10 avril 2021

Le Coin de la Conjoncture – dollar – croissance – France – partage valeur ajoutée – impôt sur les sociétés

Changement de cap fiscal ?

Dans le cadre de son plan d’investissement portant sur 2000 milliards de dollars, le Président des Etats-Unis Joe Biden souhaite augmenter le taux de l’impôt sur les sociétés de 21 à 28 %. Cette hausse serait la plus importante réalisée depuis 1942. D’autres pays sont prêts également à augmenter le taux de l’impôt sur les sociétés. Au Royaume-Uni, le chancelier de l’Echiquier Rishi Sunak souhaiterait ainsi remonter le taux de cet impôt de 19 à 25 % en 2023.

Un cycle de 40 ans s’achève peut-être

Créé en 1909, l’impôt américain sur les sociétés avait été augmenté durant la Seconde Guerre mondiale passant d’un taux de 19 à 40 %. Ce taux a été porté à 52 % durant la guerre du Corée et à 52,8 % durant celle du Vietnam. De nombreux économistes à la fin des années 1960 estiment que ce niveau élevé d’imposition aboutit à une double taxation, l’entreprise payant l’impôt sur les bénéfices et les actionnaires sur les dividendes qu’ils reçoivent. Cette taxation freinerait l’investissement. Ronald Reagan reprenant les thèses de l’Ecole de l’Offre proposa une décrue du taux de l’impôt sur les sociétés. La baisse des taux est censée favorisée l’investissement, la croissance et donc les recettes fiscales par élargissement de l’assiette. En vertu de la Courbe de Laffer, un taux trop élevé d’imposition serait contreproductif. Durant les huit années de présidence Reagan, le taux de l’impôt sur les sociétés est passé de 46 à 34 %. En 1993, le Président Bill Clinton annonça son souhait d’augmenter le taux de l’impôt sur les sociétés à 36 %. Le Congrès n’accepta de le porter qu’à 35 %. Donald Trump décida de son côté de réduire le taux de 35 à 21 %.

Les Etats-Unis avec le Royaume-Uni ont initié un mouvement mondial de baisse de l’impôt sur les sociétés. Elue à la même époque que Reagan, Margaret Thatcher ramena le « corporation tax rate » de 52 % à 35 %. Le taux britannique diminue ensuite sans cesse jusqu’à 19 % en 2017. La France suivit à distance et avec retard le processus. Le taux de son impôt sur les sociétés est ainsi ramené de 50 % au milieu des années 1980 à 33 % au milieu de la décennie suivante.  Dès la fin du quinquennat de François Hollande, un programme de baisse du taux de l’impôt sur les sociétés est lancé. Le taux d’imposition diffère en fonction de la taille de l’entreprise et du montant des bénéfices. L’objectif est alors d’atteindre le taux de 28 %, sachant qu’un taux réduit à 15 % est introduit. Avec l’élection d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République, le mouvement de réduction est amplifié avec un taux de 25 % prévu pour la fin du quinquennat. En 2021, le taux maximum (pour les plus grandes entreprises) est ainsi passé cette année de 31 % à 27,5 %. Selon l’OCDE, le taux moyen de l’impôt sur les sociétés au sein des Etats membres est passé de 28 % à 21 %.

Les débats au Congrès américain devraient être compliqués pour la nouvelle administration américaine, les démocrates ne disposant que d’une voix de majorité au Sénat. De nombreux groupes de pression contestent la proposition de Joe Biden qui aboutirait, à leurs yeux, à faire de l’impôt sur les sociétés américain le plus élevé de l’OCDE. Ils soulignent qu’il faut prendre en compte les impôts prélevés par les Etats fédérés. En moyenne, le taux réel ne serait pas de 28 % mais de plus de 32 %.

Une taxation minimale des bénéfices à l’échelle mondiale

Si Donald Trump avait mené une politique unilatérale et donc peu coopérative pour le rapatriement des bénéfices des multinationales américaines, Joe Biden semble opter pour une approche plus multilatérale en relançant les négociations dans le cadre de l’OCDE. La secrétaire d’Etat au Trésor, Janet Yellen, propose d’établir un taux d’imposition minimum de 21 %. Joe Biden entend ainsi doubler le taux minimal d’imposition des profits réalisés par les multinationales américaines dans le monde entier.

Afin de lutter contre les mécanismes d’optimisation fiscale permis par certains Etats comme l’Irlande, les autorités américaines souhaiteraient imposer un nouveau modèle de taxation en fonction de leurs ventes opérées dans chacun des pays où elles opèrent, qu’elles y soient présentes physiquement ou non. Ce nouveau cadre concernerait toutes les grandes entreprises, y compris les grands groupes du numérique. L’approche américaine est différente de celle qui était jusqu’à maintenant retenue par l’OCDE qui distinguait les profits générés par l’activité normale d’une entreprise et ceux résiduels issus des seules activités numériques. La Secrétaire d’Etat au Trésor, Janet Yellen a souligné qu’elle souhaitait que les Etats-Unis coopèrent avec les pays du G20 afin de « convenir d’un taux d’imposition mondial minimum sur les sociétés, qui peut arrêter la course vers le bas ». Ce projet s’inscrit dans le prolongement du discours du Président à Pittsburg le 31 mars dernier. Il avait alors déclaré, « en 2019, 91 entreprises du classement Fortune 500, les plus grandes entreprises du monde, y compris Amazon, utilisaient diverses échappatoires pour ne pas payer un seul cent d’impôt fédéral sur le revenu. Je ne veux pas les punir, mais cela ne va pas. Un pompier et un enseignant payent 22 % ? Amazon et 90 autres grandes entreprises ne payent aucun impôt fédéral ? Je vais mettre un terme à cela. » Les discussions au sein de l’OCDE risquent d’être complexes du fait qu’il faudra déterminer les gagnants et les perdants de ce nouveau cadre fiscal. En cas d’adoption de cette imposition minimale des bénéfices, la France devrait abroger sa taxe de 3 % visant les entreprises numériques et qui a donné lieu à des mesures de rétorsions de la part des Etats-Unis, mesures qui n’ont pas été levées par la nouvelle administration américaine.

La crise sanitaire avec l’accroissement des dépenses qu’elle génère incite les Etats à rechercher de nouvelles ressources. Ceux dont le niveau de prélèvements est faible auront évidemment des marges de manœuvre supplémentaires. Une chasse aux ressources et à l’élargissement des assiettes fiscales est engagée, elle est amenée à durer d’autant plus que les besoins sont en progression, que ce soit pour la santé, la retraite ou la dépendance.

France, en attendant l’arrivée des beaux jours

L’instauration d’un confinement généralisé durant tout le mois d’avril aura une incidence sur la croissance française. Le ministre de l’Économie, Bruno le Maire, a été contraint de reconnaître qu’en l’état l’objectif des 6 % de croissance n’était plus réaliste. Il estime qu’elle sera néanmoins de 5 % pour l’ensemble de l’année après la contraction de 8,2 % en 2020. Initialement, avant le deuxième confinement, le Gouvernement estimait que le taux aurait pu atteindre jusqu’à 8 % cette année. Le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau a, de son côté, déclaré maintenir sa prévision de 5,5 % de croissance pour 2021 à la condition que les restrictions ne durent pas au-delà de début mai.

Du fait du maintien des aides aux ménages et aux entreprises durant l’ensemble du premier semestre, le déficit devrait atteindre 9 % du PIB cette année, et non 8,5 % comme initialement prévu. La dette publique devrait passer 115 à 118 % de 2020 à 2021.Le ministre de l’Économie a indiqué que le montant des aides publiques au mois d’avril devrait atteindre 11 milliards d’euros. Il a confirmé leur maintien durant toute la crise sanitaire. Leur suppression sera par ailleurs progressive. Concernant le plan de relance, sur les 100 milliards d’euros prévus en septembre, la moitié devrait être dépensée cette année. Il a regretté la lenteur de certains pays européens pour ratifier le fonds de relance européen de 750 milliards d’euros. Le retard pris pourrait priver la France de 5 milliards d’euros en juillet.

Dans un contexte sanitaire encore dégradé, le secteur du tourisme demeure fortement pénalisé. La France, en tête pour l’accueil des touristes étrangers, est évidemment fortement touchée ligne que ce soit au niveau de l’hôtellerie ou des transports. Depuis un an, Air France a été contraint de réduire son activité de 70 %. Le retour à la normale mettra certainement de nombreux mois, voire des années. À défaut d’aides publiques, les grandes compagnies internationales ne sont pas rentables compte tenu de leurs charges. Pour éviter un dépôt de bilan, le gouvernement est conduit à soutenir Air France. Le ministre de l’Économie a, en effet, confirmé l’adoption d’un nouveau plan de sauvetage d’Air France qui a été approuvé par la Commission européenne. Ce projet prévoit une recapitalisation de la compagnie à hauteur de quatre milliards d’euros aboutissant au doublement de la participation de l’État à l’entreprise. La recapitalisation prend la forme d’une conversion du prêt d’État de 3 milliards d’euros déjà accordé par la France en un instrument de capital hybride ainsi qu’une augmentation de capital ouverte aux actionnaires existants et au marché dans la limite d’un milliard d’euros. L’État détiendra un peu moins de 30 % du capital d’Air France, contre 14,9 % aujourd’hui. En contrepartie, Air France cédera 18 créneaux de vols à d’autres compagnies sur l’aéroport parisien d’Orly (soit 4 % de ses créneaux à Orly). 8 500 emplois devraient être supprimés d’ici 2022 au sein des compagnies Air France et Hop, suppressions prévues dans le cadre du plan de transformation du groupe. La compagnie devra également réduire de 50 % ses émissions de CO2 par passager et par kilomètre d’ici à 2030. En 2020, Air France avait reçu 7 milliards d’euros d’aides de l’État. Après une perte de 3,6 milliards d’euros en 2020, la direction de la compagnie estime qu’elle s’élèvera à au moins 2 milliards d’euros cette année, sachant que sur le premier trimestre, elle a déjà atteint 1,3 milliard d’euros. L’entreprise dit disposer d’une solide liquidité et de lignes de crédit de 8,8 milliards d’euros à fin février lui permettant de faire face à des pertes s’élevant de 100 à 200 millions d’euros par mois. D’autres entreprises comme la SNCF ou la RATP pourraient être, dans les prochaines semaines, être confrontées à des problèmes de financement tout comme certaines grandes entreprises du secteur du tourisme.

Le gouvernement table comme l’ensemble des acteurs économiques, sur une levée des contraintes progressivement à partir du mois de mai. Le retour à la normale sera certainement plus lent que lors de la saison estivale 2020. L’espoir était alors d’une épidémie avec une seule vague, ce qui a été depuis malheureusement démenti par les faits. L’obligation du test ou de la vaccination pour fréquenter des lieux publics pourrait s’imposer à l’intérieur des pays. Il est peu probable que le tourisme international puisse réellement reprendre dès cet été. L’existence de nombreux foyers épidémiques en Occident et la multiplication des variants seront des freins à la normalisation. L’optimisme qui aujourd’hui anime les marchés qui se nourrit des anticipations de reprise est certainement un peu exagéré. L’accumulation des plans de relance aura évidemment un effet positif de la croissance mais l’épidémie risque malgré tout de gêner encore pour quelques mois l’activité économique.

La fin du dollar a-t-elle sonné ?

Les accords de la Jamaïque de 1976 entérinant la disparition des accords de Bretton Woods, ont consacré l’hégémonie du dollar comme monnaie de référence. Étalon et instrument d’échange ainsi que de réserve, la monnaie américaine conserve une position hégémonique, malgré la succession des crises, dont celle de 2008, et malgré l’avènement de la Chine. Plus de la moitié des échanges internationaux et plus de 60 % des réserves monétaires sont libellés en dollar. Le dollar est reconnu comme un actif sûr dans le monde entier permettant à tout moment de régler une transaction commerciale ou financière. Il est soutenu par la prépondérance politico-monétaire des États-Unis. Les avantages collectifs générés par la monnaie américaine dépassent les inconvénients. La subordination aux intérêts américains est supportée même si, ces dernières années, la multiplication des cas d’extraterritorialité de la loi américaine a généré un trouble croissant au sein de la communauté internationale.

Le système dollar s’est imposé dans les faits dès les accords de Bretton Woods, traduisant alors la domination économique et militaire des États-Unis. En vertu de ces accords, chaque pays devait déclarer sa parité en or ou en une devise convertible en or. En 1944, seul le dollar était convertible en or, la banque centrale américaine disposant de plus des trois quarts des stock d’or. Il devenait de facto l’unité de compte monétaire international. L’intangibilité du prix officiel en or (35 dollars l’once) provoqua la chute des accords. Les États-Unis ont refusé la dépréciation de leur monnaie et le rééquilibrage de leur balance des paiements courants. Ce dernier aurait entraîné une raréfaction du dollar, ce qui aurait eu un effet dépressif sur l’économie mondiale. Durant les Trente Glorieuses, Les États-Unis comme le reste du monde n’avaient intérêt à réduire l’offre de dollars. À défaut de changer la parité à l’or, la décision du 15 août 1971 de Richard Nixon de mettre un terme à la convertibilité apparaît logique. L’instauration des changes flottants en 1973, légitimée en 1976, était la suite prévisible de cette décision et l’affirmation de la domination américaine.

En 1960, dans un ouvrage Gold and the dollar crisis, the future of convertibility – Éditions de Yale, l’économiste américain Robert Triffin avait souligné les dangers du passage à un Système Monétaire International centré sur le dollar. Dans le cadre de ce qui est alors dénommé « paradoxe de Triffin », les États-Unis profitent de la position du dollar comme monnaie de réserve dominante pour s’endetter auprès du reste du Monde. L’augmentation excessive de l’endettement des agents économiques, publics et privés, et de la dette extérieure en lien avec le déficit récurrent de la balance des paiements courants conduit à une baisse de la qualité du dollar, ce qui devrait à terme provoquer un recul de la demande de dollars. Cette situation entraînerait une dépréciation violente du dollar et à terme la perte de son statut de monnaie de réserve. Si ce paradoxe ne s’est pas produit depuis les années 1960, la crise de la covid-19 pourrait-elle l’amener ? La multiplication des plans de relance peut-elle affecter la crédibilité de la monnaie américaine. Le durcissement des relations commerciales avec la Chine ainsi que le comportement moins prévisible des États-Unis sont-ils des facteurs pouvant inciter les autres pays à se détourner du dollar ?

L’emballement de l’endettement total intérieur (administrations publiques, entreprises, ménages) des États-Unis constitue le point de départ éventuel de défiance vis-à-vis du dollar. Il est passé de 220 % du PIB à 320 % du PIB de 1998 à 2020. La crise de la covid-19 a entraîné une progression de 40 points de PIB de cet endettement. Les plans de relance successifs, 1 900 milliards de dollars pour celui de Joe Biden après celui de 1 700 milliards de dollars de Donald Trump auxquels il faut ajouter le plan de modernisation des infrastructures de 2 000 milliards de dollars, aboutissent à une augmentation sans précédent du déficit public qui est passé de 5 à plus de 15 % du PIB de 2019 à 2021. Cette année, la dette publique devrait franchir la barre des 140 % du PIB, contre 117 % du PIB en 2019. De leur côté, les entreprises ont accru en moins de deux ans leur endettement de près de 20 points de PIB. L’accélération de la croissance, alimentée par les différents plans de relance, devrait aboutir à un fort accroissement du déficit de la balance des paiements qui était déjà conséquent avant la crise sanitaire. Ce déficit est passé de 2 à 3,5 % du PIB de 2019 à 2020. La dette extérieure des États-Unis qui était de 10 % du PIB dépassait 65 % du PIB en 2020. Cette accumulation de déficits est rendue possible par le pouvoir libératoire du dollar et la politique monétaire expansive de la banque centrale. Le bilan de FED s’élevait fin 2020 à 7 000 milliards de dollars, contre 4 000 en 2019.

Tant pour des raisons géopolitiques qu’économiques, certains États ont réduit ou mis un terme à leurs achats de dettes en dollars. C’est le cas de la Chine et de la Russie. Le Japon a fortement diminué ses acquisitions de titres américains tout comme certains États de l’OPEP. Demeurent comme acheteurs de dettes en dollars, les pays européens, le Canada, l’Arabie Saoudite et certains pays émergents. La réduction du nombre d’acheteurs de titres en dollars devrait rendre plus difficile le financement d’une dette extérieure des États-Unis en forte hausse. Pour la dette intérieure, la FED et les banques centrales des États fédérés achètent des volumes croissants de titres.

L’atonie de la demande étrangères pour les titres américains conduit à une hausse des taux d’intérêt mais cette hausse sera plafonnée par l’action de la Réserve fédérale qui entendra éviter un ralentissement trop brutal de l’économie. Le taux d’intérêt de l’obligation d’État à 10 ans est passé de 0,5 à 1,7 % entre le 1er juillet 2020 et le 1er avril 2021. S’il peut se rapprocher des deux points, il semble exclu que la banque centrale ne réagisse pas rapidement en cas de forte hausse.

Logiquement, en cas d’absence d’augmentation du taux d’intérêt dans un contexte de forte hausse de l’endettement interne et externe, d’un côté, et de diminution du nombre d’acheteurs internationaux, de l’autre, le dollar devrait se déprécier. Ce qui marquerait un recul de son rôle de monnaie de réserve. Or, depuis le début de la crise, cette équation ne se vérifie pas. Le dollar ne se déprécie pas tant vis-à-vis de l’euro que des autres grandes monnaies. Il conserve ses positions en tant que monnaie de réserve (60 %, contre 20 % pour l’euro).

Le dollar reste le dollar par l’absence de monnaie de substitution. Les États-Unis demeurent la seule puissance disposant de capacités de projection et d’intervention à l’échelle mondiale. Son économie même si elle est concurrencée par la Chine reste dominante et en pointe sur le plan technologique. Le dollar bénéficie de la forte reconnaissance dont bénéficie la Réserve Fédérale en raison de la transparence de ses décisions, prises dans le cadre de débats contradictoires. L’euro n’est pas en mesure de concurrencer le dollar du fait de sa jeunesse, de sa fragilité relative (comme l’a prouvé le psychodrame grec en 2012) et de la segmentation de la dette entre de nombreux émetteurs. La dette publique est émise par les 19 États membres, l’Union  ne devant émettre ces premiers titres que cette année. La profondeur du marché financier européen est faible au regard de celui des États-Unis. Les autres devises (franc suisse, yen, livre sterling, RMB) ont soit des dettes de trop petite taille, soit ne sont pas acceptables comme monnaie de réserve (risque politique, encours insuffisant d’actifs disponibles pour les non-résidents). Le caractère autoritaire du régime chinois nuit à la montée en puissance du RMB. Les cryptomonnaies qui seraient appelées, pour certaines, à remplacer à terme le dollar et les autres devises jouent, pour le moment, un rôle marginal. L’encours du bitcoin, malgré sa récente appréciation, avoisine 1 000 milliards de dollars. Les opérations quotidiennes en bitcoins se chiffrent en dizaine de milliards de dollars quand près de 7 000 milliards de dollars sont échangés chaque jour. Le risque de déstabilisation du dollar à court et moyen terme est faible faute de concurrent crédible. Un renforcement de la zone euro avec le développement d’une dette mutualisée pourrait changer la donne et rééquilibrer les forces monétaires. Pour la monnaie chinoise, les handicaps sont pour le moment élevés. La nature du régime politique et la réglementation protectionniste encore en vigueur sont des freins à son développement.

Salariés, consommateurs, emprunteurs et actionnaires, qui gagnera le match ?

Les économies des pays de l’OCDE sont caractérisées depuis la seconde moitié des années 1990 par la déformation du partage des revenus au détriment des salariés. La concurrence forte au niveau de l’offre, l’aversion aux risques accrue qui se traduit par une rémunération plus élevée des actionnaires, l’amoindrissement du contre-pouvoir syndical ont contribué à cette déformation qui a été nette aux États-Unis ou au Royaume-Uni et un peu moins en France. Sur ces vingt-cinq dernières années, au sein de l’OCDE, le salaire réel a augmenté moins vite que la productivité par tête : respectivement +20 et +40 %. Les profits après taxes, intérêts avant dividendes sont passées, de 1995 à 2019, de 11 à 15 % du PIB. Dans un contexte désinflationniste, les hausses de salaires sont devenues moins importantes. La progression du salaire nominal par tête, au sein de l’OCDE était de moins de 2 % en 2019, contre 3 % en 1995. Sur la même période, l’inflation sous-jacente (inflation calculée sans prendre en compte les produits enregistrant de fortes fluctuations ou dont le prix est administré) est passé de plus de 2 à 1 %. Avec retard, les taux d’intérêt ont suivi le processus de baisse de l’inflation. Ainsi, le taux d’intérêt réel à 10 ans sur les emprunts d’État était négatif en 2020, contre +5 % en 1995. Les emprunteurs, les actionnaires, les détenteurs de biens immobiliers et les consommateurs à travers les baisses des prix des produits industriels ont été avantagés par rapport aux salariés et aux épargnants ayant investi essentiellement dans les produits de taux. Les actionnaires ont bénéficié de la valorisation des actions, la capitalisation boursière étant passée de 40 à plus de 120 % du PIB au sein de l’OCDE.

Un consensus se dégage en faveur d’une amélioration des salaires. Dans le système actuel, la part des revenus des ménages issus de la redistribution tant à augmenter. Pour les 20 % des ménages les plus modestes en France, les prestations représentent plus de 40 % des revenus (RSA, allocations logement, crédits d’impôt, prime d’activité, etc.). Le travail n’est plus la principale source de revenus pour de nombreux ménages. Pour financer cette redistribution, les pouvoirs publics sont contraints de choisir entre une hausse des prélèvements obligatoires, ce qui pèse sur le coût du travail ou le pouvoir d’achat et le recours au déficit, c’est-à-dire transmettre la charge de cette politique aux générations à venir. Depuis une vingtaine d’années, dans un contexte de faible inflation et de progression lente des salaires, la forte augmentation du prix de l’immobilier au sein des grandes métropoles rend difficile l’accès à la propriété. Les dépenses de logement se sont fortement accrues en particulier chez les jeunes actifs.

Le changement du rapport de force entre salariés, actionnaires, emprunteurs et consommateurs sera délicat à organiser. L’accumulation des dettes depuis plus de vingt ans amène les banques centrales à maintenir des taux bas afin d’éviter tout problème de solvabilité. La dette totale, entreprises, administrations publiques et ménages, dépassait en 2020, 320 % du PIB quand elle était inférieure à 220 % du PIB en 1995. Le système économique est centré sur les consommateurs afin de pouvoir leur proposer des biens et services les moins chers possibles. L’éclatement des chaînes de production repose sur le principe des avantages comparatifs avec la recherche des coûts salariaux les plus faibles. Les épargnants actionnaires ne sont pas disposés à accepter une réduction des dividendes. Le maintien d’un fort sous-emploi au sein de nombreux pays ne facilite pas l’engagement d’un processus d’augmentation des salaires. Un changement dans la répartition de la valeur ajoutée pourrait provenir d’un retour éventuel de l’inflation, provoqué par l’accumulation des plans de relance notamment américain. Le vieillissement de la population, en réduisant à terme le nombre d’actifs, devrait également être inflationniste. Si les pensions sont moins bien revalorisées dans les prochaines années, ce qui est possible compte tenu de l’ampleur des déficits, les retraités seront contraints de puiser dans leur épargne, ce qui pourrait faire baisser le cours des actions et les prix de l’immobilier. Le Japon qui est confronté depuis plus de trente ans au vieillissement rapide de la population, prouve néanmoins l’inverse, la préférence étant donnée à l’endettement et aux taux bas.