29 août 2025

Economie – réindustrialisation – Royaume-Uni – Europe

La réindustrialisation est-elle un mirage ?

Réindustrialiser est devenu le maître mot de nombreux politiques, de Donald Trump à Emmanuel Macron en passant par Friedrich Merz en Allemagne ou par Lula da Silva au Brésil. Cette volonté de relocaliser des usines à tout n’est-elle pas un mirage, un slogan facile qui n’a pas de fondement économique. Les partisans de la réindustrialisation ne font-ils pas la même erreur que les physiocrates qui au XVIIIe siècle pensaient que seule l’agriculture créait des richesses.

Aux États-Unis comme dans la zone euro, la part de la valeur ajoutée manufacturière dans le PIB a fortement diminué ces trente dernières années. Depuis les années 1990, les importations de biens industriels ont augmenté rapidement passant, par exemple, pour la zone euro de 25 à 30 % du PIB. L’emploi industriel a, de son côté, fortement diminué. Il ne représentait plus, en 2024, que 14 % de l’emploi total au sein de la zone euro, contre plus de 16 % en 2010. Pour les Etats-Unis, les valeurs respectives sont 11 et 9 %.

Ces données doivent être néanmoins relativisées. La demande de biens industriels au sein de l’OCDE est avant tout une demande de renouvellement et non de conquête. Par ailleurs, les ménages consomment de plus en plus de services et de moins en moins de biens industriels. Le marché se situe aujourd’hui au sein des pays émergents ou en développement. Il est donc assez logique que les centres de production se déplacent dans ces pays. Les pays de l’OCDE se sont, en contrepartie, spécialisés dans les domaines où ils disposaient d’avantages comparatifs, essentiellement dans les services et dans les technologies de pointe. La désindustrialisation souvent perçue comme subie est en grande partie une évolution logique du processus économique.

La question des compétences

La spécialisation de l’économie des pays de l’OCDE dans le tertiaire n’est pas sans lien avec l’évolution des compétences. De moins en moins de jeunes entendent poursuivre des études scientifiques ou techniques. Cette faible appétence rend par ailleurs complexe la réindustrialisation souhaitée par certains. Celle-ci suppose au préalable un effort en matière de formation.

Cercle de l’Epargne – données OCDE

Les coûts, cœur de gravité des relocalisations

Les délocalisations obéissent à des logiques non seulement de marché mais aussi de coûts. Le rapport entre les pays émergents et les pays de l’OCDE est de 1 à 20. Toute relocalisation d’activités industrielles passe par une robotisation poussée sachant que pour être rentable la production doit être en partie exportée.

Cercle de l’Epargne – données OIT, LSEG Datastream

Le montant du salaire minimum traduit bien la difficulté de la réindustrialisation en Occident. Ce dernier est en France près de 10 fois plus élevé que celui du Vietnam. Le salaire minimum des Etats-Unis est trois plus élevé que celui du Mexique. Ces ratios ne condamnent pas la réindustrialisation. Ils imposent des process ultraintensif en capital et reposant sur peu d’emplois.

Cercle de l’Epargne – données OIT

Le défi de la robotisation

Sans robot, il n’y a pas d’avenir pour l’industrie en Occident. Or, certains pays dont la France ont accumulé un retard important en la matière. L »industrie de l’Espagne te de la France apparaît, à cet égard, peu compétitive.

Cercle de l’Epargne – données World Robotics

La réindustrialisation ne sera pas le retour de l’industrie d’hier. Les relocalisations ne seront pas créatrices d’emplois industriels directs. En revanche, elles pourront générer des emplois périphériques (ingénierie de procédés, métrologie, maintenance prédictive, logiciels MES, cybersécurité OT). De nombreux emplois dans  les services techniques amont/aval sont susceptibles de voir le jour. Avant de vouloir multiplier les nouvelles implantations, les Etats occidentaux devraient concentrer leurs efforts sur la formation et sur la montée en gamme de leur industrie. avec des objectifs en termes de robotisation et d’intégration de l’intelligence artificielle.

Le Royaume-Uni : le prix du Brexit

En 2016, les partisans du Brexit promettait monts et merveilles aux électeurs. Or, promesses d’une souveraineté retrouvée a succédé l’évidence froide des statistiques économiques. Le Royaume-Uni, autrefois en tête des classements de la croissance au sein de l’OCDE est depuis plusieurs années à la peine. . Dans les années, il enregistrait une croissance de 2,8 % par an, celle-ci n’a été que  0,4 % en 2023, de 1,1 % en 2024, et les organismes internationaux — OCDE, FMI — ne prévoient pas plus de 1,1 à 1,3 % pour 2025.  En vingt ans, l’économie britannique a vu son potentiel s’éroder, victime de chocs externes (crise financière, pandémie) mais aussi de choix internes (Brexit, politiques budgétaires hasardeuses). Le ralentissement apparaît de plus en plus structurel.

L’investissement qui s’évapore : un capital absent, une productivité en berne

De 2016 à 2024, le taux d’investissement des entreprises britanniques est passé de 11 à 9 % du PIB. De son côté, la productivité par tête stagne depuis 2021. Or, dans une économie avancée, la productivité est la clef de voûte de la croissance à long terme. Sans investissement, sans innovation, sans efforts soutenus en R&D, l’économie se condamne au déclin.  La production manufacturière a baissé ainsi bien plus vite au Royaume-Uni que dans les pays de l’Union européenne, –17 % depuis 2021. Elle traduit une désindustrialisation accélérée, plus violente que dans la zone euro. Le Brexit a conduit les entreprises à réduire fortement leurs investissements et à se détourner du Royaume-Uni au profit du Continent ou des Etats-Unis pour leurs décisions d’implantation.

Des capitaux toujours mais sous forme de placements financiers

Le montant des investissements directs étrangers au Royaume-Uni  n’a pas été affecté par le Brexit. Il se situe toujours en rythme annuel à 5 % du PIB. On aurait pu penser que le Brexit provoquerait une fuite des capitaux. Londres, par sa place financière, reste attractive mais ces capitaux nourrissent surtout la sphère financière et non l’économie réelle. Ce sont les hedge funds et l’immobilier haut de gamme qui profitent de ce flux de capitaux. Le Royaume-Uni continue à attirer l’argent, mais est incapable à transformer cette manne en productivité durable.

Une immigration toujours présente mais transformée

Le référendum sur le Brexit s’est joué en partie sur la question de l’immigration. Or, près de dix ans plus tard, cette question demeure toujours en suspens mais, en revanche, la nature de l’immigration a profondément changé. Les Européens qui constituaient un apport important pour l’économie britannique avant 2016 onté té remplacé depuis par des Asiatiques et des Africains.

Le Royaume-Uni perd une main-d’œuvre déjà insérée dans les chaînes productives européennes, et doit intégrer de nouveaux arrivants dont la qualification moyenne est plus hétérogène. Il en résulte des tensions accrues, des désorganisations locales et des coûts d’adaptation pour les entreprises. Dans une économie où le taux de chômage est bas, cette recomposition démographique contribue à alimenter la hausse rapide des salaires de l’ordre de 6–7 % par an, sans que la productivité ne suive. Ce déséquilibre structurel alimente une inflation persistante nuisant à la compétitivité du pays.

Une inflation persistante

L’inflation sous-jacente britannique reste supérieure à celle de la zone euro. Elle est nourrie par la hausse salariale, l’énergie importée, la désorganisation des chaînes commerciales post-Brexit. La Banque d’Angleterre a été contrainte de réagir en maintenant des  taux courts plus  élevés que dans la zone euro. Depuis 2023, le rendement des emprunts d’État à 10 ans est, par ailleurs, supérieur au rythme de croissance, ce qui signifie que l’endettement public devient plus coûteux que la richesse produite. Le Royaume dispose de peu de marges de manœuvre en la matière. L’épisode Liz Truss de septembre 2022 a marqué les esprits. La  tentative de baisses massives d’impôts financées par la dette a provoqué une brusque montée des taux et une dépréciation de la livre sterling. Malgré la démission de la Première ministre et l’annulation de ces mesures, ces dernières ont laissé des traces, les investisseurs exigeant une prime de risque plus élevée.

Une épargne des ménages signe d’une méfiance des ménages

Le taux d’épargne des ménages demeure à des niveaux élevés depuis 2021 en dépassant 20 % du revenu disponible. Si l’épargne permet le financement de  l’investissement, elle traduit également la défiance des ménages britanniques par rapport à la situation économique du pays. Come le Japon voire la France, ces derniers renoncent à consommer par peur de l’avenir.

La balance commerciale : un déséquilibre comme un aveu d’une faiblesse structurelle

Depuis 2021,la balance commerciale des biens du Royaume-Uni s’est profondément dégradée, le déficit atteignant régulièrement 60 à 80 milliards de livres par trimestre. Certes, les services — financiers en tête — conservent un excédent permettant en partie de compenser ce déficit. Les importations progressent, les exportations stagnent, que ce soit vers l’Union européenne ou vers le reste du monde. Le Brexit a détruit une partie de la fluidité commerciale avec l’Union européenne, premier partenaire historique. Londres a espéré pouvoir diversifier ces débouchés économiques mais pour le moment les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. À long terme, ce déséquilibre signifie une dépendance aux financements extérieurs et vulnérabilité face aux chocs de change.

Près de 10 ans après le Brexit, le Royaume-Uni paie plusieurs fautes stratégiques, un sous-investissement chronique qui étrangle la productivité, un marché du travail déstabilisé par une immigration mal recalibrée, une inflation nourrie par les salaires et étouffée par les taux, une consommation bridée par la peur et l’épargne ainsi qu’une balance commerciale durablement déficitaire. Le Brexit fut l’acte symbolique du décrochage britannique, la sortie d’un grand marché industriel pour se retrouver isolé, dépendant de flux financiers mondiaux. La croissance britannique risque de rester faible, autour de 1 % dans les prochaines années, incapable de financer à la fois le système de protection sociale, l’investissement et la transition énergétique. Mais si Londres réarme sa productivité — en investissant, en formant, en réindustrialisant — alors le Royaume-Uni peut redevenir ce qu’il fut : un laboratoire économique capable d’innover et d’exporter.

Europe : des excédents commerciaux pernicieux

L’Union européenne est riche grâce à son important excédent extérieur mais les 300 à 400 milliards d’euros de ressources tirées de l’extérieur bénéficient comble d’ironie non pas aux Européens mais en grande partie aux Américain. Pendant ce temps, les besoins de financement sont en constante augmentation : 800 milliards d’euros par an pour la transition énergétique et numérique selon le rapport Draghi, auxquels s’ajoutent près de 250 milliards pour porter la défense européenne de 1,9 % à 3 % du PIB.

L’excédent courant, une force miroir des faiblesses européennes

L’Union européenne affiche un excédent extérieur quasi permanent depuis la crise financière de 2008. En 2024, cet excédent a dépassé 300 milliards d’euros, soit plus de 2 % du PIB. De leur côté, les États-Unis enregistrent un déficit courant proche de 3 % du PIB. L’Europe n’investit pas mais épargne au profit des autres. Les Etats-Unis, de leur côté, jouent à la cigale en consommant olus qu’elle ne produit, mais attire les capitaux mondiaux grâce à la puissance de ses marchés financiers et de son secteur technologique. L’Europe risque l’attrition quand les Etats-Unis transforment les capitaux en innovation et en croissance. Les Etats européens immobilisent son épargne dans des actifs étrangers, au prix d’une croissance moindre. Ils deviennent des rentiers mais au fur et à mesure, l’excédent commercial risque de disparaître par manque de compétitivité. Le retour du protectionnisme menace ce modèle. sacrifiant sa propre dynamique.

Des besoins de financement insatisfaits

Le rapport Draghi a évalué les besoins de financement des Etats européens à 800 milliards d’euros par an, soit 4,4 % du PIB. C’est le prix pour de la transition énergétique (renouvelables, réseaux électriques, stockage) et la digitalisation de l’économie numérique (cloud, IA, cybersécurité). Il faut ajouter l’équivalent de plus de 1 % de  PIB pour remettre à niveau la défense européenne. Au total, 1 000 à 1 100 milliards d’euros par an sont nécessaire. Or, l’épargne qui fuit chaque année vers l’étranger représente 400 milliards d’euros, l’équivalent de 60 % de l’effort requis.

Une Europe en manque d’attractivité pour l’épargne

L’épargne européenne s’investit à l’étranger car le marché financier y est segmenté et manque cruellement de profondeur. La dette publique américaine représente 40 000 milliards de dollars contre 3 500 milliards d’euros pour la France, 3000 milliards d’euros pour l’Italie et 2800 milliards d’euros pour l’Allemagne.

Chaque pays européen est un marché partiel, liquide à sa façon, mais aucun ne rivalise celui des Treasuries américains. Pour un investisseur institutionnel, Wall Street offre une gamme sans comparaison de produits avec des possibilités d’achat-ventes instantanés, des spreads minimes et une forte sécurité juridique. L’Union des marchés de capitaux reste un serpent de mer. Multiplicité des régulateurs, des droits de la faillite, des fiscalités : investir en Europe revient à franchir une frontière juridique à chaque pays. Aux États-Unis, un seul droit, une seule SEC, une seule profondeur de marché.

Même si aujourd’hui une large partie de la population européenne y est opposée, l’Union devrait rapidement aller sur la voie d’un réel fédéralisme et en premier lieu en matière financière. Un marché européen fédéral de la dette avec des euro-obligations mutualisées permettrait une mobilisation de l’épargne intracommunautaire. Cette idée, déjà rejetée lors de la crise de la zone euro, reste taboue politiquement.

Un mode de financement de l’économie inadapté

Aux Etats-Unis, les entreprises se financent essentiellement par le marché quand en Europe, elles recourent aux crédits bancaires. La capitalisation américaine (S&P 1500) dépasse les 65 000 milliards de dollars, contre à peine 15 000 milliards pour l’Europe.

Le PER, ratio cours de l’action sur dividendes sont presque deux fois plus élevés aux États-Unis qu’en Europe témoignant de l’attractivité de Wall Street. Les entreprises américaines rémunèrent mieux les actionnaires que leurs concurrentes européennes. Le ROE (Le Return On Equity mesure la capacité d’une entreprise à générer un bénéfice à partir des fonds investis par ses actionnaires) des entreprises américaines tourne autour de 12–14 %, contre 6–8 % pour les européennes. Cet écart structurel reflète deux réalités. Aux États-Unis, la productivité progresse plus vite que les salaires, augmentant ainsi les marges. En Europe, les salaires absorbent une part plus importante des gains de productivité, réduisant par voie de conséquence les profits. Par ailleurs, depuis le début du siècle, la productivité par tête s’est accrue de plus de 40 % aux Etats-Unis, contre 10 % en zone euro.

Les Etats-Unis se sont spécialisés dans les secteurs à forte intensité technologique grâce à une forte croissance du capital risque. En 2024, ils ont levé 250 milliards de dollars en capital-risque contre 22 milliards d’euros pour la zone euro. Le poids du secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) représente 7 % du PIB américain, contre 4–5 % en Allemagne et en France. L’investissement en TIC pèse près de 4 % du PIB américain, contre 2,5 % en zone euro. .

Les trois scenarii pour l’avenir de l’Europe

Le statu quo : l’Europe continue d’exporter son épargne, finance la croissance américaine, reste dépendante de capitaux étrangers pour ses propres besoins avec un risque non négligeable d’étiolement.

La réforme profonde : création d’euro-obligations, union des marchés de capitaux, développement massif du capital-risque, soutien public aux technologies de rupture. Pour cela, un consensus au niveau des dirigeants et de la population doit être trouvé ce qui en l’état de la situation est improbable. Une crise majeure pourrait néanmoins provoquer un changement d’état d’esprit. L’Europe n’avance que par secousse !

La solution hybride : l’Europe conserve ses excédents qui financent en partie les Etats-Unis. La mise en place d’outils au niveau de l’Union et les progrès réalisés dans l’unification des marchés permettent une meilleure allocation de l’épargne. Cette solution est celle des petits pas.