La hausse de l’immobilier : une affaire démographique ?
En vingt ans, les prix de l’immobilier ont plus que doublé en France, voire triplé sur Paris. Cette valorisation a conduit à une progression sans précédent du patrimoine des ménages français qui, en, 2014, représentait près de 8 années de revenu disponible brut contre 5 années en 1998. Cette augmentation est imputable en grande partie à l’immobilier. Sur 10 221 milliards d’euros de patrimoine, l’immobilier pesait, en 2014, 6 505 milliards d’euros, soit 63 %. La hausse des prix de l’immobilier ne concerne pas que la France ; des pays comme l’Espagne, le Royaume-Uni, les aux États-Unis et bien d’autres ont été confrontés à ce phénomène.
En cette rentrée 2016, la pierre est à la mode. Tous les hebdomadaires d’information lui consacrent des dossiers entiers pour affirmer que c’est le moment d’investir avec des taux d’intérêt historiquement bas. Nombreux sont ceux qui annoncent une augmentation des prix. Au-delà de ces aspects purement conjoncturels qui, par ailleurs, pourraient déboucher sur un sévère réajustement, quels sont les fondamentaux pour l’évolution des prix de l’immobilier ? Des paramètres économiques, financiers, fonciers, juridiques ou fiscaux sont souvent mis en avant. Or, il apparaît assez nettement que l’évolution des prix de l’immobilier sur longue période dépend de celle de la démographie comme le souligne, entre autre, les travaux d’Arnaud Simon et Yasmine Essafi (« Concurrence générationnelle et prix immobiliers »). Ce sont les générations importantes du baby-boom arrivées à maturité qui ont poussé les prix à la hausse.
Une telle analyse reprend des études menées sur les cours boursiers. Des liens ont été statistiquement démontrés entre l’évolution des actions et celle de la population américaine (Abel – 2003, Campbell – 2007, Maddolani – 2005). Patrick Artus (flash économie Natixis du 31 août 2016 n°371) a démontré que la corrélation entre la démographie et les cours des actions était très nette aux États-Unis. Compte tenu du poids des non-résidents comme investisseurs sur le marché français (50 % de capitalisation du CAC 40), il convient non pas de prendre la structure de la population française en référence mais celle des États-Unis pour obtenir une relation tangible.
Ces différents travaux reposent sur la notion de cycle de vie. Au niveau immobilier, par souci patrimonial ou par souci d’indépendance, les individus ont comme objectif, en commençant à travailler, d’acquérir leur résidence principale. C’est entre 30 et 50 ans que les ménages réalisent leur projet immobilier afin de pouvoir être libéré des remboursements au moment de la cessation d’activités. De larges générations de 30/50 contribuent à l’augmentation des prix quand, à l’inverse, des classes creuses entraînent une décrue de ces mêmes prix. En reprenant ce principe, l’étude de Takats (2012) réalisée dans 22 pays avancés souligne que les éléments démographiques sont à l’origine d’une augmentation des prix de l’immobilier de 0,3 % en moyenne par an sur ces quarante dernières années.
Le cycle de vie n’explique pas totalement l’évolution des prix de l’immobilier. Trois séries de facteurs peuvent être distinguées :
- des facteurs d’ordre économique comme la croissance des revenus, les taux d’intérêt, la fiscalité ;
- des facteurs liés à l’offre comme la disponibilité du foncier, le coût de la construction ;
- des facteurs démographiques comme la progression de la population, le nombre de divorces, le nombre de retraités, la mobilité.
Les interactions entre les différents facteurs sont importantes. Les promoteurs immobiliers privilégient les territoires à prix élevés car demandés, ce qui améliore leurs marges. Les lieux à fort potentiel économique et de revenus sont recherchés générant d’importants flux de population et donc des augmentations de prix pour l’immobilier. Si la demande est importante, les constructeurs ne seront pas incités à réduire leurs coûts de construction, voire auront tout intérêt à les monter. De même, une fiscalité incitative conduit bien souvent à une augmentation des prix (Rapport de la Cour des Comptes sur la politique du logement 2015).
La baisse des taux d’intérêt solvabilise la demande et favorise de ce fait l’augmentation des prix. Depuis 2011, le pouvoir d’achat des ménages qui acquièrent un logement s’est amélioré. A Marseille, ils peuvent acheter un appartement ayant une superficie accrue de 18 mètres carrés, à Paris, de 7 mètres carrés. Mais, à Paris, l’avantage tend à s’estomper en raison de l’augmentation des prix surtout pour les petites surfaces. L’effet prix neutralise l’effet taux.
La démographie gouverne-t-elle les prix ?
La France a connu une vive progression de sa population de 1945 jusque dans les années 1970. Elle continue, par ailleurs, à augmenter grâce à un taux de fécondité supérieur à la moyenne européenne. Au 1er janvier 2016, la population française comptait 66,6 millions d’habitants. Elle pourrait atteindre près de 74 millions d’habitants d’ici 2060. Le solde d’accroissement de la population est désormais de moins 250 000 par an quand il dépassait 300 000 durant les 30 glorieuses. Néanmoins, du fait de la baisse du taux de fécondité, la population française vieillit. L’âge moyen de la population est passé de 36,9 à 41 ans de 1991 à 2016 et l’âge médian est passé de 33,7 à 40,2 ans. Tout un symbole, en 2016, les moins de 20 ans sont moins nombreux que les plus de 60 ans. D’ici 2050, le nombre des plus de 60 ans augmentera de plus de 10 millions. Ces derniers représenteront 33 % de la population.
L’arrivée des générations du baby-boom dans la vie professionnelle s’est étalée du milieu des années 60 au milieu des années 90. L’acte d’achat d’un bien immobilier intervenant quand la situation professionnelle se stabilise, c’est-à-dire autour de 30 ans, la demande de logement a été forte de la fin des années 70 au début du 21ème e siècle, période qui correspond à la montée des prix constatée. L’augmentation du nombre de divorce a accentué ce phénomène. En 1950, 34 663 divorces étaient comptabilisés quand en 2014 ce chiffre s’élevait à 123 537. En 1982, près de 26 millions de personnes étaient mariés, en 2014, 24 millions ; dans le même temps la population française a augmenté de 11 millions de personnes.
Les divorces créent une pression supplémentaire sur les prix. Les anciens époux pour accueillir leurs ont besoin de logements plus grands. Par ailleurs, le nombre de célibataires a nettement progressé depuis une quarantaine d’année. 34 % des Français vivent, en 2014 seuls contre 24 % en 1982. Les familles monoparentales représentent 8 % des ménages contre 5 % en 1982. Ces deux phénomènes conduisent à augmenter le nombre de mètres carrés par personne, ce qui renchérit donc le prix des logements.
Des facteurs extérieurs peuvent ponctuellement rompre la corrélation entre les données démographiques et l’évolution des prix de l’immobilier. Ainsi, ces derniers ont fortement chuté entre 1992 et 1998 en raison de la situation économique et de l’augmentation très rapide des taux. De même, la baisse exceptionnelle des taux en cours semble freiner la décrue des prix immobiliers. La relation entre démographie et l’immobilier doit être établie ville par ville ou par bassin d’emplois. Des zones économiques en difficulté ont connu, ces trente dernières années, une forte émigration ce qui a conduit à une baisse des prix de l’immobilier. Les métropoles à l’inverse ont connu l’arrivée de jeunes actifs qui ont fortement pesé sur les prix. Le littoral a bénéficié de l’arrivée de retraités à fort pouvoir d’achat.
L’arrivée des premières générations du baby-boom à la retraite, en 2006, coïncide avec une inflexion des prix de l’immobilier. Dans des pays plus avancés que la France dans le processus de vieillissement, comme l’Allemagne et le Japon, sur ces vingt dernières années, les prix ont respectivement chuté de 30 et 50 %. Certes, le départ à la retraite peut être synonyme d’achat d’un nouveau logement. Le littoral français bénéficie de l’arrivée des seniors. Cette migration vers le littoral y renchérit le prix des logements mais y accentuera à terme la baisse au sein des agglomérations économiques traditionnelles. Ce phénomène devrait s’intensifier dans les prochaines années. En effet, pour la première fois, le nombre de décès a franchi la barre des 600 000 en France en 2015 ; en 2006, seulement 526 000 décès avaient été enregistrés. En 2060, le cap des 750 000 décès par an devrait être dépassé.
Actuellement, les retraités sont propriétaires à 75 % de leur résidence principale. À Paris, 80 % des appartements seraient détenus par des personnes de plus de 60 ans (El Karoui – 2013). Les retraités ont dans la quasi-totalité des cas remboursé leur emprunt. Peu de retraités s’engagent dans l’achat d’un bien immobilier. L’allongement de l’espérance de vie accroit naturellement cette tendance de concentration des biens immobiliers sur la fraction la plus âgée de la population. Le fait que l’âge moyen des héritiers progresse fortement en est un signe supplémentaire. Le nombre de ventes de logement en liaison avec des successions devrait s’accroître dans les prochaines années. Ce phénomène devrait être sensible à partir de 2020/2026 et occasionner une baisse sensible des prix.
La baisse des prix de l’immobilier est-elle incontournable ?
L’attractivité démographique des métropoles
Les métropoles dont le développement est favorisé par les pouvoirs publics pourraient continuer de connaître une progression de leur population au détriment des villes moyennes. Le marché de l’immobilier serait de plus en plus segmenté. Néanmoins, la stabilisation du nombre d’actifs et le départ des retraités devraient les concerner d’ici quelques années.
L’arrivée d’immigrés ou de non-résidents étrangers pourraient changer la donne ; Le premier point suppose un changement de politique, l’immigration étant aujourd’hui fortement réduite (le solde migratoire a été de 61 000 en 2015 contre 95 000 en 2015 ; le second a un effet très limité, les étrangers achetant un bien immobilier étant peu nombreux. Ils réalisent leurs investissements sur un nombre limité de villes ou de quartiers (Saint-Germain-des-Prés ou l’Ile-Saint-Louis à Paris par exemple). Les cœurs historiques pourraient bénéficier de l’afflux touristique. Les logements ne seraient plus occupés par des résidents mais mis en location sur les plateformes Internet. Dans un premier temps, cela pourrait provoquer une augmentation des prix ; dans un second temps, en raison de la mono-activité touristique, les prix pourraient baisser. Les résidents ne seraient pas intéressés de vivre au sein de quartier exclusivement tournés vers le tourisme.
L’effet « revenu » pourrait-il contrecarrer la baisse naturelle des prix ?
Une amélioration des revenus pourrait favoriser une nouvelle croissance des prix de d’une amélioration du pouvoir d’achat des ménages. Or, dans les prochaines années, les ménages devront contribuer au financement de dépenses sociales en augmentation (retraite, maladie et dépendance) ce qui limite d’autant les possibilités d’accroissement de leur pouvoir d’achat.
Une crise immobilière en cas de retournement des taux ?
Comment réagira le marché immobilier quand les taux remonteront ? Tout dépend évidemment de l’ampleur de la remontée, de l’inflation et de la croissance des revenus. Une augmentation brutale des taux non accompagnée par une augmentation des revenus provoquerait une contraction des prix. Entre 1993 et 1997, les prix avaient chuté de 50 % en Ile de France quand les taux avaient dépassé les 10 %.
Effet d’éviction des jeunes générations du marché immobilier et inégalités intergénérationnelles
En raison des prix élevés et des problèmes d’insertion dans la vie professionnelle, les générations post baby-boom n’ont pas pu acquérir aussi facilement que leurs aînés leur résidence principale. Quand ils l’ont fait, ils ont dû emprunter davantage sans bénéficier de l’érosion monétaire provoquée par l’inflation. Aux États-Unis, les moins de 45 ans propriétaires d’aujourd’hui sont moins nombreux que les dix générations qui les ont précédées (US Census Bureau). Plusieurs indicateurs témoignent que les générations post-baby-boom sont touchées par l’évolution des prix de l’immobilier. Ainsi, le ratio revenu disponible sur prix immobiliers ou le poids des dépenses logement dans le revenu disponible souligne une inégalité intergénérationnelle.
Les jeunes générations ne profitent guère des mesures en faveur du logement. Outre, l’effet inflationniste des mesures comme les prêts à taux zéro ou les aides personnelles au logement, il est à souligner que les encours de crédits destinés au logement locatif sont équivalents à ceux des primo-accédants. Contraints d’acheter des biens immobiliers au prix fort, ces générations pourraient subir une double peine car avec le vieillissement de la population, leur logement pourrait dans les prochaines années perdre de sa valeur.
En retenant le critère démographique, tout concourt à terme à une baisse des prix de l’immobilier. L’effet taux ne ferait que masquer une tendance qui s’est amorcée depuis 10 ans. C’est logiquement entre 2020 et 2035 que la baisse devrait se manifester avec le plus de force quand toutes les classes d’âge du baby-boom seront à la retraite et quand les premières d’entre-elles seront à l’âge de la dépendance. D’ici là, le vieillissement de la population devrait provoquer un renchérissement des prix des logements sur le littoral et dans les cœurs des villes dotés d’un grand nombre de services. Les villes périphériques, les centres commerciaux éloignés des centres villes devraient souffrir dans les prochaines années.