17 janvier 2025

Horizons – Donald Trump – Union européenne – électricité

L’Union européenne  sous pression  

Longtemps, la carte économique de l’Europe était simple : au nord, des États riches et bien gérés ; au sud, des déficits et des dettes ; à l’est, la reconstruction après cinquante ans de soviétisme. Cette carte a volé en éclats depuis l’épidémie de Covid-19. L’Allemagne pourrait, en 2025, connaître une troisième année consécutive de récession. Son industrie automobile, fleuron de son économie, traverse l’une de ses plus graves crises depuis la Seconde Guerre mondiale. La France, en proie à une désindustrialisation chronique, est menacée par une crise des finances publiques d’une ampleur inédite depuis la naissance de la Ve République en 1958. En revanche, le Portugal enregistre des excédents budgétaires, tandis que l’Espagne affiche une croissance digne des États-Unis. À l’est, la Pologne s’affirme comme une puissance économique majeure. Au nord, les pays scandinaves maintiennent leur position grâce à leur spécialisation dans des produits haut de gamme.

Jusqu’à présent, face à l’adversité, les États membres de l’Union européenne ont toujours réussi à s’unir. Ce fut le cas lors de la crise des dettes souveraines entre 2010 et 2012, du Brexit, de l’épidémie de Covid-19 ou encore de la guerre en Ukraine.

Une Union européenne sous tension

Les défis des prochains mois mettront certainement l’Union européenne sous pression, d’autant plus que Donald Trump et Vladimir Poutine ont inscrit son affaiblissement au cœur de leur stratégie géopolitique. Donald Trump entend utiliser les tarifs douaniers pour obtenir des concessions, voire favoriser des divisions internes.

L’Union européenne traverse une période délicate. Pendant la crise de l’euro au début des années 2010, l’Allemagne et les États d’Europe du Nord affichaient de solides performances économiques. En 2025, l’Allemagne est en récession, et les perspectives de croissance en France ou en Italie demeurent faibles. Plusieurs pays sont confrontés à des crises politiques ou dirigés par des coalitions fragiles, comme la France, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas ou l’Autriche. Par ailleurs, certains gouvernements, comme ceux de la Hongrie, de la Bulgarie et de la Slovaquie, affichent ouvertement des sympathies pour la Russie.

L’aide à l’Ukraine révèle les divisions internes de l’Union. Elle est principalement fournie par les pays baltes, la Pologne, l’Allemagne, la Finlande, le Danemark et la Suède. En revanche, la France et l’Espagne figurent parmi les contributeurs les plus modestes.

Les droits de douane, une arme de fragmentation

Au-delà des divergences concernant l’Ukraine et les relations avec la Russie, des désaccords économiques persistent. Les membres de l’Union européenne ne parviennent pas à s’entendre sur les questions commerciales. Les libre-échangistes, emmenés par l’Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique, s’opposent à la France, plus protectionniste. Le départ du Royaume-Uni, qui jouait un rôle d’équilibre, accentue les tensions entre les partisans du libre-échange et les défenseurs d’un marché plus fermé.

L’Allemagne et les Pays-Bas, dont les économies sont fortement dépendantes des exportations, s’opposent aux droits de douane sur les véhicules électriques chinois, redoutant des mesures de représailles contre leurs propres constructeurs. Par contraste, la France, l’Espagne et la Pologne, moins exposées au commerce international, défendent la production européenne de « biens stratégiques » et souhaitent introduire des clauses favorisant les achats européens dans les marchés publics.

Des dépenses militaires sous pression

En 2023, les pays de l’Union ont consacré 1,6 % de leur PIB à la défense, un chiffre légèrement supérieur à la limite fixée à l’Allemagne après la Première Guerre mondiale pour limiter ses capacités militaires. Pourtant, les États se sont engagés à porter cet effort à 2 % du PIB. Donald Trump exige un effort bien plus important, estimé à 5 % du PIB, un objectif jugé inatteignable.

Les dépenses militaires varient fortement selon les pays : plus un État est proche de Moscou, plus son effort de défense est élevé. Moderniser la défense européenne nécessiterait un investissement annuel de plus de 100 milliards d’euros, ce qui obligerait de nombreux gouvernements à revoir leurs priorités budgétaires.

Une Union fragilisée par l’instabilité politique

La France fait aujourd’hui figure de mauvais élève en Europe, avec un déficit public atteignant 6 % du PIB et une dette publique non maîtrisée. Stabiliser ce ratio nécessiterait une réduction de près de 4 points de PIB du déficit primaire. Si l’Italie a réussi un ajustement budgétaire en 2024, la France reste à la traîne.

Selon les nouvelles règles budgétaires adoptées en avril dernier, des pays comme la France, l’Italie et l’Espagne devront réduire leur déficit public de 0,5 point de PIB par an. Mais l’absence de croissance et le manque de gains de productivité compliquent la tâche. La consommation reste atone, et l’investissement recule, entraînant une stagnation des recettes fiscales.

Pendant la crise de l’euro, l’Union avait surmonté ses difficultés en approfondissant son intégration et en mettant en place des politiques de soutien. Cependant, depuis 2021, la situation politique joue en défaveur de l’Europe. La montée des partis nationalistes et l’instabilité politique rendent difficile la mise en place de solutions fédérales. L’Italie, pourtant stable politiquement, et la Pologne ne peuvent à elles seules endosser le rôle de locomotive pour l’Union européenne.

Donald Trump et les dangers des expulsions massives

Donald Trump a annoncé qu’à son investiture en tant que président, il prendra des mesures radicales pour lutter contre l’immigration illégale. Il a ainsi promis le plus grand plan d’expulsions de l’histoire américaine, prévoyant des descentes sur les lieux de travail et la suppression des programmes de libération conditionnelle. Ses collaborateurs ont même indiqué que l’administration pourrait, si nécessaire, recourir à l’armée pour réaliser ces expulsions. Le président entend s’inspirer de l’« opération Wetback », une campagne controversée des années 1950 sous la présidence de Dwight Eisenhower, qui avait conduit à l’expulsion d’environ 1,1 million de personnes.

Une économie dépendante des travailleurs clandestins

Selon le Pew Research Center, environ 11 millions de migrants illégaux vivaient aux États-Unis en 2022, dont 8,3 millions étaient actifs. Les estimations récentes portent à 10 millions le nombre de travailleurs illégaux, soit environ 6 % de la population active. Ces derniers occupent principalement des emplois dans la construction, l’agriculture et la restauration. La Californie, la Floride, New York et le Texas abritent près de la moitié d’entre eux. Leur départ, total ou partiel, entraînerait des conséquences importantes sur l’économie, touchant l’emploi, les prix à la consommation et les finances publiques.

Pour Donald Trump, l’expulsion des travailleurs illégaux devrait profiter aux actifs américains en augmentant les offres d’emploi disponibles et les salaires. Cependant, rien n’est garanti, et cette politique pourrait produire des effets inverses. Une étude menée par Chloe East, de l’Université du Colorado à Denver, et ses collègues a montré que les expulsions sous la présidence de Barack Obama avaient entraîné la perte d’un emploi autochtone pour 11 migrants expulsés. Un article du Peterson Institute for International Economics arrive à des conclusions similaires : l’expulsion de 1,3 million de travailleurs provoquerait une baisse permanente de l’emploi de 0,6 %, accompagnée d’une diminution de la production nationale.

Les travailleurs clandestins ne se contentent pas de répondre à des besoins non satisfaits par la population active locale ; ils sont un maillon essentiel de nombreux secteurs économiques. Les Américains natifs ne se précipitent pas pour récolter et conditionner les fruits et légumes, découper la viande, cuisiner dans les restaurants ou nettoyer les bureaux. Pendant la pandémie de Covid-19, une enquête menée par le Conseil national des employeurs agricoles a révélé que, sur 100 000 postes saisonniers proposés aux Américains au chômage, seulement 337 candidatures avaient été reçues. Avec le vieillissement de la population, les pénuries de main-d’œuvre ne cessent de s’aggraver.

Une dépendance sectorielle critique

Selon un rapport du Migration Dialogue de l’Université de Californie à Davis, près d’un million des 2,5 millions de travailleurs agricoles américains sont des immigrants clandestins. Les fermes laitières et avicoles, qui ne peuvent pas recourir aux visas pour travailleurs saisonniers, dépendent massivement de cette main-d’œuvre. Leur départ entraînerait des coûts accrus, une automatisation partielle ou un recours accru aux importations. Une étude menée par Dartmouth College et l’Université Duke a montré que l’exclusion de 500 000 travailleurs agricoles temporaires mexicains dans les années 1960 avait conduit à une mécanisation accrue. Toutefois, certaines tâches restent difficilement automatisables, rendant une hausse des coûts inévitable.

Dans le secteur de la construction, les défis seraient encore plus importants. Contrairement à l’agriculture, les entreprises de bâtiment ne peuvent pas automatiser leur production ou importer des logements. Environ 1,5 million de travailleurs clandestins, soit un sixième de la main-d’œuvre totale, y sont employés. Ce chiffre atteint un tiers dans des métiers spécialisés comme la pose de cloisons sèches et de toitures. Une pénurie de main-d’œuvre entraînerait une flambée des coûts de construction, aggravant la crise du logement déjà alimentée par la hausse des taux d’intérêt et des normes réglementaires. Une étude de Troup Howard, de l’Université de l’Utah, a montré que les expulsions sous l’administration Obama avaient exacerbé la pénurie de logements.

Des conséquences  sur les finances publiques

Les expulsions massives ne se limiteront pas à réduire la main-d’œuvre : elles affecteront également les finances publiques. Les migrants clandestins ne sont pas éligibles à la plupart des prestations sociales fédérales, telles que l’Obamacare ou les logements sociaux. Toutefois, ils paient des impôts et des taxes, notamment par leurs dépenses et les loyers. En contribuant à l’offre de main-d’œuvre et à la production économique, ils augmentent le revenu imposable et les bénéfices des entreprises.

Le Congressional Budget Office prévoit que la récente hausse de la migration réduira les déficits fédéraux de 900 milliards de dollars entre 2024 et 2034, grâce à l’augmentation des recettes fiscales et de la croissance économique. L’expulsion de ces travailleurs réduirait donc l’assiette fiscale, sans diminuer les obligations de dépenses publiques, creusant davantage les déficits.

Les expulsions : une perte économique nette

Moins de travailleurs clandestins signifierait pour les États-Unis plus d’inflation, moins de croissance et une baisse des recettes publiques. Dans une économie caractérisée par le plein emploi, ces expulsions risquent de provoquer un ralentissement de la production et un recours accru aux importations. Les Américains seraient perdants en termes de revenus, confrontés à une hausse des prix et à une offre de biens et services diminuée.

Dans un contexte de plein emploi et de vieillissement de la population, les expulsions massives risquent de plonger l’économie américaine dans une spirale de ralentissement, d’inflation et de déséquilibres budgétaires. Les Américains, loin de bénéficier de cette politique, pourraient en payer le prix fort.

La fée électrique n’a pas fini de briller

Dans un monde en pleine transition énergétique et numérique, l’électricité s’impose comme la colonne vertébrale des économies modernes. De la décarbonisation à l’essor de l’intelligence artificielle, en passant par l’électrification des transports, les infrastructures électriques sont au cœur des défis stratégiques du 21ᵉ siècle. Pourtant, alors que la demande explose et que les investissements atteignent des sommets, des risques comme les pénuries d’équipements, les catastrophes naturelles ou encore les tensions géopolitiques menacent de freiner cette révolution. L’avenir de nos réseaux électriques n’a jamais été aussi crucial pour soutenir une croissance durable et résiliente.

L’usine de Schneider Electric à Conselve, en Italie, ne chôme pas. Elle produit des systèmes de refroidissement avancés pour les centres de données, véritables clefs de voûte de l’intelligence artificielle (IA). Au cours de l’année écoulée, la valeur boursière de Schneider Electric a augmenté de plus d’un tiers, atteignant environ 140 milliards de dollars. La capitalisation boursière d’Hitachi, un conglomérat japonais, a triplé depuis le début de l’année 2022, en partie grâce à l’expansion rapide de sa division d’équipements électriques. L’action de Siemens Energy a progressé de 300 % l’an dernier, portée par la forte croissance des ventes de son activité liée à la technologie des réseaux électriques. Les entreprises impliquées dans les infrastructures électriques ont enregistré des hausses significatives de leur valeur, surpassant les indices boursiers auxquels elles sont rattachées.

La demande pour des équipements tels que les transformateurs, les appareillages de commutation et les câbles de transmission à haute tension est en plein essor. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que les investissements mondiaux dans les infrastructures de réseau ont atteint près de 400 milliards de dollars en 2024, contre un peu plus de 300 milliards en 2020. L’AIE prévoit que ces dépenses augmenteront à environ 600 milliards de dollars par an d’ici 2030.

Facteurs de croissance des infrastructures électriques

La décarbonisation de la production d’électricité est l’un des principaux moteurs de cet essor. La production d’énergie éolienne et solaire, souvent située dans des zones reculées, exige une extension des lignes électriques ainsi que des investissements dans du matériel et des logiciels pour gérer leur intermittence. Au Royaume-Uni, l’ambition d’atteindre un réseau à zéro émission nette d’ici 2030 a conduit les opérateurs de réseau à soumettre des propositions d’investissement de près de 100 milliards de dollars sur cinq ans. Même aux États-Unis, où le nouveau président reste sceptique face au changement climatique, les investissements dans les énergies renouvelables devraient continuer à croître en raison de la baisse des coûts de l’énergie solaire et éolienne.

Un autre facteur est le poids croissant de l’électricité dans la consommation énergétique. L’AIE prévoit que la demande en électricité, qu’elle soit issue de sources propres ou polluantes, augmentera six fois plus vite que l’énergie globale au cours de la prochaine décennie. Cette augmentation est alimentée par l’adoption des voitures électriques, des systèmes de chauffage domestique et des processus industriels. La Californie à elle seule aura besoin de 50 milliards de dollars pour moderniser son réseau de distribution d’électricité d’ici 2035 afin de recharger ses véhicules électriques.

Les besoins énergétiques mondiaux continuent de croître, notamment dans les pays en développement, où la croissance économique et l’usage croissant de la climatisation nécessitent de nouvelles centrales électriques et des réseaux adaptés. Goldman Sachs estime que le réseau électrique indien nécessitera 100 milliards de dollars d’investissement entre 2024 et 2032. Rystad, un cabinet de conseil, prévoit que les investissements annuels dans le réseau électrique chinois passeront d’environ 100 milliards de dollars en 2024 à plus de 150 milliards d’ici 2030.

Les dépenses des géants de la technologie en matière d’IA alimentent également la demande en électricité. Certains centres de données consomment désormais autant d’énergie qu’une petite centrale nucléaire, obligeant les opérateurs de réseau à moderniser transformateurs, lignes électriques et équipements de contrôle. Tokyo Electric, la plus grande compagnie d’électricité japonaise, prévoit de dépenser plus de 3 milliards de dollars d’ici 2027 pour moderniser ses infrastructures et répondre à la croissance des centres de données. Cet essor stimule également les ventes des fabricants d’équipements de refroidissement et autres appareils auxiliaires.

La multiplication des catastrophes naturelles, comme les tempêtes meurtrières à Mayotte ou les incendies de forêt à Los Angeles, accroît également les dépenses dans les réseaux électriques. Ces événements ont généré plus de 100 milliards de dollars de dommages dans le monde en 2023, dont seulement la moitié était couverte par les assurances. Aux États-Unis, le ministère de l’Énergie a récemment accordé une garantie de prêt de 15 milliards de dollars à PG&E, une compagnie californienne, pour améliorer la résilience de ses infrastructures. En Europe, où les réseaux électriques ont en moyenne plus de 40 ans, une modernisation est également nécessaire.

Défis et risques

Face à la hausse de la demande en équipements, les pénuries se multiplient, entraînant une augmentation des prix de 60 à 80 % pour certains composants, comme les transformateurs, depuis 2020. Les délais de livraison ont triplé, atteignant parfois cinq ans ou plus. Cette situation pousse les fournisseurs à augmenter leurs dépenses en recherche et développement ainsi qu’en capacité de production.

Cependant, le secteur de l’électricité reste vulnérable à un retournement de cycle. Une surproduction pourrait émerger si les investissements dépassaient les besoins réels. La croissance des ventes de véhicules électriques ralentit déjà dans plusieurs pays occidentaux, et l’essor de l’IA pourrait marquer une pause. Malgré ces incertitudes, les dépenses consacrées aux infrastructures électriques ne montrent aucun signe de ralentissement. Les opérateurs de réseau restent confrontés à une consommation d’électricité croissante, un mix de production en évolution et des infrastructures vieillissantes.

Face à une consommation électrique en forte hausse, un mix énergétique en pleine transformation et des infrastructures vieillissantes, le secteur électrique est à un tournant. Les investissements colossaux actuels témoignent d’un effort sans précédent pour répondre aux enjeux environnementaux et technologiques, mais les défis restent nombreux : pénuries de matériaux, risques de surproduction ou encore besoin d’une meilleure résilience face aux catastrophes naturelles. La question n’est plus seulement de construire des réseaux plus puissants, mais aussi de les rendre plus flexibles, durables et adaptés aux besoins de demain. À l’heure où l’électricité devient la pierre angulaire de notre économie, c’est notre capacité à innover et à anticiper qui déterminera si cette transition sera un succès ou un échec.