Le Coin de la conjoncture du 4 juin 2016
De la morne croissance à la stagnation séculaire, il n’y a qu’un pas
Selon les « Perspectives » de l’OCDE, la hausse du PIB mondial devrait être modeste et s’établir à 3 % en 2016, sensiblement au même niveau qu’en 2015. Plusieurs facteurs contribuent à freiner la croissance : la faible progression des échanges, l’évolution en demi-teinte des salaires, le ralentissement de l’activité sur les grands marchés émergents, le maintien de forts taux de chômage dans plusieurs grands pays, la récession au Brésil et en Russie, les difficultés de plusieurs pays producteurs d’énergie. L’OCDE considère dans ses conditions que le PIB mondial ne devrait croître que de manière mesurée en 2017 pour atteindre 3,3 %.
Pays avancés à la diète
Pour les économies avancées, l’OCDE prévoit la poursuite d’une reprise modérée. Aux États-Unis, la croissance devrait ressortir à 1,8 % en 2016 et à 2,2 % en 2017. La zone euro devrait connaître une lente amélioration avec une croissance de 1,6 % en 2016 et de 1,7 % en 2017. Au Japon, la croissance s’établirait à 0,7 % en 2016 et 0,4 % en 2017. Pour la zone OCDE qui compte 34 pays, il est prévu une hausse de l’activité de 1,8 % en 2016 et de 2,1 % en 2017. Compte tenu du retard accumulé ces dernières années, ce résultat apparaît médiocre, un rattrapage était attendu. Le sous-investissement de ces dernières années et plusieurs facteurs structurels comme le vieillissement de la population et l’endettement semblent peser plus que prévu sur l’activité.
Des pays émergents en phase de transition
L’OCDE considère que le ralentissement en Chine devrait se poursuivre également malgré l’adoption de plusieurs mesures de relance par la demande. La croissance, devrait continuer de s’éroder pour passer à 6,5 % en 2016 et à 6,2 % en 2017. L’Inde devrait, de ce fait, devenir le champion incontesté de la croissance parmi les grands pays. Son positionnement sur les services informatiques, le développement de son marché intérieur et la croissance de sa population constituent des atouts même si les réformes structurelles promises par le Premier Ministre tardent à venir. La croissance devrait s’établir aux alentours de 7,5 % cette année comme l’année prochaine. Contrairement à certains autres organismes dont le FMI, l’OCDE reste très réservée sur la sortie de la récession de la Russie et du Brésil. L’activité devrait ainsi se contracter de 4,3 % en 2016 et de 1,7 % en 2017 au Brésil.
Des signes jugés inquiétants
L’OCDE s’inquiète tout particulièrement du ralentissement de la croissance des échanges mondiaux. Il y a, en la matière, un changement de modèle de développement, la rupture étant intervenue avec la crise de 2008/2009.
La montée des endettements notamment au sein des pays émergents est une autre source d’inquiétude. Il en résulte une vulnérabilité croissante des pays émergents face aux variations de change et de taux d’intérêt. Les pays émergents sont fortement engagés en monnaie extérieur les exposant à des problèmes de paiement en cas de dépréciation de leur monnaie.
La menace du BREXIT pris très au sérieux par l’OCDE
La sortie de l’Union européenne du Royaume-Uni serait non seulement pénalisante économiquement pour ce dernier et pour les autres États membres mais aussi pour l’ensemble de l’économie mondiale.
Un « Brexit » provoquerait en effet des incertitudes économiques et freinerait la croissance des échanges. Les conséquences au niveau mondial seraient encore plus prononcées si le retrait du Royaume-Uni de l’UE devait déclencher un épisode de volatilité sur les marchés de capitaux. D’ici à 2030, en cas de Brexit, le PIB du Royaume-Uni pourrait être amputé de plus de 5 %.
La menace de la stagnation séculaire
L’OCDE considère qu’il y a un risque non négligeable de stagnation longue si ce n’est séculaire si les pouvoirs publics n’y prennent pas garde
« Si nous n’agissons pas pour stimuler la productivité et la croissance potentielle, ce sont toutes les générations, jeunes et plus âgées, qui en pâtiront » a déclaré la Chef économiste de l’OCDE, Catherine L. Mann. « Plus longtemps l’économie restera engluée dans ce piège de la croissance molle, plus il sera difficile aux pouvoirs publics d’honorer les promesses les plus fondamentales. Les conséquences de l’inaction se traduiront en termes de médiocrité des perspectives de carrière offertes à la jeunesse, qui n’a déjà que trop souffert de la crise, et de baisse des revenus des futurs retraités ».
L’OCDE se prononce pour la relance budgétaire et les réformes structurelles
L’OCDE propose une série d’actions à mener par les pouvoirs publics, qui devraient notamment faire un usage plus large de la politique budgétaire. Pour sortir du piège de la croissance molle, elle préconise également l’engagement de larges réformes de structures. Elle rappelle que la politique monétaire ne peut pas seule donner des résultats satisfaisants en matière de croissance et d’inflation. Un surcroît d’assouplissement monétaire pourrait ainsi se révéler moins efficace aujourd’hui que dans le passé, voire contreproductif dans certains cas.
L’OCDE souhaiterait que les pays disposant de marges de manœuvre relancent les investissements publics qui pourraient être financés par l’emprunt compte tenu des faibles taux d’intérêt à long terme. Selon l’OCDE, presque tous les pays ont la possibilité de réaffecter les dépenses publiques au profit de projets plus favorables à la croissance. Au niveau des réformes structurelles, l’OCDE demande une augmentation de la concurrence dans les services, des réformes sur les marchés de l’emploi et une recherche plus forte de gains de productivité.
Du déficit de la balance commerciale au chômage des jeunes, tout se tient
En France, depuis un an, plusieurs indicateurs témoignent d’une amélioration de la situation économique. Le taux de marge des entreprises est en léger progrès, l’investissement, en particulier en Nouvelles Technologies progresse….
Néanmoins, un point attire l’attention et est porteur de risques pour l’économie française. Malgré des circonstances favorables, la France n’arrive pas à réduire son déficit commercial industriel, déficit qui se double d’une dégradation tendancielle de la balance pour les services.
La dégradation continue de la balance courante de la France pourrait conduire, à moyen terme, à un risque de crise de balance des paiements, si les prêteurs étrangers finissent par refuser de prêter davantage avec l’augmentation de la dette extérieure comme en 2008-2009 pour les pays périphériques de la zone euro. Certes, en termes bilanciel, la France dispose d’un volant de sécurité mais il n’est pas éternel. En outre, en cas de crise économique, d’augmentation rapide du pétrole, des doutes pourraient naître concernant la solvabilité de la France d’autant plus que le secteur productif doit faire face à des problèmes structurels qui exigeront du temps pour se résorber.
Le sous-investissement chronique de ces dernières années se fait sentir empêchant l’appareil productif de répondre aux sollicitations de la demande. Avec la déflation salariale mise en œuvre par certains pays dont l’Espagne, la concurrence internationale a tendance à augmenter. Les entreprises françaises qui sont trop souvent positionnées sur les créneaux de gamme moyenne n’ont, bien souvent, comme seule solution pour conserver leurs parts de marché celle de baisser leur prix ce qui réduit leurs marges et leurs capacités d’investissement.
La France a une production industrielle plus étroite et moins sophistiquée que celle de l’Allemagne ou des autres pays industriels d’Europe. Ainsi, la France ne comptait, en 2015, que 1,20 robot industriels pour 1 000 emplois dans le secteur manufacturier contre 3,17 au Japon ; 2,80 en Allemagne, 2,40 aux États-Unis ou 1,69 en Italie. Même l’Espagne fait mieux avec un ratio à 1,32. La Chine a réussi à dépasser la France en 2015 avec un ratio de 1,42. En revanche, le Royaume-Uni qui se caractérise comme la France par un important déficit commercial a un ratio inférieur à 0,95. Depuis une dizaine d’années, nos partenaires ont accru fortement leur parc de robots quand la croissance française en la matière est faible.
La France compte deux fois moins d’emplois qualifiés que l’Allemagne. Cette situation s’explique par la taille plus faible de notre secteur industrielle mais aussi pas un niveau de gamme inférieur.
Par ailleurs, la France souffre d’un niveau de qualification qui a tendance à se dégrader à en croire les études de l’OCDE. Ainsi, selon le classement PIAAC, la France se situe au 22ème rang loin derrière le Japon, la Finlande et les Pays-Bas.
La France se caractérise par un SMIC élevé qui sert d’étalon aux autres salaires et par un système d’exonération de charges sociales générant d’importants effets de seuil. Une chape et un couvercle enferment une part croissante des salariés français. Cela dissuade les entreprises à accroître le niveau de qualification de leurs salariés et d’investir.
Les jeunes sont les principales victimes de ce positionnement contraint de l’économie française. En effet, il est demandé aux actifs d’être plus productif, le plus rapidement possible afin que les entreprises puissent amortir les coûts salariaux.
Le taux de chômage, en 2015, des 15-24 ans sans qualification est de 39 % quand il est de 23,7% pour les diplômés de l’enseignement secondaire et de 15,9 % pour les diplômés de l’enseignement supérieur. Pour les 25-29 ans, le taux de chômage de ceux n’ayant pas de qualification est de 30 % quand il est de 15 % pour les diplômés de l’enseignement secondaire et de 9,5 % pour les diplômés de l’enseignement supérieur.
Il convient néanmoins de relativiser ces données. En effet, si le taux de chômage des non-qualifiés est en France élevé, il est comparable à celui des autres pays de l’Union européenne. En revanche, le taux de chômage des diplômés y est supérieur. A ce titre, ce sont avant tout les jeunes diplômés qui quittent la France à la recherche d’un emploi et de conditions de vie meilleures.
Migrants ou pas migrants, l’Allemagne épargne toujours trop
L’arrivée d’un million de migrants n’a pas changé la donne au niveau des excédents commerciaux allemands ; excédents qui nourrissent une épargne déjà importante des ménages et des entreprises. L’excédent des comptes courants a ainsi atteint, en 2015, 8,6 % du PIB ce qui constitue un nouveau sommet historique.
Les ménages allemands privilégient toujours l’épargne. Cette situation serait imputable au vieillissement de la population. Par ailleurs, les entreprises hésitent toujours à reprendre le chemin de l’investissement. Le paradoxe est que les entreprises par leur comportement réduisent le niveau de la croissance potentielle et qu’elles portent atteinte à leur future compétitivité.
L’excédent excessif des comptes courants et le niveau élevé de l’épargne des ménages allemands sont des facteurs à l’origine de l’atonie de la croissance européenne. Les entreprises et les ménages allemands recyclent une partie des ressources collectées au niveau européen en acquérant des titres sans risque, c’est-à-dire des obligations d’État que la Banque centrale finit elle-même par racheter dans le cadre du Quantitative Easing.
Le taux d’épargne financière des ménages allemands est passé de 9,5 à 9,7 % de 2014 à 2015 contre une moyenne au sein de l’Union européenne de 4 %
Près de 40 % des actifs des ménages allemands sont investis dans la monnaie fiduciaire et les dépôts, soit la plus forte proportion constatée au sein de l’Union. 40 % des actifs financiers des ménages sont placés dans des régimes à prestations garanties. La baisse des taux ne peut pas être intégralement répercutée ce qui met en situation compliquée les compagnies d’assurance. Le taux minimum de rendement garanti des contrats d’assurance vie est actuellement fixé à 1,25 % quand le rendement du Bund 10 ans était de moins de 0,2 % au mois de mai. Le Ministère de l’Economie devrait être prochainement amené à baisser ce taux. Les épargnants allemands sont, de ce fait, de plus en plus opposés à la politique de la BCE. Ils ont néanmoins amorcé une réallocation de leurs actifs en achetant davantage d’actions. La part de ces dernières dans le portefeuille financier des ménages est passé de à 19,6 % en 2015 soit près d’un point de plus qu’en 2014.
L’Allemagne, à travers sa spécialisation industrielle, assèche le reste de l’Europe. La divergence économique au sein de la zone euro peut devenir problématique. Elle oblige la BCE à maintenir des taux bas et à être le prêteur en dernier ressort voire en premier ressort. Du fait de l’inexistence de mécanismes de transferts financiers au sein de la zone euro, les déséquilibres s’accentuent et risquent un jour ou l’autre de buter sur le niveau des endettements des États membres et sur leur capacité à solder leur balance des paiements courants. À défaut de pouvoir dévaluer, seule l’attrition comme elle est pratiquée en Grèce permet de sortir, à quel prix, d’un déséquilibre commercial.
Dans ces conditions, les autorités allemandes devraient mettre en place un plan de relance de l’investissement public et privé tout en participant à des actions d’aide spécifiques aux pays en difficulté au sein de l’Union…