17 novembre 2018

Le Coin de la Conjoncture du 17 novembre 2018 – pétrole, zone euro, endettement

 

Le prix de l’or noir en question

Le prix du baril du pétrole enregistre de fortes fluctuations. Le baril de pétrole Brent a ainsi perdu en un mois 20 % de sa valeur. Les variations de prix obéissent à des considérations d’ordre économiques et géopolitiques. Elles dépendent fortement d’anticipations plus ou moins justifiées. La baisse de ces dernières semaines est la conséquence d’erreurs d’anticipation sur l’embargo iranien et de spéculations sur la reconduction de l’accord de régulation de la production. Par ailleurs, les principaux pays producteurs ont souhaité encaisser des recettes en tirant avantage de la hausse des cours. L’Arabie saoudite, la Russie, le Koweït et l’Irak ont récemment augmenté leur production de brut, et les États-Unis, celle de pétrole de schiste. Cette hausse de la production intervient au moment même où la demande progresse un peu moins vite du fait du tassement de l’activité en Chine et en Europe.

Au-delà de ces aspects conjoncturels, le premier point à souligner est que la production a dépassé, en octobre, la barre symbolique des 100 millions de baril jour. D’ici à 2025, elle devrait progresser au rythme annuel soutenu de 1 Mbj. L’augmentation de l’offre est liée à la progression continue de la demande alimentée par celle de la population mondiale, l’essor des classes moyennes ainsi que par la croissance des transports et des besoins en climatisation. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, la demande de pétrole devrait s’accroître d’ici 2040 d’au moins 12 %. Si à partir de 2020, la consommation de pétrole pour les transports devrait se stabiliser, la progression devrait se poursuivre pour la pétrochimie. Même en cas de recyclage de 50 % des plastiques produits, la consommation de pétrole par ce secteur devrait s’accélérer.

La production pourrait souffrir de quelques goulots d’étranglement dans les prochaines années en raison en particulier du sous-investissement constaté entre 2014 et 2017 du fait de la chute du prix du baril. La production de la Russie et de certains pays africains pourrait stagner en 2019. Aux États-Unis, les marges de progression du pétrole de schiste ne seraient pas, par ailleurs, extensibles à l’infini.

Plusieurs facteurs contribuent donc à la hausse du cours du baril à moyen terme. Un ralentissement de l’économie mondiale pourrait certes contrarier cette tendance de fond.

 

La zone euro n’est financièrement pas optimale

La zone euro se caractérise par un excès d’épargne généré par la balance des paiements courants excédentaires de l’Allemagne, des Pays-Bas et des pays d’Europe du Nord. Cette épargne est investie dans le reste du monde et pas dans la zone euro, ce qui réduit la croissance de long terme de la zone euro et empêche un rééquilibrage économique en son sein.

Cette situation s’explique par le fait que l’Allemagne et les Pays-Bas ne prêtent plus leurs excédents d’épargne aux autres pays de la zone euro, mais au reste du Monde.  De ce fait, les autres pays de la zone euro ont dû faire disparaître leur déficit extérieur et la zone euro – prise globalement – a maintenant un excédent extérieur. La balance courante de la zone euro est excédentaire de plus de 2 % du PIB quand elle se situait entre -1 et +1 % du PIB entre 1999 et 2007. L’excédent courant de l’Allemagne et des Pays-Bas est passé de 0 à plus de 6 % du PIB de 1999 à 2018. La balance courante des autres pays de la zone euro a connu une dégradation sensible de 1999 à 2008 avec un déficit atteignant alors 6 % du PIB. Depuis, elle est revenue à l’équilibre. Les pays d’Europe du Sud ne peuvent plus compter sur les capitaux de l’Allemagne et des Pays-Bas pour solder leur déficit. La mobilité des capitaux au sein de la zone euro a pris fin avec la crise de 2012. Si cette non-mutualisation limite les risques en cas de crise limitée à un État membre, elle remet en cause un des fondements de la zone euro et ne facilite pas la convergence des économies. Elle peut être un ferment de l’antieuropéanisme. En effet, du fait de l’absence de transferts financiers entre les États membres, les ajustements doivent être opérés exclusivement en interne. L’élimination du déficit extérieur passe par une réduction des dépenses publiques, de la demande intérieure et par la restauration de la compétitivité extérieure. La Grèce, l’Espagne, le Portugal ou l’Irlande ont dû mettre en œuvre de telles politiques.

Cette réorientation de l’épargne est-elle profitable à l’Allemagne et aux Pays-Bas ? Pas certain car les investisseurs de ces deux pays ont privilégié les placements sans risque à faibles rendements. Les investissements en portefeuille ont même tendance à se réduire au fur et à mesure que l’excédent augmente au profit des obligations et des placements à court terme. Les épargnants allemands et néerlandais s’avèrent de plus en plus averses aux risques. S’ils refusent d’affecter une partie de leur épargne dans les pays d’Europe du Sud, ce n’est pas pour prendre des risques ailleurs. Ainsi, les excédents de la balance des comptes courants de la zone euro rapportent peu. L’allocation de l’épargne est donc loin d’être optimale. Elle pénalise la croissance de l’Europe du Sud mais aussi de l’Allemagne.

Le nationalisme financier se traduit également depuis 2012 par une diminution des achats d’obligation de la zone euro par des non-résidents. L’écart de taux avec les États-Unis et l’existence d’un petit risque systémique ne facilitent par leur retour. Ce retrait des investisseurs étrangers n’a pas eu, pour le moment, de conséquences compte tenu de la politique de rachat des obligations d’État menée depuis 2015 par la Banque centrale européenne. La suppression de ces rachats prévue à la fin du mois de décembre 2018 pourrait évidemment changer la donne. Une augmentation du taux d’épargne, solution pour financer les déficits, aurait des effets récessifs.

Pour contrecarrer le processus de renationalisation des dettes, la zone euro devrait se doter d’un budget et d’une direction du Trésor émettant des titres obligataires européens. En l’état actuel, l’Allemagne y est totalement hostile considérant que ces propositions reviendraient à encourager le laxisme de certains États d’Europe du Sud. Les problèmes au sein de la coalition allemande au pouvoir offrent peu d’espoirs sur un changement de position d’Angela Merkel sur ce sujet.

 

L’endettement et ses moteurs !

De 1995 à 2018, la dette totale (privée et publique) est passée au sein de l’OCDE de 200 à 260 % du PIB. La croissance a commencé avant la crise de 2008. Elle est imputable à la baisse tendancielle des gains de productivité. Les Etats ont continué à augmenter les dépenses publiques en prenant comme référence une progression de ces gains autour de 2 %, soit plus d’un point au-dessus de leur niveau actuel. Durant les huit années précédant la crise, la dette augmente de 20 points de PIB. La grande récession de 2008 se traduit par une explosion de la dette publique qui atteint 110 % du PIB en 2012 contre 70 % en 2007. Elle est l’occasion d’un grand transfert de dettes. Cette explosion s’accompagne, en effet, d’un dégonflement de la dette des ménages qui passe de 120 à 108 % du PIB de 2008 à 2012. La dette des entreprises augmente, en revanche, à partir de la crise en passant de 70 à 80 % du PIB. Les chiffres de l’OCDE soulignent donc une grande substituabilité des dettes entre les différents agents économiques. Les États ont ainsi récupéré avec la crise une partie des dettes du secteur bancaire, expliquant la brusque augmentation de leur endettement. Le transfert au détriment des pouvoirs publics a été facilité par la mise en œuvre des politiques de rachats d’obligation d’État décidées par les banques centrales et par le maintien de taux historiquement bas. En outre, la montée de l’aversion des risques a poussé les investisseurs à privilégier les titres publics. Au sein de l’OCDE, les taux d’intérêt à 10 ans sur les emprunts d’État sont passés de 8 à moins de 2 %. Depuis la crise, à l’exception de l’Allemagne, les dettes publiques sont dans les pays de l’OCDE, soit juste stabilisées, soit en hausse.

La progression de l’endettement des Etats au-delà de l’effet crise est liée à celle des dépenses sociales. Du fait du vieillissement de la population, les dépenses publiques sont, de plus en plus, déconnectées de la croissance, des gains de productivité. Le vieillissement accroît les dépenses de retraite, de santé et de dépendance. Il pèse sur les recettes publiques car il s’accompagne d’une contraction ou d’une moindre progression de la population active. Le passif social des États a tendance à augmenter. Il se situe bien souvent à plus de 200 % du PIB, ce qui ne peut que provoquer à terme une augmentation substantielle de l’endettement. Les administrations publiques du fait d’importants recrutements dans les années 80 sont confrontés directement par le vieillissement de la population active. Cette problématique est des points clef de la future réforme des retraites. Dans le cadre du futur régime universel, l’uniformisation des taux de cotisation pourrait aboutir à sortir du champ budgétaire les dépenses de retraite des agents publics.

Si aux Etats-Unis, l’endettement des ménages est en retrait, il en est différemment en Europe. Il est alimenté par l’augmentation des valeurs des différents actifs et en particulier de l’immobilier. Ce mouvement est favorisé par l’accroissement des liquidités qui alimente donc une spirale d’endettement. Au sein de l’OCDE, le prix des maisons a été ainsi multiplié par 2,5 depuis 1995. Le recours à l’emprunt est donc de plus en plus important. Il est encouragé par la faiblesse des taux.

Les entreprises et les investisseurs sont enclins à s’endetter du fait des effets de levier. La forte croissance des indices boursiers qui ont battu record sur record ces quatre dernières années (à l’exception du CAC 40) confortent cette tendance. Les entreprises s’endettent de plus en plus aux Etats-Unis pour racheter les actions afin d’améliorer les revenus immédiats des actionnaires.

Depuis 2012, l’endettement global est en hausse peut être en raison d’une mauvaise appréciation de la croissance. Du fait, par exemple, du plan fiscal mis en œuvre par Donald Trump, la croissance américaine est supérieure à sa croissance potentielle. Les agents économiques peuvent considérer que cette croissance est amenée à perdurer et peuvent donc s’endetter au-delà de raison. La progression de la dette est actuellement donc imputable à la politique expansionniste des banques centrales, au refus de lutter contre la hausse des prix de l’immobilier et peut être à une surévaluation de la croissance.