Le Coin de la Conjoncture
La politique en faveur des emplois sous-qualifiés a-t-elle un sens ?
La France se caractérise par le niveau élevé de son salaire minimum qui concerne un grand nombre de salariés avec, par voie de conséquence, un écart avec le salaire médian faible. Cette situation est la conséquence du système d’indexation du salaire minimum et de la mise en œuvre de politiques en faveur des emplois à faible qualification générant des effets de seuil importants.
En France, le ratio entre le salaire médian et le salaire minimum est de 1,6 contre 3 aux États-Unis, 2,5 en Espagne ou au Japon, et 2,4 en Allemagne. Ce faible ratio se traduit par un écrasement de la hiérarchie des salaires.
Cet écrasement est lié au niveau élevé du coût du travail non qualifié en France malgré l’instauration d’une large politique d’exonérations de charges sociales. Ce coût élevé est jugé responsable d’un faible taux d’emploi et d’un taux de chômage élevé pour les emplois peu qualifiés. Le taux d’emploi pour cette catégorie de salariés en 2019 était de 54 % en France contre 66 % au Royaume-Uni, 62 % en Allemagne et 57 % aux États-Unis. Seule l’Italie obtient un résultat similaire à celui de la France.
Avant la crise sanitaire, le taux de chômage des personnes n’ayant pas de diplôme était de 12,5 % contre 7,8 % pour ceux ayant un diplôme de l’enseignement secondaire, et de 4 % pour ceux ayant un diplôme de l’enseignement supérieur. Cette spécificité française pose la question de l’efficience de notre système d’enseignement et de formation professionnelle. L’échec scolaire est synonyme de petits emplois avec de faibles possibilités d’avoir une seconde chance.
L’écart limité entre le salaire minimum et le salaire médian réduit la prime à l’éducation, le gain en salaire dû à des études plus longues. Ce constat peut décourager la poursuite d’études. Ces dernières, surtout pour les garçons, ne sont plus un passeport pour la réussite et pour la reconnaissance sociale. Le taux de décrochage pour les jeunes hommes en France demeure supérieur à celui constaté chez nos principaux partenaires. L’école comme lieu de promotion, d’émancipation est, en particulier, dans les quartiers difficiles, est de plus en plus contestée. Le rapport entre le salaire médian des plus diplômés et le salaire médian des non-diplômés (pas le Bac) est passé de 2,4 à 1,9 en 20 ans. Le rapport entre le salaire médian des titulaires d’un master et celui des titulaires du Bac seul est passé de 1,7 à 1,45 (Source Cereq, Enquête Génération). La valeur des diplômes s’effrite en France. Au sein de la société tertiaire, avec un éclatement des structures, l’ascension sociale est moins facile que durant les Trente Glorieuses. La montée en puissance de l’industrie et le faible nombre de diplômés permettaient à des autodidactes de réaliser de très belles carrières professionnelles. Si la proportion de diplômés a fortement augmenté en France depuis cinquante ans, les postes à responsabilités ont tendance à devenir plus rares du fait du raccourcissement des chaînes de commandement rendu possible notamment par le digital. La France comptait 320 000 étudiants en 1960. En 2020, à la rentrée, ils seront 2,5 millions. En 2018, 43 % des 25-49 ans étaient diplômés de l’enseignement supérieur contre 27 % en 2003.
La crise sanitaire a confirmé que certaines professions, notamment celle d’infirmier, reçoivent des rémunérations relativement modestes malgré des niveaux élevés de formation. Il en est de même pour les enseignants. Pour autant, en France, le salaire médian réel a augmenté plus que la productivité, ce qui ne donne pas de marge de manœuvre significative pour l’augmenter davantage. La hausse du salaire médian réel a été de 25 % depuis 2009 quand la productivité par tête n’a progressé que de 10 points. Les faibles gains de productivité sont imputables à la tertiarisation de l’économie et aux coûts directs et indirects élevés.
Face à un tel problème, la baisse du salaire minimum pourrait être une solution. Cependant, une grande majorité des Français la récuse. Les marges de manœuvre des pouvoirs publics pour alléger le coût du SMIC sont faibles au niveau des exonérations de charges. Certains estiment qu’il conviendrait de mettre en place des cotisations sociales négatives sur les bas salaires et de baisser la pression fiscale sur les salaires moyens. Il pourrait aussi accroître la prime pour l’emploi qui est une socialisation des revenus du travail à moins qu’elle soit les prémices d’un revenu universel.
La vision des gouvernements est, par nature, court-termiste. Elle est liée aux échéances électorales. Pour autant, les politiques en cours depuis 1993 en faveur des emplois à faible qualification sont tout à la fois coûteuses et inefficaces. En 2019, la France comptait deux fois plus d’emploi sous-qualifiés que l’Allemagne. Est-ce que la conséquence du système de formation ou de la structuration du marché du travail ? Les emplois sont plus qualifiés en Allemagne en raison du poids de l’industrie et de celui de la formation professionnelle. Le choix du haut de gamme génère une forte rentabilité ouvrant sur des salaires élevés et des postes valorisants. En France, les exonérations sociales sur les bas salaires créent des effets de seuil. Les employeurs ne sont pas incités à augmenter leurs salariés de peur qu’ils dépassent le seuil d’exonération. De ce fait, ils ont tout intérêt à maintenir un fort volant d’emplois sous-qualifiés, ce qui nuit à terme à leur compétitivité. L’action des pouvoirs publics devrait donc avoir comme objectif d’accroître l’écart entre le salaire minimum et le salaire médian tout en diminuant le nombre d’emplois à faible qualification. Un effort en faveur des sans diplôme serait alors nécessaire pour éviter une explosion du chômage pour cette population. Au niveau des cotisations sociales, pour éviter les effets de seuil, la mise en place d’un système d’abattement applicable à tous les salaires pourrait être décidée. Ainsi, il pourrait être décidé que les 1 000 premiers euros de salaire en soient exonérés totalement. Cette exonération s’appliquerait, toujours dans cette limite, à tous les salariés. Il en résulterait un système progressif de charges sociales. Pour éviter les effets d’aubaine, un dispositif spécifique devrait être institué pour les emplois à temps partiel.
Le dopage économique, hier, maintenant et demain
Avant même la crise de la Covid-19, les gouvernements au sein de l’OCDE avaient recours à des politiques monétaires et budgétaires expansionnistes. La crise sanitaire a provoqué une accélération plus qu’une rupture. L’économie est sous perfusion ou sous respiration artificielle depuis plus d’une décennie, les politiques dites non-conventionnelles sont devenues la norme. Nous sommes entrés dans un cercle vicieux dont nul ne sait pour le moment comment sortir. En 2019, face à un simple ralentissement économique, la banque centrale américaine comme celle de la zone euro ont répondu en lâchant du lest monétaire. Le niveau sans précédent de l’endettement, en période de paix, impose une politique monétaire accommodante.
Le solde budgétaire des pays de l’OCDE, après avoir atteint -8 % en 2009, n’a jamais été inférieur à -2 % du PIB depuis dix ans. Avec la crise sanitaire, il devrait se situer autour de -14 % du PIB. La dette publique est ainsi passée de 75 à 140 % du PIB de 2007 à 2020 après avoir atteint 120 % du PIB en 2010. Les politiques monétaires sont restées accommodantes depuis plus de dix ans. Le taux d’intérêt des obligations d’État à 10 ans est constamment inférieur à celui de la croissance. L’écart a pu dépasser plus de deux points. La base monétaire des banques centrales de l’OCDE est passée de 2 400 à plus de 25 000 milliards de dollars ces vingt dernières années. Les injections de liquidités sont devenues récurrentes. Cette base monétaire qui s’élevait à 8 000 milliards de dollars en 2010 s’est accrue de plus de 12 500 milliards de dollars en raison de la crise de la Covid-19.
Cette politique a également comme effets pervers une hausse forte de l’endettement du secteur privé et des prix de certains actifs. La dette des ménages et des entreprises au sein de l’OCDE est ainsi passée de 128 à 145 % du PIB de 1998 à 2010. Les indices boursiers de l’OCDE ont connu de janvier 2010 à mars 2020 une hausse de 160 %. Malgré la crise sanitaire, ils sont encore plus de 125 points au-dessus de leur niveau de 2010. Sur vingt ans, toujours au sein de l’OCDE, le prix de maisons a été multiplié par 2,4 quand celui de l’immobilier commercial l’a été par 2.
Le cercle vicieux de la politique économique des années 2010 à 2020 est le suivant : les déficits croissants provoquent une hausse de l’endettement public qui exige le maintien de faibles taux d’intérêt et des injections de liquidités prenant la forme de rachats d’obligations. Cette politique monétaire génère des bulles financières porteuses de crises et facilite l’endettement des agents économiques et, en premier lieu, celui des États. Les faibles taux d’intérêt pèsent négativement sur la croissance potentielle nécessitant, en compensation, le développement des prestations sociales. Ce dernier conduit à une augmentation du déficit public rendant encore plus nécessaire le maintien des taux bas, et ainsi de suite. Toute sortie du cadre paraît donc impossible. En effet, une augmentation des taux entraînerait une crise des dettes publiques quand un rééquilibrage des finances publiques serait récessif.
La succession de récessions provoque, au sein des population, un rejet à l’encontre de toute austérité budgétaire. Les crises depuis le début de l’an 2000 ont érodé la croissance potentielle avec une perte de capital productif et humain. La croissance potentielle est passée de 2,4 à 1 % en une dizaine d’années. Le taux de croissance de la productivité n’était en 2019 que de 1,5 % quand il dépassait 2,5 % avant 2007. Les politiques monétaires et budgétaires expansionnistes sont devenues des béquilles de la croissance sans pour autant avoir permis jusqu’à maintenant l’enclenchement d’un cercle vertueux de la croissance. Elles auraient plutôt comme conséquence d’accélérer la baisse de la croissance potentielle en maintenant en vie un nombre croissant d’entreprises peu rentables (entreprises zombies). Au sein de l’OCDE, leur proportion au sein des entreprises serait passée de 4 à 12 % de 2000 à 2020.
L’objectif de la sortie de crise de la Covid-19 sera d’éviter qu’elle engendre la suivante. Tout le défi sera de relever le taux de croissance potentielle en dégageant des gains de productivité tout en sachant que les taux d’intérêt devront rester bas et que la population des pays de l’OCDE est vieillissante.
La Corse en première ligne dans la crise sanitaire et économique
La récession ne frappe pas toutes les régions de la même manière. Si le recul du PIB doit pour l’ensemble du pays se situer autour de -11 %, il devrait être bien supérieur pour la Corse qui dépend fortement du tourisme, des transports et de la construction. La reprise dans l’île est plus lente qu’ailleurs en raison de la faible activité touristique et des ruptures d’approvisionnement qui pénalisent le secteur du bâtiment.
Le maintien des restrictions de circulation jusqu’au 2 juin a freiné le retour des touristes et des propriétaires de résidences secondaires. Le nombre réduit des vols durant le mois de juin a limité le nombre de touristes.
Au mois de mars, le nombre de passagers aériens s’est effondré de -57 % et le transport maritime a chuté de -60 %. Aux mois d’avril et de mai, le recul a atteint respectivement -98 % et -95 %. En juin, les flux de voyageurs sont restés encore très en deçà de leur niveau habituel, avec moins du quart du volume de juin 2019.
Les établissements hôteliers ont ouvert plus tardivement que sur le continent en raison de l’absence de touristes. À la fin de la troisième semaine de juin (15 au 21 juin), le montant des dépenses payées par carte Bancaire sur l’île restait inférieur de 17 % par rapport à son niveau normal. Dans toutes les autres régions, sauf Île-de-France, il était repassé au-dessus de son niveau de 2019. La reprise plus lente de l’activité s’observe également par les créations d’entreprises. Au cours des mois de mars, avril et mai 2020 les créations d’entreprises s’effondrent en Corse. Cumulant à peine plus de 800 nouvelles entreprises sur ces trois mois, la région enregistre ainsi un recul des créations de près de 41 % par rapport aux mêmes mois de 2018 et 2019.
Au 1er trimestre 2020, la Corse comptabilise 116 560 emplois salariés. L’effectif régional baisse de -0,8 %, après une augmentation de +0,4 % au 4e trimestre 2019. Tous les secteurs d’activité sont touchés, de la construction au secteur tertiaire en passant par l’industrie. Seul l’emploi non marchand public se maintient. L’impact du confinement pourrait être particulièrement fort sur l’emploi en Corse au 2e trimestre. De surcroît, à cette menace sur les emplois présents dans les entreprises s’ajoute celle du report ou de l’annulation de certaines périodes d’emplois notamment des saisonniers. En Corse, les embauches saisonnières interviennent logiquement à compter du mois d’avril. Ces emplois représentent plus d’un cinquième de l’emploi total. Ils devraient être décalés ou supprimés du fait de la baisse de l’activité touristique. Malgré sa petite taille sur l’île (500 salariés en moyenne annuelle), le secteur de l’intérim est particulièrement vulnérable à des annulations d’embauches en cas de chute brutale de l’activité des secteurs utilisateurs. Les bassins d’emploi les plus touchés par la réduction des emplois saisonniers sont Calvi – L’île-Rousse, Porto-Vecchio et Sartène-Propriano.
La réduction du nombre d’emplois saisonniers a comme conséquence une augmentation du chômage et une baisse des revenus. Fin mai, le nombre d’inscrits en catégorie A, B, C s’élève à 28 600 personnes. À la différence du continent, il n’y a pas eu d’amélioration en mai. La Corse est, par ailleurs, la région la plus concernée par le recours au chômage partiel, confirmant de ce fait le niveau élevé d’emplois menacés dans les entreprises privées. Fin mars, 37,6 % des salariés étaient concernés par cette mesure. Ils étaient encore 36,7 % fin avril. Par ailleurs, fin mars, 9,4 % des salariés sont en arrêt pour maladie ou garde d’enfants. Ils étaient encore 6,1 % fin avril. L’île de France figure également parmi les régions où ce recours est le plus fréquent avec la région Bourgogne-Franche-Comté et Grand-Est. Ainsi globalement, en Corse, fin avril 2020, 43 % des salariés étaient en activité partielle ou en arrêt de travail pour cause de maladie ou garde d’enfants.
Du fait des incertitudes qui pèsent sur la saison touristique, la situation économique et sociale en Corse risque de se tendre dans les prochains mois. Les Prêts Garantis par l’État (PGE) empêchent, pour le moment, de nombreuses faillites qui pourraient concerner à terme de nombreux hôtels, restaurants et commerces. La baisse des revenus des ménages du fait du chômage devrait aboutir à une diminution des dépenses de consommation aggravant ainsi la situation économique. Compte tenu du poids du tourisme, des transports et de la construction au sein de l’activité de la Corse, un plan spécifique semble indispensable pour éviter un affaissement de l’économie qui pourrait avoir des conséquences politiques. La Corse est pénalisée depuis plusieurs décennies par la faiblesse de certaines infrastructures. Un plan d’équipement ayant comme axe la transition énergétique pourrait être adopté. Ce plan pourrait ainsi améliorer la liaison Ajaccio/Bastia à travers la réalisation d’une ligne ferroviaire moderne. La création d’une Centre Hospitalier Universitaire serait également un geste fort au niveau de la santé publique. La question énergétique qui est latente depuis des années pourrait être réglée en développant le solaire et l’hydrogène qui a l’avantage d’être stockable. La Corse a un déficit d’emplois qualifiés en raison du nombre insuffisant de centres de recherche et d’établissements d’enseignement supérieur. L’État pourrait inciter certains établissements publics à s’installer sur l’île permettant notamment aux Corses l’accès à des emplois plus qualifiés et mieux rémunérés.