Le Coin de la Conjoncture du 6 juillet 2019
Le retour de la tentation budgétaire
L’idée de relâcher les cordons de la bourse de l’État trouve un écho favorable en France, pays dont le solde budgétaire est négatif depuis 1973, pays dont le poids de la dette publique frôle les 100 % du PIB quand il ne s’élevait qu’à 21 % en 1981. Cette tentation du relâchement s’apparente donc avant tout à la poursuite d’un processus engagé depuis près de 40 ans d’autant plus que la réduction du déficit a d’abord été réalisé par augmentation des prélèvements et non pas en ayant recours à des économies budgétaires. Pourquoi entraver la dépense publique au moment où les taux sont faibles voire négatifs ? Face aux limites des politiques monétaires, les gouvernements ne devraient-ils pas réutiliser l’arme budgétaire afin de relancer la demande interne jugée atone et insuffisante.
Dans d’une interview au quotidien Les Echos (2 juillet 2019), Olivier Blanchard, l’ancien économiste du FMI, a clairement pris ce parti. En estimant que les taux d’intérêt pourraient rester faibles au moins durant 10 ans, il invite les Etats européens à augmenter leurs dettes. Certes, il indique que cet endettement ne devra pas financer des dépenses courantes mais de l’investissement matériel et immatériel. Le coût de la transition énergétique pourrait être atténué en optant pour l’emprunt. Il propose également de sortir des critères de Maastricht la dette finançant l’investissement en retenant les principes de la comptabilité privée ou des collectivités locales. L’Allemagne avec sa politique de rigueur est accusée de tous les maux. Elle serait responsable de l’état de léthargie dans lequel se morfond l’économie européenne.
Quels sont les présupposés d’Olivier Blanchard ? Il considère que la demande interne est trop faible pour permettre l’enclenchement d’un cycle vertueux de croissance. La France avec un déficit extérieur structurel important a-t-elle un problème de demande ou un problème d’offre ? Certes, une partie de la population est à la peine en raison de la modicité des rémunérations et de leur faible revalorisation. Mais, toute augmentation de la demande conduit pour le moment au gonflement du déficit commercial. L’aspect social est supposé prévaloir sur l’aspect économique mais en optant pour une augmentation des importations, les pouvoirs publics ne feraient que se donner un peu d’oxygène sans résoudre les problèmes structurels de notre pays. De nombreuses enquêtes pointent la faiblesse des compétences de la population active et la mauvaise qualité du système éducatif (enquête PISA et PIAAC de l’OCDE) ainsi que la faible modernisation du capital des entreprises.
Les exportations mondiales ont progressé de 2002 à 2019 de 100 % quand celles de la France ont augmenté de 60 % sur la même période. Le taux d’emploi de la France reste inférieur de 5 points à celui des Etats-Unis (67 % contre 72 %), de 11 points à celui de l’Allemagne et la Suède.
Pour les compétences des adultes, la France arrive au 23e rang au sein de l’OCDE loin derrière les pays d’Europe du Nord, de la Corée ou du Japon. En outre, notre pays a tendance à perdre, enquête après enquête, des places. Il en est de même pour le classement PISA qui concerne le niveau des élèves.
Accroître le déficit public ne résoudrait pas ces problèmes. Les dépenses publiques du marché du travail, d’éducation sont déjà élevées, l’investissement des entreprises françaises est de niveau élevé, mais de faible qualité, la baisse des impôts ne peut pas corriger le déficit de compétitivité-coût. La solution passe notamment par une meilleure organisation du système de formation, d’éducation, une hausse de la sophistication des entreprises, pas un déficit public, surtout s’il finance des transferts aux ménages et de la consommation.
Les dépenses publiques en faveur de l’emploi sont supérieures en France de 0,6 point à la moyenne des autres pays de la zone euro. Les dépenses publiques d’éducation atteignent dans notre pays 5,4 % du PIB contre 4,25 % du PIB dans les autres pays de la zone euro.
Le taux d’investissement des entreprises est dans la moyenne de la zone euro. Ce qui pose un problème, c’est sa rentabilité. La France se caractérise par la faiblesse de son stock de robots industriels. Il représente 1,5 % de l’emploi manufacturier contre plus de 3 % au Japon et plus de 2,5 % en Allemagne, en Suède et aux Etats-Unis. Les investissements dans les techniques de l’information et des télécommunications s’élèvent à 0,5 % du PIB contre 1,3 % du PIB dans la zone euro (hors France) et à 2 % aux Etats-Unis.
Olivier Blanchard considère que les investissements publics auront à terme une rentabilité positive permettant le remboursement des emprunts. Même à taux négatif, il faut rembourser le capital. Certes, l’Etat étant supposé éternel, il est possible de rouler un peu plus loin dans le temps le tonneau des dettes. Par ailleurs, la rentabilité ne peut pas s’exprimer que de manière financière. Il convient de prendre d’autres critères, sociétaux, environnementaux, etc. Néanmoins, l’Etat est-il le mieux placé pour réaliser des investissements ? Certains estiment que seules les administrations publiques peuvent porter des projets de long terme. D’autres considèrent que leurs actions n’obéissant pas exclusivement à des considérations financières peuvent mener à une mauvaise allocation des ressources. Les gouvernements français se sont longtemps enorgueillis de la filière nucléaire jusqu’aux déboires de l’EPR de Flamanville. Dans les projets souvent mis en avant figure le TGV même si le retour sur investissement, en intégrant toutes les subventions, est difficile à évaluer. Pour l’aéronautique, le soutien à Airbus peut être jugé profitable même si cela n’a pas empêché quelques échecs comme l’A380. A contrario, la réalisation d’un réseau autoroutier dense n’a été rendue possible que par le recours au système de la concession. Jusqu’au début des années soixante-dix, les autoroutes françaises ne comptaient que quelques centaines de kilomètres quand elles rayonnaient dans l’ensemble de l’Allemagne de l’Ouest.
Les faibles taux d’intérêt, en diminuant le coût du crédit, pourraient bien avoir l’effet inverse à celui recherché en matière d’investissement. En lieu et place de favoriser l’accélération de la croissance, ils pourraient la ralentir. En effet, ils permettent de financer des projets à faible rentabilité. Ils n’incitent guère à la réalisation d’investissements à forte rentabilité. Il y a donc un risque non négligeable de gaspillage des ressources financières.
Le choix du déficit budgétaire pourrait s’entendre dans un pays faisant peu appel aux prélèvements. Or, la France est le pays de l’OCDE qui a le plus fort taux de prélèvements obligatoires avec le Danemark. De même, notre pays consacre 56 % de sa richesse publique aux dépenses publiques. Il n’y a pas un manque de dépenses publiques mais un excès. Dans tous les domaines de l’action publique, la France se place en tête ou dans les trois premiers rangs mondiaux : logement, soutien à l’économie, santé, retraite, éducation, etc.
Le choix de la relance budgétaire même axé sur l’investissement peut se discuter dans un pays où les dépenses socialisées sont à un niveau record. En revanche, la réallocation des dépenses en favorisant l’investissement semble s’imposer ce qui nécessiterait de réaliser des économies dans les prestations sociales et dans la gestion.
Pourquoi la productivité en France joue-t-elle l’arlésienne ?
En France, les gains de productivité du travail des branches marchandes de l’économie baissent régulièrement depuis le début des années 1980. Si la tertiarisation de l’économie
explique ce ralentissement jusqu’à la fin des années 1990, elle devient commune à presque tous les secteurs depuis 2000. La situation de la productivité est très différente en fonction des secteurs d’activité et de la taille des entreprises.
En France, la productivité du travail des branches marchandes ralentit depuis le début des années 1980, passant d’un rythme de 2,6 % par an en moyenne dans les années 1980 puis 1,9 % dans les années 1990. Elle diminue à 1,2 % dans les années 2000 jusqu’à la crise financière de 2008 puis à 0,8 % depuis 2010. En pleine période de crise, elle avait même atteint 0,3 % par an (2008 et 2010). Ce ralentissement observé en France vaut également pour l’ensemble des économies de la zone euro et depuis le milieu des années 2000 pour les États‑Unis
Dans le cas de la France, et jusqu’au début des années 2000, le ralentissement de la productivité du travail s’expliquait en partie par les recompositions du tissu productif amorcées dès les années 1960. Dans les années 1980, les gains de productivité restent soutenus grâce aux transferts des emplois les moins productifs (agriculture et industrie manufacturière) au profit de services ayant une productivité plus forte en niveau. Une partie du ralentissement de la productivité observé dans les années 1990, par rapport aux années 1980, s’expliquerait par le changement de la structure sectorielle de l’emploi : d’une part, l’essoufflement de ces transferts d’emplois peu productifs vers des services plus productifs ; d’autre part, une tertiarisation désormais orientée vers des services peu productifs, qu’ils soient à destination des entreprises ou des ménages. Selon Gilbert Cette (Adjoint au Directeur général des études et des relations internationales de la Banque de France), le ralentissement de la productivité observé depuis 2000 s’expliquerait avant tout par un ralentissement généralisé de la productivité dans la plupart des branches marchandes.
Les politiques d’allègement du coût du travail mises en œuvre à partir des années 1990 ainsi que la réduction du temps de travail, visant à enrichir la croissance en emploi, ont pu contribuer au ralentissement de la productivité. De leur côté, les faibles taux d’intérêt permettent à des entreprises peu rentables de continuer à fonctionner. L’existence de barrières réglementaires et les concentrations peuvent aussi, en limitant la concurrence, peser sur la productivité.
La diffusion du progrès technique serait ralentie par le vieillissement de la population active et par une moindre appétence de cette dernière au changement, aux innovations.
Pour certains économistes, la baisse tendancielle des gains de productivité serait liée pour certains à un rendement décroissant des innovations. La thèse de l’essoufflement du progrès technique est reprise les tenants de la stagnation séculaire (Gordon, Lammers). Les innovations les plus simples, les plus rentables auraient été trouvées. Aujourd’hui, les avancées technologiques nécessitent un apport en capitaux de plus en plus important. La troisième révolution industrielle, fondée sur les technologies de l’information et de la communication aurait généré une accélération plus limitée dans le temps et en ampleur que les précédentes. Mais, selon d’autres économistes comme, Brynjolfsson et McAfee,
Malgré tout, les gains de productivité apportés par la révolution du digital seraient loin d’être arrivés à leur terme. Le ralentissement de la diffusion du progrès technique des entreprises les plus productives vers les moins productives et le problème des compétences seraient à l’origine de la baisse des gains de productivité.
La crise financière de 2008 aurait contribué également au ralentissement de la productivité en diminuant les capacités d’investissement des entreprises et en raison de l’augmentation de l’aversion aux risques. La multiplication des incertitudes économiques et financières inciterait les dirigeants à la prudence.
La baisse des gains de productivité n’est pas uniforme. Si elle concerne les entreprises à faible intensité capitalistique et peu productives, elle n’est pas constatée dans les services de haute technologie ou dans l’industrie de pointe. De ce fait, depuis dix ans, l’écart de productivité tend à s’accroître. Le phénomène de rattrapage qui était enregistré en fin de cycle n’est plus à l’œuvre aboutissant à une segmentation de l’économie. Entre les secteurs les plus productifs et ceux les moins productifs, les écarts augmentent. Cela se matérialise sur la productivité, l’investissement, les bénéfices et les salaires.