Le coin de la conjoncture du 23 juin 2019
Croissance française, l’art de la résilience
L’INSEE dans sa note de conjoncture du mois de juin reste relativement optimiste et ne prend pas le parti d’une entrée prochaine en récession. L’institut de conjoncture estime que la croissance française devrait atteindre cette année 1,3 % grâce au rebond de la consommation, cette dernière bénéficiant de l’amélioration sensible du pouvoir d’achat de ménages.
L’économie française garderait un rythme de croissance de l’ordre de +0,3 % par trimestre jusqu’à la fin de l’année. La consommation des ménages augmenterait de 0,4 % par trimestre. Sur l’ensemble de l’année, elle s’accroîtrait de 1,3 % contre +0,9 % en 2018. En revanche, la croissance de l’investissement des entreprises serait en repli avec un gain de 3,3 % pour cette année contre 3,9 % en 2018 et de 5 % en 2017.
Une hausse sensible du pouvoir d’achat
Avec le repli de l’inflation qui a brièvement dépassé les 2 % en 2018, les ménages profitent d’une progression de leur niveau de vie d’autant plus que certains d’entre eux ont bénéficié des mesures annoncées par le Président de la République en décembre dernier.
D’ici la fin de l’année, l’inflation d’ensemble fluctuerait entre +1 % et +1,5 %, malgré les hausses prévues des tarifs réglementés de l’électricité en juin et du tabac en novembre. L’inflation sous-jacente évoluerait un peu en dessous de +1 % durant la même période.
Le dispositif de prime exceptionnelle proposée après la crise des « gilets jaunes » a eu comme conséquence une augmentation de 1 % du salaire moyen dans le secteur marchand. Plus de 2 milliards d’euros ont été versés par les entreprises entre fin décembre et mars. En revanche, au deuxième trimestre, la masse salariale serait en repli du fait d’un retour à la normale. En revanche, l’INSEE s’attend à une augmentation du salaire moyen au cours du second semestre (croissance de 0,5 % par trimestre).
L’INSEE compte toujours sur une décrue du taux d’épargne qui, au premier trimestre 2019, a dépassé 15 % du revenu disponible brut. Cette baisse se reporterait essentiellement sur la consommation. Malgré tout, certaines interrogations se font jour sur le comportement des ménages qui conserveraient une poche plus importante d’épargne de précaution.
Pour l’ensemble de l’année, le salaire moyen, en termes réels, augmenterait de 0,8 % en 2019 après +1,7 % en 2018 comme en 2017. En prenant en compte l’évolution des prestations sociales et des prélèvements obligatoires, en moyenne, le revenu disponible brut des ménages croîtrait de +3,4 % après 2,7 % l’année précédente. Les gains de pouvoir d’achat seraient de +2,3 %, après +1,2 % en 2018.
Une croissance portée par les services
La croissance reposerait avant tout sur le secteur tertiaire. L’industrie et la construction serait plutôt à la traîne.
Les exportations françaises
En moyenne en 2019, les exportations poursuivraient leur ralentissement engagé depuis deux ans (+2,5 % après +3,5 % en 2018 et +4,0 % en 2017). Les importations après avoir connu une pause durant l’hiver dernier en raison de la faiblesse de la consommation enregistreraient une progression assez vive durant le second semestre. Pour l’ensemble de l’année, elles augmenteraient de 2,8 % après +1,2 % en 2018. Dans ces conditions, la contribution du commerce extérieur à la croissance redeviendrait légèrement négative en 2019 (-0,1 point) après avoir été un soutien fort à la croissance en 2018 (+0,7 point).
L’investissement, une moindre contribution à la croissance
Dans un contexte économique plus incertain, les entreprises restreignent un peu leurs dépenses d’investissement. Mais, les faibles taux d’intérêt les incitent malgré tout à poursuivre leurs projets de modernisation. De ce fait, la croissance de l’investissement en services ralentirait en 2019 passant de 5,5 à 4,2 % de 2018 à 2019. Celles en produits manufacturés décélérerait au second semestre après un début d’année dynamique. Il croîtrait de +3,7 % en 2019, après +2,0 % en 2018. En raison des prochaines élections municipales prévues en 2020, l’investissement des administrations publiques serait en hausse avec un gain de 2,9 % après +2,4 % en 2018.
L’investissement des ménages poursuivrait sur l’ensemble de l’année son processus de baisse avec un repli de l’ordre de -0,1 % à -0,3 % par trimestre. La tendance à la baisse des mises en chantier pèse toujours sur l’investissement en bâtiment et n’est pas compensée par l’accroissement modeste de l’activité d’entretien et d’amélioration. Par ailleurs, le volume des transactions de logements anciens demeure élevé mais n’augmente plus, conduisant à une stagnation du niveau d’investissement des ménages en services. En variation annuelle, le ralentissement de l’investissement des ménages en 2019 conduirait à un repli de 0,3 % après +2,0 % en 2018 et +6,6 % en 2017.
La poursuite de la réduction du chômage
Malgré le ralentissement de la croissance, l’économie française continue de crée un nombre important d’emplois. Au premier trimestre 2019, le nombre d’emplois marchands a augmenté de 92 000 avec notamment 8 000 postes supplémentaires en intérim. L’emploi industriel a également renoué avec la croissance et les créations dans la construction sont demeurées dynamiques. D’ici la fin de l’année, les créations d’emploi marchand se poursuivraient au rythme de +40 000 par trimestre, un résultat comparable à celui observé en 2018.
Au total, l’emploi salarié marchand non agricole croîtrait de 213 000 après 167 000 en 2018 et 323 000 en 2017. Après une réduction en 2018, le nombre de bénéficiaires d’emplois aidés serait quasiment stable en 2019. L’emploi non marchand croîtrait donc légèrement, si bien que l’emploi total augmenterait de 241 000 en 2019, après +182 000 l’an passé.
Dans un contexte de ralentissement graduel de la croissance de population active, ces créations d’emploi permettraient la poursuite du recul du taux de chômage, de l’ordre de 0,1 point par trimestre. Il atteindrait ainsi 8,3 % à l’automne prochain, après 8,7 % l’hiver dernier. En effet, le nombre de départs à la retraite est en nette progression. Les générations arrivant à l’âge de liquidation de leurs droits à la retraite sont de plus en plus larges. Sont désormais concernées les générations des années 1955/1957. Le sommet en matière de départ à la retraite sera atteint entre 2025 et 2030 avec les générations des années 60.
Les prévisions de l’INSEE sont conditionnées par la non-détérioration du contexte économique international. Parmi les facteurs d’incertitude figure évidemment la guerre commerciale sino-américaine. Les effets des différentes vagues de mesures protectionnistes prises en 2018 ne sont pas encore toutes matérialisées que de nouveaux relèvements tarifaires ont été annoncés par les États-Unis. Leurs impacts et ceux des représailles pourraient être d’autant plus marqués et longs à se manifester qu’ils s’accompagnent potentiellement de mesures unilatérales allant au-delà du relèvement des barrières douanières. L’Europe pourrait être plus directement touchée si des mesures étaient prises à l’encontre de l’industrie automobile voire contre les produits agricoles. Par ailleurs, les négociations sur le Brexit ne sont toujours pas achevées. Elles reprendront dès l’installation d’un nouveau Premier Ministre britannique. Au niveau de la zone euro, la situation demeure tendue avec l’Italie dont la dette publique a recommencé à progresser. L’INSEE est conscient que le bon déroulement de son scénario suppose que les ménages décident d’arbitrer en faveur de la consommation leurs gains de pouvoir d’achat. En la matière, depuis plus d’un an, faute d’une confiance suffisante dans l’avenir, ce n’est pas le cas.
À la recherche de la bonne théorie économique
Depuis la crise de 2008 et surtout depuis 2012, les banques centrales tentent de relancer l’inflation afin de la place sur l’orbite des 2 % par an. Or, à l’image de ce qui se passe au Japon depuis les années 1990, l’inflation joue à l’Arlésienne. Son retour est souhaité tant pour éroder le stock de dettes que pour mettre de l’huile dans les relations commerciales. La mise en place de politiques monétaires expansionnistes était censée générer une augmentation des prix. Des entreprises avaient même pris des assurances pour limiter le coût d’une éventuelle reprise de l’inflation. Or, ces politiques n’ont pas en la matière obtenu les résultats escomptés. L’inflation sous-jacente reste assez proche de 1 %. Il faut souligner que ce taux n’est pas sans précédent. En effet, au cours du XIXe siècle, ce taux était jugé normal.
L’absence d’efficacité des politiques monétaires expansionnistes a conduit à l’apparition de nouvelles théories hétérodoxes. Jusqu’à maintenant, il était admis qu’un faible taux d’intérêt était une source d’inflation en facilitant l’investissement, en incitant à l’accroissement de la demande. Aujourd’hui, des taux bas conduisent à un raisonnement inverse. Ce sont les taux qui déterminent l’inflation. S’ils sont faibles, les prix n’ont pas vocation à augmenter. Si les investisseurs acceptent un faible rendement à 10 ans, celui-ci n’a pas vocation à être élimé par l’inflation.
En vingt ans, les bases monétaires ont été multipliées par plus de 4 avec un effet négligeable sur les prix. Au regard des sommes injectées, cette augmentation a eu un faible impact sur le montant des crédits et sur les prix des actifs.
L’inflation sous-jacente reste cantonnée depuis 2013 en-deçà des 2 % aux États-Unis comme en zone euro. Les crédits aux ménages et aux entreprises progressent moins vite sur la période 2013/2019 que sur la période 2004/2008. Le rapport est du simple au double. La France figure parmi les pays où la hausse du crédit est la plus forte (+6 % par an) mais avant la crise, la progression atteignait 10 % annuel aux États-Unis et au sein de la zone euro.
Au niveau des actions, le PER (rapport entre la valeur d’une action et le bénéfice net par action) est assez stable depuis 2015 autour de 18 aux États-Unis (indice S&P) et de 15 en Europe (indice Eurostoxx). Le prix des maisons a augmenté de 30 % aux États-Unis de 2011 à 2019 et de 10 % pour la zone euro sur la même période. En la matière, la France fait figure d’exception avec une hausse plus soutenue en liaison avec l’augmentation de la population et la métropolisation du territoire.
Dans ces conditions, les politiques monétaires expansionnistes ont eu un effet faible sur l’équilibre macroéconomique. Face à cet échec, de nouvelles théories économiques et surtout monétaires commencent à poindre.
Le néo-fishérisme
Le fait que la politique monétaire très expansionniste et les taux d’intérêt bas n’aient pas permis le retour de l’inflation a conduit à l’apparition du néo-fishérisme qui transpose sur le long terme l’équation de Fisher.
Taux d’intérêt nominal = Inflation +Taux d’intérêt réel
À long terme, si le taux d’intérêt réel est déterminé par les caractéristiques structurelles de l’économie (productivité marginale du capital, croissance potentielle), l’inflation est déterminée par le taux d’intérêt nominal. Un taux d’intérêt nominal bas conduit donc à long terme à une inflation faible. Auparavant, l’inflation dictait sa loi aux taux d’intérêt, maintenant, c’est l’inverse.
L’inflation structurellement basse s’explique par la disparition de l’enchainement entre les prix et les salaires. L’économie industrielle facilitait l’émergence des revendications salariales, du fait de la concentration sur un même lieu d’un grand nombre d’actifs. L’économie tertiaire et digitale repose sur des petites structures ne facilitant pas l’agglomération des revendications. Le développement du digital réduit les tensions sur les prix. En effet, il permet une meilleure adéquation entre offre et demande en facilitant les mises en relation. Il a contribué à l’arrivée sur les marchés de nouveaux acteurs (locations saisonnières par exemple pour l’hébergement). Internet a permis l’apparition d’un nouveau réseau de distribution rentrant en concurrence avec le commerce de détail et les grandes surfaces. Par ailleurs, les capacités de production des pays émergents pour les produits industriels sont importantes, ce qui pèse sur les prix.
« L’helicopter money »
L’idée est ici que si la politique monétaire expansionniste n’a pas eu d’effet positif important sur la croissance, c’est que la création monétaire n’a pas été suffisamment ciblée au profit des acteurs économiques qui en avaient besoin.
En vertu de la théorie dite de « l’helicopter money », les banques centrales seraient amenées à distribuer de la monnaie aux agents économiques dont le comportement pourrait avoir un impact sur les prix, la croissance ou l’emploi.
La Théorie Monétaire Moderne, Modern Monetary Theory (MMT)
L’idée de départ de cette théorie est que la politique budgétaire est plus efficace que la politique monétaire pour soutenir l’activité. Elle remet au goût du jour les thèses keynésiennes en soulignant qu’il faut financer … ????
Les tenants de la Théorie Monétaire Moderne sont favorables au financement des déficits publics par la création monétaire afin d’éviter toute hausse des taux d’intérêt. À leurs yeux, les États occidentaux ont mis en œuvre des politiques budgétaires trop restrictives ces dernières années, en particulier de 2008 à 2014 aux États-Unis et de 2008 à 2017 dans la zone euro.
Dans les faits, les banques centrales ont plutôt joué un rôle très accommodant depuis la crise. L’ensemble des acteurs ont profité de l’augmentation de la masse monétaire au regard de l’évolution de leur endettement. Les États contrairement à ce qui a pu être ici ou là écrit ont, à l’exception de l’Allemagne, peu réduit leur endettement. Par ailleurs, depuis vingt ans, le poids des prestations sociales est plutôt en progression.