2022 et 2023.

Les pénuries de main-d’œuvre pourraient être atténuées par une hausse du taux d’emploi, qui reste faible dans de nombreux pays comme la France ou l’Inde. Les gains de productivité générés par l’intelligence artificielle pourraient également réduire les tensions sur le marché de l’emploi. Bien que l’immigration soit source de tensions, elle reste un levier essentiel pour surmonter les difficultés de recrutement. La forte croissance démographique de l’Afrique, dont la population devrait dépasser 2,4 milliards d’ici le milieu du siècle (contre 1,3 milliard actuellement), pourrait modérer les coûts à l’échelle mondiale.

Si le vieillissement démographique est souvent considéré comme inflationniste, le Japon, en avance sur ce phénomène, montre que l’inflation peut rester structurellement basse. Les seniors consomment en effet moins que les actifs et épargnent davantage. En outre, les progrès technologiques pourraient générer d’importants gains de productivité dans les services, compensant ainsi le déficit de main-d’œuvre.

Inflation ou déflation, une partie de la réponse repose sur les gains de productivité. Si ces derniers continuent de s’éroder, l’économie deviendra plus inflationniste. En revanche, si l’intelligence artificielle permet d’importants gains de productivité, les prochaines années pourraient être marquées par une faible inflation, voire une déflation.