27 décembre 2024

Horizons – réchauffement – Ukraine

Aux origines de l’emballement des températures

Gavin Schmidt, modélisateur climatique et directeur du Goddard Institute for Space Science (GISS) de la NASA à New York, a avoué, dans un article paru dans la revue Nature en mars 2024, son incapacité, ainsi que celle de ses collègues, à comprendre l’accélération du réchauffement climatique en 2023, marquée par une augmentation de la température de 0,2 °C au-delà des prévisions. Neuf mois plus tard, à Washington, Gavin Schmidt est revenu sur le sujet lors d’une réunion de l’American Geophysical Union (AGU), le plus grand rassemblement annuel de scientifiques spécialisés dans les sciences de la Terre.

 

Une année exceptionnelle pour le réchauffement climatique

 

Le changement climatique provoqué par les gaz à effet de serre signifie que toutes les années devraient désormais être chaudes par rapport aux normes passées. En 2021, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estimait le taux de réchauffement à 0,2 °C par décennie. L’année 2023 a toutefois été exceptionnelle, notamment en raison du déclenchement d’un phénomène El Niño au cours du second semestre.

 

Les El Niño sont la phase chaude d’un mouvement oscillatoire des vents et des courants océaniques dans le Pacifique tropical, connu sous le nom d’ENSO (El Niño-Oscillation australe). La chaleur supplémentaire générée par ces événements accentue la tendance générale au réchauffement, rendant les années El Niño plus chaudes que la moyenne. Le phénomène El Niño débuté en 2023 s’est poursuivi en 2024, contribuant à ce que cette année établisse de nouveaux records de température.

 

En 2023, cependant, les records de température ont été atteints avant même le début du phénomène El Niño. L’ampleur du réchauffement par rapport à l’année précédente a dépassé ce que l’on pourrait attendre d’un tel phénomène.

 

Des facteurs multiples pour expliquer l’anomalie

 

Pour expliquer les écarts par rapport aux modèles, plusieurs hypothèses ont été avancées par les scientifiques. L’éruption sous-marine du volcan Hunga Tonga-Hunga Ha’apai de janvier 2022 a libéré une quantité significative de vapeur d’eau dans la stratosphère. La vapeur d’eau, un gaz à effet de serre, peut rester longtemps présente et contribuer au réchauffement. Toutefois, le volcan a également émis du soufre, qui tend à refroidir l’atmosphère, rendant son effet global ambigu. En 2023, le soleil a connu un pic dans son cycle de taches solaires, augmentant la lumière produite de 0,05 % par rapport à la moyenne. Cette augmentation, particulièrement marquée dans le spectre ultraviolet, pourrait avoir contribué au réchauffement. En 2020, l’Organisation maritime internationale (OMI) a imposé des règles limitant la teneur en soufre des carburants maritimes, réduisant ainsi les particules de sulfate dans l’atmosphère. Ces particules favorisent la formation de nuages, qui réfléchissent la lumière solaire et atténuent le réchauffement. Leur diminution a donc amplifié la hausse des températures. Depuis 2014, la Chine a également réduit ses émissions de soufre en fermant des centrales à charbon et en filtrant les gaz de combustion. Cette politique a eu des effets notables sur le Pacifique Nord, entraînant une raréfaction des nuages et une hausse des températures.

 

Ces facteurs n’expliquent cependant pas entièrement l’accélération du réchauffement, certains ayant pu avoir des effets contradictoires, comme l’éruption du Hunga Tonga-Hunga Ha’apai.

 

Des interactions complexes

 

Le réchauffement climatique génère des interactions difficiles à appréhender. Par exemple, les tempêtes couvrent des surfaces plus limitées, et la Terre réfléchit moins de lumière solaire, la rendant plus sujette à un réchauffement rapide. Cette hypothèse est confirmée par les travaux récents de Helge Goessling et ses collègues de l’Institut Alfred Wegener de Bremerhaven, publiés dans Science. En utilisant des données satellites et des relevés météorologiques, ils ont montré qu’au cours du XXIᵉ siècle, la Terre a progressivement réfléchi moins de lumière solaire vers l’espace. L’année 2023 a enregistré le niveau de réfléchissement le plus faible, en raison de la rareté de la couverture nuageuse, particulièrement dans les latitudes moyennes de l’hémisphère nord.

 

Une accélération du réchauffement attendue

 

Les modèles climatiques prévoient que le réchauffement s’accélérera à mesure que les émissions de gaz à effet de serre augmenteront et que les émissions de sulfate diminueront. Entre 2013 et 2023, le réchauffement a été de 0,26 °C, un niveau supérieur aux 0,2 °C prévus par le GIEC, mais encore en deçà des prévisions du climatologue James Hansen (0,32 °C par décennie).

 

Ukraine, une économie en mouvement

En Ukraine, la guerre avec la Russie a obligé les entreprises à s’adapter. Elles ont été confrontées à des pénuries de main-d’œuvre avec la mobilisation des jeunes hommes et l’émigration d’une partie de la population. Plus de 6 millions de réfugiés ukrainiens se sont installés dans des pays européens (1,8 million en Pologne, 1,1 million en Allemagne, 615 000 en République tchèque, 213 000 en Espagne, 196 000 en Italie et 107 000 en France). Les entreprises ukrainiennes ont également dû faire face aux coupures énergétiques, à la désorganisation des transports et aux opérations militaires. Dans les exploitations agricoles, à proximité du front, les retraités ont repris du service et ont travaillé avec des gilets pare-balles, un fusil automatique à leurs côtés. Faute de pouvoir écouler le lait, les fermiers ont produit des fromages, plus faciles à conserver et à distribuer. Avec la diminution du nombre de clients, les prix des produits agricoles ont eu tendance à baisser. L’économie ukrainienne, dans son ensemble, s’est réinventée. Son poids s’est contracté de plus de 25 % par rapport à son niveau d’avant le début du conflit. Malgré tout, elle fait preuve d’une réelle capacité d’adaptation. La banque centrale ukrainienne prévoit une croissance du PIB de 4 % en 2024 et de 4,3 % en 2025. La monnaie est stable et les taux d’intérêt, à 13,5 %, restent proches de leur plus bas niveau depuis 30 mois. En Russie, les taux d’intérêt sont supérieurs à 20 % afin de lutter contre l’inflation et la dépréciation du rouble. La situation économique de l’Ukraine demeure précaire. Le pays dépend des aides des pays occidentaux et, en premier lieu, des États-Unis. Or, l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier pourrait changer la donne.

Depuis le déclenchement de la guerre, l’économie de l’Ukraine a connu trois phases. Lors de la première, au début des combats et de l’invasion russe, le gouvernement ukrainien a mené une politique d’urgence afin d’éviter un effondrement. Il devait réagir au blocage des ports de la mer Noire par la Russie, qui visait à empêcher toutes les exportations ukrainiennes. Celles-ci ont transité par la route ou les voies ferrées. La banque centrale a décidé de financer le déficit public provoqué par l’accroissement des dépenses militaires. Un contrôle strict des capitaux a été instauré. L’inflation a alors dépassé 20 % et le PIB s’est contracté de 33 %.

La deuxième phase a commencé avec le recul des armées russes dans le sud du pays, à la mi-2022. Avec la restauration de la confiance, le PIB s’est stabilisé. Un accord négocié par l’ONU a permis à l’Ukraine d’expédier à nouveau des céréales par bateau. L’inflation s’est amoindrie. Début 2023, l’Ukraine a signé un accord avec le FMI pour faciliter le financement de son économie. La banque centrale a ainsi cessé de monétiser le déficit budgétaire. Avec la multiplication des aides internationales, les réserves de change se sont redressées, permettant un assouplissement du contrôle des capitaux. Avec l’amélioration de la situation militaire et économique, le gouvernement et les entreprises ont mené des actions structurelles afin de protéger les centres de production des missiles russes. Des parcs industriels ont été construits dans des régions occidentales moins exposées. Les entreprises ont investi à l’étranger pour protéger leurs revenus contre la guerre. Dix pour cent des entreprises créées en 2023 en Pologne l’ont été par des Ukrainiens. Les expatriés ont également généré des revenus, dont une partie a été rapatriée en Ukraine.

Le gouvernement ukrainien a été contraint d’installer le pays dans une économie de guerre pour une longue période. Les dépenses publiques ont fortement augmenté et représentent désormais les deux tiers du PIB, contre 41 % en 2021. La défense et la sécurité représentent à elles seules près de 30 % du PIB. Certaines entreprises publiques se sont réorganisées. Naftogaz, une entreprise d’hydrocarbures ukrainienne, a nommé un conseil de surveillance en 2023, composé d’administrateurs indépendants issus de grandes entreprises européennes. L’entreprise a affiché 79 milliards de hryvnias (2,4 milliards de dollars) de pertes en 2022, mais a engrangé 24 milliards de hryvnias de bénéfices au premier semestre 2024, grâce à l’augmentation de la production de gaz et à ses investissements dans les énergies vertes. Les entreprises privées se sont également adaptées. Après la destruction de Marioupol, un port de la mer d’Azov, au printemps 2022, l’entrepreneur Vitalii Lopushanskyi a créé UADamage, une société d’intelligence artificielle qui analyse les images satellites pour créer des cartes interactives présentant chaque bâtiment, route ou pont détruit. Il a depuis cartographié plus de 200 villes. Il a développé des solutions informatiques permettant aux drones de repérer les mines ou aux robots au sol de désactiver les bombes.

En juillet 2023, la Russie a refusé de renouveler l’accord sur les céréales et leur exportation par la mer. L’Ukraine a réagi en ouvrant son propre corridor maritime, le sécurisant grâce à une remarquable campagne de dissuasion maritime par drones et missiles. La Russie n’a pas été capable d’empêcher ce corridor, du fait de la vulnérabilité de sa flotte et de la maîtrise imparfaite du ciel. L’Ukraine a réussi à rendre les expéditions non seulement de céréales, mais aussi de métaux et de minéraux, sa deuxième plus grande exportation.

Une troisième phase a commencé en 2024, au cours de laquelle l’économie du pays est confrontée à ses plus grandes menaces à ce jour : de graves pénuries d’électricité, d’hommes et d’argent. Depuis 2022, la Russie a attaqué sans relâche le réseau électrique ukrainien. Malgré des réparations continues, le pays peut compter sur moins de la moitié des 36 gigawatts (GW) de capacité de production qu’il pouvait exploiter avant la guerre. Le 13 décembre dernier, la Russie a envoyé 93 missiles et près de 200 drones sur des installations de transmission et des centrales thermiques. Douze missiles ont atteint leurs cibles, provoquant des coupures de courant. Les 27 et 28 novembre, dans une escalade imprudente, la Russie avait déjà frappé des installations de transmission des centrales nucléaires. Or, l’Ukraine dépend pour l’électricité à 70 % de l’énergie nucléaire. En décembre, le pays peut néanmoins compter sur l’Europe, qui a la capacité de fournir un quart de la consommation électrique de l’Ukraine. Pour faire face aux coupures électriques, de nombreux agriculteurs utilisent les résidus de leurs activités en biogaz. Ces derniers disposent également de générateurs diesel. Les entreprises de taille moyenne possèdent souvent des centrales au gaz naturel, qu’elles combinent parfois avec l’énergie éolienne et solaire.

Les stratégies d’adaptation et les réparations en cours permettront de contenir le déficit énergétique moyen du pays à 6 % de la demande totale en 2025 et à 3 % en 2026, selon le gouverneur de la banque centrale ukrainienne. Les prix de l’électricité sont néanmoins plus élevés qu’avant le conflit. Cette situation pourrait amputer le PIB d’un point en 2025. Le deuxième problème, le plus épineux, est le manque de main-d’œuvre. Depuis 2022, la mobilisation, les migrations et la guerre ont entraîné une diminution de plus d’un cinquième de la main-d’œuvre, à 13 millions de personnes. Le nombre d’offres d’emploi a atteint 65 000 par semaine, contre 7 000 pendant les premières semaines de la guerre, mais chaque offre moyenne n’attire que 1,3 candidature, contre deux en 2021. Les salaires augmentent. Les ministères de l’Économie et de la Défense sont engagés dans une lutte acharnée autour de la mobilisation. Même les industries considérées comme essentielles ne peuvent protéger que la moitié de leurs travailleurs de la ligne de front. Le recours aux salariées femmes est limité, car elles ont été nombreuses à s’expatrier. Les difficultés d’accès au crédit pèsent sur l’économie. Les petites exploitations agricoles et les petites entreprises peinent à financer leurs investissements. Les banques ont durci les conditions d’accès aux crédits. L’État, avec ses besoins de financement importants, génère un effet d’éviction.

Malgré les immenses défis posés par la guerre, l’économie ukrainienne fait preuve d’une remarquable résilience, témoignant de sa capacité d’adaptation face à des contraintes sans précédent. Les trois phases économiques qu’a traversées le pays depuis le début du conflit illustrent une transition complexe : de la gestion d’une crise immédiate à une stabilisation progressive, puis à une économie de guerre durable. Cependant, cette résilience repose largement sur un soutien international massif, une mobilisation intérieure sans précédent et des stratégies d’innovation au sein des secteurs privé et public.

Les pénuries d’électricité, de main-d’œuvre et de financement, couplées aux attaques répétées contre les infrastructures critiques, constituent des menaces existentielles pour l’économie du pays. À cela s’ajoutent les incertitudes liées aux dynamiques géopolitiques, notamment la diminution potentielle de l’aide américaine et les divisions au sein de l’Union européenne. Dans ce contexte, l’Ukraine devra non seulement continuer à diversifier ses partenariats économiques et financiers, mais aussi renforcer ses bases industrielles et agricoles pour préserver sa souveraineté économique. Enfin, le rapport de force militaire et diplomatique, ainsi que l’évolution des soutiens extérieurs, détermineront largement la capacité du pays à maintenir une trajectoire de reprise économique.