Le Coin de la Conjoncture (28 mai 2016)
Le pétrole, quand une peur chasse l’autre
Au début de l’année, la crainte d’un pétrole durablement peu cher alimentait les chroniques économiques. Les marchés financiers étaient en pleine dépression. Les banques étaient en chute libre sur toutes les places en raison de leurs engagements réels ou supposés dans le secteur pétrolier. Les pays producteurs annonçaient des déficits budgétaires importants et des taux de croissance en berne. Les États-Unis devenus un État pétrolier faisaient face à une baisse des investissements et à une moindre croissance. Certains pronostiquaient même une récession. D’autres mettaient en avant que les effets négatifs de la baisse des cours l’emportaient sur ses effets positifs. Le souhait d’un grand nombre d’experts était alors de retrouver un cours du pétrole plus en phase avec les intérêts de l’économie mondiale, développement durable compris.
Quelques semaines plus tard, la crainte n’est plus la chute des cours mais une appréciation trop rapide des cours du pétrole qui déstabiliserait le fragile équilibre de la fameuse économie mondiale.
Nul ne pouvait imaginer que le pétrole resterait à 27 dollars le baril. Ce cours ne reflétait pas l’état du marché. La fermeture de gisements pétroliers aux États-Unis commence à se faire sentir sur la production. Jusqu’à maintenant, cette baisse est compensée par le retour sur le Marché de l’Iran. Par ailleurs, la demande en pétrole augmente de 2 % par an. De ce fait, l’excès d’offre qui avait atteint 2 millions de baril/jour, en 2015, n’est plus que d’un million de barils/jour et devrait se résorber d’ici la fin de l’année ou le début de l’année prochaine. Cette éventualité génère des anticipations haussières. Elles sont alimentées par le fait qu’en 2015 les découvertes de nouveaux gisements ont atteint un point bas historique. Les nouvelles réserves correspondent à un mois de consommation de pétrole à l’échelle mondiale.
Le baril de Brent s’échange désormais entre 45 et 50 dollars et pourrait retrouver les 60 dollars dans les prochains mois. Certains annoncent que l’offre pourrait être déficitaire en 2017 du fait de la chute des investissements dans le secteur pétrolier. L’importance des stocks constitués par les pays pétroliers et consommateurs permet de faire face à cet éventuel déséquilibre.
Quelles seront les conséquences d’une augmentation des cours ?
En cas de hausse rapide des cours, les gisements gelés aux États-Unis ou au Canada seront remis en activité. Par ailleurs, des pays qui ont souffert, ces derniers mois, du pétrole pas cher, seront tentés d’engranger des réserves de change. Ce sera le cas en premier lieu de la Russie. De ce fait, l’offre de pétrole pourrait rapidement augmenter de nouveau et donc peser sur les prix. Il ne faut pas oublier que la chute des prix intervenue entre 2014 et 2016 est à la fois le produit d’une progression de la production de pétrole non OPEP et d’une décision de l’Arabie Saoudite de ne pas réguler le marché en limitants ses exportations.
Une économie moins dépendante du pétrole ?
Le pétrole fait encore la pluie et le beau temps comme l’ont prouvé les résultats économiques de la zone euro ces derniers trimestres. Néanmoins, la croissance plus faible de l’économie mondiale réduit les risques de tensions sur les marchés des matières premières et de l’énergie. Les économies des pays émergents se tertiarisent de plus en plus. Plus un pays s’enrichit, plus la part de la production manufacturière diminue. Le vieillissement de la population contribue également au développement des services.
Les efforts de réduction de la consommation d’énergie entrepris ces dernières années commencent à porter leur fruit. Ainsi, les firmes automobiles travaillent sur des moteurs à explosion consommant entre 1,5 et 2,5 litres au 100 kilomètres.
Le prix du pétrole reste difficile à prévoir
La crise internationale ou un problème politique majeur dans un des grands pays producteurs de pétrole pourrait sans nul doute générer une hausse des cours. L’absence de visibilité sur les prix serait susceptible d’entraîner la poursuite du désinvestissement en cours ce qui ne pourrait que provoquer, à terme, que leur remontée assez forte.
En retenant les hypothèses des oiseaux de mauvais augures, quelles seraient les conséquences économiques d’une remontée brutale des cours ?
Une augmentation assez rapide du cours du pétrole occasionnera une diminution du pouvoir d’achat des ménages des pays avancés d’autant plus qu’elle s’accompagnera d’une reprise légère de l’inflation. L’impact sur la consommation dépendra de la volonté des ménages de réduire leur taux d’épargne. Cette réduction est envisageable sachant qu’ils ont opté, ces dernières années, pour une gestion prudente ; Une partie des gains générés par la baisse des cours a été épargnée. Néanmoins, en la matière, il n’y a pas d’automaticité et d’autres facteurs influencent les comportements des consommateurs et des épargnants. La consommation étant le principal moteur de la croissance, son ralentissement ne pourrait qu’affecter cette dernière. En Europe, la chute des cours du pétrole a été, depuis 18 mois, en grande partie à l’origine du rebond de croissance. Aux États-Unis, en fonction de l’appréciation du cours du pétrole, une reprise de l’investissement dans le secteur énergétique pourrait compenser en partie l’impact sur la consommation. La demande de la part des pays producteurs de pétrole et de gaz augmenterait favorisant leur croissance. La Russie sortirait plus rapidement de la récession.
Des conséquences sur la politique monétaire ?
Une hausse des cours du pétrole pourrait inciter la Banque centrale américaine à relever plus rapidement ses taux ce qui mettrait sous pression la BCE. A priori, cette dernière, au regard de la situation européenne, sera contrainte de maintenir ses taux bas. Elle pourrait être amenée à accroître ses injections de liquidité. Or, cet accompagnement monétaire pourrait faire grincer des dents car il est fort probable que l’inflation soit alors en hausse. Une hausse rapide du baril pourrait, comme en 2011, générer le retour d’écarts de taux au sein de la zone euro. Les pays structurellement déficitaire au niveau de leur balance de paiements courants pourraient enregistrer des primes de risques accrues.
Une hausse du pétrole entraînerait dans un premier temps une appréciation du dollar. Le billet vert est de plus en plus un pétrodollar. Par ailleurs, la hausse des taux de la FED favorisera le dollar. A moyen terme, le cours de la monnaie américaine dépendra du taux de croissance des États-Unis et des résultats des entreprises américaines.
Le lien action/pétrole n’est pas éternel !
Depuis des mois, les investisseurs scrutent le cours du pétrole pour déterminer leurs achats et leurs reventes de titres au point que certains affirment que l’or noir fait la cote. Ce phénomène obéit à des considérations de court terme voire spéculatives. Un retour à la normale du prix du pétrole, même si la normalité en la matière est difficile à déterminer, devrait aboutir à une disjonction des cours.
Si le cycle de croissance se poursuit, le marché actions pourrait se valoriser avec à la clef une diminution des encours placés en produits de taux exprimés en dollars. En revanche, si l’impact sur la consommation est élevé, l’aversion aux risques devrait favoriser les placements en dollars au détriment des actions.
Quel est le bon prix du pétrole ?
Celui que fixe le marché… Au-delà de cette litote, le bon prix diffère en fonction des critères retenus. En prenant en compte un objectif de décarbonisation de l’économie, il faudrait souhaiter un pétrole le plus cher possible afin d’accélérer les programmes de recherche et de créer une véritable rupture. Sans nul doute, afin de rentabiliser certaines productions d’énergie alternatives, un baril à 90 dollars serait souhaitable.
Pour les pays producteurs à forte population comme l’Algérie ou le Nigéria, un cours se situant autour de 80 dollars permettrait de redonner des marges de manœuvre. L’inconvénient d’un tel cours pour ces pays serait de retarder leur diversification vers d’autres sources de créations de richesses. Les réformes de structures seraient reportées.
Pour la Russie, un cours se situant de 70 à 90 dollars serait souhaitable afin de financer tout à la fois les dépenses sociales et permettre la modernisation du pays. Néanmoins, un tel cours serait, comme pour les précédents pays, dans les faits, peu incitatif en ce qui concerne la diversification de l’économie.
Pour les producteurs de pétrole de schiste ou bitumineux, le cours idéal se situe au-delà de 60 dollars. Pour les gisements en haute-mer, un cours de 90 dollars est nécessaire pour rentabiliser les plateformes.
La dangereuse tentation du repli
Du repli identitaire au repli commercial, les forces protectionnistes gagnent du terrain. Des États-Unis avec la probable investiture de Donald Trump, au Royaume-Uni avec le référendum sur la sortie de l’Union européenne en passant par l’Autriche, les signes ne manquent pas. Le commerce international, moteur de la croissance de l’économie mondiale ne fait plus rêver. Donald Trump l’assimile à un « viol ». Chez les démocrates, l’heure est également à la critique du libre-échange. Ainsi, Jared Bernstein, ancien conseiller du Vice-Président Joe Biden a récemment déclaré « nous devrions nous réjouir de la fin de l’ère des traités de libre-échange qui se sont depuis longtemps transformés en poignées de mains dans l’intérêt des sociétés et des investisseurs et laissant peu de place aux travailleurs ».
François Hollande a indiqué clairement qu’il pourrait mettre son veto au traité transatlantique allant ainsi dans le sens de l’opinion publique. Selon une récente enquête, 70 % des Français sont opposés à ce traité. Certes, la France a toujours été très réticente au libre-échange. A chaque négociation que ce soit avec le GATT ou au sein de l’OMC, les Français que ce soit au nom de la protection de l’identité culturelle et agricole, ont toujours émis des réserves fortes à tout mouvement de libéralisation. Dans le passé, la France a toujours été un État à tendance protectionniste. Napoléon III entre 1848 et 1870 fait figure d’exception. Sous la 5ème République, la France a accepté bon gré mal gré le jeu du libre-échange. En contrepartie de l’édification de la politique agricole commune.
Depuis 1947, l’économie mondiale s’est construite sur le principe de la libéralisation du commerce international. Les ententes régionales comme la CEE et les différents marchés communs qui se sont créés autour de la planète n’étaient tolérés² que s’ils ne remettaient pas en cause les accords commerciaux signés dans le cadre du GATT devenu OMC. Cette volonté de libéralisation reposait sur la volonté d’éviter le retour du protectionnisme considéré comme un des facteurs ayant favorisé l’émergence des nationalismes durant les années 30. Economie de marché, libre-échange et démocratie constituaient le triptyque gagnant des années d’après-guerre.
Avec la chute du mur de Berlin et surtout avec le retour sur le marché international de la Chine, pour certains, le modèle qui a prévalu durant 70 ans seraient contreproductifs. Si durant des années, nombreux étaient ceux qui demandaient aux pays avancés d’aider les pays les plus pauvres à se développer, aujourd’hui, ce sont bien souvent les mêmes qui réclament des mesures contre les produits importés de ces pays. La concurrence des pays émergents est jugée inéquitable en raison du non-respect des droits des travailleurs, des droits de l’environnement… Les partisans du libre-échange sont de moins en moins nombreux et éprouvent les pires difficultés pour se faire entendre. L’accroissement des importations en provenance des pays émergents est accusé d’avoir provoqué la destruction de nombreux emplois manufacturiers et de peser sur le montant des salaires. Si ces deux points sont connus, les gains de pouvoir d’achat générés par les importations des produits en provenance des pays émergents sont rarement mis en avant. Les gains sont évalués à 0,1 à 0,3 point par an durant les années 90 et 2000.
Aux États-Unis, le poids des importations (hors OPEP et Russie) est passé de 2 à 6 % du PIB. Il faut souligner que ce poids est stable voire légèrement en baisse depuis 2008. Ces importations représentent 38 % de la demande intérieure de biens manufacturiers contre 15 % en 1990. Elles avaient atteint plus de 40 % en 2008. L’emploi manufacturier a reculé, aux Etats-Unis, de près de 30 points de 1990 à 2016. Néanmoins, la valeur ajoutée de la production manufacturière a augmenté de 1990 à 2008 (+80 %). Depuis 2010, elle est en légère progression. La productivité par tête a connu une forte hausse des années 90 à 2008. La concurrence des pays émergents n’explique pas à elle seule l’évolution du secteur manufacturier aux États-Unis comme en Europe où la même analyse s’applique même si les gains de productivité sont moindres.
La France a perdu 2 millions d’emplois industriels en 30 ans. Ils représentaient, en 2013, 12 % de l’emploi contre 28 % en 1973. L’emploi a chuté de 14,5 points en Allemagne tout comme aux États-Unis sur la même période. Au Japon, le repli dépasse 16 points.
La baisse de l’emploi industriel ne s’explique pas que par la montée en puissance des émergents. Elle est la conséquence d’une robotisation accrue du système de production et d’une externalisation d’emplois anciennement industriels au profit du secteur tertiaire. L’entretien, les plateformes téléphoniques voire la gestion informatique sont de plus en plus sous-traités par les entreprises industrielles.
La tentation de revenir sur un des acquis de l’après seconde guerre mondiale, le libre-échange régulé par les accords du GATT se renforce. Pour autant, de 1947 jusqu’à maintenant, une part non négligeable de la croissance des pays occidentaux a reposé sur la libéralisation des échanges. Le développement de la Chine et des autres pays émergents, par leur poids démographique aurait déséquilibré les relations commerciales. Ces arguments prévalaient déjà quand la France accepté de lever ses barrières douanières avec la signature du Traité de Rome. Certes, l’écart de développement ne permettrait pas de faire un parallèle avec la situation qui prévalait en 1950. En ayant souhaité le décollage des pays en voie de développement, nous ne pouvons pas regretter qu’ils aient réussi économiquement parlant. Par ailleurs, la phase de rattrapage est en cours. Relever les barrières douanières constituerait une double peine. Après avoir subi des délocalisations, nous devrions supporter des majorations de tarifs. Par ailleurs, l’impact des délocalisations dans les pays émergents est médiatement élevé quand dans les faits les destructions d’emplois industriels dans les pays avancés sont avant tout la conséquence de redéploiement de sites en leur sein et des gains de productivité. La relocalisation d’activités industrielles est tout à fait possible mais elle ne permettrait en aucun cas la reconstitution d’usine avec des milliers des salariés.
Le commerce international patine depuis 2008. Cela est dû à la moindre croissance en particulier de la production industrielle. Sans nul doute, un plafond a été atteint en matière de mondialisation. L’augmentation des coûts salariaux dans les pays émergents et la réorientation de l’économie de ces pays vers les services contribuent à peser sur les échanges de biens industriels. Il serait absurde de vouloir remettre en cause le libre-échange au moment même où nous avons atteint un point de bascule. Il est admis que les échanges entre pays sont d’autant plus intéressants que les pays sont proches économiquement parlant. La banalisation en cours des pays émergents devrait amener des relations commerciales plus équilibrées.
Le commerce international est un bouc-émissaire facile. « L’enfer, c’est les autres », c’est bien connu !
Le protectionnisme ne concerne pas que les biens industriels. Il commence avec la volonté de limiter la circulation des personnes. La construction d’un mur séparant le Mexique des États-Unis, la création de camps de réfugiés en Turquie pour éviter leur entrée en Europe ainsi que la mise en place de barbelés à la frontière européenne constituent autant de tentatives pour réduire les flux migratoires. Or, compte tenu du différentiel de croissance tant économique que démographique, ces flux sont logiques et ne sont, en aucun cas nouveaux. Dans le passé lointain, de nombreux Empires ont péri par refus d’intégrer des populations allogènes ou extérieures ainsi que par réduction des échanges commerciaux. L’Empire Romain ou la Chine du 15ème siècle en sont de criants exemples.
Les tentations irrédentistes en Espagne avec la Catalogne, au Royaume-Uni avec l’Ecosse, en France avec la Corse reposent sur un rejet de l’État central accusé de colonisateur mais aussi sur un repli identitaire.