11 septembre 2025

Horizons – nucléaire – consommation durable

Le nucléaire est-il la solution ?

Rick Perry, ancien gouverneur du Texas et secrétaire à l’Énergie durant le premier mandat de Donald Trump entend relancer l’énergie nucléaire aux Etats-Unis. Le 4 juillet, le jour de la fête nationale américaine, il a lancé Fermi America, une entreprise ayant pour ambition de construire le plus vaste complexe énergétique et de centres de données au monde. Près d’Amarillo au Texas, les bulldozers déplacent la terre rouge pour un site qui produira d’abord de l’électricité à partir de gaz naturel et de solaire, avant l’édification de réacteurs nucléaires classiques et de plusieurs petits réacteurs modulaires (SMR), pour une puissance totale de 11 gigawatts (GW).

L’accident de Fukushima, en 2011, a profondément terni l’image du nucléaire. Il a provoqué la sortie de cette énergie en Allemagne, sortie devenue effective en 2023. Bien que cette énergie conserve une place significative dans le mix de certains pays comme la France, aucun projet n’a été mené à bien dans les délais et les budgets impartis en Europe ou en Amérique du Nord. Tandis que le coût des renouvelables chutait, les projets nucléaires aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Finlande s’enlisaient dans les retards et les dépassements financiers. En France, le coût de l’EPR de Flamanville est passé de 3,3 milliards d’euros à 19,1 milliards d’euros (en euros constants de 2015), soit environ 5,8 fois le budget initial. Mais le 25 août dernier, Fermi et Westinghouse ont annoncé un partenariat pour soumettre à autorisation la construction de quatre réacteurs nucléaires à Amarillo.

Plusieurs facteurs jouent en faveur d’un renouveau du nucléaire. D’abord, la volonté croissante des gouvernements occidentaux de sécuriser leur production électrique. Deuxièmement, les besoins énergétiques croissants des entreprises du secteur des technologies de l’information et de la communication. Enfin, l’émergence de modèles opérationnels et financiers susceptibles d’améliorer une économie du nucléaire jugée jusque-là trop risquée.  Par ailleurs, Donald Trump a appelé à quadrupler la capacité nucléaire domestique pour atteindre 400 GW d’ici 2050. Un objectif irréaliste, mais qui mobilise le système économique. Adoptée en juillet, la loi One Big Beautiful Bill comporte des crédits d’impôt et des subventions en faveur du secteur énergétique. Les États républicains, comme le Texas, se montrent favorables à cette initiative. Des États démocrates, comme New York, autrefois hostiles, revoient leur position. Après avoir fermé une grande centrale en 2021, ils souhaitent aujourd’hui en construire de nouvelles pour éviter toute pénurie. .

Sur le vieux continent, la Commission européenne a publié en juin une feuille de route prévoyant une hausse de la capacité nucléaire de 100 à 145 GW d’ici 2050. L’Allemagne a renoncé à s’opposer au classement du nucléaire comme énergie « verte » dans la réglementation européenne, facilitant les projets français de six nouvelles centrales EPR. En juillet, Londres a donné son autorisation = à Sizewell C, à la construction de deux réacteurs dont le coût pourrait dépasser 38 milliards de livres (48 milliards d’euros). La Suède a confirmé la construction de plusieurs petits réacteurs  modulaires produits en usine et déployés (SMR) ensuite sur site. Si la technologie n’est pas encore mature, la promesse de coûts initiaux plus réduits et de déploiements plus rapides séduit. Plus de 120 entreprises travaillent sur ce type de réacteurs. D’ici 2050, la capacité nucléaire nette hors Chine et Russie pourrait croître de plus de 50 %, à plus de 450 GW, dont 40 à 60 % via des SMR, ouvrant un marché d’un millier de milliards de dollars. Parallèlement, des dizaines de start-up se lancent dans la fusion nucléaire, pari bien plus risqué mais porteur d’une énergie quasi illimitée et décarbonée. Depuis 2024, les start-up de SMR ont levé plus de 2 milliards de dollars de capitaux aux Etats-Unis. En juin, Oklo, soutenue par Sam Altman (OpenAI), a levé 460 millions de dollars, tandis que TerraPower, fondée par Bill Gates, a collecté 650 millions. Google s’est associé à Kairos Power pour développer une flotte de SMR d’ici 2035. La fusion attire aussi des capitaux : Commonwealth Fusion Systems (également soutenue par Gates) a levé 863 millions en août. Les GAFAM s’engage de plus en plus sur le secteur de l’énergie en investissant à la fois dans les renouvelables et dans le nucléaire. La centrale nucléaire de Clinton (Illinois), exploitée par Constellation Energy, menacée de fermeture en 2027, faute de rentabilité face au gaz de schiste, a été sauvée par Meta (Facebook) qui a signé un contrat de 20 ans finançant sa prolongation contre des crédits carbone. Microsoft avait conclu un accord similaire en Pennsylvanie. Depuis les décrets pro-nucléaires de Trump, les cours boursiers du secteur sont en forte hausse.

Pour le moment, les coûts du nucléaire et des SMR dépassent le prix de marché de l’électricité. Les contraintes réglementaires ont rendu ce secteur peu compétitif par rapport aux énergies renouvelables.

Le coût prend en compte la construction, le démantèlement des installation et celui le cas échéant des déchets.

Sources : CRE (France) – RTE France – BEIS/DESNZ (UK, 2023) –  Lazard LCOE v18 (2025) –IRENA (2024/2025) –ADEME (France, 2025)

La Chine et la Corée du Sud ont prouvé récemment qu’il est possible de construire des réacteurs nucléaires en cinq ans grâce à des processus standardisés. Un article récent de Nature, signé Daniel Kammen souligne le rôle clé du vaste marché électrique chinois, qui offre des gains de productivité importants aux acteurs du secteur. Les marchés européens et américains restent segmentés ce qui génère des surcoûts. Les pays de l’OCDE devrait mutualiser les financements mutualisés avec un apport plus important des entreprises de la haute technologie à travers la signature de contrats longs.

L’énergie nucléaire offre l’avantage d’être relativement peu sensible aux aléas climatiques même si la question du refroidissement des centrales peut se poser avec une acuité plus forte en raison du réchauffement climatique. Elle a comme atout de pouvoir fournir des quantités importantes d’énergie pouvant répondre aux besoins des acteurs économiques. Son coût s’est fortement accrue en raison des contraintes qui ont été imposées après l’accident de Fukushima. L’arrêt des constructions de centrales nucléaires a par ailleurs provoqué une perte de compétences et de savoir-faire qui provoquent des surcoûts au moment de la relance des programmes. La désindustrialisation des pays occidentaux constitue pour ces derniers un handicap pour recréer une industrie nucléaire. Les pays comme la France ou les Etats-Unis qui disposent d’un parc de centrales nucléaires important sont confrontés à un réel dilemme. Ils sont appelés en effet dans les prochaines années à les remplacer, leur prolongement étant une source de dangers à terme. Or, faut-il opter pour des réacteurs de forte puissance style EPR ou développer les SMR ou recourir de manière plus massivement aux énergies renouvelables

Aux origines de la consommation durable

La « consommation responsable » progresse dans les pratiques, mais pas forcément pour les raisons que l’on croit. Les données récentes du CRÉDOC (enquêtes Tendances de consommation, juillet 2024, complétées par les travaux de fin 2024) dessinent un paysage nuancé. L’adhésion aux comportements favorables à l’environnement se diffuse, la seconde main s’installe, la consommation moyenne de viande recule, et 61 % des Français disent, en 2025, être incités par la présence de garanties écologiques au moment d’acheter. Pourtant, le moteur numéro un n’est ni la culpabilité climatique ni l’injonction publique, ce sont d’abord les préférences personnelles – le plaisir, l’utilité, la santé puis la contrainte budgétaire et, de façon décisive, l’influence des proches.

L’effet « entourage » : le vecteur de la norme sociale

Les enquêtes du Crédoc témoignent de l’importance de l’effet d’imitation. Se conformer – ou, plus subtilement, s’aligner – sur les conduites observées dans son cercle proche augmente nettement la probabilité d’adopter des gestes réputés vertueux. 83 % des personnes qui estiment que leurs proches ont volontairement réduit leur consommation déclarent l’avoir fait, contre 35 % chez celles qui ne se disent pas influencées par leur entourage. De même, 76 % des personnes ayant des proches pratiquant l’achat de vêtements d’occasion y recourent également contre 39 % de celles dont l’entourage ne pratique pas ce type d’achat. Les chiffres respectifs pour l’achat de livres d’occasion est 71 % et 34 %. La diffusion d’une norme dans le groupe de référence abaisse les coûts psychologiques du changement, rassure sur la « respectabilité » du geste, et enclenche un mimétisme.

La norme sociale ne joue pas toujours, loin de là en faveur de l’environnement. Elle peut induire des comportements défavorables comme le remplacement fréquent du smartphone ou l’achat fréquent de vêtements. 55 % des détenteurs de smartphone percevant que leurs proches renouvellent ce dernier rapidement font de même (entre 0 et 3 ans), contre 22 % quand l’entourage renouvelle rarement. Les individus « influencés » mentionnent bien moins souvent la panne définitive (44 % contre 68 %) et nettement plus fréquemment la quête de nouvelles fonctionnalités (22 % contre 10 %), pour justifier l’achat d’un modèle plus innovant ou plus esthétique. La norme de nouveauté nourrit ainsi une obsolescence choisie.

Le budget, second métronome des choix

La contrainte de prix reste un déterminant décisif, surtout pour la nourriture et les vêtements. Limiter sa consommation de viande est d’abord un arbitrage économique. 43 % des Français citent le prix comme première raison. La seconde main pour l’habillement obéit à la même logique de coût.

70 % de celles qui pensent que leur entourage achète des vêtements d’occasion déclarent se restreindre sur certaines dépenses (contre 59 % parmi celles qui ne se disent pas influencées). Ce ratio est de 67 % au sujet de la limitation de la consommation de viande. La norme sociale s’agrège à la contrainte .

Le plaisir avant tout

Les comportements responsables reposent d’abord sur des bénéfices concrets et ressentis. Les acheteurs de seconde main sont motivés par la joie de débusquer une bonne affaire, l’accès à une meilleure qualité à prix maîtrisé. 65 % des acheteurs de vêtements d’occasion déclarent « faire de bonnes affaires ». Pour le livre d’occasion, le frein financier est faible (15 % seulement disent acheter d’occasion faute de moyens) et la facilité d’accès n’est pas négligeable (31 %). L’image de la seconde main n’est plus un obstacle : qu’ils se sentent ou non influencés par leurs proches, 56 % affirment aimer lire un livre qu’il soit neuf ou d’occasion /

Une question de volonté

82 % des personnes qui jugent « une bonne chose » de limiter la viande disent le faire, contre 21 % de celles qui ne le pensent pas. Symétriquement, 85 % de ceux qui considèrent « une mauvaise chose » de changer souvent de téléphone.

Le paradoxe écologique : beaucoup d’inquiétude, peu d’effet direct

Se déclarer préoccupé par l’environnement influence peu les comportements. Les individus plaçant la dégradation environnementale en tête de leurs soucis ne changent ni plus ni moins souvent de smartphone que les autres (46 % contre 47 %), et n’achètent pas significativement plus de livres ou de vêtements d’occasion. Seule la réduction de la viande apparaît un peu plus fréquente parmi les plus préoccupés (66% contre 51 % pour ceux qui citent d’autres priorités).

L’injonction environnementale est perçue comme une pression s’ajoutant à celle de la contrainte financière surtout pour les personnes de plus de 40 ans. D’où la faible efficacité des messages culpabilisants ou prescriptifs.

Les données du Crédoc indique que les comportements des ménages dépendent plus de l’influence que de la sommation de la désirabilité de la norme que de celle-ci en tant que telle. Les politiques publiques pour être efficaces se doivent de conjuguer plaisir et preuve sociale. La transition des comportements de consommation n’est pas une marche forcée  mais une contagion douce. Elle passe par le voisin, l’ami, la collègue qui s’y met – et qui raconte pourquoi il ou elle y trouve son compte. Tant que l’acte responsable restera vécu comme une privation, il peinera. Quand il devient une évidence désirable — meilleure santé, bonnes affaires, fierté tranquille d’appartenir à une norme qui monte — il s’installe.