Le Coin de la Conjoncture du 6 février 2016
La baisse de l’euro est-elle une illusion ?
Le Quantitative Easing a pour objectif de ramener l’inflation autour de la cible des 2 %. Mais, au-delà de cette ambition, la Banque centrale, sans le crier sur les toits, entend favoriser la reprise de l’économie de la zone euro en jouant notamment sur le taux de change. De la mi-2014 à début 2016, l’euro a ainsi perdu 20 % de sa valeur par rapport au dollar.
Cette dépréciation est intervenue au moment de la chute des cours de l’énergie et des matières. Cette dernière a compensée en grande partie les effets pervers de toute dévaluation monétaire qui se traduit par une augmentation des prix des produits importés. Elle a contribué, en revanche, à rendre plus complexe le retour d’un minimum d’inflation.
Grâce à une compétitivité prix améliorée, les biens et services des Etats membres de la zone euro auraient dû s’exporter davantage. L’effet n’a pas été nul mais il a été décevant. Les gains de parts de marché ont été limités et les importations ont continué de progresser.
Plusieurs facteurs expliquent cette relative déception.
Premièrement, une grande partie du commerce des Etats membres s’effectue au sein de la zone euro et n’est donc pas concernée par la baisse de la monnaie. Cela représente plus de 60 % des échanges extérieurs d’un grand nombre de pays.
Deuxièmement, le ralentissement des pays émergents et des pays producteurs d’énergie et de matières premières pèse sur les exportations européennes.
Troisièmement et ce n’est pas sans lien avec le point précédent, le taux de change de l’euro ne s’est pas dans les faits réellement déprécié. En effet, face au ralentissement du commerce international, de nombreux pays ont joué comme la zone euro avec le taux de change de leur monnaie. L’euro s’est ainsi apprécié par rapport au yen, au RMB chinois et vis-à-vis de plusieurs monnaies de pays émergent. Le taux de change effectif de l’euro ne s’est déprécié que de 8 % depuis 2014 ce qui est beaucoup moins que ce qui est fréquemment mis en avant.
Les entreprises exportatrices ont, par ailleurs, profité de la dépréciation de l’euro pour reconstituer leurs marges conduisant à limiter l’effet sur le volume d’exportation et de production.
La Banque centrale européenne peut être poursuivre son action de dépréciation de la valeur de la monnaie. Les marges manœuvre apparaissent faibles. Les Etats-Unis commencent à ne pas trouver la plaisanterie drôle. En interne, les allemands sont toujours réticents à l’idée d’un bradage de la monnaie. Leur modèle économique repose toujours sur une valorisation des exportations et sur des importations à bon marché. De ce fait la parité de l’euro pourrait ne plus guère évoluer, toute chose étant égale par ailleurs, dans les prochains mois.
Les conditions du rebond en Russie
La Russie est confrontée à une récession depuis l’année dernière. Le PIB a reculé de 3,7 % en 2015 et devrait poursuivre sa contraction jusqu’au milieu de cette année. Cette crise est la plus sévère auquel le pays a été confronté depuis celle de 1997/1998 aboutissant à l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir. Durant dix ans, la Russie a bénéficié d’une forte croissance lui permettant d’être assimilé à un pays émergent. La crise de 2008/2009 a cassé la dynamique, l’économie russe demeurant sensible aux variations des prix des matières premières et à la croissance de la zone euro.
La crise ukrainienne combinée à la chute historique du prix du pétrole a plongé l’économie russe en récession. Compte tenu des chocs subis, elle démontre néanmoins une certaine résilience. Le pouvoir contraint à une certaine forme d’autarcie a joué sur la monnaie pour maintenir autant que possible les recettes issues de la vente du pétrole et du gaz. La dépréciation du rouble aboutit à ce que ces recettes exprimées en roubles baissent moins vite que les cours des produits énergétiques… Cette dépréciation de la monnaie nationale génère une forte inflation et renchérit le coût de la vie pour les Russes. Cette hausse des prix est favorisée par les embargos sur les produits notamment sur les produits alimentaires. L’inflation a ainsi atteint 15,8 % en 2015. Les pouvoirs publics espèrent une décrue cette année à 8,6 %. Pour modérer les tensions inflationnistes, la banque centrale a été contrainte de maintenir des taux d’intérêt élevés ce qui freine l’investissement. Ce dernier pâti de la disparition des flux de capitaux extérieurs.
Du fait d’une population en diminution, la crise ne se traduit pas par une envolée du chômage d’autant plus que le secteur public ne recourt pas à des licenciements. Le taux de chômage à fin 2015 était de 5,8 %. Il était en 2000 de 10,6 %. Durant la crise de 2009, il avait atteint 8,4 %.
La dégradation de la situation économique a conduit, en revanche, à la disparition de l’excédent budgétaire et à l’apparition d’un déficit. Le solde budgétaire est en effet passé de + 2 % en 2012 à -2,9 % en 2015.
La dette publique qui atteignait 99 % du PIB en 1999 avait été ramenée à 8 % en 2008. Depuis, elle progresse légèrement. Elle est passée de 12,7 à 17,9 % du PIB de 2012 à 2015. Elle pourrait dépasser 20 % en 2015. Malgré la crise du rouble, les réserves de change dépassent 350 milliards de dollars. Elles étaient de 537 milliards en 2012.
La Russie peut, compte tenu de ses réserves financières, résister encore à une année de récession. Le pouvoir semble intégrer dans ses prévisions un prix du pétrole relativement bas. Il a également mis en œuvre un plan de développement faisant moins appel aux investisseurs internationaux.
Au vu des liens économiques entre la Russie et l’Union européenne, une sortie du conflit est, au-delà des discours, indispensable. Cela passe par un accord sur l’Ukraine. Dans la négociation, les Occidentaux devront abandonner l’idée d’une intégration de l’Ukraine au sein de l’Union européenne et au sein de l’OTAN, ce qui ne devrait pas être trop difficile à promettre. Le point sensible portera sur la gouvernance de l’Ukraine avec la mise en place d’un Etat fédéral devant s’accompagner de la démilitarisation des milices pro-russes. Par ailleurs, la Communauté internationale devra reconnaître le retour de la Crimée dans la Russie.
Malgré les embargos, des négociations sont en cours en ce qui concerne la construction d’un nouveau gazoduc passant par le Nord (Nord Stream II). Si la Finlande qui est également confrontée à une récession y est très favorable tout comme l’Allemagne, en revanche, l’Italie, la Grèce, Chypre se battent en faveur d’un tracé sud à destination du Moyen Orient. La Pologne y est également opposé pour deux raisons, par inquiétude géostratégique et par le fait que ce gazoduc ne passe pas sur son territoire…
Radioscopie de la panne de productivité en France
Si la croissance est faible en France, c’est avant tout à cause de la diminution, depuis la fin des années 90, des gains de productivité horaire. Ce déclin de la productivité n’est pas spécifique à la France, il concerne l’ensemble de l’Europe au point que le décrochage avec les Etats-Unis devient criant.
En 1950, la productivité horaire était en France inférieure de 50 % par rapport à celle des Etats-Unis. Grâce à une forte accélération des gains de productivité, ce retard a été comblé en grande partie dans les années 80. La productivité augmentait de 5 à 6 % durant les années 50-60.Elle s’est érodée de décennie en décennie. Elle est passée de 3-4 % dans les années 70 à 2-3 % dans les années 80. Elle était comprise entre 1,5 -2 % dans les années 90 et jusqu’au milieu des années 2000. Depuis, elle est passée en-dessous de la barre du 1 %. Le taux moyen de croissance entre 2003 et 2014 est de 0,7 %.
Les Etats-Unis ont connu une évolution semblable mais avec un rebond dans les années 90 avec la diffusion des nouvelles technologies. L’Europe a été moins sensible à ces technologies à l’exception de la Suède.
L’Europe et tout particulièrement la France ont opté pour une intensification de la croissance en emploi. En multipliant les systèmes d’aide à l’emploi, les pouvoirs publics ont réduit, par voie de conséquence, les gains de productivité. Par ailleurs, du fait des contraintes réglementaires et de la pression sociale, les entreprises n’ont pas adapté totalement leur effectif à leurs ventes. Selon une étude « Ducoudré et Plane – OFCE » de 2015, les sureffectifs concerneraient, à la fin du deuxième trimestre 2015, plus de 100 000 personnes.
Au-delà de ces facteurs, le retard de productivité des entreprises françaises s’explique par la faible diffusion des techniques de l’information et de la communication. Selon une étude « Cette, Clerc et Bresson », le stock de capital en matériel informatique et de communication ainsi qu’en logiciels serait inférieur de 25 % à celui des Etats-Unis. Il correspondrait au stock des Etats-Unis de la fin des années 80 soit bien avant la révolution numérique.
Les entreprises, en raison de leur petite taille, ne sont pas des acteurs du Net. En 2014, 63 % des entreprises françaises ont un site Internet contre 75 % en moyenne au sein de l’OCDE et 90 % dans les pays d’Europe du Nord. Seules 17 % des entreprises françaises sont présentes sur les réseaux sociaux contre 25 % en moyenne au sein de l’OCDE. Le taux d’équipement des entreprises, en France, en robotique est deux fois plus faible qu’aux Etats-Unis ou en Allemagne. Selon une étude de France Stratégie, la France ne souffre pas d’un sous-investissement mais avant tout d’un mal-investissement.
La France n’a pas suffisamment renouvelé son tissu économique. Les positions de rente, les protections diverses et variées n’ont pas permis l’enclenchement d’un processus de destruction créatrice. Aux Etats-Unis, de nombreuses entreprises ont disparu remplacées par de nouvelles qui ont pu attirer des capitaux afin de s’accroître. Dans le secteur manufacturier, 50 % de la croissance a été tirée, aux Etats-Unis, par cette réallocation des capitaux en faveur de nouveaux acteurs. Pour le commerce de détail, ce taux est de 90 %. En Europe, les entreprises productives n’arrivent pas à grandir quand les moins productives ne périclitent que lentement. Il y a stagnation par absence de respiration du tissu économique.
La France souffre d’une insuffisante qualification de sa population active. La massification de l’enseignement supérieur est récente. Le faible niveau de qualification des générations plus anciennes pèse sur la productivité. En outre, la formation constitue une autre faiblesse. En 2013, 36 % de la population active a bénéficié d’une action de formation contre 50 % en moyenne au sein de l’OCDE et 70 % au sein des pays d’Europe du Nord. 56 % des diplômés de l’enseignement supérieur bénéficient d’actions de formation contre 17 % des actifs qui n’ont atteint que le deuxième cycle.
L’enseignement délivré n’est pas, en outre, en phase avec les besoins générés par les techniques de l’information et de communication. Il demeure très académique, la priorité étant donnée à l’acquisition des connaissances quand dans de nombreux pays dont ceux de l’Europe du Nord, l’accent est mis sur les méthodes. En France, le système éducatif est élitiste avec une valorisation du travail individuel à travers la notation, à travers l’acquisition de connaissances. La sélection s’effectue soit par concours pour les grandes écoles soit par la capacité à se frayer un chemin dans le parcours universitaire. Dans ces conditions, le poids de l’environnement familial voire géographique est déterminant. Dans de nombreux pays, le parcours scolaire repose avant tout sur l’acquisition de méthodes avec une part importante accordée au travail collaboratif. Le système éducatif français tend à s’adapter à la nouvelle donne même si des résistances existent (intégration des moyens d’information et de communication, travail en groupe…) mais il faudra plusieurs années afin que cette évolution se diffuse au sein de la population active. Toutes les réformes scolaires qu’elles portent sur l’organisation du système éducatif ou sur les programmes freinent font l’objet de contestation quasi-idéologiques.
La France protège trop ses entreprises et ses emplois. Les pouvoirs publics afin d’atténuer les conséquences des fermetures d’établissement ont pris de nombreuses mesures qui dans les faits se retournent contre les actifs. La rotation des entreprises et des emplois est trop faible en France. La protection des emplois existants empêche à ceux qui sont sur le marché du travail de trouver un nouveau poste. Le droit français protège les actionnaires et l’emploi à court terme au détriment des entreprises naissantes qui auraient besoin de plus de flexibilité. L’emploi à vie est un principe admis en France. Le poids de la fonction publique, plus de 5 millions de salariés, soit près de 20 % de la population active occupée, explique sans nul doute la popularité de ce principe. Les Français occupent plus longtemps le même emploi que leurs homologues européens, 11,4 ans contre une moyenne de 10 ans en Europe et 9 ans au Royaume-Uni. En France, malheur à l’exclu. Un actif sorti du marché du travail éprouve les pires difficultés à retrouver un emploi. Le chômage est vécu comme une tare.
La dualisation du marché du travail pèse également sur la productivité sur le long terme. Afin de contourner la rigidité du droit du travail, les entreprises recourent de plus en plus, pour les nouveaux entrants, aux CDD ou à l’intérim. Notre système est constitué d’un cœur d’emploi stables et protégés. En périphérie, un monde d’emplois précaires s’est développé avec à la clef peu de formation et peu d’investissement dans le capital humain. Les membres du premier club n’ont aucune raison de prendre des risques de peur de se retrouver dans la deuxième catégorie. Face à cette situation, le débat sur la sécurisation des parcours professionnels prend toute sa signification.
Les allégements de charges sur les bas salaires contribuent également à réduire les gains de productivité. Ils ne favorisent pas la montée en gamme des entreprises françaises, ni même la progression professionnelle des actifs. Il conviendrait, en la matière, de lisser les effets de seuil en instituant un abattement sur les 500 ou 800 premiers euros de salaire, applicable à tous les salariés.
La concurrence demeure insuffisante au sein de plusieurs secteurs d’activité dont le secteur de la grande distribution.
Si la France dispose d’une politique en faveur de la recherche ambitieuse avec notamment le crédit d’impôt recherche, elle demeure malgré une réorientation ces dernières années trop concentrée sur quelques secteurs d’activité et quelques entreprises. La France est, en matière de diffusion des résultats de la recherche développement au sein des PME, distancée par l’Allemagne ou la Suède.