Le Coin de la Conjoncture du 25 août 2018
C’est la rentrée budgétaire
Depuis plus de 30 ans, à chaque rentrée, les gouvernements sont contraints de réaliser des prouesses pour boucler le projet de loi de finances qui est discuté à l’automne par le Parlement. Seule la période 1999/2002 a été plus facile sur le plan budgétaire grâce au cycle de croissance lié à la diffusion d’Internet. Néanmoins, du fait du débat sur la fameuse cagnotte générée par les plus-values fiscales et de la proximité de l’élection présidentielle de 2002, le Gouvernement de Lionel Jospin n’avait pas réussi à équilibrer les comptes publics. Depuis, la France se bat tant bien que mal pour tenter de respecter les critères de Maastricht. Avec un déficit public ramené à 2,6 % en 2017, Emmanuel Macron pouvait espérer disposer d’un peu de marges de manœuvre en matière budgétaire. Mais le ralentissement de la croissance complique la situation.
Une croissance en repli
Au cours du 1er semestre, la croissance française a été l’une des plus faibles de l’Union européenne. Cette léthargie a des conséquences importantes en matière de finances publiques. Ce ralentissement est d’autant plus inquiétant qu’il semble devoir se prolonger dans les prochains mois. Ainsi, les prévisions recueillies par « Consensus Economics » auprès d’une vingtaine d’économistes ont été revues à la baisse. La croissance en France serait d’1,7 % cette année comme en 2019, soit 0,2 point de PIB en moins pour 2018, et -0,1 point pour 2019 par rapport aux anticipations d’il y a trois mois. Bercy espérait 2 % cette année et 1,9 % l’an prochain.
La multiplication des écueils budgétaires
La contraction de la croissance réduit le montant des recettes fiscales et tend à accroître le montant des prestations sociales. Une perte de 0,3 % de croissance peut déboucher, avant régulation budgétaire, sur un accroissement du déficit de 3 à 4 milliards d’euros.
Plusieurs facteurs compliquent le bouclage du projet de loi de finances pour 2019. Le Gouvernement devra, en effet, financer, le second volet de la suppression de la taxe d’habitation. Il faudra également compenser l’intégration du CICE dans la grille des cotisations sociales. Cette intégration s’appliquera à compter du 1er janvier prochain mais, dans le même temps, les pouvoirs publics devront s’acquitter du CICE dû au titre des années précédentes car le paiement peut intervenir avec un décalage d’un à trois ans. Les promesses de remise à niveau du matériel de la Défense ainsi que les mesures qui seront annoncées dans le cadre du « Plan Pauvreté » pourront également grever le budget de l’État.
Au niveau des économies, le Gouvernement continuera sa politique de réduction des emplois aidés et tentera de freiner la croissance de certaines prestations en les revalorisant moins vite que l’inflation. Il est probable que la réduction des postes de fonctionnaires soit plus forte en 2019 qu’en 2018 (-1 600). Durant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’était engagé sur une diminution des effectifs de la fonction publique de 120 000. Le Gouvernement pourrait, par ailleurs, comme les années précédentes, jouer sur les dotations aux collectivités locales pour freiner la hausse des dépenses.
Un dollar, sinon rien !
Le dollar reste contre vent et marée la monnaie étalon, la monnaie des échanges internationaux et la monnaie de réserve de l’économie mondiale. La devise américaine représente 62,5 % des réserves de change des banques centrales, loin devant toutes les autres monnaies. 40 % des échanges internationaux sont réalisés en dollar contre 30 % pour l’euro. Le billet vert demeure surtout la valeur de refuge clef et cela même quand la crise a pour origine les États-Unis.
En 2008-2009, la crise des subprimes qui trouve son origine dans les déséquilibres du marché de l’immobilier et de la titrisation réalisée par les établissements financiers américains a conduit à un retour des investisseurs vers les actifs en dollars en particulier sur les actifs à court terme mais aussi sur les obligations.
À partir de la fin de 2008, ces flux de capitaux vers les États-Unis ont provoqué l’appréciation du dollar quand, dans le même temps, l’euro se déprécie. Les investisseurs avaient préféré, par aversion aux risques, placer leurs capitaux au sein de la première économie mondiale même si son comportement n’était pas exemplaire.
Aujourd’hui, la politique économique américaine apparaît peu orthodoxe. La relance budgétaire décidée par Donald Trump au moment où le pays se trouve en situation de plein emploi pourrait en effet avoir des effets négatifs. Elle doit logiquement provoquer un gonflement du déficit public et un accroissement du déficit commercial. Ces deux déficits devraient occasionner une dépréciation de la monnaie. Par ailleurs, les mesures protectionnistes prises par l’administration américaine pour réduire les déséquilibres commerciaux pénalisent l’activité et génèrent un climat de défiance à l’encontre des États-Unis. Elles devraient également jouer contre le dollar. Dans le passé, que ce soit entre 1985 et 1988, entre 1994 et 19-96 ou entre 2002 et 2008, la dégradation du solde commercial américain s’est toujours accompagnée d’une baisse du dollar.
Pourtant, depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, la monnaie américaine s’apprécie. Ni l’Europe ni le Japon ne disposent d’une capacité d’attraction quand la Chine n’offre pas assez de garanties et une profondeur de marché faible. La forte liquidité des marchés financiers aux États-Unis et le volume important d’actifs exprimés en dollar confient à cette monnaie un rôle hors du commun. Elle n’est pas jugée sous la seule aune de l’état de santé de l’économie américaine. Tant qu’il constitue plus de la moitié des réserves des banques, le dollar restera tout à la fois le principal instrument financier et la valeur refuge du système économique mondial.
L’Europe est-elle sous la menace italienne ?
Le 15 septembre 2018 coïncidera avec le 10e anniversaire de la faillite de Lehman Brothers qui marqua le véritable point de départ de la crise de 2008. Instituée il y a huit ans, la tutelle financière de la Grèce a pris fin le 20 août dernier. Lehman Brothers pour la Grande Récession et la Grèce pour la crise des dettes souveraines sont les deux évènements économiques majeurs qui ont illustré la décennie passée.
Confrontée à ces deux crises, L’Europe a été particulièrement touchée. La question des migrants a également contribué à fragiliser l’Union européenne. Pour la première fois depuis les premiers pas de la construction européenne en 1951, l’Union européenne doit faire face au départ d’un de ses membres importants, le Royaume-Uni.
Depuis huit ans, les institutions européennes ont tout à la fois mené des actions de sauvetage en faveur de la Grèce, de l’Espagne, de l’Irlande, du Portugal ou de Chypre et des actions de prévention en instituant un contrôle approfondi des banques. Par ailleurs, la Banque centrale européenne a instauré une politique monétaire non conventionnelle afin d’empêcher la désinflation et afin d’aider les États endettés de l’Union.
Les derniers évènements en Italie semblent prouver que la réédition d’une crise des dettes publiques n’est pas complètement impossible d’autant plus que les phénomènes de contagion existent. En effet, la hausse des taux d’intérêt intervenue en Italie durant l’été s’est transmise propagée à l’Espagne et au Portugal.
L’inquiétude des marchés financiers vis-à-vis des politiques économiques qui pourraient être menées par la coalition M5S et la Ligue Italie a conduit à une forte hausse des taux d’intérêt sur la dette publique. Le taux italien à 10 ans évolue autour de 3,10 % actuellement, contre 1,9 % fin avril. Les fuites de capitaux tendent à s’amplifier ces dernières semaines. Le sentiment anti-européen est élevé au sein de la coalition. Au moment de la catastrophe du Pont de Gênes, plusieurs responsables du Gouvernement ont accusé la Commission de Bruxelles d’être responsable en ayant imposé à l’Italie une politique budgétaire restrictive. Ce sentiment anti-européen se nourrit des difficultés économiques que ce pays accumule depuis une dizaine d’années. Ce pays dont la croissance a été la plus faible depuis l’instauration de l’euro ; même la Grèce obtient un meilleur résultat en la matière. Le PIB italien a perdu près de 9 % entre 2007 et 2014, subissant quatre années de récession au cours de la période (2008-2009 puis 2012-2013). L’Italie a renoué avec la croissance à partir de 2014 (+0,1 % en 2014, +1,0 % en 2015, +0,9 % en 2016) et bénéficie de la conjoncture favorable que connaît la zone euro. La croissance pour 2017 s’est établie à +1,5 %.
Toutefois, le PIB réel reste encore inférieur de 5,5 % de son niveau de 2007, l’Italie marquant ainsi un décrochage relatif par rapport à ses grands partenaires européens et à la moyenne de la zone euro (+6 % au-dessus du niveau de 2007). Fin 2017, la production industrielle était encore inférieure de 20 % à son niveau d’avant-crise, contre 8,5 % pour la France et 6 % pour l’Allemagne.
L’économie italienne a enregistré un rebond économique en 2017, mais la croissance italienne demeure sensiblement moindre que celle de la zone euro (+1,5 % contre +2,3 %). En dépit des nombreuses réformes structurelles lancées depuis la crise de 2012, la croissance est limitée par la stagnation de sa productivité tenant à diverses faiblesses structurelles. Le poids de l’endettement public (131 % du PIB) pèse par ailleurs les marges de la politique budgétaire et le secteur bancaire doit poursuivre sa restructuration et son assainissement.
Avec la Grèce, l’Espagne, le Portugal, la Croatie et la France, l’Italie est l’un des pays à fort taux de chômage au sein de l’Union européenne. Il s’élevait à 10,9 % au mois de juin 2018. Il avait atteint un sommet fin 2014 (13,0 %).
Les faibles gains de productivité du travail s’expliquent par la structure du tissu d’entreprises (TPE et PME à capital et gouvernance familiales), l’adéquation imparfaite de la formation de la population active aux besoins de l’économie, la mauvaise allocation de la main-d’œuvre et la faiblesse des investissements privés et publics (notamment en R&D et technologies innovantes). L’instabilité politique, les mécanismes de décision publique complexes, le poids de l’économie souterraine et les fortes disparités socio-économiques territoriales entre le Nord et le Sud jouent en défaveur de la productivité.
Pour y remédier, les gouvernements successifs ont engagé différentes réformes structurelles, depuis 2012, par exemple dans les domaines de la concurrence sectorielle, de la numérisation de l’économie et des entreprises, du marché du travail (Jobs Act), des banques, de l’administration publique, de l’organisation fiscale et de la lutte contre la fraude, de l’éducation. Leurs effets restent néanmoins encore peu perceptibles dans les résultats macroéconomiques et devraient se faire sentir à plus long terme.
Les finances publiques italiennes se caractérisées par un niveau d’endettement élevé (131,8 % du PIB fin 2017). La charge de la dette représente 3,5 % du PIB, contre 2 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. La Commission européenne a imposé une trajectoire d’ajustement structurel exigeante laissant peu de marges à la politique budgétaire du Gouvernement (solde primaire positif). Après -2,3 % en 2017, le déficit public nominal est prévu à -1,7% du PIB en 2018. Le nouveau Gouvernement entend desserrer l’étreinte budgétaire et reporter le retour à l’équilibre structurel des finances publiques après 2020. Malgré tout, le ratio dette/PIB devrait toutefois décliner à partir de 2018 (prévisions à 130,7 % en 2018 puis 129,7 % en 2019). Mais cet engagement semble poser un problème au sein de la nouvelle majorité. Les tenants d’une relance budgétaire souhaitent une mise entre parenthèse du plan européen de réduction de la dette. Les pouvoirs publics italiens récusent l’idée d’un nouveau plan de rigueur qui devrait porter sur 10 milliards d’euros. Si la coalition M5S-Lega en Italie mettait en place son programme de baisse des impôts et de hausse des dépenses qui accroîtrait de 5 points de PIB au moins le déficit public de l’Italie. Une telle hausse pourrait provoquer une crise de liquidité avec transmission sur d’autres pays européens.
L’autre problème de l’Italie provient du poids des créances douteuses portées par son secteur bancaire. Du fait de nombreuses faillites d’entreprises et de la détérioration des marges des entreprises durant la longue période de crise, le bilan des banques comporte de nombreuses créances peu ou difficilement recouvrables. Plusieurs réformes ont été adoptées afin d’éviter une crise financière (réforme des banques de crédit coopératif, mise en place d’une garantie publique sur les créances douteuses titrisées, réformes du droit des faillites et des voies d’exécution pour accélérer les recouvrements de créances). Après les problèmes rencontrés par la banque Monte dei Paschi di Siena (MPS – 4ème banque italienne), le Gouvernement a adopté le 23 décembre 2016, un cadre juridique permettant l’intervention financière de l’État au profit du secteur bancaire, avec la création d’un fonds doté de 20 milliards d’euros destiné à la recapitalisation de de certains établissements. Un mécanisme de garantie d’État sur les émissions de dette bancaire a été également institué. Selon la Banque d’Italie, le stock brut de créances douteuses des banques italiennes s’élevait à 285 milliards d’euros fin décembre 2017 (soit un ratio de 14,5 % de l’encours de crédit) contre 360 milliards d’euros fin 2015.
Le risque majeur en Italien est donc lié à la dette, surtout au moment où la Banque centrale européenne cesse ses achats d’actifs. Une crise de liquidité est toujours possible car elle est auto-réalisatrice : si certains prêteurs arrêtent de prêter, les autres ont peur de ne pas être remboursés et arrêtent aussi de prêter. Pour éviter une crise de liquidité et la contagion d’une crise d’un pays aux autres pays, il faut qu’il existe une capacité de prêt aux États. Cela justifie la création d’un FMI de la zone euro avec une capacité de prêt suffisante. L’Allemagne serait sur le point d’accepter de transformer le Mécanisme Européen de Stabilité Financière (institué après la crise grecque) en FMI de la zone euro. Par ailleurs, un fonds de soutien conjoncturel pour éviter une récession trop forte dans le pays concerné par une crise de liquidité sera nécessaire. Si l’économie s’enfonçait dans une crise sévère, l’ensemble des pays membres seraient touchés. L’intérêt collectif nécessite que des actions de solidarité soient mises en œuvre en cas de difficultés passagères d’un État membre.
Donald Trump aurait fait une proposition étonnante pour venir en aide à l’Italie à moins que ce soit pour fragiliser un peu plus la zone euro. Il aurait avancé l’idée d’un rachat de la dette italienne par les États-Unis. Selon le Corriere della Serra, les achats américains débuteraient l’année prochaine et prendraient en quelque sorte le relais de la BCE. Donald Trump entend ainsi soutenir un gouvernement italien qui promeut des idées antieuropéennes et anti-immigration. L’État fédéral américain n’a pas les moyens pour intervenir en direct. Il pourrait simplement inciter les investisseurs à acheter des obligations transalpines. Mais il est fort peu probable que ces derniers achètent des quantités importantes au vu du risque encouru.