Le Coin de la Conjoncture (16 mars 2019)
Une autre façon de comprendre le ralentissement économique
Le ralentissement économique actuel est imputé, en partie, aux effets des mesures protectionnistes prises par Donald Trump. Mais il est de nature plus structurelle. Il repose sur une profonde modification de l’économie en relation avec le changement de comportement des consommateurs et avec le vieillissement de la population.
Les difficultés rencontrées par les pays industriels comme l’Allemagne ou le Japon traduisent peut-être la fin d’un cycle commencé avec l’ouverture de la Chine au monde, en 1978 et/ou la chute du Mur de Berlin en 1989. Le cycle d’équipement des pays émergents prend fin. En outre, ceux-ci ont développé des filières pour construire des machines-outils ou des voitures. De ce fait, leur recours aux importations pour les biens manufacturés tend à diminuer. Le développement d’un marché de consommation se traduit également par le développement des services.
Le secteur tertiaire génère plus de 75 % du PIB au sein des pays avancés et tend également à être à l’origine de plus de la moitié du PIB dans les pays émergents. La croissance de la production manufacturière est inférieure à celle des services surtout depuis 2008. Ainsi, la production manufacturière mondiale a augmenté de 70 % de 1998 à 2018 quand le PIB s’est accru de 120 %. Pour les seuls pays de l’OCDE, la production manufacturière sur la même période a augmenté de 20 % et le PIB de 47 %.
La moindre progression de la production manufacturière est liée à l’enrichissement de la population et à son vieillissement. Avec l’élévation de leurs revenus, les consommateurs ont tendance à acheter plus de services et moins de produits industriels. Cette situation qui prévaut depuis les années 1980 au sein des pays avancés tend désormais à s’appliquer à une partie de la population des pays émergents. Le marché en biens industriels est de plus en plus un marché de renouvellement et est donc moins dynamique. Le vieillissement de la population, au niveau mondial, accentue ce phénomène. Les seniors consomment plus de services à la personne que les jeunes actifs. En outre, les comportements des consommateurs évoluent. Le poids des loisirs, des biens culturels s’accroit au détriment de la possession de biens industriels. Cette modification de la demande a des conséquences en chaîne. Comme les échanges de services sont plus localisés, la croissance du commerce international ralentit. Le poids des exportations dans le PIB diminue depuis plusieurs années.
Poids des exportations mondiales dans le PIB mondial (en valeur, dollars courants)
Source : Datastream, AG2R LA MONDIALE MATMUT
Les exportations de services s’élevaient à 5 000 milliards de dollars en 2018 contre 20 000 milliards de dollars pour celles concernant les biens. Depuis, la crise de 2009, sur moyenne période, les exportations sont stables en valeur.
Les gains de productivité sont toujours plus rapides dans le secteur manufacturier que dans les services. Ils ont progressé à l’échelle mondiale lors de ces vingt dernières années de 50 % pour l’industrie contre 40 % pour l’ensemble de l’économie. Cette évolution de l’économie se traduit donc par une croissance potentielle plus faible et une moindre progression des salaires réels, ces derniers évoluant en lien avec la productivité. La croissance potentielle et celle des salaires réels a été divisée par deux en vingt ans au sein de l’OCDE.
Cette modification de la structure de l’emploi s’accompagne d’une montée des inégalités. Entre les emplois à forte productivité et ceux exigeant peu de qualification, l’écart s’accroît. Le développement de nouvelles formes d’emploi favorise l’augmentation des écarts dans la grille des revenus professionnels.
L’emploi manufacturier a diminué de 20 % au sein de l’OCDE depuis 1998. S’il a augmenté de 20 % au sein de l’économie mondiale entre 1998 et 2008, il est stable depuis. Les pays qui ont conservé une industrie forte comme l’Allemagne ou le Japon, sont fortement exposés au ralentissement de la demande en biens manufacturiers. Le poids de l’industrie manufacturière représente en Allemagne et au Japon respectivement 25 et 20 % du PIB contre moins de 15 % en Espagne, au Royaume-Uni ou en France. À noter que l’Italie se situe dans une position intermédiaire avec un poids de 17 %.
La résilience de la France au ralentissement économique constaté depuis quelques mois tient à sa moindre dépendance à l’industrie et au poids de ses dépenses publiques. Malgré tout, sa bonne santé économique dépend de celle de son voisin allemand qui demeure son principal client et de la Chine dont les représentants de la classe moyenne sont devenus des touristes recherchés.
Allemagne, France, une question d’épargne
Excédent extérieur de l’Allemagne, déficit extérieur de la France : est-ce vraiment un problème de compétitivité ? L’interprétation habituelle de cet écart entre les balances courantes de l’Allemagne et de la France tient à l’avantage de compétitivité (par le niveau de gamme, par la qualité des produits, etc.) de l’Allemagne vis-à-vis de la France. Mais cette situation pourrait aussi s’expliquer par un écart de taux d’épargne. En effet l’Allemagne épargne sur tous les fronts, entreprise, ménages et pouvoirs publics, quand la tendance en France est à l’endettement.
Depuis 2003, la France accumule des déficits au niveau de sa balance des paiements courants quand l’Allemagne dégage des excédents. La balance commerciale industrielle de l’Allemagne dégage un excédent de 10 % du PIB tandis que celle de la France enregistre un déficit de près d’un point de PIB. En 2018, le solde extérieur de l’Allemagne est supérieur de 7,3 points de PIB à celui de la France. À cela s’ajoute que l’Allemagne a un solde positif au niveau de ses finances publiques de 1 % du PIB quand la France est déficitaire de 2,6 % du PIB.
Selon les calculs de l’économiste Patrick Artus, sur les 7,3 points de PIB d’écart entre l’Allemagne et la France, 4,5 points de PIB tiennent au niveau élevé de l’épargne en Allemagne, et seulement 2,8 points de PIB aux problèmes de compétitivité de la France.
Le coût salarial dans l’industrie est supérieur en Allemagne à celui de la France et cela depuis 2011. L’écart tend à s’accroître assez fortement depuis 2017. De ce fait, les produits manufacturiers français ne souffrent pas réellement d’un surcoût par rapport à ceux produits en Allemagne.
Le taux d’épargne des ménages allemands atteint 17,8 % du revenu disponible brut contre 14 % en France. L’écart qui a été longtemps de 1 à 2 points a doublé depuis 2013. De 2008 à 2018, le solde budgétaire allemand est passé de -4 à +1 % du PIB quand celui de la France est passé de -7,8 à -2,6 % du PIB. De 2010 à 2017, les profits des entreprises allemandes ont été supérieurs à celles de leurs homologues françaises de 2 à 4 points de PIB selon les années. Il est à noter que l’écart s’est contracté à 1 point de PIB en 2018 du fait de la baisse des profits outre-Rhin.
Si les deux pays étaient dans une situation d’épargne équivalente, la demande intérieure allemande serait supérieure à son niveau actuel de 7 à 8 points. Les importations de l’Allemagne seraient dans ces conditions plus élevées de plus de 10 points. L’excèdent allemand serait alors plus faible. Il se situerait entre 3 et 4 points de PIB.
Ce schéma trouve comme limite le fait que les Allemands dont l’âge moyen est supérieur à celui des Français consomment moins. De ce fait, toute augmentation de salaire ne se traduit pas automatiquement par une relance de la demande. La problématique vient du fait que l’excès d’épargne n’est plus, depuis 2012, orienté vers les pays européens dont la demande est en expansion du fait d’une démographie plus favorable. Par ailleurs, l’Allemagne bénéficie de la sous-appréciation de l’euro au niveau des échanges. Toute chose étant égale par ailleurs, si l’Allemagne avait conservé sa monnaie, cette dernière se serait appréciée de 30 à 40 %, ce qui aurait pesé sur la croissance des exportations et amélioré la compétitivité prix de ses partenaires. À défaut de pouvoir agir sur sa demande interne, l’Allemagne devrait se pencher sur l’allocation de son épargne afin qu’elle soit plus productive. Mais, en l’état actuel, les épargnants allemands recherchent des placements sans risque, relativement liquides. Il faudrait donc inventer des mécanismes d’intermédiation permettant de transformer les excédents d’épargne allemands en ressources longues en phase avec les besoins de l’ensemble des Européens.
Comment le plan de revalorisation du pouvoir d’achat a échoué en 2018 ?
La reprise économique qui s’est amorcée au sein de la zone euro à compter de l’année 2015 a été grandement facilitée par la baisse du cours du pétrole qui est passé de plus de 100 dollars le baril en juillet 2014 à moins de 50 dollars au début de l’année 2016. Il est même tombé à 26 dollars le 11 janvier 2016. Le gain en termes de pouvoir d’achat pour les ménages a été évalué à 1 000 euros entre 2015 et 2016. L’appréciation du pétrole à partir du second semestre 2017 a eu un effet inverse d’autant plus important en France qu’elle s’est accompagnée d’une majoration des taxes. L’évolution du prix du pétrole consommé est entrée en contradiction avec le plan du Gouvernement de revalorisation du pouvoir d’achat des actifs.
Dans le prolongement des engagements électoraux pris par le Président de la République, le Gouvernement d’Édouard Philippe a décidé de relever de 1,7 point le taux de la CSG sur les revenus d’activité, les revenus du patrimoine et certaines pensions de retraite à partir du 1er janvier 2018. En contrepartie, pour les actifs, certaines cotisations sociales ont été supprimées ou diminuées (cotisation sociale salariale contre le risque maladie pour les salariés du privé et les non titulaires de la fonction publique, baisse de la cotisation contre le risque chômage pour les salariés du privé et les non titulaires de la Fonction publique, baisse des cotisations maladie et famille pour les indépendants). Si la hausse de la CSG a été pleine et entière au 1er janvier 2018, en revanche, les diminutions de cotisations sociales ont été réalisées en deux temps, une partie est intervenue à compter du 1er janvier et le solde le 1er octobre 2018. Les retraités assujettis à l’augmentation de la CSG (60 % des retraités) n’ont pas bénéficié d’allègement de charges sociales. Cette décision était fondée sur le fait que le niveau de vie des retraités est, en moyenne, supérieur à celui de la population et notamment à celui des jeunes actifs. Par ailleurs, toujours en 2018, le Gouvernement a décidé d’augmenter la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) entraînant aussi une hausse de la TVA sur ces produits. Le montant de la composante carbone de la TICPE est passé de 30,5 euros la tonne de CO2 à 44,6 euros et la TICPE « classique » appliquée au gazole a augmenté en vue d’une convergence avec l’essence. Ces mesures se sont traduites par une hausse de 6,33 centimes d’euros par litre de gazole, 3,22 centimes par litre d’essence et 3,73 centimes par litre de fioul domestique. Les prix toutes taxes comprises de l’essence, du gazole et du fioul domestique ont progressé de respectivement 11 %, 19 % et 27 % entre décembre 2017 et octobre 2018
L’effet taxe et l’effet prix ont, selon l’INSEE, eu pour conséquences d’augmenter les dépenses d’énergie des ménages de plus de 500 millions d’euros en 2018. Cette augmentation est due pour un tiers à la hausse de la TICPE et pour deux tiers à celle des prix hors taxe. La bascule des cotisations sociales vers la CSG a augmenté le revenu disponible des ménages de 120 millions d’euros. En définitive, le revenu disponible total après imputation des dépenses d’énergie est inférieur de 380 millions d’euros à ce qu’il aurait été en l’absence de cette hausse des prix des produits pétroliers et de la bascule cotisations sociales/CSG.
La situation diffère en fonction du statut des personnes concernées. Selon une étude de l’INSEE publiée au mois de mars 2019, les ménages dont la personne de référence est en emploi sont légèrement gagnants avec un niveau de vie supérieur en moyenne de 0,2 % (+ 5 euros par mois) à ce qu’il aurait été en l’absence de la hausse des prix des produits pétroliers et de la bascule des cotisations sociales vers la CSG. À l’inverse, les ménages dont la personne de référence est retraitée sont perdants. Leur niveau de vie corrigé est inférieur en moyenne de 2,0 % (soit -39 euros) à ce qu’il aurait été en l’absence de ces évolutions.
De même, les habitants des territoires ruraux et des petites unités urbaines ont été plus affectés. Les effets négatifs de la hausse des prix des produits pétroliers décroissent avec la taille de l’unité urbaine. Toujours, selon l’INSEE, pour les ménages résidant en milieu rural, la perte de niveau de vie corrigé due à la hausse des prix des produits pétroliers atteint 0,9 % quand la personne de référence est en emploi et 1,0 % quand elle est retraitée. Pour les ménages résidant dans l’agglomération parisienne, la perte se limite à 0,3 % pour les ménages en emploi ou retraités.
Les ménages retraités sont perdants, quelle que soit la taille de l’unité urbaine. Cependant, la perte est plus élevée en milieu rural (-2,3 %) et dans les unités urbaines de moins de 20 000 habitants (-2,1 %) que dans les métropoles (-1,8 % dans l’unité urbaine de Paris par exemple).En prenant en compte le niveau de revenus, les Français les plus modestes ont été plus touchés que les ménages aux revenus aisés par les effets conjugués de la bascule de cotisations et de la hausse des prix de l’énergie. Habitant souvent loin du cœur des grandes agglomérations, ils utilisent plus fréquemment leur voiture. Par ailleurs, la proportion d’inactifs est plus importante parmi les personnes à revenus modestes. Le niveau de vie corrigé des ménages en emploi appartenant aux 10 % les plus modestes de la population diminue de 0,6 %, quand le niveau de vie des ménages en emploi appartenant aux 10 % les plus aisés demeure identique. Cette catégorie de population a été néanmoins touchée par la hausse de la CSG non compensée sur les revenus du patrimoine. Ce sont les ménages actifs se situant entre le troisième et le neuvième décile qui ont enregistré les gains de pouvoir d’achat les plus importants. Pour les ménages retraités, les effets conjugués sont défavorables quel que soit leur niveau de vie. Néanmoins, plus le niveau de vie est élevé, plus l’effet est négatif du fait du seuil d’assujettissement à la CSG. Le niveau de vie corrigé des 30 % les plus modestes baisse de 0,9 %, alors que celui des 10 % les plus aisés diminue de 2,4 %.
Le Gouvernement a pâti de la hausse du prix du pétrole sur laquelle il n’avait pas de prise. Son plan de revalorisation du pouvoir d’achat des actifs a été mal compris car le message était brouillé tant par les hausses des taxes sur l’énergie et le tabac que par la suppression partielle de l’ISF. Par ailleurs, l’étalement de la réduction des cotisations sociales a également nui à la lisibilité du plan gouvernemental. L’opinion publique a eu l’impression que ce jeu de bonneteau favorisait les riches et pénalisait les personnes à revenus modestes ainsi que les retraités. L’adage selon lequel la poursuite de plusieurs objectifs dans le cadre d’une politique économique aboutit à ce qu’aucun d’entre eux ne soit atteint a une fois de plus été vérifié.