Economie – vieillissement démographique – transition écologique – dette publique
Vieillissement démographique : le défi de la productivité
La question démographique concerne un très grand nombre de pays occidentaux et émergents. Pour maintenir une croissance décente avec une population en âge de travailler en recul, faute de pouvoir jouer sur l’immigration les Etats ne pourront compter que sur les gains de productivité. Or, ceux-ci supposent un niveau d’investissement et de compétences de la population élevé.
Plusieurs grands pays ont désormais un taux de fécondité qui se situe en-dessous de 1,5. C’est le cas du Japon, de l’Espagne, de l’Italie (1,2 pour chacun de ses pays), de la Chine (1) et de la Corée du Sud (0,8). Le taux de fécondité aux Etats-Unis et en France s’élève à 1,6 en 2024 mais tend à baisser. Aucun de ces pays n’assure le renouvellement des générations avec un taux de fécondité inférieur à 2,1.
A l’exception des Etats-Unis, la population active (15-54 ans) décline en Chine et dans les principaux pays de l’OCDE à l’exception des Etats-Unis qui jusqu’à maintenant bénéficiaient de l’apport de l’immigration. La politique de Donald Trump pourrait aboutir à une contraction à terme de la population dans ce pays.
La croissance économique dépendant de l’évolution de la population active, de celle du capital et des gains de productivité, les Etats pour la maintenir à un niveau correct doivent jouer sur la robotisation. Or, depuis une dizaine d’années, la croissance de la productivité par tête tend à décliner. Elle a été divisée par deux en Chine. Elle est quasiment nulle au Japon, en Corée du Sud, au Japon, en Italie et en France. Elle est légère hausse en Espagne et en Allemagne mais elle ne dépasse pas 1 %. Elle reste significative aux Etats-Unis. Depuis le début du siècle, la productivité par tête a été multiplié par 6 en Chine et par 2 en Corée du Sud. Elle a progressé de 12 % en Allemagne, de 10 % en France et de 8 % en Espagne. Elle a baissé de 5 % en Italie. Les Etats-Unis ont, de leur côté, une augmentation de leur productivité de plus de 40 %.
Les économies occidentales se sont fortement tertiarisées ces dernières années avec une prédilection pour les services domestiques qui génèrent peu de gains de productivité. C’est notamment le cas de l’Espagne, de l’Italie ou de la France. Les Etats-Unis avec une spécialisation dans le secteur des technologies de l’information et de la communication échappe pour le moment à cette situation.
L’Allemagne, le Japon et la Chine ont opté pour une croissance à forte intensité capitalistique avec des taux élevés de robotisation. Les Etats-Unis sont dans une situation intermédiaire quand l’Italie, la France et l’Espagne sont en retard en la matière.
Cercle de l’Epargne – données World Robotics
La robotisation permet de substituer du capital au travail devenu rare avec le vieillissement démographique et de générer des gains de productivité. L’autre voie pour obtenir ces derniers suppose le relèvement du niveau des compétences des actifs. Or, celui-ci stagne dans de nombreux pays comme le souligne les enquêtes PIAAC de l’OCDE.
Cercle de l’Epargne – données OCDE
La robotisation et plus globalement la réindustrialisation exigent des opérateurs, techniciens, ingénieurs, contremaîtres formés, et des employeurs capables d’organiser le travail autour de processus automatisés. Les pays où le degré de robotisation est élevé (Chine, Japon, Allemagne) sont aussi des pays où les compétences de la population active sont fortes ; que les pays où le degré de robotisation est bas (France, Espagne, Italie) sont des pays où les compétences de la population en âge de travailler sont faibles.
Répartition des adultes âgés de 25 à 64 ans selon leur niveau d’études
(en % de la population du même âge)
Données OCDE
La priorité pour limiter les effets du vieillissement démographique est de réhausser le capital humain et d’accélérer la diffusion des technologies. Dans les prochaines années, le relèvement de la productivité est une condition sine qua non pour financer les dépenses publiques qui seront orientées en hausse (retraite, santé, défense, éducation) et pour garantir une amélioration du niveau de vie de l’ensemble de la population.
La transition écologique incompatible avec la croissance ?
La réduction des émissions de gaz à effet de serre est de plus en plus considérée comme anti-économique avec à la clef une diminution du niveau de vie des ménages les plus modestes. Cette perception entraîne son impopularité au sein d’une partie croissante de la population. Or, il n’y pas corrélation entre les efforts entrepris en matière de décarbonation et baisse de la croissance. C’est la nature de la transition écologique qui conditionne l’évolution de l’activité.
Dans de nombreux pays, la réduction forte des émissions de CO2 et croissance n’est pas synonyme de baisse de la croissance. C’est notamment le cas aux États-Unis, en Espagne et aux Pays-Bas,
De 2010 à 2025, les émissions de CO2 ont baissé de 16 % aux Etats-Unis quand la croissance a augmenté sur la même période de 40 %. En Espagne, le PIB a progressé de 20 % avec une diminution des émissions de CO2 de 15 %. Les valeurs respectives pour les Pays-Bas sont 25 et 35 %.
Etats-Unis : coûts de production d’électricité selon les différentes technologies ( coût actualisé de l’énergie, en $/MWh) en 2024 | |
Nucléaire | 141-220 |
Charbon | 71-173 |
Gaz | 48-107 |
Solaire | 38-78 |
Eolien onshore | 44-123 |
Eolien offshore | 70-157 |
Cercle de l’Epargne – données Lazard
La réduction des émissions de CO2 n’impose pas une réduction de la consommation d’énergie dans les pays où le poids des énergies renouvelables augmente de manière importante. Au Danemark, le poids des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie passe de 8% en 2002 à 42% en 2023, au Portugal de 9% à 36% et en Suède de 32% à 54%, sans que cela ne se traduise par des effets négatifs sur la croissance et la consommation globale d’énergie.
La faiblesse de la croissance en zone euro n’est pas imputable à la transition écologique mais à une insuffisance des investissements dans les secteurs de pointe. Les investissements dans les technologies de l’information et de la communication ont représenté 3,8 % du PIB en 2024 aux Etats-Unis, contre 2,4 % en zone euro. Les dépenses en Recherche et Développement ont atteint, en 2024, 3,5 % du PIB aux Etats-Unis, contre 2,4 % en zone euro.
La transition écologique n’est pas en soi anti-économique. Elle peut au contraire porter la croissance en facilitant une spécialisation dans les secteurs de pointe. Des travaux récents de recherche économique (BILAL-KÄNZIG – 2024) montrent même que laisser se mettre en place un réchauffement climatique important aurait un effet négatif sur la croissance (une augmentation de 1°C de la température mondiale pourrait se traduire une perte de 12 points de PIB).
Dette publique : un dossier explosif ?
Beaucoup de pays sont confrontés à une hausse forte ou à un niveau élevé du taux d’endettement public (les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Italie, le Japon en particulier). Cette hausse du taux d’endettement public est inquiétante si elle conduit à celle du taux d’endettement extérieur, avec le risque que les non-résidents se détournent de tels pays. Par ailleurs, l’accroissement de la dette publique peut générer un effet d’éviction au détriment des entreprises avec comme conséquence une moindre crossance.
A l’exception de l’Allemagne, les principales puissances occidentales ont des dettes publiques qui dépassent 100 % du PIB. Le Japon est aujourd’hui hors catégorie avec un taux d’endettement public qui dépasse les 250 %. L’Italie campe au-delà de 140 % les États-Unis sont proches de près de 120 % ; France voisine de 110 % ; Royaume-Uni proche de 100 %. Autrement dit, quatre grandes économies sur cinq naviguent en zone « trois chiffres ». Quand l’offre de papier souverain devient structurelle, la prime de terme cesse d’être un détail technique et redevient un prix macroéconomique.
Les États-Unis et le Royaume-Uni cumulent des déficits et des déficits courants élevés. En 2024, le déficit budgétaire a atteint, aux Etats-Unis, 7% du PIB et le solde de la balance des paiements courants a été négatif de 4 points de PIB. Au Royaume-Uni, les chiffres respectifs sont 6 et -3,8 %.
La France, elle, oscille autour de l’équilibre externe mais persiste en déficit public depuis 50 ans. En 2024, le déficit public a été de 5,6 % du PIB quand la balance courante a été positive de 0,2 % du PIB. L’Italie montre souvent un solde courant positif malgré un lourd passif souverain. En 2024, le déficit public a été de 3,8 % du PIB et le solde de la balance courante a été positif de 1,5 point de PIB. Au Japon, les déficits budgétaires (2 points de PIB en 2024)s’accompagnent d’excédents courants élevés (4 points de PIB en 2024).
Les Etats ayant une position extérieure dégradée sont dépendants de la demande non-résidente pour leurs actifs — dette publique comprise. En cas de baisse de la demande, les taux d’intérêt à long terme augmentent (prime de terme plus élevée) et le taux de change se dégrade. Le Royaume-Uni a connu cette situation avec la présentation du budget par Liz Truss à l’automne 2022. Ce projet prévoyait des baisses d’impôts non financée (suppression du taux d’imposition de 45 % pour les très hauts revenus, annulation de la hausse prévue de l’impôt sur les sociétés, allégements sur les cotisations sociales) et des mesures de soutien aux ménages et aux entreprises afin d’atténuer la hausse des prix de l’énergie. L’objectif affiché était de relancer la croissance par une politique de l’offre agressive et de rassurer les marchés sur la compétitivité du Royaume-Uni post-Brexit. Les investisseurs ont paniqué face au creusement prévu du déficit et de l’augmentation de la dette publique. Face à la contestation des marchés, de son propre parti et de l’opinion publique, Liz Truss a du abandonné son projet avant de démissionner.
En cas de déficits jumeaux (déficit public et déficit de la balance courante), le risque est que l’investissement dans les dettes ou les autres actifs (actions en particulier) du pays devienne moins attractif, que les non-résidents désirent réduire leur détention de dette (ou d’autres actifs) du pays, et que cela déclenche à la fois une crise de balance des paiements (insuffisance de la demande des actifs du pays par les non-résidents) et une crise de la dette publique.
Une dette publique élevée peut générer un effet d’éviction de l’investissement des entreprises. les investisseurs (investisseurs institutionnels, ménages) peuvent préférer détenir de la dette publique plutôt que des actifs (dette privée, actions) qui financent l’investissement des entreprises surtout si le taux des obligations à long terme augmente. Les actifs sont jugés plus sûrs que ceux du secteur privé. Par ailleurs, une population vieillissante privilégie traditionnellement les actifs les moins risqués. La préférence données aux titres publics s’expliquent également par les règles prudentielles du secteur financier. Certains pays semblent exposer à ce problème/ Le taux d’investissement des entreprises est ainsi faible en France (12,5 % du PIB en France, au Royaume-Uni et en Italie, 10 %).
Même s’il n’y a pas de crise brutale avec le rejet de la détention de titres de la dette publique, les investisseurs peuvent exiger des taux plus élevés. Quand le taux d’intérêt à long terme est supérieur à la croissance nominale de long terme, le taux d’endettement public est amené potentiellement à progresser si le pays ne dégage pas un excédent budgétaire primaire (avant paiement des intérêts). En France, en Italie et au Japon, le taux d’intérêt réel à 10 ans est supérieur à celui de la croissance. Aux Etats-Unis, en revanche, c’est l’inverse.
Le Japon pourrait être exposé fortement à un problème de dette publique mais pour le moment, celle-ci est financées à plus de 80 % par les Japonais. Ces derniers investissent une grande partie de leur épargne en titres publics. L’épargne devient alors un substitut de l’impôt. Les États-Unis, malgré un double déficit, peuvent compter sur la force du dollar et sur leur croissance. La remise en cause de l’une et de l’autre pourrait changer la donne. La France, de son côté, est à l’équilibre en matière de balance des paiements courants et peut compter sur un taux d’épargne élevé. Par ailleurs, son appartenance à la zone euro constitue un paratonnerre. En revanche, la hausse des taux d’intérêt constitue une menace insidieuse. L’Italie est fragilisée par sa faible croissance et par l’importance de sa dette publique, en revanche, son solde primaire est positif.
Une dette publique élevée n’est en soi pas un problème si le solde extérieur est positif et tant que les taux d’intérêts réels demeurent inférieurs à la croissance économique. Un effet de substitution entre dette publique et privée au détriment de la seconde peut à terme se traduire par une baisse de l’investissement des entreprises et doc de la croissance.