Le Coin de la Conjoncture du 12 janvier 2019
Pourquoi les taux d’intérêt n’augmentent pas ?
En 2018, contrairement aux prévisions, le taux d’intérêt à 10 ans pour les obligations d’État a baissé en France. Il était de de 0,8 % au 31 décembre 2017 et de 0,7 % le même jour en 2018. Les analystes avaient prévu au minimum un taux de 1 %.
Depuis le début de 2018, les sorties de capitaux obligataires depuis la zone euro sont très importantes. Ces sorties sont liées au différentiel de rentabilité entre l’Europe et les États-Unis. Ils s’expliquent également par la remontée du risque systémique depuis l’arrivée au pouvoir en Italie du gouvernement constitué de La Ligue et de 5 Etoiles.
Ces sorties importantes auraient dû conduire à une hausse des taux d’intérêt à long terme de la zone euro, pour l’ensemble des Etats membres. Or cette hausse a été très faible, voire nulle, pour l’Allemagne et la France.
Comment expliquer que les taux d’intérêt à long terme de la zone euro n’aient pas augmenté davantage malgré les sorties de capitaux en obligations ? Pour le moment, la hausse de l’aversion pour le risque amène les investisseurs des pays périphériques vers les pays du cœur, la France et l’Allemagne. En outre, les investisseurs non-résidents de la zone euro ont été remplacés par ceux de la zone euro qui ont arbitré en défaveur des actions. Le départ des étrangers a donc eu peu d’effet sur les taux mais a accéléré la baisse des cours des actions.
Pour le moment, les entreprises peuvent s’endetter à des taux très bas auprès des banques, ce qu’elles font par ailleurs. Le niveau d’endettement des entreprises est au plus haut, en particulier en France. L’aggravation de l’aversion aux risques permet de limiter la hausse des taux d’intérêt. Elle n’est pas en soi une bonne nouvelle car elle s’effectue au détriment des entreprises qui pourraient à terme avoir plus de difficultés pour accéder à des ressources financières sur les marchés.
L’Europe à la recherche de la convergence
A quelques mois des élections du Parlement européen, le Président de la République a profité de ses vœux à la Nation pour indiquer qu’il ferait des propositions dans le but de relancer l’Union européenne.
Nombre de pays de la zone euro sont confrontés à des problèmes spécifiques ne les incitant pas à avoir une vision ou une stratégie européenne. Le Gouvernement allemand doit faire face à une contestation au sein même de sa majorité au sujet de sa politique d’immigration et de sécurité. Le débat européen porte aujourd’hui sur l’intégration des réfugiés, l’avenir de l’industrie, ou encore l’énergie. Aucun parti politique ne met en avant la construction européenne.
En Italie, les sujets dominants sont l’immigration et le pouvoir d’achat. Ce dernier point est au cœur des problèmes auxquels est confrontée la France depuis le mois de novembre dernier. Le Gouvernement espagnol doit réagir à la montée des parties d’extrême droite et à la crise catalane. Les pays d’Europe de l’Est sont également mobilisés par la question de l’immigration et par la menace russe.
Les agendas des pays de la zone euro étant essentiellement domestiques, la probabilité d’obtenir des avancées concernant les institutions européennes, la coordination des politiques fiscales, ou encore la mise en place de mécanismes de solidarité entre les pays, est faible. Bien au contraire, la mise en place de politiques anti-coopératives menant à une hétérogénéité croissante entre les pays de la zone euro est aujourd’hui la règle. Le difficile avènement d’une taxe applicable aux GAFA et le statu quo en matière de rapprochement de la fiscalité des entreprises et des cotisations sociales prouvent le peu d’engouement actuel des dirigeants pour relancer le processus de construction européenne. Le taux des cotisations sociales varie du simple au double entre la France et l’Allemagne. Il en est de même entre la France et l’Irlande en matière d’impôt sur les sociétés. Cette concurrence fiscale a également abouti à une forte diminution du taux de cet impôt au sein de l’Union européenne qui est passé, en moyenne, de 36 à 24 % de 1995 à 2018.
Cette montée de l’égoïsme des nations européennes peut déboucher sur un ralentissement de la croissance et une progression des difficultés budgétaires pour certains Etats. Par ailleurs, la divergence des niveaux de vie est une source de tension. Ainsi, le PIB par habitant italien est inférieur en 2018 à son niveau de 1999. L’écart de niveau entre l’Italie et l’Allemagne est aujourd’hui de 30 % contre 18 % en 1999. Si en 2003, le niveau de vie était en France équivalent à celui de l’Allemagne en 2003, il est en 2018 de 13 % inférieur.
La consommation est morte, vive la consommation,
Tous les dix ans, il est de bon ton d’affirmer que la consommation est morte afin qu’elle puisse mieux ressusciter de ses cendres. Ces dernières années, la consommation qui représente plus de 50 % du PIB des pays avancés a été mise au banc des accusés en raison de sa mauvaise empreinte écologique. Consommer, c’est émettre des gaz à effet de serre, c’est polluer, gaspiller de l’énergie et des matières premières. Consommer rendrait malheureux. Soyons frugal, recyclons, achetons d’occasion ou mieux louons, achetons local : tels sont les préceptes de la nouvelle consommation.
Les adversaires du capitalisme avancent l’idée que nous devons tourner la page de l’ultra-consommation qui règne sans partage depuis les années 60. Pour autant, la mondialisation et la digitalisation, associées à l’exigence du développement durable, nous font entrer dans l’ère de l’omni-consommation.
La consommation obéit à des cycles. Après les Trente Glorieuses, la consommation s’était assagie au cours des années 70/90 avant de connaître un nouvel essor grâce à la baisse des coûts de production des biens manufacturés et au développement du crédit. L’arrivée d’un nouveau canal de distribution avec Internet a également accru la concurrence et la baisse des prix. La crise de 2008 a marqué une rupture. Elle a provoqué une forte hausse du chômage et une stagnation du pouvoir d’achat d’autant plus notoire que les règles d’accès au crédit à la consommation ont été durcies.
Les ménages des pays avancés se sont mis alors à plébisciter les sites d’achats et de reventes en ligne et les plateformes de location. Plusieurs d’études dont celles du CRÉDOC ont souligné que la forte croissance de l’achat de biens d’occasion était avant tout imputable à la contrainte financière. Faute de pouvoir d’achat, les ménages ont accepté d’acheter des biens d’occasion. Il est à souligner que la croissance des sites comme le Boncoin s’est ralentie dès l’amélioration de la situation économique en 2016.
Malgré tout, les tendances en cours avant crise se sont accentuées depuis. Ainsi, les frontières entre producteurs et consommateurs s’érodent. Ces derniers sont appelés à faire des tâches qui avant relevaient des producteurs, par exemple imprimer les billets d’avion. Mais surtout, les données du consommateur sont devenues des sources d’information pour le producteur. Ses goûts, ses déplacements, ses intérêts sont scrutés, récupérés afin d’alimenter des algorithmes permettant de concevoir et d’améliorer des produits ou des services. Par ailleurs, le consommateur peut se muer à tout moment en producteur en louant son domicile, en vendant des heures de bricolage, en louant sa perceuse ou sa voiture. Les jeunes, au lycée, font du business avec leurs vêtements ou leurs cadeaux en ayant recours aux sites de revente. L’attachement aux biens diminue. L’utilisation prime sur la possession. C’est la nouvelle phase de la consommation. Ce n’est pas sa mort mais au contraire un nouveau développement. Ce passage d’une société secondaire à une société tertiaire est également révélateur de la capacité d’adaptation de l’économie. Aujourd’hui, les services priment sur l’acquisition de biens. Cette transformation a deux avantages, celui de s’adapter aux besoins des clients et de leur proposer les dernières évolutions technologiques. Par ailleurs, cela permet de fidéliser le client en ayant recours à la formule de l’abonnement. Microsoft, une société de production de logiciels est devenue en une dizaine d’années une société de vente de services. Les abonnements ont l’avantage de générer des ressources régulières. Au temps des logiciels physiques, les rentrées étaient centralisées au moment de la sortie des nouveautés. La multiplication des abonnements, des leasings, des remboursements d’emprunt a eu comme conséquence de réduire les revenus non aliénés. Cette situation a été durement ressentie par les ménages. Ils ont ressenti une perte de pouvoir d’achat, accentuée par le poids croissant du logement dans le budget familial.
Plusieurs enquêtes du CREDOC ont souligné que les ménages privilégiaient toujours l’achats de produits neufs. Le recours à l’occasion obéît plus à des contraintes de pouvoir d’achat qu’à un souhait de préserver la planète. Si l’attachement à l’objet est moindre aujourd’hui, en revanche, la soif du changement, de renouvellement reste importante. La multiplication des saisons chez les chaines de vêtement, la succession rapide de modèles de smartphones en sont les meilleures preuves. La consommation n’est pas morte, loin de là, nous sommes entrés dans l’ère de l’omni-consommation.