Le Coin de la Conjoncture du 4 mars 2017
Nous n’en avons pas fini avec l’industrie !
L’emploi industrie, en France, est passé de 5 à 3 millions de 1980 à 2015. Cette baisse ne concerne pas que notre seul pays. De 1973 à 2015, l’industrie française est passée de 28 à moins de 12 % de l’ensemble des emplois. En Allemagne, l’emploi industriel a reculé sur la même période de 15 points comme aux Etats-Unis. Au Japon, la chute atteint même 16 points. L’emploi a atteint son maximum au Royaume-Uni dans les années 50, aux Etats-Unis dans les années 60 et en France dans les années 70.
La première raison du déclin de l’emploi industriel s’explique par l’externalisation de nombreuses activités de la part des firmes industrielles (nettoyage, restauration, rémunération, etc.). Il faut y ajouter l’intérim comptabilisé comme une activité tertiaire. L’autre grande explication de la baisse de l’emploi industriel provient des gains de productivité. De 1995 à 2015, malgré la crise de 2008, la production industrielle française a doublé quand, sur cette même période, le nombre d’heures de travail dans ce secteur a été divisé par deux. Le produit par heure a donc été multiplié par 4. La France, en termes de gains de productivité fait un peu mieux que l’Allemagne mais moins bien que les Etats-Unis, la Corée du Sud ou Taïwan.
Les effets du développement de la production industrielle chinoise sur celle de la France sont difficiles à apprécier. Plusieurs études soulignent que si l’impact était modéré sur un plan macroéconomique, en revanche, sur des bassins d’emploi ou pour certains types de production, celui-ci serait élevé. Le ressenti de l’opinion serait d’autant plus fort que la mobilité professionnelle et géographique s’est ralentie. Le développement de l’automatisation supprime des nombreux emplois qualifiés rendant d’autant plus difficile le réemploi d’anciens salariés de l’industrie.
La valeur ajoutée de l’industrie a diminué en France. Elle représente 12 % du PIB en 2014 contre 25 % dans les années 60. Cette analyse doit cependant être relativisée par le fait que le prix des produits industriels a une tendance structurelle à baisser quand celui des services progresse de manière continue.
Des entreprises n’appartenant pas au secteur secondaire recourent à des techniques qualifiables d’industrielles. Cela concerne notamment les entreprises de réseaux (eau, énergie, déchets, télécommunications, etc.) ont enregistré une forte croissance. Leur valeur ajoutée représente 30 % du PIB.
La distinction industrie / services est de plus en plus artificielle.
L’industrie, c’est de plus en plus de services tant au niveau de la production qu’au niveau de la distribution. Le Techno-centre de Guyancourt rassemblant plus de 10 000 ingénieurs, techniciens et employés est la plus usine du Groupe Renault tout en ne produisant pas de voitures. L’usine de Douai qui assemble des « Espace » et des « Scenic » emploie moins de 5000 personnes.
Des secteurs de purs services sont de plus en plus industrialisés en ayant développé des chaines de traitement exigeant d’importants investissements. Ne parlons-nous pas d’industrie de l’assurance ou d’industrie bancaire ?
Apple, Amazon ou Google sont-elles des sociétés industrielles ou des sociétés de services ? Amazon loue de l’espace de stockage sur ses serveurs quand Apple propose des moyens de paiements. 83 % des entreprises industrielles françaises vendent du service et 26 % ne vendent désormais que du service. Michelin vend des pneus au kilomètre, General Electric vend de l’heure de réacteur d’avion.
Nous sommes passés du temps de la production en vue de l’acquisition à la production en vue d’un usage.
La France a-t-elle un problème avec son industrie ?
La France se caractérise par un capitalisme de grandes firmes extraverties, c’est-à-dire ayant une tendance à produire en-dehors du territoire national. Notre pays compte plus de grandes firmes multinationales que l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Ces firmes ont privilégié un développement hors sol à l’américaine en produisant à l’extérieur de la France tant pour des raisons de coût que pour conquérir des parts de marchés. Les pouvoirs publics ont accentué cette tendance naturelle en privilégiant la constitution de grandes champions nationaux qui en réduisant la concurrence ont contribué à l’assèchement du tissu industriel. La disparition des bourses et des banques régionales ont également freiné la croissance d’un capitalisme régionalisé tel qu’il existe en Allemagne avec l’existence de banques des Länder. La fiscalité, les droits de mutation et l’ISF, ont également joué en défaveur du développement des Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI).
L’industrie française n’a pas retrouvé son niveau d’avant crise et continue à enregistrer un important déficit commercial quand elle dégageait un excédent de 25 milliards en 2000. Plusieurs raisons expliquent cette situation :
- Le positionnement sur des gammes intermédiaires ;
- La dépendance des PME à quelques grands donneurs d’ordre ;
- La faiblesse des marges et de l’investissement.
Pour autant, dans bien des domaines, l’industrie française continue à occuper les premiers rangs. Elle est reconnue même sur des secteurs très concurrentiels comme l’électroménager avec SEB. L’industrie automobile a réussi à s’adapter à l’évolution du marché avec ses deux grands groupes, Renault et PSA, mais aussi grâce au savoir-faire des sous-traitants qui sont, dans les faits, de plus en plus associés à la conception des nouveaux véhicules. A l’exemple de Valéo et Araymond (leader mondial en expertise d’assemblage par clippage et collage et connectique des fluides). La pharmacie, l’aéronautique, l’aérospatiale sont autant de secteurs où les entreprises françaises comptent des entreprises de taille mondiale. Il faut également citer Air Liquide ou Essilor sur des créneaux à forte valeur ajoutée.
Malgré ces entreprises bénéficiant d’une renommée internationale, l’industrie française souffre d’un déficit d’image. Selon une enquête de l’Observatoire des usines du futur, seulement 36 % des Français jugent l’industrie attractive contre 67 % des Américains et 82 % des Chinois. Pourtant le salaire moyen dans l’industrie française est de 14 % supérieur à la moyenne nationale.
Dans les prochaines années, la capacité de rebond de l’industrie européenne et donc française repose sur la capacité à maintenir un important effort de recherche. Aujourd’hui plus du tiers de la recherche et développement (37 %) est d’origine asiatique. Les Etats-Unis pèsent en la matière 29 % et l’Europe 22 %. Les Etats-Unis restent incontournables tant en ce qui concerne les publications d’articles scientifiques que pour les royalties issues des innovations ; plus de 130 milliards de dollars contre 55 milliards de dollars pour l’Europe.
Pour la recherche développement, le poids relatif des pays avancés recule progressivement. Néanmoins, ils conservent une forte avance au niveau de la recherche fondamentale. C’est un atout majeur indispensable à préserver afin d’attirer les chercheurs des autres pays.
Le bio est en pleine forme
L’agriculture française est confrontée comme le reste de l’économie à un problème de positionnement. Depuis des années, elle éprouve des difficultés à s’adapter à la nouvelle donne de la politique agricole commune. Celle-ci a longtemps reposé sur des subventions directes à la production à travers des tarifs garantis. Responsable de favoriser l’émergence de stocks (beurre et lait notamment), d’encourager le développement d’une agriculture intensive et de favoriser les grandes exploitations, les Etats membres ont réorienté les aides au profit des exploitations. Ce changement a été favorable à l’agriculture allemande et à celle des pays d’Europe de l’Est. L’agriculture française qui avait mis en place un système très productif avec des coûts de production élevés s’est retrouvée en difficulté d’autant plus que notre voisin allemand a fait le pari de la mécanisation et de l’emploi de travailleurs détachés en provenance de l’Est. La montée en gamme en jouant sur la qualité est considérée comme une solution pour l’agriculture française ce qui suppose des changements importants de méthodes de travail. La digitalisation de la production avec le recours à des sondes connectées offre de nouvelles possibilités pour produire tout autant et mieux en limitant les intrants et les gaspillages de ressources naturelles comme l’eau. La filière du bio, longtemps marginal, constitue aujourd’hui un potentiel de développement pour de nombreux agriculteurs.
L’agriculture biologique est un mode de production reposant sur des pratiques culturales et d’élevage soucieuses du respect des équilibres naturels. Elle exclut l’usage des produits chimiques de synthèse, des OGM et limite l’emploi d’intrants.
Les principes de l’agriculture biologique ont été introduits en France après la Seconde Guerre mondiale. Sa première officialisation remonte à la loi d’orientation agricole (LOA) de 1980 et le terme « agriculture biologique » apparaît en 1991 dans un règlement européen qui reconnaît officiellement ce mode de production (règlement CEE 2092/91 du 24 juin 1991).
Les agriculteurs optant pour le bio doivent obtenir une labellisation et sont soumis régulièrement à des contrôles.
La demande des consommateurs pour des produits agricoles de qualité est réelle
En France, une rupture est intervenue au niveau de l’alimentation. Si les dépenses alimentaires étaient passées, au sein du budget des ménages, de 35 % à un peu moins de 20 % en 50 ans, elles sont, depuis 2008, en légère hausse. Cette évolution est imputable à un changement de comportement des consommateurs qui privilégient des produits plus chers et notamment les produits bios. Le marché du bio qui représente 7 milliards d’euros a supplanté celui du « light » qui au mieux représente un chiffre d’affaire de 3 milliards d’euros.
Selon le dernier baromètre Agence Bio/CSA, 89 % des Français ont déclaré avoir consommé des produits bio en 2016. Pour 69 % des Français, cette consommation est devenue régulière ; ce taux est en hausse de 5 points par rapport à 2015. Plus de 80 % des sondés souhaitent que ce marché continue de se développer.
50 % des consommateurs de produits bio ont modifié leurs comportements alimentaires : 65 % privilégient les produits de saison, 61 % les produits frais et 58 % luttent contre le gaspillage. Pour acheter les produits bios, les Français privilégient la grande distribution qui représente 44 % du marché contre 35 % pour les magasins spécialisés. Le reste est assuré par les producteurs et les autres formes de commerce (marchés, Internet).
Virage tardif de l’agriculture française
Malgré le développement des surfaces destinées au bio, la France est déficitaire pour ce type de produits (24 % de la consommation de produits bio sont importés). Au 30 juin 2016, l’agriculture biologique en France comptait néanmoins 31 880 producteurs (+10 % sur 6 mois) et 14 300 opérateurs de l’aval (+ 6 % sur 6 mois). A la fin de l’année 2016, la Surface Agricole Utile (SAU) exploitée en bio est estimée à plus de 1,5 million d’hectares, ce qui représente un accroissement de plus de 20% des surfaces conduites selon le mode biologique par rapport à 2015. La part de la SAU française en bio atteindrait ainsi 5,8 % de la SAU totale.
Pour les productions végétales, la part des surfaces conduites en bio représente 4,9 % de la surface totale mais varie grandement selon les productions. Ce taux est en effet proche de 28 % pour les légumes secs, dépasse 16 % en arboriculture, 15 % pour les plantes à parfums, aromatiques et médicinales, et représente 8,7 % du vignoble national. Si les ratios sont plus faibles, les progressions sont importantes en ce qui concerne les surfaces engagées en grandes cultures (+31 % en 2015 par rapport à 2014) et les surfaces en herbe (+30 %).
Pour la production animale, les filières les plus dynamiques en ce qui concerne le bio sont l’élevage bovin allaitant (progression des cheptels de +23 % par rapport à 2014) et l’élevage ovin (+13 %). Les productions pour lesquelles la bio est la plus présente sont l’apiculture, avec près de 14 % du rucher français conduit en bio, et la production d’œufs, avec près de 8 % des poules pondeuses conduites en bio.
En 2015, les surfaces conduites en bio progressent dans toutes les régions mais sont inégalement réparties sur le territoire français. Plus de la moitié des producteurs et des surfaces engagées en bio se trouvent dans trois grandes régions : les régions Occitanie (6 495 producteurs, 329 659 ha), Auvergne-Rhône-Alpes (4 219 producteurs, 177 034 ha) et Nouvelle-Aquitaine (4 213 producteurs, 166 960 ha). La région Occitanie cultive près d’un hectare sur quatre engagé en bio en France et affiche un fort dynamisme. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur possède la part de bio dans la SAU des exploitations la plus forte (plus de 18 %).
Le bio est une réponse à l’indispensable montée en gamme de l’agriculture française qui a, de longue date, privilégié l’intensif. Le bio pourrait à terme contribuer à augmenter le solde agro-alimentaire français qui est en forte baisse.