Le Coin de la conjoncture du 15 décembre 2018 – le financement du plan d’Emmanuel – pouvoir d’achat – récession en 2019 ?
La délicate équation du plan d’Emmanuel Macron
Face à la grogne sociale, Emmanuel Macron a annoncé un plan, le lundi 10 décembre, dont le coût est évalué entre 10 à 13 milliards d’euros pour les finances publiques. Il a ainsi décidé d’annuler les hausses de taxes sur les carburants, l’augmentation, à travers la revalorisation de la prime d’activité, du SMIC de 100 euros, la défiscalisation des heures supplémentaires, la suppression de la majoration de CSG pour les retraités gagnant moins de 2 000 euros par mois, ainsi que l’exonération fiscale et sociale des primes de fin d’année dans la limite de 1 000 euros par salarié.
Le coût de ces mesures est difficile à appréhender. Ainsi, l’exonération des primes aura un impact fiscal limité. Les primes restent facultatives et sont plafonnées à 1000 euros et ne bénéficieront qu’aux salariés gagnant moins de 3 600 euros nets. Avec l’instauration de la retenue à la source, l’impact fiscal sera limité du fait du changement d’assiette. En revanche, il pourra y avoir un manque à gagner au niveau de l’impôt sur les sociétés. Cette exonération aura également un coût pour la Sécurité sociale qui pourra être compensé par l’Etat mais ce n’est plus automatique. Les cotisations (patronales et salariales) représentent près de 80 % du net perçu ou 45 % du coût total pour l’entreprise.
Ce plan pèsera sur le budget de l’État au point que le déficit pourrait dépasser à nouveau les 3 % du PIB. Avant même son annonce, nombreux étaient ceux qui doutaient déjà de la capacité de l’État de respecter les 2,8 % de déficit prévus par le projet de loi de finances pour 2019. En effet, le ralentissement économique en cours obère le montant des recettes. Certes, ce mini plan de relance pourrait favoriser une reprise de la consommation et donc améliorer les recettes de TVA. Dans tous les cas, la France devrait avoir, l’année prochaine, le déficit public le plus élevé de la zone euro. Il pourrait atteindre 3,5 % du PIB.
La Commission de Bruxelles qui, ces dernières semaines, avait mené un bras de fer avec l’Italie au sujet de son objectif de déficit de 2,4 % du PIB, jugé non atteignable, a indiqué par l’intermédiaire du commissaire à l’économie, Pierre Moscovici, qu’elle « suivra avec attention l’impact des annonces faites par le Président Emmanuel Macron sur le déficit français et les modalités de son financement ».
Pour éviter la dérive des comptes publics, le Gouvernement pourrait reporter la baisse de charges de 4 points sur le SMIC prévue en septembre 2019, améliorer le rendement de l’impôt sur les sociétés et annuler certaines dépenses d’investissement.
Les Italiens ont réclamé, après l’annonce du plan français de sortie de crise avec les « gilets jaunes », l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif. « Si en France les règles sur le déficit sont les mêmes que pour l’Italie, alors il est clair et évident que là aussi je m’attends à ce que la Commission ouvre une procédure », a ainsi expliqué à la presse ce mardi le vice-premier ministre Luigi Di Maio. Ce dernier a reçu le soutien de plusieurs États d’Europe du Nord qui accusent la France de chercher à se soustraire aux règles communes tout en donnant des leçons à tous.
Emmanuel Macron pourra souligner que les textes européens autorisent en cas de circonstances exceptionnelles des petits dérapages. Il pourra mettre également en avant que 2019 est une année exceptionnelle pour les finances publiques du fait de la transformation du CICE en exonération de charges qui aboutit à un double versement, phénomène qui disparaîtra en 2020.
L’inflation a eu raison du pouvoir d’achat
Le pouvoir d’achat a diminué à partir du début de l’année 2018 en raison de la hausse combinée du prix du baril de pétrole et des taxes sur les carburants. La hausse de l’essence et du gazole a été de plus de 10 % sur le premier semestre. La rupture avec la période précédente marquée par la désinflation a été durement ressentie par l’opinion publique.
Pour autant, le salaire réel a augmenté de plus de 20 % depuis 1998. En revanche, sa volatilité est de plus en plus forte au gré du mouvement des prix et des effets des crises. La progression des salaires et plus globalement du niveau de vie s’est nettement ralentie après 2008. Le revenu disponible brut des ménages a progressé de 20 % de 1998 à 2007 et est resté stable depuis.
En France, le salaire réel a augmenté plus vite que la productivité par tête. La répartition de la valeur ajoutée ne s’est pas effectuée au détriment des salariés en France. En la matière, le problème provient de la faiblesse des gains de productivité. La tertiarisation croissante de l’économie qui se caractérise par une diminution du poids de l’industrie et la création de nombreux emplois à faible qualification dans les services pèse sur les gains de productivité.
Le salaire moyen français n’a pas cessé d’augmenter depuis 1991 à la différence de celui des Espagnols. Son évolution est assez régulière. Malgré tout l’écart par rapport à l’Allemagne et les États-Unis s’est creusé.
Les dépenses pré-engagées se sont stabilisées en 2013 après une forte hausse
La question du pouvoir d’achat des Français est liée à l’évolution des dépenses pré-engagées, des prélèvements obligatoires et de certaines dépenses incontournables comme le transport ou l’alimentaire. Les dépenses pré-engagées regroupent celles liées au logement, aux abonnements et aux services financiers.
Les loyers et les salaires évoluent à la même vitesse entre 1998 et 2003. En revanche de 2004 à 2012, les loyers progressent plus vite que les salaires. Une légère inversion est enregistrée à partir de 2016. Cette inversion est liée aux règles d’indexation des loyers qui dépendent essentiellement de l’inflation or cette dernière a été faible entre 2014 et 2017. Malgré tout, au cours de ces vingt dernières années, le montant des loyers a progressé de 40 % quand les salaires n’ont connu qu’une hausse de 32 %. Au niveau du rapport entre le prix des maisons et le salaire nominal, toujours entre 1998 et 2018, l’évolution est défavorable aux salariés. La valeur des maisons a progressé près de deux fois plus rapidement que les salaires entre 1998 et 2008. Depuis, une correction est intervenue. L’écart n’est plus que de 60 points. Évidemment, cette diminution constatée depuis la crise n’est pas générale. Elle ne concerne pas Paris et certains cœurs d’agglomération. En prenant en compte la baisse des taux d’intérêt, le coût de l’immobilier est supérieur en 2018 à celui constaté en 1998 mais l’écart n’est pas important.
Les dépenses d’abonnement ont augmenté dans les années 90 avec la montée en puissance des services de télécommunication. Avec l’accentuation de la concurrence, le poids de ces dépenses est en recul depuis plusieurs années. De même, le coût des services financiers et de l’assurance s’est stabilisé.
La question de l’emploi, un sujet sensible
La France se caractérise par un faible taux d’emploi par rapport à la grande majorité des pays de l’OCDE. Seules l’Italie et l’Espagne ont des taux d’emploi inférieurs à la France. L’écart avec l’Allemagne est de plus de 10 points (65 contre 76 %). Une forte substitution d’emplois dans les services domestiques aux emplois dans l’industrie manufacturière s’est opérée. Cette substitution s’accompagne d’une dévalorisation des salaires proposés. Par ailleurs, même si elle reste minoritaire, une part non négligeable de la population active salariée (autour de 10 %) enchaîne CDD sur CDD. La multiplication des contrats à temps partiel et par intérim a pour conséquence une fragilisation d’une partie de la population. Un jeune ayant deux ou trois employeurs qui ne sont pas obligatoirement situés dans la même commune devra disposer de moyens de transport pour pouvoir se rendre sur ses lieux de travail.
La question du pouvoir d’achat des retraités
La France compte plus de 15 millions de retraités. Ils représentent plus de 22 % de la population française. Leur nombre s’accroît fortement d’année en année et devrait atteindre 25 millions d’ici 2060. Depuis 1998, les dépenses de retraites se sont accrues de 16 %. Le pouvoir d’achat des pensions a augmenté, en moyenne, de 1 % par an lors de ces vingt dernières années. Le niveau de vie moyen des retraités est supérieur de 5 points à celui de l’ensemble de la population. Leur taux de pauvreté est deux fois inférieur à celui constaté pour l’ensemble de la population française. La question de la CSG, après celle des taxes sur les carburants, a été souvent mise en avant par les « gilets jaunes ». 60 % des retraités ont été mis à contribution à hauteur de 4 milliards d’euros, n’ayant pas bénéficié d’un allègement de cotisations sociales comme les actifs. Néanmoins, il faut souligner que les retraités bénéficient de taux plus faibles de CSG que le reste de la population. En effet, ils sont soumis à quatre taux (en prenant en compte la décision du Président de la République du 10 décembre) : 0 %, 3,8 %, 6,6 % et 8,3 % quand les revenus professionnels sont soumis à un taux de 9,2 %.
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La révolte des « gilets jaunes » intervient 10 ans après la Grande Récession et après une période courte mais réelle de croissance (2,2 % en 2017). Fréquemment, les sorties de crise sont difficiles. Après des années d’effort, de peur pour leur situation économique et sociale, les habitants espèrent pouvoir profiter des fruits de la croissance. Or, le ressenti a été tout autre avec la poursuite de la hausse des prélèvements. Dans un pays à forte tradition égalitaire, le sentiment que certains pouvaient profiter de ces fruits quand d’autres devaient, au contraire, se sacrifier, a été à la base du mouvement apparu ces dernières semaines. Ce sentiment a notamment relancé le débat sur l’Impôt de Solidarité sur la Fortune. Le mouvement des « gilets jaunes » s’est nourri de la convergence de plusieurs peurs, la peur du déclassement, la peur de l’immigration, la peur de l’abandon de certains territoires. Il a, à ce titre, matérialisé la cassure entre Paris, la capitale, les cœurs des grandes métropoles et les autres territoires, les villes petites et moyennes, les périphéries urbaines et le milieu rural. La violence des manifestations des dernières semaines a été alimentée, en partie, par cette haine de la capitale ou des capitales.
Une récession est-elle possible en 2019 en zone euro ?
Recul du PIB en Allemagne et au Japon au troisième trimestre, moindre croissance des échanges internationaux du fait de la guerre commerciale sino-américaine, fin de cycle de plus en plus probable aux États-Unis, crise budgétaire en Italie et mouvements sociaux en France : de nombreux signaux sont passés en quelques mois du vert au rouge. L’arrivée d’une nouvelle récession pour la zone euro est annoncée par certains analystes économiques.
De nombreux indicateurs économiques sont alarmants
Les indicateurs PMI des directeurs d’achat de la société Markit sont assez fiables. Que ce soit ceux qui retracent l’activité des services ou de l’industrie, ils sont tous en baisse depuis le milieu de l’année après avoir connu une hausse rapide de 2015 à 2017. L’indicateur du sentiment économique de la zone euro a perdu près de 8 points ces six derniers mois. Malgré tout, ces indicateurs sont encore au-dessus de leur moyenne de longue période.
Après une forte progression en 2016 et 2017, l’investissement productif des entreprises, celui en logements des ménages et les achats de voitures sont en recul. Néanmoins, il faut relativiser le recul de cette année qui fait suite à une année exceptionnelle. Par ailleurs, le recul des ventes de véhicules n’est pas sans lien avec le durcissement des normes anti-pollution entré en vigueur le 1er septembre dernier.
Dans plusieurs pays, l’économie bute sur les difficultés d’embauche des entreprises. Ce problème freine la croissance. La croissance de l’emploi est de 1 % au sein de la zone euro, soit un niveau bien plus faible à celui qui prévalait avant crise.
La zone euro est dépendante du commerce international. La croissance de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Belgique et, dans une moindre mesure, de la France est liée à celle des exportations. Or, cette dernière est inférieure à 3% quand elle dépassait 5 % avant 2008.
- La fin des politiques monétaires accommodantes
En décembre, la Banque centrale européenne devrait arrêter ses rachats d’obligation, ce qui devrait constituer la première étape de la sortie de la politique monétaire non conventionnelle. La hausse des taux directeurs est, quant à elle, programmée pour le second semestre 2019. Les relèvements des taux directeurs américains devraient également se poursuivre et devraient avoir un effet de contagion sur les taux européens. Par ailleurs, les difficultés de plusieurs pays de la zone euro dont l’Italie et la France pourraient conduire à une augmentation des écarts de taux avec ceux de l’Allemagne. Cette pression à la hausse des taux d’intérêt pourrait dégrader la perspective de croissance de l’ensemble de la zone.
- Crise sociale ou crise politique
La zone euro est confrontée à une contestation croissante de la population au sein de plusieurs pays importants comme en France, en Allemagne ou en Italie. Le rejet d’une certaine forme de construction européenne, la crainte des migrations et le rejet du système économique reçoivent l’assentiment d’un nombre non négligeable d’électeurs. Les valeurs démocratiques sont également mises en cause tout comme les représentants politiques et les corps intermédiaires. Une fragilisation de la zone euro du fait de la multiplication d’évènements sociaux à résonnance politique pourrait évidemment peser sur l’activité. Le mouvement des « gilets jaunes » devrait, en France, selon le Ministère de l’Economie, entraîner une moindre croissance de 0,1 point au dernier trimestre.
- Les conséquences du BREXIT
Les conséquences d’un « hard Brexit » seraient importantes pour le Royaume-Uni. Les échanges entre le continent et ce pays seraient pénalisés. Certains secteurs seraient particulièrement touchés, tels que l’agriculture, les transports et les services financiers. Des pays comme la France qui dégage un excédent commercial avec le Royaume-Uni et l’Allemagne, un de ses premiers fournisseurs, subiraient les effets de ce départ non négocié. L’impact potentiel sur le PIB de la zone euro est mal apprécié. Il pourrait atteindre entre 2 à 4 % sur longue période. Pour 2019, la perte de croissance est estimée à 0,5 point. Pour le Royaume-Uni, en cas d’absence d’accord, sur longue période, le manque à gagner en termes de PIB pourrait atteindre jusqu’à 8 %.
Les facteurs favorables à la croissance de la zone euro en 2019
Plusieurs facteurs jouent plutôt en faveur de la croissance. En effet, la politique budgétaire est au sein de la zone euro de plus en plus expansionniste, la politique monétaire reste malgré tout accommodante et le prix du pétrole semble être en situation de se stabiliser autour de 70 dollars le baril.
- Une politique budgétaire plus expansionniste
L’assainissement des finances publics, en zone euro, semble toucher son terme. À la différence des États-Unis et du Japon, les États membres ont fait d’importants efforts en matière de réduction du déficit public. Ce dernier est passé de plus de 6 % du PIB à moins de 1 % du PIB de 2009 à 2018 mais il pourrait dépasser 1 % du PIB l’année prochaine. La France et l’Italie avec l’Espagne sont les pays les moins vertueux de la zone et devraient le rester dans les prochaines années. L’Allemagne pourrait légèrement desserrer l’étreinte budgétaire d’autant plus que des élections anticipées peuvent survenir à tout moment au regard des difficultés que connaît la Grande Coalition CDU / CSU / SPD.
- Des taux bas encore en 2019
La hausse des taux d’intérêt devrait être très modérée d’autant plus que l’inflation a commencé à refluer avec le recul du prix du baril de pétrole. La BCE prendra en compte la situation des prix mais aussi, implicitement, la croissance et la capacité des États à faire face à leurs échéances de remboursement d’emprunts.
La situation financière des entreprises de la zone euro est très favorable. La poursuite de la hausse de la profitabilité et du désendettement est attendue même si quelques pays dérogent, dont la France, à cette règle. Le nombre de défauts de paiement et de faillites d’entreprise devrait rester faible au sein de la zone euro même si en Italie et en France, il est en légère augmentation.
- Pas de réels risques financiers et immobiliers
Les actifs financiers sont sous-valorisés au sein de la zone euro. Le PER sur les résultats futurs est inférieur à 14 pour l’Eurostoxx quand il était de 16 en 2008 et de 20 en 2000. Même si l’immobilier est en forte hausse dans plusieurs pays, les ratios prix des maisons par rapport au salaire nominal par tête ou le prix de l’immobilier commercial par rapport au PIB sont inférieurs en 2018 à leur niveau de 2009 de près de 10 points pour le premier et de 5 points pour le second.
Le taux d’endettement des ménages est en baisse au sein de la zone euro. Il est passé de 62,5 à 57,5 % du PIB de 2009 à 2018, la France faisant en la matière exception. Néanmoins, le taux d’endettement des ménages français reste inférieur à la moyenne de la zone euro en s’élevant à 50 % du PIB.
- La stabilisation du prix du baril à 70 dollars, un point positif pour la zone euro
La zone euro est très sensible aux variations du cours du pétrole. Sa baisse entre 2014 et 2016 a favorisé la reprise économique en améliorant le pouvoir d’achat des ménages et les marges des entreprises. Sa hausse constatée a eu l’effet inverse et a contribué au ralentissement économique. Les importations d’énergie représentent 3 % du PIB en 2018 contre moins de 2 % en 2016. Elles avaient atteint 5 % en 2007 et en 2012. Compte tenu de l’état du marché et du tassement de la croissance de l’économie mondiale à 3,5 %, le prix du pétrole (BRENT) pourrait rester proche de 70 dollars dans les prochains, prix acceptable tant pour les pays consommateurs que pour les pays producteurs.
Récession ou pas récession en zone euro ? Si des facteurs internes peuvent conduire à une accentuation du ralentissement constaté depuis le début de 2018, d’autres peuvent jouer, au contraire, en faveur d’une accélération de la croissance. La zone euro restera néanmoins dépendante tout à la fois de l’évolution des sanctions commerciales des États-Unis, du prix du pétrole et des modalités de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. La gestion de la crise sociale, en France, pourrait conduire à un accroissement de la demande intérieure mais entraînerait une augmentation sensible des déficits, déficit commercial et déficit public. Les tensions politiques entre États membres pourraient s’accroître d’autant plus que les élections européennes du mois de mai 2019 pourraient donner lieu à une forte progression des partis anti-européens.