3 janvier 2025

Economie – inflation – investissement

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L’inflation fait de la résistance

Les banques centrales et les gouvernements n’ont-ils pas crié victoire trop tôt en estimant que l’inflation avait été endiguée ? Son retour dans la zone cible des 2 % a permis d’engager un processus de baisse des taux directeurs. Cependant, les facteurs inflationnistes demeurent.

Dans plusieurs pays de la zone euro, notamment en Espagne, le taux d’inflation remonte depuis quelques mois. Le taux d’inflation sous-jacente (hors énergie et produits agricoles non transformés) se situe autour de 2,7 %. Avec la fin de l’effet de base lié à la baisse des prix de l’énergie, le taux d’inflation global est amené à progresser dans les prochains mois.

La décélération de la hausse des prix depuis le printemps 2023 est largement attribuable à la baisse des prix de l’énergie. Toutefois, ces derniers sont désormais stables. Le baril de Brent s’échange entre 72 et 75 dollars. Le prix du gaz, quant à lui, tend à remonter en raison de la fin de l’accord entre la Russie et l’Ukraine, qui autorisait le transit de gaz russe via les gazoducs ukrainiens. La non-reconduction de cet accord oblige certains pays d’Europe de l’Est, comme la Slovaquie, à trouver de nouveaux fournisseurs.

L’inflation a également reculé ces derniers mois grâce à la compression des taux de marge des entreprises, un processus qui semble désormais arrivé à son terme. Les entreprises pourraient même chercher à reconstituer leurs marges. Par ailleurs, elles continuent de faire face à des pénuries de main-d’œuvre et à des demandes de revalorisation des salaires. Les salaires et les coûts salariaux unitaires progressent rapidement, avec une hausse estimée à +4,5 % en 2024 et probablement +3,5 % en 2025. Cette dynamique est également alimentée par la faiblesse des gains de productivité.

Si la demande en produits industriels reste faible, celle en services demeure soutenue. Les ménages maintiennent leurs dépenses de loisirs, et le vieillissement démographique entraîne une forte augmentation de la demande dans les services domestiques (santé, services à la personne). En conséquence, les prix dans les services ont tendance à progresser rapidement. En parallèle, l’industrie européenne est confrontée aux impératifs de la transition écologique. Elle doit réaliser des investissements importants pour décarboner ses activités, ce qui génère une hausse des coûts.

Contrairement aux prévisions de la BCE, une remontée de l’inflation autour de 2,5 % en 2025 est possible, d’autant que le volume des liquidités issues de la période de politique monétaire accommodante reste élevé.

Pour le moment, les investisseurs anticipent que les taux directeurs de la Banque centrale européenne passeront de 3 % à 1,8 % en 2025. La faible croissance du PIB incite la banque centrale à réduire rapidement ses taux, mais elle pourrait néanmoins en ralentir le rythme. L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche pourrait également changer la donne. Sa politique, intrinsèquement inflationniste, pourrait accélérer la hausse des prix via une augmentation des droits de douane et une réduction de l’immigration. Dans ce contexte, la FED pourrait opter pour des baisses de taux plus limitées. Compte tenu de l’attractivité des États-Unis pour les capitaux, la BCE serait contrainte de suivre. L’économiste Patrick Artus prévoit des taux directeurs de la BCE autour de 2,5 % en 2025. Les révisions à la hausse des anticipations de taux d’intérêt à court terme entraîneraient des conséquences sur les taux longs, ce qui constituerait une mauvaise nouvelle pour les États les plus endettés, comme la France ou l’Italie.

La politique économique est de plus en plus dictée par les émotions et les ressentis, avec le risque pour les décideurs de commettre des erreurs. Déjà, lors de la pandémie de Covid, les gouvernements ont surréagi en multipliant les plans de relance. Sous la pression de l’opinion, les banques centrales ont décidé de réduire rapidement leurs taux directeurs sans attendre une confirmation durable de la baisse de l’inflation. Pour éviter une reprise de l’inflation ou l’apparition d’une stagflation, elles pourraient limiter l’ampleur de la baisse de leurs taux directeurs en 2025.

Le cercle vicieux du sous-investissement en Europe

L’écart de croissance de part et d’autre de l’Atlantique est, depuis plusieurs années, significatif. Les États-Unis attirent de plus en plus les capitaux européens, au risque d’enclencher un cercle vicieux de sous-investissement en Europe.

Le taux d’investissement aux États-Unis a dépassé, en 2024, 14 % du PIB, contre 11,5 % en zone euro. Il a gagné deux points de PIB entre 2022 et 2024 aux États-Unis, tandis qu’il a baissé d’un point en zone euro. L’investissement en TIC, y compris les logiciels, représentait, en 2024, 3,6 % du PIB aux États-Unis, contre 2,4 % en zone euro. Les investissements directs en provenance de l’étranger se sont élevés aux États-Unis à 6 % du PIB, alors que le solde était négatif de deux points pour la zone euro.

Cette divergence dans les investissements entraîne une divergence équivalente dans la croissance du PIB. Entre 2010 et 2024, le PIB des États-Unis a augmenté de 42 %, tandis que celui de la zone euro n’a progressé que de 20 %. Le positionnement de l’économie américaine dans les secteurs technologiques à forte croissance contribue à cet écart. Aux États-Unis, le secteur des nouvelles technologies représente 10 % du PIB, contre 5,5 % au sein de l’Union européenne. Les entreprises américaines sont également plus rentables : le RoE (Return on Equity) est de 16 % aux États-Unis, contre 10,5 % en zone euro. Le capital-risque y est beaucoup plus développé. En 2023, les levées de fonds en Venture Capital représentaient 22 milliards d’euros dans l’Union européenne, contre 250 milliards de dollars aux États-Unis. De plus, les entreprises européennes disposent de fonds propres bien inférieurs à ceux de leurs homologues américaines. La capitalisation boursière des entreprises de l’indice américain S&P 500 dépasse 5 000 milliards de dollars, contre 1 000 milliards d’euros pour les entreprises de l’indice Stoxx Europe 600. En dix ans, la capitalisation des premières a doublé, tandis que celle des secondes n’a progressé que de 20 %.

Puisque les États-Unis attirent un volume croissant de capitaux au détriment de l’Europe, le taux d’investissement reste anormalement faible dans cette dernière. En conséquence, les gains de productivité diminuent, tout comme la croissance du PIB. Depuis 2017, la productivité par tête est restée stable en zone euro, alors qu’elle a augmenté de 15 % aux États-Unis. Entre 2010 et 2024, la productivité a progressé de 21 % aux États-Unis, contre moins de 5 % en zone euro. Les entreprises européennes sont incitées à se localiser aux États-Unis afin de bénéficier d’un marché en croissance et de gains de productivité importants. La politique d’aides en place depuis plusieurs années a renforcé l’attractivité des États-Unis. L’augmentation des droits de douane sur les importations européennes, que Donald Trump entend mettre en œuvre, pourrait encore accentuer ce mouvement de délocalisation. L’attractivité des États-Unis pour les entreprises européennes est donc de plus en plus forte. En 2024, elles y ont réalisé plus du quart de leurs investissements. Cette situation accentue l’écart entre les États-Unis et l’Europe en termes de productivité et de croissance. L’économie européenne repose de plus en plus sur les services domestiques (services à la personne, loisirs), caractérisés par une faible productivité et de faibles rémunérations. Pour inverser cette tendance, l’Europe doit unifier rapidement son marché des capitaux, favoriser les investissements dans les secteurs de pointe, améliorer son système de formation et accroître son effort en matière de recherche.