Economie – politique monétaire – immobilier vs actions – productivité –
La BCE doit-elle rapidement diminuer ses taux directeurs ?
Avec la baisse de l’inflation et le ralentissement de la croissance, les pressions sur la Banque centrale européenne sont de plus en plus fortes afin qu’elle amorce le plus rapidement possible la diminution de ses taux directeurs. Pour autant, l’assouplissement de la politique monétaire dès le printemps n’est pas sans risque.
Au mois de mars, le taux d’inflation de la zone euro est revenu à 2,4 % proche de l’objectif des 2 % fixé par la Banque centrale européenne. Dans ce contexte, une diminution des taux directeurs est attendue avant la fin juin. Les investisseurs parient, par ailleurs, sur trois baisses avant la fin de l’année. La diminution des taux directeurs est attendue par de nombreux acteurs économiques qui sont confrontés à une baisse de la demande. L’augmentation des taux a, en particulier, fortement touché le secteur de l’immobilier. Malgré tout plusieurs indicateurs semblent indiquer que l’inflation demeure présente dans le circuit économique. Les coûts salariaux continuent d’augmenter en rythme annuel de 3 à 4 %. Le prix des services progresse encore de 4 % par an. Les entreprises maintiennent des marges bénéficiaires élevées ce qui induit des hausses de prix. La contribution négative du prix des importations à l’inflation qui a été de -1,5 point à la fin de 2023, disparait progressivement. La hausse du prix du baril de pétrole ces dernières semaines, en lien avec les tensions au Proche et Moyen-Orient, contribue même à une augmentation des prix de l’énergie. Le taux d’inflation sous-jacente (hors énergie et aliments non transformés) qui est un indicateur clef pour déterminer les taux directeurs de la banque centrale demeure encore élevé, à 3,1 % en mars 2024. Si la Banque centrale européenne abaisse ses taux directeurs rapidement, elle s’expose à une reprise de l’inflation et à une nouvelle progression des actifs en particulier boursiers. Ces derniers ont doublé depuis 2015, année de la mise en œuvre de la politique monétaire non-conventionnelle. Le redémarrage de l’inflation n’est pas à négliger compte tenu de la diminution de la productivité par tête au sein de la zone euro. Celle-ci a diminué de 5 % depuis 2017. Comme les entreprises ont tendance à maintenir leurs marges, cette baisse de la productivité conduit à des augmentations de prix. Par ailleurs, le maintien des pénuries de main-d’œuvre génère des tensions persistantes sur les salaires. Malgré la stagnation économique, le taux de chômage demeure au plus bas au sein de la zone euro, autour de 6 %.
La Banque centrale européenne saura-t-elle résister aux pressions des gouvernements en pleine période électorale pour les élections européennes et accepter l’impopularité d’un maintien des taux directeurs à leur niveau actuel ? La raison semble imposer de différer la première baisse au mois de septembre. Les mauvaises prévisions de croissance pourraient a contrario la pousser à maintenir le calendrier qu’elle a retenu en début d’année.
Chine, Europe, États-Unis : les limites du combat commercial
Depuis plusieurs années, la Chine a développé ses capacités de production, dans les secteurs de l’automobile, des batteries et de la sidérurgie. Ces capacités sont d’autant plus importantes que la demande intérieure est étale. Ces capacités importantes incitent les entreprises chinoises à exporter notamment en Europe et aux États-Unis. Cette conquête de parts de marché s’effectue au moment même où les pays de l’OCDE tentent de se réindustrialiser. Ces derniers sont de plus en plus tentés d’instituer des barrières protectionnistes afin de protéger leur industrie.
La Chine est confrontée à une situation d’excès de capacité de production industrielle en lien avec l’affaiblissement de la demande interne. Dans les années 2010, les gouvernements chinois ont parié sur le développement de celle-ci pour compenser la stagnation des exportations. La crise immobilière et le vieillissement démographique conduisent à une faible progression de la demande intérieure. Cette dernière est stable depuis 2020. Entre 2010 et 2023, la demande intérieure en produits manufacturiers a doublé quand la production a triplé. L’excédent de production a pour conséquence une diminution des prix des produits industriels sur le marché intérieur chinois. La baisse, dépasse 1 % en rythme annuel. L’écart croissant entre demande intérieure et production risque d’augmenter dans les prochaines années en raison du maintien d’un fort taux d’investissement (hors immobilier). L’investissement hors construction est en hausse de 8 % en rythme annuel au début de l’année 2024. L’investissement en machines et équipements progresse même de près de 20 %. Dans ces conditions, les entreprises chinoises tentent par tous les moyens d’accroître leurs exportations de biens. Celles-ci à destination de l’Union européenne atteignent 500 milliards de dollars en rythme annuel fin 2023, contre 400 milliards de dollars fin 2019.
Les pays occidentaux sont amenés à protéger leur marché intérieur en multipliant les droits de douane ou les quotas. L’Union européenne essaie ainsi de limiter les importations de batteries et de voitures électriques, de cellules photovoltaïques et des éoliennes. Les États-Unis ont décidé d’accroître les droits de douane sur l’acier. Les Occidentaux accusent les entreprises chinoises de bénéficier d’aides publiques et de procéder à du dumping. L’Europe comme les États-Unis sont sur la défensive en recourant à des mesures traditionnellement mises en œuvre par les pays émergents ou en développement. L’économie européenne est confrontée à un écart de coûts salariaux avec la Chine de 25 %. La productivité permettait jusqu’à maintenant de compenser cet écart mais elle a tendance à baisser en zone euro depuis 2017. Pour les secteurs à forte intensité technologique, la Chine a des niveaux de productivité proches de ceux de l’Europe.
L’instauration de droits de douane en Europe comme aux États-Unis aboutit à augmenter les prix de vente et à pénaliser les consommateurs et la croissance. Elle risque de ralentir la diffusion du progrès technique et d’accroître un peu plus les niveaux de prix entre la Chine et les pays de l’OCDE. Le choix des sanctions bilatérales a pour conséquence de générer une spirale protectionniste qui nuit aux échanges internationaux et donc à la croissance. En cas de dumping avéré de la Chine, l’Union européenne comme les États-Unis auraient tout avantage à jouer la carte du multilatéralisme et de l’Organisation Mondiale du Commerce. En multipliant les mesures protectionnistes, les pays occidentaux suscitent l’hostilité croissante des pays du Sud qui se voient privés de débouchés commerciaux.
Baisse de la productivité en France, conjoncturelle ou structurelle ?
La productivité du travail en France baisse depuis 2019. Ce phénomène conduit à une diminution de la croissance. Les économistes se divisent sur les causes de ce phénomène. Pour certains, il est de nature conjoncturel et est amené à être temporaire ; pour d’autres, il est de nature structurel et donc susceptible de perdurer. La productivité du travail a reculé en France de près de 5 points depuis son point haut de 2019 jusqu’à la fin de 2023. Cette baisse est la plus forte constatée au sein de l’Union européenne. Elle fait suite à un ralentissement des gains de productivité depuis le début du siècle. Ces quinze dernières années, la productivité n’a augmenté que de 5 %.
Les facteurs conjoncturels pouvant expliquer la baisse de la productivité en France
Les facteurs structurels
De plus en plus tertiaire et de moins en moins industrielle, l’économie française est moins propice à l’obtention des gains de productivités. Ces dernières années, les services dits domestiques (services à la personne, tourisme) et la logistique ont connu une forte croissance or, ce sont des activités à faible productivité.
Le niveau des dépenses de Recherche-Développement est faible en France. Elles s’élèvent à 2,2 % du PIB contre 3,5 % aux États-Unis. Aux États-Unis, elles ont augmenté de 0,8 point de PIB entre 2010 et 2023 quand elles sont restées stables en France. Cette faible propension aux dépenses de recherche ne joue pas en faveur de la productivité. Il en est de même en ce qui concerne avec les dépenses d’investissement en nouvelles technologies. La France n’y consacre que 0,6 % de son PIB, contre 1,2 % pour les États-Unis.
Le facteur vieillissement de la population active nuit à la productivité. Il s’accompagne d’une moindre ouverture au progrès technique. La proportion de la population âgée de 50 à 64 ans par rapport à celle âgée de 15 à 49 ans est, en 2023, de 47 % en France, contre 40 % aux États-Unis.
La France est touchée par une progression sensible de l’absentéisme au travail. Le taux est passé de 2010 à 2023 de 4 à 6,5 %. Dans certains secteurs, ce taux peut atteindre plus de 15 %. Cet absentéisme pose le problème du sens du travail au sein de la population et également des conditions dans lequel il s’exerce.
En fonction de la nature du recul de la productivité, les conséquences économiques et financières ne sont pas, pour la France, les mêmes. En cas de baisse conjoncturelle, un rebond mécanique pourrait intervenir en 2025 et 2026. C’est le pari du gouvernement. La productivité pourrait s’accroître de 0,5 % en 2024 et de 1 % en 2025. Le redressement de la productivité est susceptible, selon l’économiste Patrick Artus, d’apporter un supplément de recettes fiscales, de 2024 à 2027, de 1,7 point de PIB, c’est-à-dire de 45 milliards d’euros. Un tel gain offrirait la possibilité de ramener le déficit à 3 % du PIB sans réaliser de réel effort sur les dépenses publiques. Un recul structurel de la productivité signifie que cette dernière ne connaîtra pas de rebond. Elle pourrait ainsi stagner entre 2023 et 2027. Dans ce cas, pour ramener le déficit à 3 % du PIB, le gouvernement devra diminuer les dépenses publiques de 70 milliards d’euros en quatre ans. Un tel effort n’a jamais été réalisé en France. Il nécessiterait de profonds arbitrages avec un basculement de certaines dépenses publiques dans la sphère privée. L’autre voie serait l’augmentation des prélèvements qui aurait comme conséquence d’amoindrir un peu plus la croissance.
Marchés immobiliers, marchés boursiers : deux histoires différentes
Après une période de forte expansion, le marché de l’immobilier traverse une crise se traduisant par une chute de la construction, une diminution des transactions et une baisse des crédits immobiliers en raison de la hausse des taux. Le marché immobilier diffère ainsi du marché boursier qui poursuit son mouvement haussier.
Les mises en chantier ont été multipliées par près de trois aux États-Unis de 2010 à 2021 et ont augmenté de 25 % en zone euro sur la même période. Elles ont diminué ces deux dernières années de 13 % aux États-Unis et de 20 % en zone euro. Les ventes de maisons existantes sont passées de 6 à 4 millions aux États-Unis de 2021 à 2023. Elles s’élevaient à 4 millions en 2010. Les ventes de maisons neuves sont passées de 2021 à 2023 de 1 million à 800 000. Elles s’élevaient à 600 000 en 2010. Pour la zone euro, les ventes de logements neufs et anciens sont passées de 4,25 à 3,25 millions de 2021 à 2023. Elles restent néanmoins supérieures à celles de 2010 (3 millions). Le crédit immobilier qui avait connu une forte croissance avec les politiques monétaires non-conventionnelles est en forte baisse depuis 2022. Le taux de croissance est passé de 10 % à 2,5 % aux États-Unis et de 5 à 0 % en zone euro entre 2021 et 2024 en lien avec la hausse des taux. Si avec la hausse des taux, les marchés immobiliers sont en crise, à l’inverse les marchés « actions » connaissent depuis plus d’un an, une forte progression. Le Nasdaq, le S&P500 et l’Eurostoxx ont battu en mars des records. En un an (avril 2013 – avril 2024), le Nasdaq a gagné plus de 30 %, le S&P 500, plus de 23 % et l’Eurostoxx plus de 13 %. En règle générale, quand la politique monétaire est restrictive, l’activité de l’immobilier résidentiel et celle des indices boursiers reculent. La divergence des deux marchés s’explique par la sensibilité de la construction ou des ventes de logements aux variations de taux d’intérêt nominaux. Les marchés boursiers dépendent des taux d’intérêt réels à long terme. Le crédit immobilier est distribué en fonction du ratio entre l’endettement et le revenu nominal courant de l’emprunteur. La forte augmentation des taux des crédits immobiliers, dans un contexte d’inflation réduisant le pouvoir d’achat des ménages, a pénalisé le secteur de l’immobilier.
La valorisation des actions dépend de l’écart entre le taux d’intérêt réel à long terme et la croissance réelle à long terme. Or, depuis le début de 2022, les taux d’intérêt réels à long terme restent inférieurs à la croissance potentielle, surtout aux États-Unis où celle-ci est d’environ 2,5 %. Les investisseurs prennent en compte les résultats des entreprises or ces derniers sont orientés à la hausse. Ils anticipent également la baisse des taux directeurs ce qui les amène à maintenir voire renforcer leurs positions sur les actions. La bonne tenue des marchés boursiers n’est pas sans lien avec l’abondance des liquidités. La masse monétaire est passée de 1 500 à 5 500 milliards d’euros en zone euro et de 2 200 à 7500 milliards de dollars aux Etats-Unis entre 2010 et 2024. La base monétaire est en baisse depuis 2021 de part et d’autre de l’Atlantique mais de manière modérée. La masse monétaire qui intègre la monnaie fiduciaire, les dépôts à vue, les dépôts à terme et les fonds monétaires, est passée, de 2010 à 2023, de 14 000 à 30 000 milliards de dollars aux États-Unis et de 10 000 à 16 000 milliards d’euros en zone euro. La liquidité n’alimente plus la demande de logements, en raison de la hausse des taux d’intérêt nominaux à long terme, mais elle alimente la demande d’actions, qui est stimulée par le rééquilibrage de la structure des portefeuilles entre monnaie et actions.
La crise de l’immobilier n’est pas que financière. Le secteur est confronté à une raréfaction du foncier qui en renchérit le coût. Celui-ci augmente également du fait du durcissement des normes environnementales. La rentabilité des constructions neuves est faible voire inexistante. Les loyers, dépendant du pouvoir d’achat des locataires, peinent à suivre la progression des prix de construction.